Martial demande à son éducateur de lui obtenir un certificat de scolarité, auprès de son dernier collège. Il en a besoin, pour entrer en Bac Pro. Déscolarisé, après avoir « quitté » précipitamment l’établissement en décembre, ayant traité le Principal de « bouffon » et « d’enculé de sa race », il voudrait que celui-ci atteste, malgré tout, de sa fin de troisième. Martial se met facilement en colère. Quand on lui dit non. Quand il n’obtient pas ce qu’il veut. Quand on lui fait une remarque. En quatre ans, Martial a épuisé quinze foyers, familles d’accueil ou lieux de vie, trois collèges et deux maîtres d’apprentissage. Provoquant, à chaque fois, les rejets dont il souffre, Martial les interprète comme autant d’agressions de la part d’adultes vécus comme persécuteurs. Comment supporter humainement tant d’échecs et préserver son image, sinon en se victimisant ? Dans le lycée où il veut entrer, il en est sûr, tout va bien se passer. Qu’on arrête de lui prendre la tête, avec son passé et ses transgressions. Face à son éducateur qui lui dit l’impossibilité d’obtenir ce certificat, Martial s’emporte, l’accusant de ne vouloir faire aucun effort. De toute façon, il ne sert à rien. Il n’a jamais voulu l’aider. Il n’est là que pour « pourrir la vie aux jeunes ». Puis, Martial est devenu majeur. Des éducs ? Il n’en voulait plus sur le dos. Sa toute puissance risquait de le mener très vite à la rue…ou en prison. Il n’a pas fallu un an, pour que Martial connaisse l’incarcération, après avoir vécu un temps comme SDF. Face à un tel constat d’échec, on ne peut qu’être pris entre deux extrêmes. D’un côté, mesurer l’ampleur du gâchis et s’interroger sur ce qui a peut-être (sans doute) été raté, à un moment ou à un autre. De l’autre, invoquer l’imprescriptible liberté qui appartient à chacun de se saisir ou non de l’aide proposée. « Il n'est pire tyrannie que de vouloir le bien de l'autre » affirmait Emmanuel Kant. Ne serait-ce pas, aussi, cette tyrannie qu’a rejetée Martial ?

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1281 ■ 13/10/2020