Drague 2.0

Mes repères sont ceux de la génération des boomers. J’ai vécu mon enfance avant 1968 et mon adolescence après. Scolarisé en primaire dans des écoles où les garçons étaient séparés des filles, je rentrai au collège juste au moment où fut généralisée leur mixité. Mes premiers émois amoureux ont suivi un modèle assez classique pour l’époque fait de « boums », de flirts et surtout de drague … tout cela se faisant en « présentiel » (comme on dit aujourd’hui).

Autant dire que les pratiques en vogue dans les nouvelles générations, d’adolescent(e)s se fréquentant via internet et les réseaux sociaux, sans se rencontrer « en vrai » furent quand même un peu déstabilisants pour moi. Quand Régis, que j’accompagnais alors au titre d’une mesure d’aide éducative à domicile, m’expliqua que sa copine habitait à l’autre bout du pays, que tous deux communiquaient chaque jour par écran interposé et qu’ils ne s’étaient jamais vus autrement, ma surprise fut grande. Rétif au raisonnement traditionnel du « c’était mieux avant », je l’interrogeai sur le déroulement de leur relation. Se mêlaient alors tant la curiosité que le scepticisme. A ma question portant sur leur éventuel projet de se retrouver un jour face à face, la réponse resta vague, renforçant encore plus mon incrédulité.

Finalement, une visite se tint quelques mois plus tard, la jeune demoiselle, elle-même en grande difficulté dans sa famille, décidant de ne pas rentrer chez elle. Je pus constater combien l’addition de deux situations à problèmes décuplent les difficultés … et combien l’expérimentation amoureuse à l’adolescence a tout à gagner à se confronter au risque de la rencontre et ne pas se concrétiser trop tôt dans une cohabitation permanente de couple.

Régis et sa copine vécurent les passions, des disputes, des fâcheries, des réconciliations classiques à cet âge. Sauf que ce parcours peut être vécu d’une manière bien plus sereine quand chacun(e) peut se réfugier un temps sur son propre territoire. Là, tout se déroula dans l’espace d’une chambre partagée à deux, le reste de la famille de quatre autres enfants et des deux parents vivant au rythme des frasques du jeune couple.

Il ne restait plus qu’à cocher les différentes cases. Disputes orageuses dont tout le monde fut témoin : cela c’était déjà fait assez rapidement. Puis vint la grossesse. Heureusement, la jeune-fille eut la sagesse de faire le choix d’une interruption de grossesse. Il manquait les violences conjugales ? Qu’à cela ne tienne. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, elles se rajoutèrent au tableau de service. Majeur depuis peu, Régis fut jugé et condamné pour avoir frappé sa copine !

L’aventure amoureuse commencée en distanciel avait dérapé comme certaines peuvent le faire alors qu’elles ont été initiées en présentiel. Comme quoi la technique change, mais le fond de l’âme humaine reste le même, avec ses bonheurs et ses malheurs !