Comment participer à une vague, à l’insu de son plein gré?

Un film peut contribuer à changer les regards. Pas sûr qu’il permette de changer les politiques sociales !

Un dimanche sur la côte vendéenne. La pluie ne cesse de crépiter sur le toit de la caravane et de l’auvent, en ce printemps particulièrement arrosé. C’est sûr, les napes phréatiques seront bien remplies cet été ! Mais, la poésie du sentiment d’être bien à l’abri de l’ondée extérieure n’a qu’un temps. Quand l’averse semble sans fin, changer d’air s’impose. Pourquoi pas celui d’une salle obscure ? A défaut de nous proposer un havre de fraicheur, toujours appréciable par grosse chaleur, il nous offrira au moins un abri bien au sec !

Un seul cinéma dans cette station balnéaire. Le programme annonce un film mettant en scène un séjour d’été d’un groupe de personnes avec handicap. Méfiance, la comédie récente sur les SEGPA flirtait trop avec la stigmatisation. Qu’à cela ne tienne, la quête du T.S.P. (tout sauf la pluie) l’emporte. A l’entrée de la salle, une longue file d’attente. L’idée de fuir l’averse, qui dure depuis 24 heures, semble avoir été partagée.

Les premières minutes du film laissent apparaître une flopée de personnes avec handicap. Elles semblent avoir été choisies pour leur apparence : une déficience bien visible, un comportement bien décalé, des propos bien dérangeants. Premiers gags, premières vannes, premiers rire d’une salle qui se bidonne. Moi pas. Un instant, je pense claquer la porte avec rage. L’occasion d’une interrogation : pourquoi le handicap devrait-il être exempt d’auto-dérision ? Convaincu par cette réflexion, je décide de rester, me promettant de céder à ma première impulsion, si le tableau posé devait s’alourdir. Mais, très vite, la tendance s’inverse ne tournant pas à l’avantage des neurotypiques et autres validistes qui s’affichent à l’écran et s’entassent dans la salle. Les seuls à ne pas être porteurs d’un handicap font presque tâche dans un univers peuplé par une différence devenu la norme. Au point que l’un des seuls personnages à être « comme tout le monde » ne semble s’épanouir qu’en se fondant dans cette joyeuse compagnie. Le scénario est léger, généreux et réjouissant. On rit, on s’émeut, on s’attendrit. La troupe de onze comédiens non-professionnels est épatante. Le rôle des éducatrices spécialisée est valorisé. Pas au point, sans doute, de combler la carence de vocations dans les IRTS. Mais, pour une fois que cette belle profession est ainsi mise en exergue, on ne peut que s’en féliciter !

Quand le générique de fin défile une vague d’applaudissements parcourt la salle. Comme au moment du Covid. Cela ne coûtait rien alors d’applaudir les soignants … puis de les laisser reprendre leur place dans les étages du navire hôpital-Titanic en train de sombrer.

La sortie de la salle obscure fut éblouissante. D’abord, parce qu’une belle éclaircie venait de chasser la pluie. Mais c’est aussi parce que le cœur était rempli plein de soleil.

Bien vite, toutefois, la réalité s’est rappelée là aussi à notre bon souvenir. Car, la société est encore bien loin de cette inclusion promue quelques minutes auparavant dans cette fiction rayonnante. Le monde du handicap et celui des valides s’y regardaient en chien de faïence, comme dans la vraie vie. E la vraie vie, ce sont ces milliers d’enfants et d’adultes porteurs de handicap en attente aux portes des établissements médico-sociaux par manque de places. Ils pourront toujours se consoler grâce aux scènes de ce film symbolisant un privilège auquel ils ne peuvent pas participer.

Trois jours après m’être fait cette toile, j’ai appris avoir fait partie du million de spectateurs que cette affiche avait drainé en une semaine. « Un p’tit truc en plus » était devenu un succès. Je faisais dorénavant partie, à mon corps défendant, d’un « phénomène surprise » !