Le Muscadier

La maison d’Edition qui éveille les consciences

Contrairement à ce que l’on pense souvent, les jeunes ne boudent pas la lecture : en 2018, 86 % des 15/25 ans avaient lu au moins treize livres dans les douze mois précédents. Une maison d’édition atypique leur propose des récits dont les intrigues garantissent évasion et suspense, tout en leur permettant de réfléchir.

 

Rien ne s’est passé comme prévu. Le président sortant et son concurrent le plus sérieux ont été balayés. Le mouvement qui s’est formé, en quelque mois, autour des idées de justice sociale, de participation citoyenne et de responsabilité écologique, a présenté un candidat qui a obtenu 55 % des voix. Un gouvernement a été constitué. Aucun des ministres n’est politicien de métier. Juste des citoyens issus d’associations, de syndicats, d’universités. Chacun présente, ici, son programme … « Alter gouvernement : 18 ministres citoyens pour une réelle alternative », le tout premier livre publié en janvier 2012 par les éditions Le Muscadier, s’inscrivait dans une projection utopique, ouvrant la voie à une série d’essais en sciences humaines. Neuf ans ont passé. Avec près de soixante-dix publications à son actif, le choix éditorial a pris une toute autre direction : la fiction jeunesse. Mais, pas n’importe quelle fiction : celle qui se donne pour ambition d’éveiller les consciences. L’objectif est clairement annoncé : « Offrir des outils (de réflexion, d’action) pour devenir des citoyens à part entière. Des citoyens capables de penser par eux-mêmes, de désobéir et d’alerter quand il le faut. De prendre les bonnes décisions pour eux, pour leurs proches et pour la planète. »

 

Un éditeur impliqué

Si Bruno Courtet, son fondateur, s’est lancé dans cette aventure, c’est d’abord par envie d’innover. Après quinze ans de métier, il voulait se renouveler, cherchant un créneau original. C’est un libraire qui l’inspira, lui faisant remarquer l’absence de collection engagée à destination des ados. Mais, c’est aussi, parce qu’ayant grandi dans une bulle familiale où il ne se posait pas vraiment de questions, il a eu envie de proposer aux jeunes générations une ouverture sur une littérature qui lui manqua tant, alors. D’autant que la perception qu’il a de la jeunesse d’aujourd’hui, c’est celle d’un public de plus en plus accessible aux problèmes de société. L’idée trouvée, il fallait la concrétiser. Sa rencontre avec Christophe Léon fut décisive. Cet auteur, fin connaisseur de l’édition jeunesse qu’il a alimenté avec plus de quarante romans, devint très vite son directeur de collection. Diffusant des appels à manuscrits dans un milieu qui lui était familier, les propositions ne tardèrent pas à affluer. Emergea ainsi une pépinière d’auteur(e)s ravi(e)s d’écrire pour une classe d’âge pour qui l’offre de réflexion s’avérait jusque-là peu fournie. Aujourd’hui, c’est plus de cent cinquante manuscrits qui parviennent annuellement au Muscadier. A peine 10% sont retenus, dix à quinze nouveautés paraissant seulement chaque année. Parfois suggérés par l’éditeur, parfois spontanément proposés par les auteur(e)s, les thèmes abordés respectent une ligne éditoriale constante : traiter les grands sujets de notre monde contemporain tels l’écologie, la justice, l’égalité, la tolérance, le racisme, le travail des enfants, la guerre, la violence sous toutes ses formes, l’homosexualité, l’égalité homme-femme, l’esclavage moderne etc… « Oulala ! » réagiront certains lecteurs méfiants, face à des sujets potentiellement bien anxiogènes. N’a-t-on pas mieux à proposer à nos ados que d’occuper leurs heures de lecture avec des thématiques aussi sombres, dans un pays où 26% des jeunes se déclarent optimistes face à leur avenir ? Ne faut-il pas plutôt préserver l’enfance de la cruauté d’un monde qu’elle connaitra bien assez tôt ? N’a-t-elle pas un droit inaliénable à l’insouciance ? Sauf que la brutalité de notre monde s’étale en permanence via les écrans, les réseaux ou les conversations des adultes proches, quand elle ne s’impose pas dans la vie des plus jeunes. L’enjeu, dès lors, est peut-être bien plus de les aider à comprendre ce qui se passe autour d’eux, que de croire possible de les en isoler. C’est justement ce que permettent les romans du Muscadier: « à un âge où se construisent et s’affirment les personnalités, le rapport aux autres et une certaine vision de la vie, ils permettent de découvrir d’autres façons de penser, de vivre, d’autres réalités que celles de leur vie quotidienne ».

