Les Républiques d’enfants: une réponse à la crise de l’éducation?

Janusz Korczak est resté longtemps un inconnu. Ce n’est que tardivement que la République d’enfants qu’il créa en 1912, est sortie de l’oubli. Ses innovations pédagogiques, en conjonction avec bien d’autres dans le monde, ouvrent une autre perspective sur le rapport de l’adulte à l’enfant.

Le moment semble mal choisi, alors qu’on ne cesse de se plaindre de la tyrannie du petit d’homme, de la génération de l’enfant roi ou du syndrome du « moi je ». Il est fréquent d’entendre certains professionnels affirmer qu’il ne faut pas tant parler aux plus jeunes de leurs droits, que de leurs devoirs. Vu l’ambiance du moment, Lien Social n’est-il pas un tant soit peu provocateur de consacrer un dossier aux Républiques d’enfants ? Le choix n’est pas tant de jouer aux trublions, pour le plaisir d’aller à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues. Il est surtout de démontrer qu’en appliquant aux collectivités d’enfants les principes démocratiques que chacun se plait à considérer comme légitimes pour les adultes, on favorise une responsabilisation et une formation à la citoyenneté d’une qualité et d’une pertinence que l’on ne trouve guère ailleurs.

Une république d’enfants en action

L’une des premières (sinon la première) Républiques d’enfants à avoir existé est celle que fonda, il y a tout juste cent ans, Janusz Korczak à Varsovie. C’est en lisant, par hasard, une petite annonce publiée dans « La Nouvelle gazette », par la Société d’aide aux orphelins, que ce pédiatre polonais répond à l’offre de prestation d’un médecin, quelques heures par jour, dans l’un de ses établissements1. Non seulement, Janusz Korczak va être recruté par cette association philanthropique, mais il va en devenir l’un des membres les plus actifs. Il conçoit alors de créer son propre établissement. La « Maison de l’orphelin », qui voit le jour en 1912, se structure autour d’une pédagogie particulièrement novatrice. Qu’on en juge plutôt. Janus Korczak est convaincu que la société est divisée en deux classes « la classe des adultes usurpant tous les droits et la classe des enfants vivant en servitude ». Afin de protéger les enfants de l’arbitraire des adultes, il instaure dans son établissement un parlement des enfants qui constitue l’organe décisionnel de la communauté. Cette instance se réunit une fois par semaine, pour débattre des règles de vie, de leur modification ou de leur confirmation. Y sont élus, par plébiscite, des Députés-enfants choisis parmi les meilleurs. Les conflits entre membres de l’établissement, qu’ils soient enfants ou adultes étaient réglés par un tribunal d’arbitrage où siégeaient, chaque semaine, cinq enfants désignés par tirage au sort, parmi ceux qui n’étaient ni plaignants, ni accusés. Un seul adulte était présent qui jouait un rôle de greffier-secrétaire, mais ne prenait pas part au jugement.

L’éducatif plutôt que le répressif

L’organisation de la République d’enfants de Janusz Korczak mériterait d’être détaillée, tant elle est riche en dispositifs et mécanismes mettant en avant la démocratie et l’égalité. Le cadre de cet article ne le permet pas. Le lecteur intéressé pourra se reporter au site internet2  que lui a consacré l’Association Française Janusz Korczak (AFJK). Que soit néanmoins rappelé ici le Code de 1.000 articles qui gérait la vie interne de l’établissement. Ses 99 premiers articles excusaient ou innocentaient. Ce qui était avant tout recherché, c’était toutes les raisons possibles de l’acquittement, y compris à titre exceptionnel. Il fallait attendre l’article 100, pour aborder la question des condamnations et l’article 500, pour commencer à évoquer une répression, dont les formes restaient très bienveillantes : publication de la sanction, sa communication à la famille et enfin la suspension des droits civiques. Ce qui importait, ce n’était pas la vengeance, ni la punition, mais l’ouverture vers une réparation possible et une prise de conscience, par l’enfant, des conséquences de ses actes. Il fallait attendre l’article 1000, pour découvrir la mesure la plus grave : le renvoi. Le lecteur sceptique pourra toujours imaginer un public particulièrement apaisé, en situation de pouvoir comprendre et intégrer les nécessités de la vie en collectivité, ce qui expliquerait la faisabilité de telles méthodes. Si l’on en croit le témoignage de Joseph Arnon, un ancien éducateur de Janusz Korczak, il n’en est rien : « Ces enfants vivaient en état de constante frustration et refusaient les règles primordiales de la société dans laquelle ils vivaient. En général, ils se montraient allergiques à toute forme d’autorité et n’avaient plus confiance dans le monde des adultes. Ils apportaient avec eux d’immenses craintes et angoisses et une méfiance systématique. »

