Interruption volontaire d’anonymat

Va-t-on vers un avortement pour l’accouchement sous x ?

Année après année, le combat mené pour le droit aux origines progresse. Rappelons que notre pays partage avec le Luxembourg et l’Italie une spécificité légale : l’accouchement sous x. Cette procédure permet à une mère de garder l’anonymat, au moment de son admission à la maternité, l’enfant n’étant considéré comme légalement et définitivement abandonné qu’après un délai de rétractation de deux mois après la naissance. Une première mesure est venue moduler ce droit : la création, en 2002, du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) qui favorise, sous certaines conditions, le rétablissement du lien entre la mère et son enfant né sous x. Deux évènements viennent de remettre en cause, encore un peu plus, la légitimité de cette législation.

Deux coups de boutoir

Un rapport parlementaire tout d’abord, remis au premier ministre le 25 janvier 2011. Sa rédactrice, Brigitte Barèges, est députée UMP, donc peu suspecte d’un gauchisme débridé. Elle propose de recueillir systématiquement l'identité ainsi que le dossier médical de la mère et de faire conserver le tout par le CNAOP, l’enfant, pouvant y avoir accès, à sa majorité légale. Cette proposition signe, de fait, la suppression du principe même de l’accouchement sous x. Coïncidence étonnante, une décision judiciaire est intervenue le lendemain de la remise de ce rapport, allant à l’encontre de la loi et l’invalidant, dans les faits. Une jeune femme accouchant d’une petite fille, le 7 juin 2009, décide de garder l’anonymat de son identité. Les grands parents maternels revendiquent la garde de leur petite fille. Ils obtiennent de la justice une expertise sanguine comparée qui permet d’attester avec certitude leurs liens biologiques avec l’enfant. Cette preuve n’est pas prise en compte, dans un premier temps, par le Tribunal de grande instance d’Angers qui, dans sa décision du 27 avril 2010, argumente que la rupture avec la famille d’origine est la conséquence de la naissance sous le sceau du secret. Coup de théâtre, le 26 janvier 2011 : la Cour d’appel d’Angers vient de retirer à la petite fille son statut de « pupille de l’État », et de décider de la confier à ses grands-parents. Elle s’appuie, pour cela, sur l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui consacre le droit à connaître ses parents. La revendication à savoir d’où l’on vient acquière là une légitimation tout à fait spectaculaire.
 

Pro et anti anonymat 

De quoi réjouir celles et ceux qui se battent depuis des années pour que tout un chacun puisse avoir accès à ses origines. Leur argumentation est connue. La législation actuelle permet au lien juridique de supplanter le lien biologique. La primauté de la volonté des adultes l’emporte sur l’intérêt de l’enfant. On comptait près de 10.000 accouchements annuels sous x, avant la légalisation de l’avortement. En 2004, ce chiffre est tombé à 560. Les 189 autres pays du monde ignorant cette disposition, ne connaissent pas un taux d’infanticide plus important qu’en France. Il est donc temps de faire évoluer la législation, en reconnaissant le droit irréfragable de l’enfant à une filiation, permettant que n’augmente plus la population des 400.000 personnes qui, dans notre pays, sont « enfant de personne ». On trouvait, jusqu’à présent, les principaux opposants à ces revendications, au sein du lobby qui défend bec et ongle l’adoption plénière impliquant la rupture de tout lien entre les géniteurs et l’enfant adopté et donc l’impossibilité de son rétablissement, y compris à la majorité de l’enfant. Mais, voilà qu’une petite voix s’est fait entendre qui montre qu’il y a encore un point de vue dont il faut aussi tenir compte : celui de ces femmes qui se refusent à être mère. La jeune femme qui, ayant accouché sous x, a vu l’enfant né de sa gestation bénéficier de la décision de la Cour d’appel d’Angers, s’est exprimé dans la presse en ces termes : « les droits de l’enfant ne sont pas supérieurs aux miens. C’est quoi cette justice qui détruit l’égalité entre deux citoyens ? Pourquoi mon droit de femme n’a-t-il pas été respecté ? »1 S’opposeraient donc trois intérêts
 

