« Engagez-vous qu'ils disaient, vous verrez du pays ! » *

Certains des jeunes en grande difficulté comportementale que nous accompagnons sont tentés parfois de rejoindre l’armée. Un peu comme s’ils cherchaient dans l’enveloppe particulièrement contenante de la grande muette la possibilité de maîtriser ces pulsions qu’ils ont tant de mal à dompter. Mais l’intolérance à la frustration, le rejet de toute autorité, le refus de la discipline, l’insoumission à la règle, la contestation de toute consigne, l’opposition à toute contrainte qui sont le lot de leur quotidien ne sont guère en adéquation avec le port de l’uniforme. Le soldat doit obéir et non réfléchir ; se soumettre aux ordres et non les discuter ; suivre aveuglément ce qu’on lui dit de faire, sans en demander la raison. Ce décervelage fut longtemps la seule façon de lancer sur le champ d’horreur de la chair à canon qui allait se faire massacrer, au nom des valeurs de virilité, du patriotisme et du sacrifice. Le temps de la charge héroïque sous la mitraille est devenu suranné. Aujourd’hui, le souci de préserver la vie du soldat est l’une des premières préoccupations des armées. Et l’obéissance est gage de survie. Sur le théâtre des opérations, s’en sortir vivant dépend de la cohérence des mouvements de troupe, du savoir-faire éprouvé des (sous) officiers et des tactiques d’avancée et de repli savamment calculées qui ne se discutent pas. En fait, pour nos jeunes qui rêvent de s’engager, ça passe ou ça casse. Soit les mécanismes de sublimation qui permettent d’investir dans une passion, en sacrifiant une partie de sa liberté leur permettra de trouver dans l’uniforme une voie d’insertion. Soit leurs vieux démons se réveilleront très vite et cette tentative sera écourtée. Ils doivent en tout cas savoir que depuis quarante ans, une moyenne de près de quinze soldats sont décédés chaque année dans l’exercice de leur métier, ce qui est relativement peu quand on sait que dans le bâtiment, un ouvrier meure tous les trois jours.

* Célèbre expression des albums d’Asterix et Obelix 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1303 ■ 19/10/2021