Ils sont venus, ils sont tous là : des chômeurs en fin de droits ayant décidé de verser leur dernier mois d’allocations, des aides-soignantes ayant mis de côté leurs primes Ségur pour cette occasion, des étudiants jeûnant un peu plus que d’habitude pour faire preuve eux aussi de solidarité. Il y a même quelques travailleurs sociaux débutants qui ont économisé leur « prime pour l’emploi » … Zut, je me suis trompé de vidéo : ça c’est l’ouverture des restos du cœur. Ah voilà, je clique sur « la nuit du bien commun ». Reprenons. Ils sont venus, ils sont tous là. L’ambiance est surchauffée. Pour certains, c’est une tradition : leur aïeule était déjà dame de bonnes œuvres allant visiter les pauvres, pour leur apporter quelque secours et surtout les encourager à être plus économes. C’était le temps d’avant, avant que les impôts et les charges sociales n'écrasent les entrepreneurs, en sabordant leur créativité source pourtant de tant de richesses. Bref, cette soirée va être l’occasion de renouer avec une tradition trop négligée : la charité. Non pas en payant décemment sa femme de ménage ou sa nourrice. Faut pas pousser ! Pour de vraies causes. Celles qui font vibrer comme ces pauvres autistes ou ces sdf miséreux ou encore ces malheureuses prostituées. Se succèdent sur scène des porteurs de projet disposant chacun de quatre minutes pour se vendre, utilisant l’art oratoire pour émouvoir, enthousiasmer, apitoyer. Puis, vient la mise aux enchères. Un commissaire-priseur compte les dons, 100 € ici « monsieur n’est pas très généreux », « 300 € là pour la dame au tailleur Cardin », « 5 000 € la dame aux chapeau Dior ». Suspense : le winer is … Tonnerre d’applaudissements. Chacun(e) sort de la soirée enchanté(e) avec le sentiment du devoir accompli, de l’amour du prochain et de cette vertu spirituelle qui s’apitoie sur des créatures dans le besoin. Quelle noble assemblée ! Quel déploiement de bons sentiments ! Quelle magnanimité pour les malchanceux !

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1334 ■ 28/02/2023