De la naturalisation de la maternité… 

Celui de l’enfant, d’abord, cherchant à connaître ses géniteurs. Celui d’une famille adoptante, ensuite craignant la remise en cause de sa relation privilégiée avec l’enfant adoptée. Celui de la femme enfin qui, refusant d’être mère, ne veut plus rien avoir à faire avec cette grossesse qu’elle a pourtant porté à terme. Droit à connaître ses origines contre droit à être les seuls parents légitimes, contre le droit à ne pas être mère, en quelque sorte. Reprenons ce dernier droit, un peu oublié dans les argumentaires traditionnels. On peut opposer à cette femme un enfant qui n’a pas demandé à naître et la nécessité soit d’avoir pris les moyens de ne pas enfanter, soit d’en assumer les conséquences. Une telle réponse généralise des situations toujours singulières, produit de l’enchaînement de circonstances expliquant pourquoi ces femmes ne peuvent ou ne veulent pas assumer la naissance et l’éducation d’un enfant. Mais, surtout une telle prise de position en vient à essentialiser la fonction maternelle. Elisabeth Badinter explique dans un ouvrage2 récent comment, à la fin des années 1970, les femmes ont accédé au choix entre leur statut de mère et leur statut de femme. Cette liberté leur est, aujourd’hui, à nouveau contestée. Elle affirme, avec force, que la reproduction n’est pas le destin de toute femme qui serait faite, avant tout, pour procréer. De la même façon que l’on ne demande pas aux parents les raisons pour lesquelles ils veulent avoir un enfant, on n’a pas à exiger d’une femme qui refuse d’être mère, qu’elle se justifie. La remise en cause de l’accouchement sous x serait-il donc l’un des avatars d’un mouvement régressif remettant en cause l’émancipation des femmes ?
 

… à l’essentialisation de la filiation 

Ce serait bien réducteur de l’affirmer ainsi, pour l’excellente raison que dans cette affaire, il y a aussi un enfant. Et cet enfant a besoin de connaître son histoire pour se construire. Il est nécessaire qu’il sache d’où il vient, pour mieux aller là où il va. Ah bon ! Qui affirme cela ? Ce sont des psychanalystes. D’où le tiennent-ils ? Soit de leur propre élaboration intellectuelle, soit de leur confrontation à certains de leurs patients. Dans le premier cas, on reste dans ce mécanisme fondateur chez Freud et ses successeurs : l’énonciation. Il suffit d’affirmer, pour que cette affirmation devienne une théorie légitime. Dans le second cas, les quelques dizaines de patients « nés sous x » ayant fréquenté les analystes font-ils la vérité des 400.000 personnes ayant vécu la même expérience ? Que sait-on finalement de ce qu’elles ressentent vraiment au fond d’elles. Un certain nombre vit une grande souffrance et se bat pour y mettre un terme. Leur combat est non seulement respectable, mais aussi tout à fait légitime. Pour autant, recouvre-t-il toute la problématique des enfants nés sous x ? A côté de la théorie du lien de filiation qu’il faudrait préserver et identifier pour réussir sa vie, les anglo-saxons développent une autre approche, celle de l’attachement. L’enfant, pour se développer d’une manière équilibrée, aurait besoin d’une figure adulte stable à laquelle se raccrocher. C’est cet investissement garantissant sécurité et fiabilité dans la relation qui éviterait les mécanismes destructeurs de la carence affective. Peu importe que ce soit les géniteurs ou d’autres qui jouent ce rôle, du moment qu’un adulte s’inscrit dans la continuité relationnelle.
 

Trouver la bonne réponse 

Est-il totalement inimaginable de penser qu’un enfant né sous x, mais ayant trouvé une famille d’adoption le comblant ne ressente pas le besoin d’aller à la recherche de ses géniteurs ? Personne ne peut l’affirmer, parce que personne ne l’a jamais vérifié, statistiquement. Mais cela servirait-il à trancher le débat ? On trouverait encore des psys pour nous expliquer que l’apparente quiétude de celles et ceux qui ont trouvé un parfait équilibre dans leur famille d’adoption cache un terrible conflit inconscient qui les pousse vers leurs géniteurs, quête à laquelle ils résistent mais qui provoquera un jour ou l’autre une explosion dans leur vie. A force de répéter que ceux qui ne souffrent pas ont toutes les raisons de le faire, on finit bien par avoir raison, en identifiant le moindre incident de vie, comme l’illustration de sa prédiction ! Plus sérieusement, il est bien difficile de comparer et tout autant de hiérarchiser le degré de légitimité entre la quête d’un enfant cherchant quelles sont ses racines, la revendication d’une femme ne voulant pas être réduite au statut de procréatrice et la peur d’une famille adoptante de vivre l’éloignement d’un enfant qu’elle a tant investi. Comme il est improbable de réussir à mesurer quel peut être le moindre mal. Quelle souffrance sera la plus destructrice : laisser un enfant dans l’incertitude de qui est sa génitrice ou lui donner la possibilité de reprendre contact avec celle-ci, au risque d’un rejet et d’un second abandon ? Mais ne va-t-on pas entretenir inconsidérément son tourment, en laissant dans l’incertitude une personne qui ne cherche qu’une seule chose : obtenir une réponse quelle qu’elle soit, positive ou négative ?
 

