Le syndrome du Kleenex

Il reste 900 000 de ces hommes (Chibani) et de ces femmes (Chibania) aujourd’hui retraité(e)s que la France a arraché du Maghreb, du Mali ou du Sénégal, quand ils étaient jeunes. Il s’agissait non seulement de remplir les rangs de ses armées, mais aussi de reconstruire les 300 000 bâtiments ravagés par la guerre, et plus encore de bâtir ses routes, ériger ses quartiers venant remplacer ses bidonvilles et édifier ses hôpitaux. Main-d’œuvre docile et bon marché, peu exigeante et guère revendicative, taillable et corvéable à merci, ils se sont 
exilés de leurs villages, ont quitté leurs familles, ont abandonné leur pays, parce que nous avions besoin d’eux. Aujourd’hui, ils sont méprisés, isolés, négligés, survivant tant bien que mal avec leurs faibles ressources. Il a fallu attendre 2019 pour qu’ils bénéficient enfin inconditionnellement de leurs droits acquis. Imaginez donc : avec un projet de retour au pays, ils avaient l’outrecuidance de demander à y percevoir leur petite retraite pour laquelle ils avaient cotisé pendant toute une vie de travail. Que les retraités français puissent le faire, en vivant à l’étranger passe encore. Mais que les Chibanis le fassent, faut pas rêver, non plus ! L’État a fini par céder. Celles et ceux que l’on désigne comme des « oubliés » ou des « invisibles » mettent en pleine lumière le cynisme et l’obscénité d’un pays qui les ravale au
rang de « jetable après l’emploi »

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1309 ■ 18/01/2022