Le Projet Pour l’Enfant relancé. Son application discutée

L'article 19 de la loi du 5 mars 2007, réformant la protection de l'enfance, prévoit l'élaboration d'un Projet Pour l’Enfant. Support pédagogique ou formulaire technocratique ?
 
L'ambition apparaît, au premier abord, simple et limpide : en cas de placement, l'Aide sociale à l'enfance et les titulaires de l'autorité parentale co-signent le « Projet Pour l’Enfant » qui précise les objectifs de l'action menée et le rôle de chacun. Pour l'ONED(1), ce document présente trois objectifs : donner à l'enfant une place centrale, rechercher une cohérence et une continuité entre les différents partenaires et valoriser l'implication des parents. Voilà des enjeux essentiels allant dans le sens d'une plus grande adéquation entre les acteurs de l'éducation de l'enfant. C'est la loi de 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale qui avait introduit l'obligation faite à tout établissement médico-social d'établir un contrat de séjour ou un document individuel de prise en charge, fixant les droits et obligations respectifs de l'établissement et de l'usager. La personne accompagnée quittait ainsi le statut d'objet passif d'une prise en charge, pour devenir sujet de sa prise en compte. Certes, l'Aide sociale à l'enfance signait déjà, depuis 1986, un contrat d'accueil provisoire avec l'autorité parentale, quand un placement en famille d'accueil ou en maison d'enfants était demandé par les parents. Ce contrat déterminait, d'un commun accord, les modalités et objectifs poursuivis, la durée qui, même si elle pouvait être prolongée, ne devait pas dépasser un an. Mais, le Projet Pour l’Enfant allait bien plus loin, englobant à la fois l'activité contractuelle et judiciaire de l'Aide sociale à l'enfance, offrant la possibilité de donner une direction commune, un sens partagé et un consensus bienvenu à toutes celles et tous ceux qui agissaient, jusque là, en ordre dispersé, autour de l'enfant.

Un espoir déçu

Que d'avancées en perspective, tant pour les pratiques professionnelles, que pour les droits des enfants, de leurs parents et l’homogénéité de l'action engagée ! Deux ans après la publication de la loi, en 2009, l'ONED dressait un état des lieux : six des trente cinq départements consultés avaient mis en œuvre ce Projet Pour l’Enfant. En 2014, la défenseure des enfants faisait le constat d'une montée en charge : soixante départements sur soixante treize répertoriés en avaient fait de même. L'analyse qualitative menée par l'ONED, en 2009, permit toutefois de démontrer une grande disparité quant aux modalités d'application. Pour les uns, c'était l'angle du droit des parents qui s'était imposé. Pour les autres, c'était la cohésion entre partenaires. Les troisièmes avaient utilisé ce support, avant tout, pour évaluer les capacités de mobilisation des parents. L'attribution aux Conseils départementaux de la mission de protection de l'enfance et le renoncement de l'État central à toute directive ou contrôle en la matière ont laissé à chacune des collectivités locale l'opportunité de conjuguer le texte de loi, à sa convenance. Face à ce constat, une proposition de loi conçue par deux sénatrices (2) est venue relancer ce Projet Pour l’Enfant aux déclinaisons si disparates. Voté le 11 mars 2015 par le Sénat et le 13 mai suivant par l'Assemblée nationale, l'article concernant le Projet Pour l’Enfant rajoute plusieurs éléments importants : l'élaboration, par décret, d'un référentiel commun pour tous les départements ; la précision de la nature des actes usuels pouvant ou non être accomplis, sans en référer au préalable à l'autorité parentale ; la co-construction avec les détenteurs de l'autorité parentale ; l'association de l'enfant selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité et, enfin, l'actualisation régulière sur la base de rapports annuels.
 