L’enquête américaine 

On peut retourner tous ces arguments comme un gant. Et ce, pour l’excellente raison qu’il n’y a aucune réponse unique, chacun réagissant d’une manière spécifique à une problématique identique. En la matière, il est important de ne pas rester simplement sur des représentations et de chercher à trouver une réponse qui soit adaptée à chaque situation. A l’image de ces questionnements qui se posent aux Etats-Unis, à propos du devenir des enfants nés, par don de sperme. En l’absence de toute statistique officielle, on estime qu’ils sont entre 30.000 et 60.000 à naître, chaque année, dans de telles circonstances. A l’anonymisation de l’origine paternelle potentiellement traumatisante, se rajoute un contexte marchand particulièrement stigmatisant, puisque le choix du sperme se fait sur des catalogues présentant les différents échantillons en vente, à partir des caractéristiques physiques et intellectuelles des donneurs. Une étude3 a comparé trois échantillons représentatifs d’adultes âgés de 18 à 45 ans : 485 personnes conçues par donneur de gamète masculine, 562 personnes adoptées et 563 autres ayant grandi avec leurs parents biologiques. L'enquête a pu établir dans chacune de ces trois populations la proportion de personnes rencontrant des problèmes sociaux et psychologiques aboutissant à des problèmes avec la loi avant l'âge de 25 ans: cela concerne respectivement 21% des personnes nées d'un donneur, 18% des personnes adoptées et 11% de celles ayant grandi avec leurs parents biologiques. Si l’on constate ici un décalage montrant un certain trouble, il est bien loin d’être spectaculaire : les effets d’une filiation perturbée selon les normes traditionnelles ne sont pas massivement négatives, sans que l’on sache l’effet perturbateur produit par l’absence potentielle de bienveillance de la société. Parmi les personnes issues de don de sperme, 44% accepte ce mode de conception à condition que les géniteurs leur disent la vérité, de préférence à un âge précoce, 11% affirmant que ce serait difficile pour les enfants même si les parents se montraient capables de bien gérer la situation. Là aussi, le ressenti lié à ce mode de procréation, ne relève pas du rejet massif.
 

Juste équilibre 

Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, l’émotionnel, la passion des engagements des uns et des autres, l’idéologie l’emportent, dans une logique bien française où il s’agit de choisir son camp : on est du côté du droit de l’enfant, du côté de l’adoption ou du côté du droit des femmes. Il convient, en la matière, de réintroduire de la complexité dans ce qui est présenté, de part et d’autre comme simple et élémentaire. L’argument du maintien de l’accouchement sous x comme condition pour éviter des infanticides ne tient pas plus que celui de la nécessité impérative de connaître ses racines pour trouver son équilibre, pas plus d’ailleurs que l’enfant inexorablement attiré par ses géniteurs au détriment de sa famille d’adoption. Il existe des mères renonçant à tuer leur enfant, grâce à la possibilité d’accoucher dans l’anonymat comme des mères infanticides, malgré l’existence de l’accouchement sous x. Il existe des enfants adoptés qui ressentent le besoin irrépressible de connaître leurs racines et d’autres pas du tout. Il existe des familles adoptives qui sont terrorisées à l’idée que leur enfant retrouve ses géniteurs et d’autres qui mettent tout en œuvre pour organiser ces retrouvailles, confiante dans la force de la relation affective. Toute la difficulté réside bien dans la nécessité d’imaginer une législation qui respecte ces différents cas de figure, en répondant aux besoins et aux intérêts des uns et des autres qui, pour être contradictoires ne sont pas forcément incompatibles, pour autant que l’on ne cherche pas systématiquement à les rendre tel. Mais la culture dominante dans notre pays qui consiste à privilégier le OU cartésien au ET dialectique ne nous prépare pas à chercher le consensus, mais plutôt à défendre les intérêts des uns au détriment de ceux des autres.
 
1 - Ouest France 10 février 2011
2 - « Le conflit, la femme et la mère » BADINTER Elisabeth, Flammarion, 2010, 270 p.
3 - « Le nom de mon père est Donneur : une nouvelle étude sur de jeunes adultes conçus au moyen de dons de sperme » recherche conduite par Elizabeth Marquardt, Norval D. Glenn et Karen Clark et publiée par la Commission sur l'avenir de la condition parentale (31 mai 2010)
 
 
Jacques Trémintin - Journal du Droit des Jeunes ■ n°311 ■ mars 2011