A Varsovie … et ailleurs

La République d’enfants de Janusz Korczak fonctionnera jusqu’à la seconde guerre mondiale, dans deux orphelinats pilotes, l’un pour des enfants Juifs, Dom Sierot (La maison des orphelins) et l’autre pour des enfants catholiques Nasz Dom (Notre maison). Elle disparaîtra le 5 août 1942, jour de la déportation des deux cents orphelins juifs vers le camp d’extermination de Treblinka. Janusz Korczak refusera les opportunités de fuite et prendra la tête du cortège le menant lui et les enfants, pour qui il s’était dévoué toute son existence, à la mort. Aussi remarquables que soient ces trente années de gestion démocratique d’une communauté d’enfants, bien d’autres expériences ont fonctionné à travers le monde. Romuald Arvet et Michèle Mialet leur ont consacré un ouvrage récent3. Que ce soit le Moulin Vieux, ouvert près de Grenoble par un couple d’instituteurs fervents partisans de la méthode Freinet, Henri et Henriette Julien, accueillant des enfants de réfugiés espagnols, transformée en 1948 en IMP et finalement fermée en 1986 ; que ce soit l’école de Summerhill fondée en 1921 par Alexander Neill et qui fonctionne encore aujourd’hui, ayant survécu à la mort de son créateur intervenue en 1973 ; que ce soit la République des Muchachos de Bemposta née à Orense en 1956, en pleine Espagne franquiste qui a fermé en 2003 seulement ; on retrouve le même fondement : l’application d’un mode de gestion démocratique et égalitaire d’une communauté composée d’adultes et d’enfants. Les lycées autogérés de Paris et de Saint Nazaire, encore en activité aujourd’hui, fonctionnent sur le même principe, les enseignants et les élèves décidant en assemblée générale les grandes orientations et les règles de vie collectives.

Résistance des adultes

Quelles leçons peut-on retirer de ces expériences ? Le premier constat est quand même celui de leur longévité. D’aucuns auraient été confortés par un échec qu’ils auraient pu attribuer aux difficultés de mise en place d’utopies irréalistes à la concrétisation de toute façon éphémère et inapplicable. Eh bien, non : ces communautés ont réussi sur des décennies (et continuent à le faire pour certaines d’entre elle) à mener à bien leurs ambitions éducatives, en s’appuyant sur le principe d’égalité entre adulte et enfant, en organisant des instances de délibération et de décision basée sur une stricte démocratie et en confiant aux enfants le soin de trancher les conflits non seulement entre enfants mais aussi entre enfants et adultes. Il n’est qu’à rappeler l’extrême réticence des enseignants confrontés aux adolescents médiateurs scolaires qui tentent, dans les collèges qui ont mené cette expérience, de régler leurs conflits avec leurs élèves, pour mesurer combien le monde adulte est encore loin d’accepter de renoncer à sa suprématie et à son arbitraire. La hiérarchisation entre générations est encore trop prégnante, pour imaginer que la parole d’un enfant vaille la parole d’un adulte. Le sentiment de supériorité des adultes qui, à juste raison, ont accumulé expérience de la vie et connaissances sur le monde, est encore trop fort pour qu’on puisse les imaginer accepter de se placer dans un rapport d’égalité avec les enfants. La conviction de l’immaturité liée à la « minorité » est encore trop partagée, pour concevoir que même des enfants puissent appliquer avec succès les méthodes de la démocratie. Le problème ne viendrait donc pas tant des nouvelles générations, que des anciennes peu enclines à faire confiance aux plus jeunes.

L’éducatif plutôt que le répressif

L’organisation de la République d’enfants de Janusz Korczak mériterait d’être détaillée, tant elle est riche en dispositifs et mécanismes mettant en avant la démocratie et l’égalité. Le cadre de cet article ne le permet pas. Le lecteur intéressé pourra se reporter au site internet que lui a consacré l’Association Française Janusz Korczak (AFJK). Que soit néanmoins rappelé ici le Code de 1.000 articles qui gérait la vie interne de l’établissement. Ses 99 premiers articles excusaient ou innocentaient. Ce qui était avant tout recherché, c’était toutes les raisons possibles de l’acquittement, y compris à titre exceptionnel. Il fallait attendre l’article 100, pour aborder la question des condamnations et l’article 500, pour commencer à évoquer une répression, dont les formes restaient très bienveillantes : publication de la sanction, sa communication à la famille et enfin la suspension des droits civiques. Ce qui importait, ce n’était pas la vengeance, ni la punition, mais l’ouverture vers une réparation possible et une prise de conscience, par l’enfant, des conséquences de ses actes. Il fallait attendre l’article 1000, pour découvrir la mesure la plus grave : le renvoi. Le lecteur sceptique pourra toujours imaginer un public particulièrement apaisé, en situation de pouvoir comprendre et intégrer les nécessités de la vie en collectivité, ce qui expliquerait la faisabilité de telles méthodes. Si l’on en croit le témoignage de Joseph Arnon, un ancien éducateur de Janusz Korczak, il n’en est rien : « Ces enfants vivaient en état de constante frustration et refusaient les règles primordiales de la société dans laquelle ils vivaient. En général, ils se montraient allergiques à toute forme d’autorité et n’avaient plus confiance dans le monde des adultes. Ils apportaient avec eux d’immenses craintes et angoisses et une méfiance systématique. »

