Peut-on affirmer que l’avortement représente potentiellement un traumatisme pour une femme qui le pratique … sans être aussitôt accusé de reproduire les éléments de langage des « pro-vie » opposés à l’interruption volontaire de grossesse ? Peut-on affirmer que le handicap a d’abord une origine individuelle physique, mentale, génétique … sans être immédiatement assimilé aux validistes qui nient, négligent ou minimisent un contexte sociétal stigmatisant qui participe à surhandicaper les personnes différentes ? Peut-on contester l’application de traitements hormonaux destinés à changer de genre, avant 18 ans … sans être dénoncé comme fautif de transphobie ? Il suffirait alors qu’un argument soit utilisé par le camp adverse pour l’invalider et vous faire le complice de l’ennemi … De là à affirmer qu’un mouton possède cinq pattes au prétexte qu’en face, on prétend qu’il en a quatre, il n’y a qu’un pas ! Au risque d’être fustigé de part et d’autre, j’ose affirmer que l’on peut défendre l’avortement comme un droit inaliénable ET se montrer vigilant face aux répercussions négatives qu’il peut induire. On peut identifier la genèse individuelle d’une déficience ET être attentif aux conditions socio-historiques qui amplifient ou atténuent son impact. On peut accompagner le processus de transition de genre chez des adultes ET cultiver la prudence face à des demandes de mineurs qui se cherchent, veulent expérimenter diverses identités et tentent légitimement de tester tant les réactions de leur entourage que leurs propres limites. Le choix entre le OU (« choisis ton camp, camarade ») et le ET (entrer dans la complexité des problématiques) relève de l’éthique de chacun(e) d’entre nous. Certes, il est des sujets qui n’induisent aucune hésitation, ni compromis. Mais, il en est bien d’autres qui justifient de tricoter la nuance, de moduler la tonalité et de creuser plus profondément … à distance des idéologies, des dogmes et des croyances de tous poils.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1325 ■ 18/10/2022