Une application problématique

Au-delà du recadrage que ne manquera pas d'apporter cette nouvelle loi, restent toute une série de questions qui se posent quant à l'application concrète de ce Projet Pour l’Enfant. Commençons par cette situation d'asymétrie dans laquelle se trouvent les parents et l'Aide sociale à l'enfance que semble vouloir gommer le mythe de leur libre et équitable engagement réciproque. Si une proportion des placements, en protection de l'enfant, se fait effectivement à la demande des familles et avec leur collaboration étroite, propice à une co-construction du Projet Pour l’Enfant, une autre part se réalise dans une situation abandonnique de leur part, circonstance bien moins favorable à cette co-élaboration. Mais, 70 % des placements sot ordonnés contre leur volonté. Comment gérer le désaccord, dès lors où les parents s’opposent au retrait de leur enfant et revendiquent son retour immédiat ? La signature de ce document ne peut-il pas être interprété comme une manipulation, visant à leur forcer la main ? La seconde objection porte sur la démultiplication des écrits (voir encadré). On en compte plus de quinze dans l'action sociale, à la dénomination différente, mais portant sur des finalités pourtant parfois très proches. Chaque service ou établissement fréquenté par une même famille dispose ainsi de son propre document et d'une procédure propre à son élaboration. On voudrait noyer les usagers, que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Enfin, la tentative de rationalisation utilitariste consistant à vouloir formaliser l’action menée n'est pas sans poser une question de fond : la rencontre avec l'usager ne se programme pas dans un projet, fut-ce celui de l'enfant ! On ne peut prévoir, ni contrôler à l'avance ce qui se joue dans une relation fondée avant tout sur la spontanéité et la créativité. Pour faire en sorte que le Projet Pour l’Enfant devienne un outil utile et pertinent et éviter qu'il ne se transforme en usine à gaz, il sera nécessaire d'être vigilant à deux risques : une trop grande rigidité qui viendrait freiner les initiatives parce que non inscrites et programmées à l’avance et la transformation en un formulaire de plus, mis de côté aussitôt rempli, échappant ainsi à l'ambition initiale d’être utilisé de façon vivante et réactive.
 
(1) « Le projet pour l'enfant : état du questionnement » ONED Note d'actualité, avril 2015
(2) article 5 de la proposition de loi de Michelle Meunier, sénatrice PS de Loire Atlantique et Muguette DINI, ex-sénatrice UDI du Rhône« Améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance »
 
 
 
Article L. 223-1 du Code de l'action sociale et des familles
« Les services départementaux et les titulaires de l'autorité parentale établissent un document intitulé « Projet Pour l’Enfant » qui précise les actions qui seront menées auprès de l'enfant et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de leur mise en œuvre. Il mentionne l'institution et la personne chargée d'assurer la cohérence et la continuité des interventions. Ce document est cosigné par le président du conseil départemental et les représentants du mineurs ainsi que par un responsable de chacun des organismes chargés de mettre en œuvre le interventions. Il est porté à la connaissance du mineur, et pour l'application de l 'article L 223-3-1, transmis au juge. »
 
 
Forêt vierge
Selon la population concernée, la nature de ses difficultés et la catégorie du service dédié, on distingue : le contrat d'accueil provisoire (CASF art. L. 223-5), le projet d'accueil et d'accompagnement (CASF art. L. 311-3, 7°), le projet personnalisé (CASF, art annexe 3-10), le projet personnalisé d'accompagnement (CASF, art. D. 312-59-2. - II. 2°), le projet individuel pédagogique, éducatif et thérapeutique (CAS, art. D. 312 – 14/17/37/38/40/57/
63/77/85/89/109/121), le projet de vie (CASF, art.. D.312-162), le projet individualisé de prise en charge et d'accompagnement (CASF, art. D. 312-168/172), le projet individualisé de soins (CASF, D. 312-3), le projet individualisé d'aide et d'accompagnement (CASF, D. 312-6), le projet individuels d'aide, d'accompagnement et de soins (CASF, D. 312-7), le plan personnalisé de compensation (CASF, Art. L. 114-1-1), le projet personnel de scolarisation, le projet de formation, le projet d'accueil individualisé (Code de l'éducation, art. L.112-1/2), le contrat de séjour (L. 442-1), le document individuel de prise en charge (L 311-4), le projet individualisé pour l'enfant (CASF, art. L 421-10). Rajoutant encore plus à la confusion et l'illisibilité au dispositif d'action sociale, le législateur a créé, par la loi du 5 mars 2007, le Projet Pour l’Enfant (CASF, art. L. 223-1).
 
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1165 ■ 11/06/2015