Réhabiliter l’autorité

Et pourtant, la démocratie et l’égalité appliquées dans les relations adultes/enfants au sein des communautés éducatives constitueraient une réponse pertinente à ce qu’il est convenu d’appeler la crise de l’autorité. On s’en plaint régulièrement : les enfants en général et les jeunes en particulier ne respecteraient plus les adultes. C’est à la fois vrai et faux. Vrai, si l’on considère cette autorité sur le mode ancien : celle qui exigeait une soumission aveugle exempte de toute réflexion et justification. Quand ils ressentent que les demandes des adultes sont fondées sur l’arbitraire et la toute puissance d’un autoritarisme trouvant ses seuls fondements dans la subordination et l’obéissance, ils s’y opposent, comme nous le ferions nous-mêmes face à tout régime tyrannique. Mais, cette affirmation est fausse, si l’on prétend que ces jeunes n’acceptent aucune sorte d’exigence. Ils peuvent d’autant mieux s’y plier, qu’ils ressentent qu’elle s’appuie sur l’équité et la justice. Des règles qui n’interviennent pas à sens unique, mais qui sont utilisées dans une logique de réciprocité et sont une référence faisant sens tant pour l’enfant que pour l’adulte, s’appliquant à l’un comme à l’autre en jouant un rôle de tiers, feront moins l’objet de rejet. Dès lors que le cadre qui s’impose, que la loi qui délimite et que la contrainte qui oblige sont décidés non par une poignée de personnes, mais conçus, discutés et votés par les représentants de la communauté de vie, ils deviennent incontournables. S’ils peuvent toujours être contestés et modifiés par une nouvelle majorité qui se dessine, ils sont encore plus légitimes. Ce dont il est question là, c’est de la démocratie parlementaire qui s’applique aux adultes. C’est ce que les Républiques d’enfants font fonctionner pour les plus jeunes. Ce n’est pas ce qui se passe dans nos collectivités d’enfants actuelles.

Les principes pédagogiques

Terminons, en donnant la parole à celui avec qui cet article a commencé. Le projet pédagogique de Janusz Korczak, conçu au début du XXème siècle, s’avère d’une étonnante modernité et d’une criante actualité. Il n’est pas la porte ouverte au laxisme ou au refus de toutes discipline. Il est un vibrant appel à la pris en compte des enfants non comme objet passif de l’action éducative que seuls les adultes seraient en mesure de mettre en œuvre, mais comme acteur responsable et actif de leur propre l’éducation. Un siècle après avoir été écrit, il devrait inspirer bien des établissement contemporains recevant des enfants : « Traiter les enfants comme des êtres conscients de leurs besoins, capables de comprendre la nécessité de respecter des limites, de se soumettre à la loi et d’accepter des renoncements dans l’intérêt collectif. Capables de maîtrise de soi, de luttes intérieures et d’efforts persévérants pour se libérer des mauvaises habitudes et des mauvais penchants (…) Chercher une voie moyenne entre la contrainte et le laisser-aller, et par conséquent opter pour la concertation, le contrat, l’entente, en tant que pierre angulaire d’une organisation qui se met en place progressivement, avec leur participation. Pas de parole, pas de morale. Faire en sorte que les enfants apprécient leur séjour, pour leur donner envie de progresser. Chercher des formes faciles, compréhensibles pour les enfants (…) Avancer avec prudence, progressivement, sans attendre des résultats rapides. Observer attentivement tous les détails de la vie quotidienne et se garder de toutes illusions et de toutes certitudes sur les enfants. » Que ces paroles pleines d’optimisme et de justesse nous servent d’inspiration : c’est le plus bel hommage que nous pourrons rendre à son auteur.