 

L’époque des contes

C’est ce qu’avait bien compris nos ancêtres qui, à l’occasion des veillées nocturnes, racontaient à leurs enfants des contes traditionnels inspirés du folklore, des mythes et des légendes. Récoltés par Perrault, Andersen et de Grimm, ces récits mettaient en scène, avant d’être édulcorés par Walt Disney et Cie, des personnages cruels et terrifiants, s’adonnant à des orgies cannibaliques de « chair fraîche » et de sang ! Mais, ce n’est pas parce qu’on racontait volontiers alors des histoires d’ogre dévorant les enfants (Le petit poucet), de reine exigeant la mise-à-mort de leur bru (Blanche Neige) ou de roi voulant se marier avec leur fille (« Peau d’âne ») … qu’on est obligé de faire pareil aujourd’hui ! Pourtant, ces récits jouaient un rôle à la fois pédagogique, cathartique et thérapeutique. Leur symbolisation aidait alors l’enfant à maîtriser ses peurs et ses angoisses, à affronter les épreuves inattendues et les adversités injustes et à faire face aux difficultés, sans se laisser anéantir. La fin heureuse qu’on y trouvait souvent démontrait que malgré les épreuves et les péripéties, l’avenir pouvait être entrevue dans une perspective positive et optimiste. Et c’est dans la continuité de cette tradition, que l’on peut peut-être inscrire les auteur(e)s du Muscadier, quand ils traient des questions que se posent beaucoup d’ados, tant sur eux et que sur le monde dans lequel ils vivent ? La différence, toutefois, c’est qu’on n’y retrouve pas la férocité et la sauvagerie qu’affichaient sans grande précaution les contes traditionnels. Tout au contraire, si le suspense est bien présent et l’action toujours rythmée, aucune trace d’étalage voyeuriste, ni de  descriptions obscènes, pas plus que de détails graveleux. Si une attention particulière est accordée à la fluidité de l’écriture, l’accent est mis tout autant sur la pudeur, la sensibilité et la subtilité du contenu. Le scénario chemine, avec souvent une charge forte émotionnelle, mais en empruntant les chemins de l’implicite plus que de l’explicite, de la suggestion plus que de la démonstration. Les ados amateurs d’une littérature s’inscrivant dans le registre de l’horreur ou de la peur n’y trouveront pas leur compte.

 

L’ado, ce héros

La seconde critique que l’on pourrait formuler aux fictions du Muscadier, c’est le rôle bien peu glorieux attribué aux adultes qui ne semblent pas en capacité d’endosser une fonction-ressource, pour aider les jeunes personnages placés dans des situations compliquées. Face à leurs difficultés, ils apparaissent peu à l’écoute, inaccessibles, trop préoccupés par leur propre vie. Même quand ils finissent par intervenir, c’est le plus souvent dans un second temps. Ce choix de scénario peut être perçu d’une manière contradictoire. D’un côté, il peut induire, chez le jeune lecteur, un sentiment d’isolement face aux carences de celles et de ceux qui sont censés veiller sur eux, les protéger, les soutenir. Ce qui fait peser sur leurs épaules la responsabilité d’avoir à trouver seuls les solutions à leurs problèmes. Certes, les parents et le monde éducatif d’aujourd’hui sont infiniment plus attentifs qu’ils ne l’étaient, il y a de cela quelques décennies. En tout cas, ils sont convaincus de l’être. Mais, est-ce toujours le cas ? Sont-ils toujours à la hauteur de la considération inconditionnelle que les enfants et les ados sont en droit d’attendre ? A chacun d’en juger. Mais, après tout, si les adultes se sentent stigmatisés dans ces romans, cela ne peut que les inciter à se montrer toujours plus vigilants, plus ouverts et plus attentionnés face aux jeunes générations. Mais, d’un autre côté, ce positionnement proactif attribué aux jeunes héros de ces roman constitue aussi un encouragement à agir et se mobiliser, en refusant la passivité et la résignation. D’autant que les auteur(e)s ayant toujours le souci de terminer leur récit sur une issue positive et optimiste, le dénouement s’ouvre sur l’espérance. Finalement, cet appel à la solidarité, à l’entr’aide et au soutien mutuel qui s’oppose au registre individualiste du chacun pour soi répond bien aux défis que lance les fictions du Muscadier à ses jeunes lecteurs : se prendre en main. Noble objectif de départ. Pari réussi à l’arrivée. L’aventure continue pour cette maison d’édition au fonctionnement très artisanal. A l’avenir, elle compte bien étoffer encore son catalogue avec de nouveaux thèmes ou en abordant ceux déjà traités, sous un autre angle. Mais elle aspire aussi à se tourner vers la diffusion de ses titres en langue étrangère. En tout cas, on ne peut attendre ses nouveautés qu’avec une impatience gourmande.

 

Jacques Trémintin (publié dans le Journal de l’animation n°214 – décembre 2020)

 

 

Editions Le Muscadier : mode d’emploi
 
Quatre collections sont proposées :
- « Jeunesse engagée » est composé de nouvelles et de romans qui parlent du monde d’aujourd’hui, en abordant sans détour les questions écologiques, sociales et éthiques 
- « Saison Psy » traite de questionnements adolescents, sous forme à la fois de fiction, et d’un commentaire de spécialistes du sujet traité (autisme, réseau, alcool, …)
- « Choc santé » a pour ambition de rendre accessibles les connaissances de pointe, les avancées médicales les plus récentes, mais également des conseils pratiques élaborés en collaboration avec l’INSERM (dépression, obésité, suicide, vaccination …)
- « Choc des idées » propose un panorama inédit sur divers sujets d’actualité, afin de combattre les discours superficiels et les préjugés (cannabis, mondialisation, nucléaire, agriculture biologique …).