Vers une interdiction de la fessée ?

La France a été une nouvelle fois condamnée par le Conseil de l’Europe, pour son laxisme en matière de châtiments corporels. Petit état des lieux.

Edwige Antier, alors députée UMP et pédiatre convaincue des effets négatifs des châtiments corporels déposait, le 10 novembre 2010, une proposition de loi affirmant : « les titulaires de l’autorité parentale et les personnes qui s’occupent d’enfants mineurs n’ont pas le droit d’user de violences physiques, d’infliger des souffrances morales ni de recourir à aucune autre forme d’humiliation de l’enfant ». Ce texte ne fut jamais examiné. Le 19 mai 2014, le député écologiste François-Michel Lambert présentait, avec seize de ses collègues, un amendement à la loi famille : « les titulaires de l'autorité parentale ne peuvent user de châtiments corporels ou de violences physiques à l'égard de l'enfant ». L’amendement fut retiré contre la promesse d’un débat ultérieur. Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille pourtant sensibilisée à la lutte contre les châtiments corporels, déclarait au mois de mars 2015 « Ça ne passera pas par la loi. Je n'ai pas envie de couper le pays en deux camps, ceux qui sont pour la fessée et ceux qui sont contre ». A l’heure où quarante trois pays ont déjà aboli explicitement les punitions corporelles, où en est-on en France ?

De la banalisation(1)

La protection des mineurs contre les mauvais traitements parentaux est une préoccupation ancienne en France. Même si son application est loin d’avoir été efficace, le parlement votait le 19 avril 1898, une loi sur la répression des violences, voies de faits, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants. L’article 312 de l’ancien code pénal résultant de la loi du 2 février 1981 pénalisait ces actes, la qualité de père ou mère de l’auteur constituant une circonstance aggravante. L’article apportait toutefois une précision : « à l’exclusion des violences légères » ! Entre ces deux dates, la jurisprudence avait de toute façon banalisé et validé le droit de correction parental. En 1819, la Cour de cassation annulait la condamnation à cinq années de prison d’une mère de famille qui avait donné des coups à sa fille, en raison de l’absence de dommage. La coutume est tenace. Dans le code civil édité en 1900, une note sous l’article 377, affirme que suivant l’opinion générale, les parents peuvent, indépendamment du droit d’incarcération, infliger à leurs enfants, dans un but moral, des châtiments corporels, pourvu que ces châtiments n’excèdent pas les bornes de la modération (2). Ce que confirme la Cour d’appel de Caen, le 7 juillet 1982 : « il est certain que les coups de pied au derrière, la bousculade, les oreilles ou les cheveux tirés, les calottes, les gifles et même les coups de règle lorsque de telles violences sont le fait des parents ne sauraient être considérés comme excédant leur droit de correction dès lors qu'il n'en est résulté non seulement aucune conséquence médicale, mais même aucune trace apparente établissant une brutalité excessive ».

… à la correctionalisation

Il faudra attendre le 9 novembre 2011, pour assister à un retournement de la jurisprudence. Le tribunal de Dijon condamne alors un père en récidive légale pour avoir donné une gifle et un coup de pied aux fesses à l’un de ses garçons, âgé de 11 ans. Puis, le 13 juin 2013, le tribunal correctionnel de Lille condamne à six mois de prison avec sursis et à un suivi psychologique une mère ayant giflé sa fille de neuf ans, alors qu’elle était en état d’ivresse. Le 16 octobre 2013, le tribunal de Limoges condamne un père à cinq cents euros d’amende avec sursis pour avoir donné une fessée déculottée à son fils de neuf ans. Le 22 janvier 2015, le tribunal de Dunkerque condamnait un père de famille à un mois de prison avec sursis pour avoir mis des fessées à ses enfants. Le vent aurait-il tourné ? La justice se mettrait-elle donc à sanctionner la violence éducative ordinaire ? Remarquons d’abord que beaucoup de ces procès ont été initiés par des mères séparées, en conflit avec leur ex-mari. Est-ce le souci de protéger leurs enfants ou la tentation de nuire à leur ancien conjoint ? Toujours est-il qu’on assiste à une sensibilisation nouvelle des magistrats montrant une motivation inconnue jusque là à appliquer l’article 222-13 du code pénal affirmant que « les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elles sont commises sur un mineur de quinze ans ». Si les sanctions contre les parents adeptes de la fessée sont intervenues tardivement, il en a été de même pendant longtemps pour les professionnels.