L’organisation de la République d’enfants de Janusz Korczak mériterait d’être détaillée, tant elle est riche en dispositifs et mécanismes mettant en avant la démocratie et l’égalité. Le cadre de cet article ne le permet pas. Le lecteur intéressé pourra se reporter au site internet que lui a consacré l’Association Française Janusz Korczak (AFJK). Que soit néanmoins rappelé ici le Code de 1.000 articles qui gérait la vie interne de l’établissement. Ses 99 premiers articles excusaient ou innocentaient. Ce qui était avant tout recherché, c’était toutes les raisons possibles de l’acquittement, y compris à titre exceptionnel. Il fallait attendre l’article 100, pour aborder la question des condamnations et l’article 500, pour commencer à évoquer une répression, dont les formes restaient très bienveillantes : publication de la sanction, sa communication à la famille et enfin la suspension des droits civiques. Ce qui importait, ce n’était pas la vengeance, ni la punition, mais l’ouverture vers une réparation possible et une prise de conscience, par l’enfant, des conséquences de ses actes. Il fallait attendre l’article 1000, pour découvrir la mesure la plus grave : le renvoi. Le lecteur sceptique pourra toujours imaginer un public particulièrement apaisé, en situation de pouvoir comprendre et intégrer les nécessités de la vie en collectivité, ce qui expliquerait la faisabilité de telles méthodes. Si l’on en croit le témoignage de Joseph Arnon, un ancien éducateur de Janusz Korczak, il n’en est rien : « Ces enfants vivaient en état de constante frustration et refusaient les règles primordiales de la société dans laquelle ils vivaient. En général, ils se montraient allergiques à toute forme d’autorité et n’avaient plus confiance dans le monde des adultes. Ils apportaient avec eux d’immenses craintes et angoisses et une méfiance systématique. »



Lire interview : Avet et Mialet - Républiques d’enfants


1 - « Janusz Korczak, l’éducation constitutionnelle » Ahmed Lamihi, Desclée de Brouwer, 1997
2 - http://www.korczak.fr/
3 - « Éducation et démocratie. L’expérience des républiques d’enfants » Romuald Avet et Michèle Mialet, Champ Social, 2012

 

Adulte ou enfant : la même règle
Quel Directeur contemporain peut se vanter d’être passé devant le tribunal d’arbitrage de l’établissement qu’il dirige, comme le raconte Janusz Korczak ? « En ce qui me concerne, j’ai été jugé cinq fois. La première, pour avoir frotté les oreilles à un garçon ; la deuxième, pour avoir mis à la porte un chahuteur ; la troisième, pour en avoir envoyé un autre au coin ; la quatrième pour avoir insulté un juge ; la cinquième, pour avoir soupçonné une petite fille d’avoir volé. Lors des trois premiers procès, j’ai été jugé en vertu de l’article 21(1), lors du quatrième, en vertu de l’article 71 (2), et lors du dernier, j’ai eu droit à l’article 7(3). Pour chaque procès, j’ai fourni une vaste déposition écrite » (4)
(1) Article 21« Le Tribunal reconnaît que X avait le droit d'agir ainsi (de parler ainsi) »
(2) Article 71 « Le Tribunal pardonne, parce que la réparation a déjà été faite »
(3) Article 7 : « Le Tribunal prend note de l'affaire sans la juger ».
(4) « Comment aimer un enfant » Janusz Korczak, Robert Laffont, 1978

 

Avons-nous un siècle de retard ?
Lire ce que Janusz Korzcak écrit en 1918 nous permet de mesurer l’impressionnante régression que nous connaissons depuis une vingtaine d’années : « Si quelqu'un fait quelque chose de mal, le mieux est de lui pardonner. Car si c'est par ignorance qu'il a mal agi, désormais il n'est plus ignorant. Si c'était sans le faire exprès, il sera plus prudent à l'avenir. S'il a mal agi parce qu'il a de mauvaises habitudes, il va faire un effort. S'il a mal agi parce qu'on l'y a incité, désormais il ne se laissera plus influencer. Si quelqu'un fait quelque chose de mal, le mieux est de lui pardonner, d'attendre qu'il se corrige. Toutefois le tribunal doit défendre les silencieux, afin qu'ils ne subissent pas l'injustice de la part des agressifs et des importuns ; le tribunal doit défendre les faibles afin que les forts ne leur fassent pas subir de vexations (…) Le tribunal n'est pas la justice, mais il devrait tendre vers la justice, le tribunal n'est pas la vérité, mais il a soif de vérité. Les juges peuvent se tromper. Les juges peuvent punir des actes qu'ils commettent eux-mêmes, déclarer mal quelque chose qu'ils font aussi eux-mêmes. »

 

  Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1083 ■ 22/11/2012