Lutter contre le harcèlement dans le médicosocial

Le harcèlement au travail n’existe pas seulement dans le secteur marchand. Les institutions qui se sont données pour ambition l’accompagnement des plus fragiles, sont aussi confrontées à de telles accusations.

La Cour d’Appel d’Angers vient de rendre sa décision, le 25 juin : elle a infirmé le jugement du Tribunal correctionnel de Laval du 23 février 2012 qui avait condamné Joseph-Fernand Hotton à six mois d’emprisonnement avec sursis et 10.000 euros d’amende. Au civil, la note était encore plus salée : plus de 26.000 euros de dommages et intérêts aux victimes et 49.000 euros à verser à la CPAM de la Mayenne au titre des arrêts maladie de trois des plaignants. L’inversion de la décision laisse les parties civiles stupéfaites. Elle innocente Joseph-Fernand Hotton qui est lavé de toute accusation portée contre lui : faits de harcèlement moral à l’égard de quatre salariés et d’extorsion de signature dans deux ruptures conventionnelles de contrat de travail. Des affaires de harcèlement moral au travail, il en est jugé régulièrement. La particularité de celle-ci est bien de se dérouler au sein d’un établissement médico-social. Qu’une entreprise lucrative voit se développer, en son sein, des pratiques fondées sur l’humiliation et l’atteinte à la dignité n’a rien d’étonnant, tant le salarié y est conçu avant tout comme variable d’ajustement du profit attendu. Le jour où le marché et « la concurrence libre et non faussée » seront respectueux du sujet, l’humanité aura fait un grand pas en avant. Convenons que ce n’est pas demain, la veille de ce grand jour. Mais que le secteur social et solidaire qui est sensé placer la défense de l’être humain en général et des plus fragiles en particulier, au cœur de son action s’illustre avec ce type de manifestation est pour le moins choquant et déstabilisant. En décortiquant cette affaire, on y verra peut-être un peu plus clair sur les mécanismes à l’œuvre, dans ce qui peut être considéré comme un beau gâchis et un authentique scandale.

Confrontation

C’est en septembre 2002 que Joseph-Fernand Hotton est nommé Directeur général de l’ADAPEI de la Mayenne, association qui emploie dans ce petit département des Pays de Loire cinq cent vingt salariés répartis sur dix sept sites. Lors du procès en correctionnel, le 23 février 2012, nombre de salariés étaient venus à la barre témoigner du comportement de leur Directeur général qu’il accusait d’être agressif, autoritaire, humiliant et manipulateur. C’est Myriam P., assistante sociale, victime d’un déclassement et d’une disqualification, causes d’un arrêt de travail pour état anxio-dépressif, suivi d’une inaptitude provoquant son licenciement. C’est Stéphane S., éducateur, expliquant que tout se passait bien avant l’arrivée de ce Monsieur et que tout a changé après, les salariés pensant qu’il avait été recruté « pour faire le ménage ». C’est Christophe A., embauché comme secrétaire de direction, qui décrit son supérieur comme une personne brutale n’hésitant ni à rabaisser les gens (« comment votre mère a pu faire un enfant comme vous » lui aurait-il dit), ni à employer tous les moyens pour que quelqu’un parte, quand il l’a décidé. C’est Olivier V., moniteur d’atelier, faisant état du climat de crainte délétère que fit régner Monsieur Hotton, dès son arrivée etc … Madame Morere et Monsieur Souquet, respectivement médecin et psychologue du travail viendront attester de la souffrance au travail et du harcèlement moral vécu par des salariés venus les consulter. Quelques proches collaborateurs du Directeur général auront fait le déplacement au tribunal pour le défendre, parlant d’un homme courtois, soucieux de l’humain et disponible pour tous, justifiant les sanctions prises contre les parties civiles. Quant au Directeur général, il s’inscrira en faux contre toutes les allégations portées contre lui, considérant qu’il n’avait fait qu’exercer son pouvoir de direction et de contrôle, ses interventions n’étant dictées que par le seul souci de la bonne gestion de l’association.

L’avis du tribunal

Le tribunal, faisant état du lien de subordination de ces témoins avec Monsieur Hotton, s’étonnera qu’aucun autre salarié ne soit venu témoigner en faveur de leur directeur général. La messe était dite. La conviction des juges était faite. Leur avis sera alors sans grandes nuances : « il résulte à l’évidence des nombreux témoignages susexposés qu’un véritable climat de terreur et de peur régnait au sein de l’ADAPEI 53, que chacun pouvait craindre pour son emploi en raison du nombre croissant de départ de salariés, que les méthodes de management instaurées par Monsieur Hotton étaient manifestement brutales et ne laissaient aucun place au dialogue (…) l’intéressé ne peut utilement se retrancher derrière cette mission (conduire des adaptations et des restructurations) et le pouvoir de direction qui en découle , pour adopter une attitude managériale emprunte d’humiliations en tout genre et de non respect de la dignité humaine ». Et, effectivement, il y en avait des reproches formulés contre Monsieur Hotton : violation de la liberté d’expression sur le lieu de travail, manque de reconnaissance professionnelle, irrespect à l’égard des personnels, mauvais traitements, violence verbale à travers des propos dévalorisants et infâmants, attribution de sanctions disciplinaires non fondées et abusives, mutations de personnels, innombrables ruptures de contrats sous la forme de démissions, de licenciements abusifs, de ruptures conventionnelles. Tout cela, Alain G. peut en témoigner. Délégué du personnel, il a été le premier sur la liste noire de son Directeur général : « Il y a eu ces envois répétés de lettres recommandées m’attribuant des fautes non fondées, puis ces convocations à la direction générale afin de m’invectiver grossièrement en hurlant des insultes ou de propos vexatoires, me faisant subir des humiliations, des critiques diverses sur mon comportement, des jugements de valeurs sur ma personne, des mises en demeure, des multiples menaces de perte de mon emploi ». La Cour d’Appel d’Angers a balayé toutes ces accusations.