Du côté des professionnels

Les châtiments corporels furent pourtant mis officiellement hors la loi dans les écoles en France, dès 1887. Mais, cela n’empêcha nullement la Cour de cassation de se prononcer, le 4 décembre 1908, pour sa réhabilitation « les instituteurs ont incontestablement, par délégation de l’autorité paternelle, un droit de correction sur les enfants qui leur sont confiés ». Cette même Cour posera toutefois des limites à cet exercice, en affirmant le 21 février 1967 qu’elle ne pouvait se justifier dans le cas de deux jeunes délinquants âgés de 13 et 14 ans malmenés par quatre éducateurs les ayant entravés, battus et contraints à circuler nus hors des bâtiments pour leur faire avouer leur participation à un cambriolage ! Mais, quand le châtiment est modéré, il reste toléré. Le 18 mars 1981, le tribunal de police de Bordeaux rend un jugement sans ambiguïté : « si les châtiments corporels ou mêle le traditionnel droit de correction ne correspondent plus à l’état de nos mœurs, les parents et les enseignants possèdent toujours, dans un but éducatif, un pouvoir disciplinaire pouvant éventuellement s’exercer sur de jeunes enfants sous forme de gifles ou de tapes inoffensives ». A Saint Quentin (1982), Rennes (1984- 1991) et Dijon (1990-1991) la justice reconnaît le droit des enseignants à réprimer le comportement des élèves. Là aussi, tout change, à compter de 2008 : un professeur jette à terre les affaires d’un élève qui ne le rangeait pas assez vite à son goût, le plaque contre le mur et le gifle après que l’enfant de 11 ans l’aie traité de « connard ». Il sera condamné à cinq cent Euros d’amende par le Tribunal correctionnel d’Avesne sur Helpe. Puisque la législation actuelle protège déjà juridiquement les enfants, qu’apporterait de plus une loi contre la fessée ? Ses promoteurs demandent son inscription dans le code civil, et non dans le code pénal, afin de privilégier la démarche éducative, sur la logique répressive : ils veulent faire évoluer les mentalités et les pratiques éducatives, non faire jeter en prison les parents, à la main trop leste. La démarche envisagée est pédagogique et symbolique : interdire explicitement les châtiments corporels permettrait de la délégitimer et de justifier la réprobation.

(1) cet article est très largement inspiré par l’ouvrage « La fessée. Questions sur la violence éducative » Olivier Maurel, Ed. La Page, 154 p.
(2) « La fessée est-elle un attribut de l’autorité parentale ? » Pierre-Brice Lebrun in Acteurs de la vie scolaire


Levez la main contre la fessée !
Le 24 juin 2004, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe demandait à tous ses membres, par trente sept voix contre trois, d’adopter une législation portant sur l’interdiction absolue des châtiments corporels dont sont victimes les enfants. Le 15 juin 2008, ce même Conseil de l’Europe lançait une campagne pour promouvoir une parentalité positive exempte de violence. Allant à l’encontre de l’avis de 60% à 90% des parents, il dénonçait l’inefficacité de cette pratique, les risques de dommages physiques et psychologiques sérieux qu’elle induit, ainsi que l’atteinte aux droits humains qu’elle constitue.

Le chiffre
6 pays européens ayant aboli les châtiments corporels, depuis au moins dix ans, sont parmi les treize pays bénéficiant du plus faible taux de mortalité infantile due à la violence : 1,4 décès pour 100.000 enfants en France, contre 0,6 en Suède qui a interdit la fessée, depuis 1979.
 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1161 ■ 15/04/2015