Dossier sur l’accès au droit: un combat toujours recommencé

Il est de tradition de distinguer trois étapes successives et concomitantes dans la conquête des droits de l’homme. Au 18ème siècle, le combat a d’abord porté sur les droits civils et politiques, à travers l’émancipation de la tyrannie absolutiste. Puis, au 19ème siècle, s’est rajoutée la lutte pour les droits économiques, menée par le mouvement ouvrier et syndical. Au 20ème siècle, s’est engagée une troisième bataille, celle des droits sociaux et culturels, avec pour objectif de vivre dans un minimum de sécurité sociale et d’accéder à la connaissance et à la culture. Aucun de ces trois engagements ne pourra sans doute jamais aboutir définitivement. Le bénéfice des droits n’est jamais acquis une bonne fois pour toutes. C’est en permanence qu’il faudra se confronter aux forces qui cherchent à reprendre ce qui a été gagné de haute lutte, par les générations passées C’est continuellement qu’il faudra défendre ce qui a été obtenu et conquérir ce qui reste à l’être. Sur ce chemin escarpé, l’une des quête essentielle est bien celle devant donner les moyens aux citoyens de pouvoir exercer leurs droits, en les connaissant et en sachant comment les utiliser. Les enjeux de l’accès aux droits passent d’abord par la compréhension des écrits d’une administration passée maître dans le langage abscons et incompréhensible. Ils impliquent, ensuite, la possibilité d’appréhender les arcanes de la justice. Les Conseil départementaux d’accès au droit ont justement pour fonction de le faciliter. Lien Social a rendu visite à celui de Loire Atlantique. Enfin, le non recours au droit doit être combattu. Philippe Warin, responsable scientifique de l’ODENORE, l’observatoire qui s’est donné pour fonction d’éclairer cette carence, propose un état des lieux de la situation. Les travailleurs sociaux sont au premier rang dans le combat pour favoriser cet accès au droit.
On écrit, mais on ne se comprend pas (toujours) !
Devenir acteur de sa vie, en tant qu’usager, passe d’abord par pouvoir décoder le langage qui la jalonne. Une évidence … qui n’en est pas une.

L’accès aux droits économiques et sociaux fait partie intégrante du projet fondateur de notre République sociale. Mais, comment faire en sorte que ces droits deviennent réels et ne se contentent pas d’être formels ? C’est bien la question essentielle qui se pose. Car, il ne suffit pas de proclamer au fronton de nos bâtiments officiels des grands principes, si dans le même temps on ne garantit pas les moyens de les concrétiser, permettant à chaque citoyen d’en être bénéficiaire. Un certain nombre d’obstacles se dressent, empêchant directement ou indirectement cette concrétisation. Parmi eux, l’on trouve : un langage administratif ou judiciaire abscons seul compréhensible par les spécialistes ; des formulaires fastidieux à remplir démultipliant le nombre de cas, de situations ou d’exceptions à renseigner ou pas ; des procédures complexes passant par les méandres de l’administration ; des commissions bureaucratiques de plus en plus éloignées de la réalité se référant exclusivement à un cadre de référence règlementaire ; une logique réduite à des cases pré-établies dans lesquelles doivent à tout prix entrer les usagers au risque de voire leur problèmes rejetés ; des justificatifs dont personne ne sait plus en quoi ils sont nécessaires mais dont l’absence bloque le dossier qui est soit ajourné soir renvoyé en bloc à l’expéditeur etc…

Détresse

Il suffit d’observer la décomposition du visage d’un usager, au moment où on lui soumet pour la première fois son dossier d’APL ou sa demande de CMU à remplir, pour mesurer la détresse que serait la sienne s’il se trouvait seul à le faire … et le risque pour lui renoncer à ses droits, plutôt que de « se prendre la tête » ! Il n’y a qu’à vivre cette édifiante expérience de la lecture du jugement d’un juge des enfants à une famille dont on vient de retirer son enfant. A l’émotion déjà démesurée, vient se rajouter la confusion née d’une stylistique et d’un langage juridique pour une grande part incompréhensibles à celui ou celle qui n’est pas familier des cours de justice. Mais, ne refermons pas ce bref tour d’horizon, sans poser un minimum d’introspection sur nos propres écrits en tant que professionnels. Mettons de côté les rapports de certains de nos psychologues faisant référence à une trame théorique dont on se demande si eux-mêmes y comprennent grand-chose. Mais, nous, travailleurs sociaux, sommes-nous toujours aussi clairs qu’il serait souhaitable ? N’avons-nous pas parfois un langage, des tournures syntaxiques et des usages lexicaux, nécessitant là aussi pour le non initié, d’avoir le dictionnaire ouvert en permanence ? Comment combler ce fossé dont nous ignorons trop souvent la béance ? La première piste pourrait consister, tout simplement à arrêter de causer compliqué.

Être plus simple

C’était l’ambition du « Comité d’orientation pour la simplification du langage administratif » créé en 2001, dans la foulée de la réforme de l’État, qui s’attachera dans les années suivantes à identifier les terminologies les plus obscures pour tantôt les traduire, tantôt les remplacer. Un « Petit décodeur » rassemblant plus de trois milles mots ou expressions du vocabulaire administratif courant verra le jour et sera ainsi largement diffusé, permettant de comprendre ce que peuvent bien vouloir dire le « proque l'ampliation », le « pacte tontinier » ou le « récolement » (1). Des formulations pouvant prêter à confusion furent remplacées, comme « mettre en place » pour « instaurer », « impossibilité de payer » pour « insolvabilité » et « recevoir » pour « réceptionner ». Dans le secteur social, on aimerait voir des évolutions permettant de remplacer « Vous avez reçu à tort au titre du RMI une somme de x euros. Vous devez donc les rembourser au plus tard le... » par « Nous vous avons versé par erreur, au titre du RMI, la somme de x euros. Nous vous prions de nous en excuser et de bien vouloir prendre contact avec nous pour envisager ensemble vos possibilités de remboursement de cette somme. » Pour cela, faut-il encore, se représenter ce qui vivent les usagers. Des Conseils généraux ont fait le choix de collaborer avec une association comme ATD Quart monde demandant à ces militants de relire les formulaires, les courriers type ou les documents explicatifs à destination du grand public. Édifiant ! Ce qui semble au demeurant accessible aux rédacteurs familiers de la culture de l’écrit, apparaît au lecteur, pas toujours facile à décoder : tournures de phrase, formules administratives, vocabulaire, syntaxe, longueur des paragraphes, bien des formulations qui mériteraient d’être remodelées, simplifiées, réduites. Un souci qui est quand même très loin de constituer la première de nos préoccupations dans le secteur social.

(1) respectivement : « copie légale d’un document », « accord entre acheteurs d’un bien » et « inventaire »

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1162 ■ 30/04/2015