Une association solidaire…

Monsieur Hotton avait déjà exercé ses talents à l’hôpital Saint Jean de Dieu du Croisic et à l’UDAF de Nantes (de 1997 à 2002), une déléguée syndicale de cette dernière institution s’étant déplacée au procès en première instance, pour témoigner des mêmes méthodes et des mêmes dégâts. Quand l’ADAPEI de la Mayenne recrute son nouveau Directeur général, c’est selon les propos de sa présidente d’alors, Michèle Tareau, pour structurer l’association. « Monsieur Hotton a su mettre de l’ordre dans l’association » constate-t-elle lors du procès, confirmant que « les décisions prise étaient toujours validées par le Conseil d’administration ». Il est vrai que ce soutien aura été sans faille pendant près de dix ans. Et il continuera à l’être y compris après la condamnation, en première instance. Monsieur Morancé, Président de l’association au moment du procès ne dira rien, à son issue, à propos des victimes, mais exprimera sa tristesse … face à la condamnation de son Directeur général ! Monsieur Hotton restera d’ailleurs à son poste jusqu’à son départ en retraite. Puis, après avoir reconnu, en première instance, être civilement responsable de son directeur général, l’association avait sollicité en appel, sa mise hors de cause. Lien Social a cherché à recueillir l’avis de Monsieur Mallet, nouveau Président de l’ADAPEI depuis juin 2012, sur un certain nombre de questions. Comment le Conseil d’administration pouvait-il prétendre n’avoir rien su, rien vu, ni rien deviné pendant dix années ? A-t-il envisagé d’assumer sa responsabilité, en démissionnant ? Quand allait-il présenter des excuses publiques à ses salariés ? Monsieur Mallet n’a pas souhaité répondre à notre sollicitation. Anne Valérie Dommanget Directrice générale ayant succédé à monsieur Hotton affirme, de son côté, s’être attachée à rétablir un climat de dialogue et de concertation, en créant notamment un observatoire de la qualité de vie au travail. Il sera bien difficile de retrouver la confiance nécessaire, tant il est insupportable d’imaginer que pendant une décennie, un Directeur général a pu exercer en toute impunité un pouvoir à ce point destructeur, l’ADAPEI 53 ayant démontré son incapacité à protéger ses salariés.

… qui n’assume pas

Les deux procès qui ont vu se déplacer nombre de salariés pour soutenir les plaignants vont laisser des traces. La justice a tranché. Le mis en cause ne peut que se satisfaire de cette divine surprise. Quant aux salariés, ils savent ce qu’ils ont vécu et ne peuvent que ressentir un profond déni de justice. Quelle crédibilité peuvent encore garder aujourd’hui les vingt deux administrateurs, parents d’enfants avec handicap, dont on peut se demander s’ils mesurent la gravité des faits dont a été accusé leur Directeur général ? Une association laissant se développer une telle crise sociale dans ses établissements justifie-t-elle encore l’agrément que les pouvoirs publics lui accordent ? Ne devrait-elle pas laisser la place à une autre association qui prendrait le relais, en renouvelant totalement son mode de gouvernance ? Mais cette ADAPEI est-elle la seule à devoir rendre des comptes ? Le Conseil général, l’Agence régionale de santé, les responsables politiques de la Mayenne, l'Inspection du travail, pourtant dûment informés de ce qui se passait, n’ont jamais réagi. Tout ce petit monde a laissé faire. Seule la Caisse Primaire d'Assurance Maladie s’est constituée partie civile, soucieuse d’être remboursée des frais médicaux et d’arrêt de travail engagés. Ce qui s’est passé pendant dix années au sein de l’ADAPEI de La Mayenne est-il une exception, dans notre pays ? L’immense majorité des Directeurs à la tête du secteur socio-éducatif et médicosocial sont de qualité, faisant preuve de courage et de respect, alors même que leur travail est loin d’être toujours facile. Joseph-Fernand Hotton a été reconnu innocent par la Cour d’Appel. Même si on ne peut que prendre acte de cette décision de justice, reste la dénonciation de pratiques, aux antipodes des valeurs du travail social. Combien y a-t-il de salariés souffrant sous la férule autoritaire d’individus dangereux, soutenus par des Conseils d’administration aveugles et dans le silence complice de témoins qui regardent ailleurs ? Au-delà d’une légitime indignation, se pose la question des moyens à se doter pour prévenir de telles dérives. Quelle balise d’alerte pour repérer le plus tôt possible l’agissement de tels individus ? Quelle précaution pour empêcher un tel aveuglement de tout un Conseil d’administration ? Quelle procédure pour protéger les professionnels d’une telle maltraitance ? Car, s’il est une problématique qui reste essentielle sur nos lieux de travail, c’est bien de savoir qui prend soin de celles et ceux qui prennent soin des plus fragiles.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1113 ■ 11/07/2013