Héros aujourd’hui, zéro hier
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dans Billets d'humeur
Ils sont acclamés, chaque soir, pour leur combat acharné contre l’épidémie. Combien de ces groupies d’aujourd’hui les entendaient hier, quand ils criaient leur révolte ? Les soutiendront-ils demain ? Car cela fait des décennies que les soignants travaillent plus pour gagner moins, dans des conditions toujours plus dégradées. Les fétichistes de la rentabilité hospitalière à tout prix les ont dénigrés, épuisés, découragés, exigeant d’eux l’impossible et les fustigeant quand ils dépassaient les budgets. Comment ces dirigeants politiques qui ont voté depuis trente ans des réformes radicales imposant des suppressions massives de personnel et de lits ; comment ces Agences régionales de santé pourvoyeuses d’indicateurs de performance et d’outils comptables substituant les contrôles financiers à l’humanité du soin ; comment ces directions hospitalières formées au contrôle de gestion, au management financier et au marketing marchand … peuvent-ils encore être légitimes à faire autre chose qu’à poursuivre leur sabotage ? S’ils ont éthiquement fait faillite, ils ont réussi à dévaster l’hôpital français. Ils pourraient bien se (et tenter de nous) convaincre, que s’il y a eu tant de dérives … c’est parce qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur funeste dessein. Ne voudront-ils pas alors finir leur sale besogne ? Les coupables de la vague de suicides vécue à France Télécom ont été condamnés récemment par la justice pour harcèlement moral. Les thuriféraires du management gestionnaire à l’hôpital se retrouveront-ils à leur tour devant un tribunal ? Parce qu’ils sont responsables, eux aussi, de suicides, de dépressions, d’épuisements, de démissions, d’idéaux perdus. Alors oui, applaudissons les soignants. Mais n’oublions jamais que ce sont ceux-là mêmes qui, soucieux du rendement financier, les ont si longtemps exposés au Covid-19, sans masques, sans combinaisons, sans tests de dépistage. « Ce qui est pire que le mal, le fait oublier » dit le proverbe.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1273 ■ 12/05/2020