Menace sur les lieux de vie

Il aura fallu attendre les lois de 2002 et 2007, pour que les lieux de vie bénéficient d’une existence officielle au sein de l’action sociale. Après quarante ans d’une pratique dont l’utilité et la pertinence auront été validées et valorisées par tous les partenaires et financeurs, un statut leur a enfin été accordé. Mais, à peine acquise, cette légitimation est déjà menacée. L’administration fiscale, dans une circulaire* publiée le 12 février 2010, a clarifié le régime réservé à ces structures : « les prestations rendues par les lieux de vie et d’accueil (…) étaient auparavant soumises à la TVA au taux normal, quelle que soit la forme juridique de ces établissements », dorénavant « l’ensemble du forfait (journalier) bénéficie du taux réduit de TVA ». S’il est logique que les lieux de vie soient soumis au régime des bénéfices non commerciaux et des taxes sur les salaires, en aucun cas ils ne devraient relever d’une quelconque TVA à taux plein ou réduit qui concerne les acteurs économiques produisant des profits. En tant que structure médico-sociale, ils ne font aucun bénéfice. S’ils devaient dégager, sur une année donnée, quelques excédents dans leur bilan comptable, le prix de journée qui leur serait alors attribué, l’année suivante, serait diminué d’autant. « Il est absurde de réduire l’activité des lieux de vie à la fourniture de repas et d’un hébergement à l’image d’un aubergiste. C’est ne rien comprendre à leur action. Les jeunes leur sont confiés pour une action éducative et de protection. Ils ne font rien de différent de ce que mettent en oeuvre les associations gérant des maisons d’enfants à caractère social ou les établissements d’enseignement dotés d’un internat. D’autant que ce qui est en jeu, ce n’est pas de l’argent privé, mais de l’argent public », explique Jacques Benoît ancien Président de la FNLV. Contestable, cette réglementation se devait néanmoins être appliquée. La modification des modalités d’assujettissement est d’ordre politique et relève du législateur et non de l’administration fiscale qui ne fait qu’appliquer la loi. Dûment informés de cette nouvelle réglementation, les lieux de vie n’avaient plus qu’à répercuter cette nouvelle charge vers leurs financeurs. Mais, là où cela devient pervers, c’est quand certaines directions départementales de l’administration fiscale, interprétant la loi à leur propre guise, comme elles le font souvent jusqu’à ce qu’un Tribunal administratif sanctionne leurs excès de pouvoir, ont conclu, après avoir lu cette circulaire, que ces structures étaient jusque là « soumises à la TVA au taux normal ». François Baroin, Ministre du budget a eu beau affirmer dans une lettre adressée 12 avril 2010 qu’il n’y aurait pas de rappel de taxe antérieur au 1er janvier 2010, cela n’a pas empêché la Direction de la Creuse de convoquer les responsables de deux lieux de vie, pour les redresser sur les trois années précédentes, leur imposant non seulement le paiement du différentiel de TVA (entre 5,5% à 19,6%), mais aussi une amende de 40% et des pénalités de retard. La note est salée : 160.000 € et 120.000 € à payer, somme impossible à régler, mais menaçant directement la viabilité des deux structures. Or, cette mesure est totalement arbitraire : « si la loi était appliquée partout de la même façon, il n’y aurait pas grand-chose à dire, si ce n’est en contester le bien fondé. Mais, l’administration fiscale réagit totalement différemment selon les départements, poursuivant dans l’un, pas dans l’autre. La France n’est pas une fédération de départements, mais un pays qui se doit de respecter les mêmes règles sur l’ensemble de son territoire. Les lieux de vie pourraient porter l’affaire devant le Tribunal administratif, pour discrimination ». Cette taxe à 19,6% n’a jamais été perçue par les lieux de vie incriminés, qui sur la recommandation tant de leurs experts comptables que des services financiers des Conseils généraux ne l’ont jamais budgétée. « S’ils l’avaient encaissées, il n’y aurait rien de plus normal qu’ils la reversent. Mais, ils ne les ont pas réclamées, n’ayant pas connaissance de leur assujettissement ». Quelle perspective pour la FNLV d’obtenir gain de cause ? Une directive européenne, datant de 2006 et précisant les modalités d’application de la TVA, exclut explicitement de cette taxe « les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à la protection de l'enfance et de la jeunesse, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'État membre concerné ». Un espoir donc, confirmé par l’avocat consulté par la FNLV.

La nouvelle réglementation introduite le 1er avril 2010, lors du remplacement des DRASS par les Agences Régionales de Santé, prévoit que la création de toute structure médico-sociale ne pourra dorénavant se réaliser qu’après appel à projet de la part des financeurs. La frilosité de nombre d’entre eux fait peser une grave menace sur la pérennisation des lieux de vie. Ceux fermant n’étant pas remplacés, leur nombre a chuté dans les deux dernières années. Les seules ouvertures possibles seraient en outre réduites au seul profil décidé par les Conseils généraux, loin de la créativité dont ces structures se sont faits une spécialité. A cette menace d’instrumentalisation potentielle, vient se rajouter le risque d’étranglement financier de la part de l’administration fiscale. La marchandisation du social avance avec, au final, la mort annoncé pour ces structures. Voilà un nouveau péril qui pèse sur les secteurs de la protection de l’enfance et du médico-social qui ont plus que jamais besoin de se diversifier et de compter sur l’irremplaçable service rendu par les lieux de vie.

*Circulaire n° 20 du 12 février 2010 3 C-1-10, Instruction du 4 février 2010, Direction générale des finances publiques

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1033 ■ 06/10/2011