Confiance: réciprocité ou sens unique ?

La démarche d’aide et d’accompagnement peut difficilement aboutir si la personne qui en bénéficie ne ressent pas ne serait-ce qu’un début de confiance à l’égard des professionnels qui la mettent en oeuvre. Mais, à l’inverse, l’intervenant peut-il vraiment agir avec pertinence et efficacité, s’il ne nourrit pas une certaine confiance à l’égard des usagers qu’il soutient ? Il y a là une forme de réciprocité qui se déploie à juste distance entre deux extrêmes : d’un côté une parité s’appuyant sur une pleine relation d’égalité et, de l’autre, une soumission et une dépendance de l’aidé envers l’aidant.

Du côté de chez psy …

Les psychologues ont pris l’habitude de fonder leur intervention sur une démarche de demande de la part de leur patient. Sans une adhésion minimale, ils affirment ne pas pouvoir intervenir auprès d’eux. Même si l’on peut comprendre qu’il est difficile, voire carrément impossible, d’élaborer un travail psychique avec quiconque, si celui-ci est hostile à cette démarche, une telle posture a connu de multiples dérives, réduisant le champ de l’intervention au seul public déjà convaincu de ses difficultés et de la pertinence du soutien qui pourrait lui être apporté. Certains psychologues ont toutefois compris qu’il ne fallait pas se limiter à l’expression formelle de cette sacro sainte « demande » et qu’il fallait aussi la travailler, la solliciter et la stimuler. Renonçant à se réfugier dans leur tour d’ivoire, quelques uns n’hésitent plus, rompant ainsi avec les arcanes de la profession, à partager des moments du quotidien avec les publics qu’ils côtoient. En participant, par exemple, aux repas dans un foyer éducatif ou en étant présents à des activités informelles, ils rompent avec le dogme de la neutralité bienveillante qui interdit d’avoir à entrer dans un réel partagé. Ils perdent certes en distanciation, mais cette proximité relative favorise d’autant plus l’adhésion et la confiance, dès lors où ils n’apparaissent plus seulement comme ces interlocuteurs énigmatiques, silencieux et un peu inquiétants. Pour autant, c’est bien aux psychologues que l’on doit la prise de conscience de nos professions, quant à la nécessité de placer l’usager en situation non d’objet mais bien de sujet de l’action qui le concerne. La personne aidée ne doit pas se comporter tel un être passif, mais comme actrice de tout ce qui joue pour elle.

… et de chez Jean-Luc, l’éduc

Les travailleurs sociaux auraient potentiellement plus de facilité à tisser un lien de confiance réciproque avec les usagers. Inscrite dans la dynamique du « vivre avec » et du « faire ensemble », leur action peut plus facilement obtenir des résultats visibles et concrets. Même si elles ne sont pas forcément couronnées de succès, les démarches entreprises, les orientations proposées et les solutions esquissées permettent de faire évoluer peu ou prou la problématique dans l’« ici et le maintenant », au mieux en la dénouant, au pire en provoquant une mobilisation. Pour autant, la professionnalisation de ces intervenants, si elle a permis d’accroître leur qualification et leur compétence, a aussi entraîné un certain nombre d’effets pervers. L’enrichissement que peuvent apporter les sciences humaines peut ainsi induire une forme de mépris à l’égard du savoir profane, celui que peut développer tout individu confronté à des difficultés et placé dans l’obligation d’avoir à tenter de les résoudre. La posture de technicien de la relation, éprouvé aux méthodes d’aide, peut amener à négliger les compétences dont sont dotés des usagers très souvent aptes à élaborer par eux-mêmes des modalités pour progresser, pour peu qu’on y soit attentif. La conviction et/ou l’envie qui animent l’intervenant dans son désir de vouloir et de savoir ce qui est bien pour l’autre peut parfois se concrétiser par une dérive hégémonique à son égard. Bien entendu, ce qui est décrit ici ne concerne nullement le lecteur de Lien Social qui, lui, est trop bien formé et attentif à ces dérives pour s’y laisser prendre. Mais, à bien y penser, il peut maintenant remarquer qu’il les observent chez certain(e)s de ses collègues de travail.

Assumer sa subjectivité

La prétention à l’objectivité est un leurre et une illusion. Chacun d’entre nous, nous fonctionnons avec des a prioris et des préjugés. C’est même là notre principale façon d’appréhender la réalité. La psychologie évolutive explique que dans la savane, nos lointains ancêtres de la préhistoire devaient identifier toute situation nouvelle dans un délai d’autant plus bref que leur survie pouvait être mise en jeu : y avait-il un danger qui allait provoquer une fuite salvatrice ou pouvaient-ils rester sur place, sans risque ? Leur cerveau recherchait rapidement dans leur mémoire des analogies avec ce qu’ils avaient déjà rencontré pour identifier et  tenter de catégoriser la nouveauté à laquelle ils avaient à faire. Cinq millions d'années après, nous n’avons guère changé. Confrontés à ce que nous ne connaissons pas, nous établissons des comparaisons avec ce que nous avons déjà vécu. Spontanément, nous nous attendons à ce qu’un jeune de banlieue soit en difficulté, un parent d’enfant maltraité manque de compétences éducatives et une personne porteuse de handicap peu apte à faire preuve d’autonomie. Faire confiance dans l’usager, c’est rompre avec ces représentations automatiques. Être professionnel, ce n’est pas renoncer à ses préjugés ni aux inévitables représentations, mais réussir à les reconnaître pour mieux les dépasser. Aller à la rencontre de l’autre, c’est tenter de mieux le découvrir tant dans son potentiel, que dans ses fragilités, à partir non pas tel que nous l’imaginons, mais tel qu’il est.  

 

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LIEN SOCIAL ■ n°977 ■ 17/06/2010