Relier sans stigmatiser

La tradition orale a dominé la civilisation humaine pendant des millénaires, malgré l’invention de l’écriture qui resta longtemps une pratique confidentielle réservée aux élites. Les épopées de Gilgamesh en Inde, de l’Illiade et l’Odyssée en Grèce, les mythes nordiques de l’antiquité, les chansons de geste du moyen âge et autres récits épiques furent racontés oralement, très longtemps avant d’être retranscrits et lus. C’était des milliers de vers à retenir et à réciter, preuve de la formidable capacité de mémorisation dont a toujours su faire preuve l’être humain. C’est l’imprimerie qui donnera ses lettres de noblesse à l’écrit. Notre société tend parfois à assimiler l'illettrisme à une pathologie, au même titre qu'une maladie ou un handicap physique. Or, les peuples de culture non écrites sont capables de raisonnements aussi élaborés que ceux des lettrés. Et celles et ceux qui ne savent ni lire, ni écrire aujourd’hui déploient souvent individuellement des stratégies particulièrement habiles, pour compenser leurs difficultés à déchiffrer les signes. Bien sûr, il ne s’agit pas d’ignorer leur décalage à l’égard d’un monde dominé par les lecteurs, dont beaucoup souffrent. Et il faut leur proposer des outils et des actions pour remédier à leur carence face à l’écriture, telles celles qui sont décrites dans notre dossier. Mais, il faut aussi, avant de le faire, considérer, reconnaître et respecter leur différence au-delà du seul manque, comme une manière d’être au monde.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1325 ■ 18/10/2022