Lieu de vie - d'hier à aujourd'hui
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dans Articles III
Un itinéraire hors du commun
La Fédération nationale des lieux de vie a été créé en 2003, pour représenter la profession face aux pouvoirs publics. Elle tenait ses secondes rencontres nationales à La Baule les 13 et 14 mars derniers. L’occasion pour Lien Social de faire le point sur la situation des lieux de vie en 2010.
L’émergence, dans les années 1968-1970, des lieux de vie ne relève pas de la génération spontanée. Ils apparaissent dans la mouvance de plusieurs dynamiques. Le mouvement d’éducation populaire, tout d’abord, porteur de valeurs humanistes centrées sur la confiance dans la capacité de l’individu à assumer sa vie, pour peu qu’on lui en donne les moyens. Un groupe de psychiatres, ensuite, regroupés pendant la guerre à Saint Alban (Lucien Bonnafé, François Tosquelles…) qui, en faisant sortir les malades mentaux hors de l’asile pour leur permettre de survivre à la famine, posent les prémices de la psychothérapie institutionnelle. La psychanalyse encore, et sa conviction fondatrice : le respect de l’autre, quel qu’il soit et quelles que soient les difficultés qu’il rencontre. Puis, s’égrènent les pionniers. C’est Fernand Deligny qui, en 1967, décide d’aller « vivre avec les fous ». C’est Maud Mannoni qui, en 1969, ouvre l’école de Bonneuil qu’elle désigne comme « lieu de vie » en opposition aux « lieux d’enfermement ». C’est Claude Sigala qui, en 1975, crée le Coral pour vivre avec de jeunes autistes… Pierre après pierre, s’élaborent ainsi les fondements des lieux de vie : refus d’isoler le symptôme, sortir hors des murs de l’institution, vivre avec, assurer la continuité de la relation… Mais ce qui avait commencé comme une belle histoire faillit tourner court. Les lieux de vie furent en effet frappés, dès leur prime enfance, par une maladie infantile qui aurait pu être fatale à leur croissance.
En marge de la loi
Jean-Marc Antoine, de sa place de premier Président de la FNLV, le dit sans ménagement : les associations d’obédience psychanalytique regroupant les premières structures non traditionnelles s’enferment très vite « dans des microcosmes où chacun se regarde le nombril », leurs disputes idéologiques ne relevant bientôt plus que « de querelles de bac à sable ». Ces conflits de chapelles vont s’estomper progressivement devant la nécessité d’obtenir une reconnaissance officielle. La profession ne pouvait continuer à agir à la marge des lois existantes, comme suspendue dans l’air du temps. Pendant de nombreuses années, les accueils se firent sans cadre légal, ni financements garantis. La loi de 1975 resta totalement muette sur leur sort. Quelques départements leur appliquèrent le statut de famille d’accueil. Un premier texte officiel parlent d’eux : la circulaire Georgina Dufoix de 1983 qui baptise « structure d’accueil non traditionnel». Il faudra attendre les 4 et 5 mars 1994 pour que s’ouvrent enfin les premières Assises nationales des Lieux de Vie et d'Accueil regroupant les principales associations. L’intitulé de ce rassemblement montre les enjeux : « 20 ans de pratique et toujours pas de statut ». Un groupe de travail est constitué qui engage la concertation avec les services de l’État. En décembre 1996, un document de synthèse est élaboré précisant les modalités d'identification, d'agrément et de statut.
La reconnaissance
C’est la loi du 2 janvier 2002 qui traduira enfin ces recommandations dans le code de la famille et de l’action sociale. Il y est précisé que le lieu de vie constitue le milieu de vie habituel et commun des personnes accueillies et des permanents et qu’il prend en charge, au moins, trois et au plus sept personnes, majeures ou mineures dans un même espace. Le taux d'encadrement minimum est d’un éducateur pour trois personnes accueillies. Chaque projet de création de lieu doit faire l'objet d'une demande d'autorisation d'ouverture délivrée par le Conseil général. Il est valable 15 ans. Comme toute structure médico-sociale, il est tenu aux mêmes obligations : contrat de séjour, règlement de fonctionnement, conseil de la vie sociale, livret d’accueil. Il est financé par un prix de journée faisant l’objet d’un arrêté départemental. Il fait l’objet de contrôle dans l’intérêt des usagers. La publication des décrets d’application, le 31 Janvier 2004, permit de préciser le délai accordé pour se mettre en conformité: deux années. L’encadrement législatif fut complété, le 5 Mars 2007, avec le vote de l’article L774-3 du code du travail, créant les statuts d’assistants permanents et de permanents responsables et lissant sur l’année un temps de travail de 258 jours, permettant ainsi de s’exonérer de la rigidité liée aux amplitudes horaires maximales. Avec pour résultat, la possibilité d’exercer cette continuité et cette permanence si précieuses pour l’usager, sans se mettre dans l’illégalité au regard de la législation du travail.
