MIE: Quand tout va bien

Quand tout va bien, rien ne va plus

Le sentiment des adolescents, au seuil de la majorité, est souvent ambivalent : mélange de satisfaction face à la levée de la tutelle adulte vécue parfois comme trop pesante et angoisse face à des responsabilités qu’il va falloir dorénavant assumer. L’enjeu est bien différent pour les mineurs isolés étrangers qui vivent cette échéance comme une menace terrifiante : être confronté à l’effondrement de tous leurs projets.

Les publics cibles de l’action sociale en général, tout comme ceux concernés par l’intervention éducative en particulier, sont parfois marqués par une spécificité qui nécessite un regard particulier. La toxicomanie, la position d’auteur d’agression sexuelle, le handicap, les troubles du comportement, etc… nous contraignent inévitablement à adapter nos postures professionnelles. Mais, après tout, cela fait partie des compétences du travail social que d’écouter la problématique singulière de chacun et d’être réactif à ce qui va spécifiquement faire sens chez lui, de nous adapter à ses compétences et de stimuler le potentiel restant à développer. Pourtant, s’il est une population qui nécessite un ajustement vraiment distinct, c’est bien celle des mineurs isolés étrangers. Pour le comprendre, il faut faire un détour par l’attente que nourrissent les intervenants quant à la réussite des usagers bénéficiaires de leur action. L’accompagnement que nous assurons au quotidien n’a pas pour ambition de les changer. D’abord, parce qu’il ne nous appartient pas d’avoir à transformer autrui, sauf à se prendre pour un quelconque démiurge pouvant modeler les êtres humains à notre convenance. Ensuite, parce que prétendre savoir à coup sûr ce qui est bien pour l’autre relève non seulement d’une incommensurable prétention, mais aussi revient à l’aliéner. Enfin, parce que la personne que nous avons en face de nous reste de toute façon actrice de son existence et sera au final celle qui décidera de la conduite à tenir. C’est pour toutes ces raisons, que nous ne pouvons que souscrire à la célèbre phrase d’Emmanuel KANT : « Il n'est pire tyrannie que de vouloir le bien de l'autre ». Nous sommes tenus à un devoir non de résultats, mais de moyens. Nous ne sommes pas comptables des résultats obtenus, mais des conditions proposées pour faire en sorte que la personne prenne sa existence en main, accomplisse son choix de vie et s’assure un destin en conformité tant avec ses capacités, qu’avec les exigences de la vie en société. Cette longue digression, qui emportera sans doute l’assentiment du lecteur, peut en apparence donner le sentiment de s’éloigner des mineurs isolés étrangers. Alors, qu’elle renvoie au cœur de leur problématique.

« Tout ça, pour ça ! »

Car, cette catégorie d’usagers place tout particulièrement le professionnel en porte à faux avec les représentations des objectifs de son travail. Non, qu’ils mettent en échec l’action engagée. Ils sont, au contraire, plus assidus, plus réactifs et plus attentionnés, que bien des jeunes de leur âge. Non, que la différence de langue ou de culture les empêche d’être réceptifs à ce qu’on leur demande. Ils montrent, au contraire, une capacité d’adaptabilité et d’accommodement assez impressionnante. Non, qu’ils déçoivent l’investissement réalisé pour eux. Ils peuvent, au contraire, potentiellement, devenir des citoyens parfaitement intégrés et des salariés particulièrement consciencieux. Le problème est ailleurs. Le travail accompli par les équipes professionnelles qui les prennent en charge, tant dans les foyers que dans les établissements scolaires, produit des résultats tout à fait encourageants. Ces gamins apprennent notre langue, réussissent à intégrer tant bien que mal nos coutumes, donnent pleine satisfaction à leurs enseignants ou à leur maîtres d’apprentissage, apportent sérénité et apaisement dans les groupes des internats éducatifs. Mais, cette réussite exemplaire est suspendue, au moment de l’accès à la majorité, à l’arbitraire d’une administration préfectorale, soumise à une politique du chiffre qui impose d’avoir à expulser un nombre minimal de sans papiers. Ce qui peut venir célébrer l’excellent résultat obtenu … c’est une Obligation à quitter le territoire français signifié par un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Bien sûr, tout le travail accompli n’est pas perdu. L’enfant a grandi et mûri. Il a acquis des compétences qui vont lui servir toute sa vie. Il a parfois obtenu une qualification professionnelle. Il est devenu un adulte prêt à affronter le monde qui s’ouvre à lui. Certes. Mais ces consolations sont bien fragiles face à la déception, l’impuissance, voire la honte ressenties quand un jeune est interpellé et part entre deux policiers vers un centre de rétention et un avion destiné à le ramener dans son pays d’origine. La réussite de ses efforts et ceux de tous les adultes qui l’ont encouragé et accompagné se conclue par une échec cuisant. Le dossier proposé cette semaine est consacré à la posture professionnelle particulière qu’il est nécessaire d’adopter pour accompagner des mineurs isolés étrangers. Même si la souffrance occasionnée aux accompagnants ne saurait être comparée à celle de ces jeunes qui voient s’effondrer, en quelques instants, tous leurs rêves, on ne peut faire l’économie de s’y arrêter, ne serait-ce que pour réfléchir aux ressorts permettant de préserver le minimum de sérénité requis pour accomplir sa mission.

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Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1047 ■ 26/01/2012