Menaces sur l’avenir
Voilà donc les lieux de vie, enfin reconnus et sécurisés. Pouvaient-ils, enfin, se consacrer pleinement à leur activité, en n’ayant plus à craindre pour la pérennité de leur action ? Cela aurait été trop beau ! A peine avaient-ils gagné un peu de sérénité, que déjà de gros nuages commençaient à s’accumuler au-dessus de leurs têtes. La loi Hôpital, patients, santé et territoire a profondément modifié le paysage de l’action médico-sociale : remplacement des DRASS et DASS par les Agences régionales de santé (ARS) et suppression des commissions chargées de valider les projets montés par les établissements et services médico-sociaux (CROSMS). Dorénavant, il reviendra à chaque administration de lancer un appel d’offre, à partir d’un projet qu’elle aura imaginé. On est là dans une logique descendante : l’initiative ne viendra plus des acteurs de terrain, mais des financeurs surtout animés par la réduction des coûts. Et l’on connaît suffisamment le sens de la créativité et le degré d’imagination des technocrates qui peuplent les bureaux des commanditaires de l’action sociale, pour supposer qu’ils seront à même de concevoir des montages originaux, tout autant que des dispositifs avant-gardistes à même de répondre à la souffrance des populations qui ne rentrent pas dans les créneaux traditionnels. « Tout ce qui a fait depuis près de 40 ans la spécificité des lieux de vie, et notamment leur capacité de réactivité et d’adaptation aux problématiques les plus complexes, risque d’être rogné, cadré, formaté, avec pour résultat, un alignement sur ce qui se fait déjà » s’inquiète Jacques Benoît, Président de la FNLV.
Préserver leur originalité…
Les lieux de vie revendiquent la spécificité de leur fonctionnement qui ne peut être confondue avec une maison d’enfants à caractère social, ni avec une famille d’accueil. Pour maintenir et préserver cette originalité, mais aussi développer leur activité, ils revendiquent trois dimensions incontournables.
C’est, tout d’abord, la prise en charge globale de la vie de l’enfant qu’on leur confie. Ils ne sont pas affiliés à un service et se refusent à rendre compte de chacune de leur action quotidienne, dans une sorte de placement sous tutelle. Ils ont reçu une autorisation d’exercer, à partir d’un projet éducatif qu’ils ont présenté et défendu et qui a été validé. Pour autant le temps d’une certaine rébellion face à tout contrôle institutionnel est révolu. Ils acceptent volontiers de se soumettre à l’évaluation tant interne qu’externe qui est prévue par la loi de 2005. En fait ce qu’ils recherchent avant tout, c’est l’établissement d’une relation de confiance réciproque. Ils reçoivent un prix de journée défini nationalement. Il leur revient de répartir les ressources qu’on leur accorde, comme ils l’entendent. Tel lieu privilégie une intervention psychologique ? Tel autre met l’accent sur l’aide aux devoirs ? Tel autre encore préfère animer un atelier mécanique ? C’est justement cette diversité qui fait leur richesse. Si leur administration de référence (Aide sociale à l’enfance ou PJJ) vient contester leur choix pédagogiques quotidiens, ils perdront très vite leur originalité
… et trouver sa juste place
Mais, cette forte demande d’autonomie ne signifie pas une recherche d’isolement, loin de là. Conscients de l’importance des regards croisés et de la place du tiers extérieur, les lieux de vie sont demandeurs d’une articulation avec les autres intervenants médico-psycho-sociaux. Même si des expériences innovantes ont pu se faire jour, le constat est récurrent de difficultés en la matière : ces référents ASE qui, parfois, disparaissent aussitôt après avoir placé l’enfant, la psychiatrie qui ne se rend pas toujours disponible pour relayer les troubles psychiques, un accompagnement psychologique qui n’est pas assuré comme il se devrait, dans les situations d’enfants victime de maltraitance. Ce travail en partenariat apparaît comme une condition préalable à l’accueil de l’enfant.Enfin, dernière revendication : être reconnu comme une possibilité à part entière, dans le dispositif d’accueil de protection de l’enfance. Il ne veulent plus être la solution de dernier recours qu’on utilise quand on ne sait plus où placer un enfant où que tout à déjà échoué. Ils proposent un cadre précis qui s’appuie sur un projet défini, s’adressant à un profil d’enfant. Ils ne sont pas réservés aux ados en grande difficulté et pourraient potentiellement accueillir des tous petits, pour autant que la PMI en soit convaincue. Tout le monde aurait à gagner à définir bien plus précisément ce qui relève respectivement du placement familial, de l’internat éducatif et des lieux de vie. Certains enfants ne supportent pas un couple d’accueil se plaçant trop en concurrence avec leurs propres parents. D’autres sont en souffrance dans le collectif. D’autres encore nécessitent une continuité et une proximité…
Les lieux de vie aspirent à prendre toute leur place dans la constellation de la protection de l’enfance. Le travail exceptionnel réalisé par les 480 structures existantes justifie cette reconnaissance et cette extension.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°980 ■ 08/07/2010