Pathétique!

Le 8 juin, Edouard Durant, juge des enfants de son état, nommé co-président de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) en 2021, avant d’en être évincé en décembre 2023 était auditionné par la commission d'enquête parlementaire sur les manquements des politiques de protection de l'enfance.

Le discours est rodé, l’argumentation percutante, la conviction intense.

Qui pourrait contester que ce personnage médiatique ne soit pas élevé au rang de défenseur émérite de la cause des enfants maltraités ?

Et à entendre ses premiers propos, on ne peut être que séduit.

S’attaquant à l’idéologie familialiste longtemps dominante, il propose une distinction entre filiation, autorité parentale, lien et rencontre. Quatre modalités d’être parent que l’on mélange trop souvent alors qu’elles correspondent effectivement chacune à une démarche ne recouvrant pas la même réalité. Chaque parent peut cumuler l’une ou l’autre, voire les quatre.

Puis, de répondre aux coups de menton de notre premier ministre appelant au retour de l’autorité : la violence publique des jeunes ne pourra être vraiment combattue tant qu’on n’en fera pas autant avec celle, privée, qui sévit dans les familles… Tiens une corrélation (délinquance/maltraitance)  qui se transforme en causalité (la délinquance a bien d’autres racines).

Mais, très vite, Edouard Durand plonge dans ce qu’il sait faire le mieux. Car ce qu’il cultive avec un art consommé, c’est l’amalgame. Le sophisme de généralisation hâtive et abusive est devenu chez lui une seconde nature. Un exemple non représentatif lui suffit à en faire une réalité s’appliquant à l’ensemble de la problématique qu’il traite avec fougue et passion.

L’inceste ? Il est directement lié à l’obligation faite au père de reconnaître son enfant. Ce qui le transforme en prédateur destructeur. Que notre juge ait rencontré une telle situation est possible. Peut-il, pour autant, en faire une loi générale ?

Un enfant révèle les violences qu’il a subies ? « Dans la plupart des cas », on lui plaque sur le visage le masque du « manipulé ou du manipulateur » Que notre juge ait été confronté à ce type de réponse, pourquoi pas. Peut-il pour autant prétendre que ce sont celles qui sont données « dans la plupart des cas » ?

Après avoir révélé avoir été victime de violences dans sa famille un(e) adolescente est mise à l’abri dans les trois heures ? « Il est raisonnable de dire qu’au bout de huit jours il dise qu’il a menti » Que notre juge ait été témoin de ce type de revirement est imaginable. Peut-il, pour autant, en faire une règle générale « raisonnable » ?

Mais, heureusement, Edouard Durand est arrivé ! Jusqu’en 2022 (date à laquelle il fut nommé à la tête de la CIIVISE), « on disait aux enfants violés : « taisez-vous » ». Ensuite, on leur a dit « on vous croit » C’est vrai que jusqu’à ce que notre sauveur survienne, toutes (absolument toutes ?) les victimes mineures de violences sexuelles furent bâillonnées. Et tous les professionnels (absolument tous ?) leur intimaient l’ordre de se taire. Interdiction de parler qui a disparu ensuite. Bon, en même temps, on comprend pas bien pourquoi on croit un(e) jeune qui révèle avoir été victime de violence dans sa famille et qu’on ne leur dit pas la même chose quand il revient sur sa déclaration, mais bon … Mais vous n’avez donc rien compris ? On sait que la première déclaration c’est toujours la VERITE, alors que toute rétractation est toujours faite sous la pression ou sous l’effet de l’emprise. Ahhh, je comprends mieux maintenant …

Heureusement, le livret de formation « Mélissa » a été publié pour apporter la solution. C’est vrai que c’est un document très complet et bien présenté. Il y a tout ce qu’il faut : les symptômes, les guides d’entretien, les bonnes réponses à apporter et celles à bannir : « même pour les enfants en situation de difficulté cognitive » nous rassure le bon Juge.

Il était prévu que les professionnels soient formés à appliquer les consignes de ce document. C’est vrai que depuis quarante ans, on attendait qu’Edouard Durand impulse cette formation totalement absente chez les professionnels, sans qu’il n’existe absolument aucun document sur cette question. Mais patatras, depuis début 2024 : rien. « C’est 88 000 enfants (la moitié des 180 000 mineurs victimes chaque année estimés par la CIIVISE) qui n’auront pu être secourus » déplore notre sauveur. La raison ? L’absence de formation. CQFD ! La boucle est bouclée… Et son public de parlementaires qui le félicite, le complimente, l’applaudit, reprenant à qui mieux mieux des exemples isolés qui démontrent la faillite de la protection de l’enfance.

L’action d’Edouard Durand a été lumineuse depuis 2021. Mais elle porte néanmoins ses zones d’ombre. Les professionnels de la protection de l’enfance seront enchantés d’apprendre qu’ils n’ont rien vu et s’ils ont vu, ils n’ont rien fait. D’ailleurs ils ne connaissaient rien à la maltraitance des enfants. Heureusement un juge des enfants est apparu pour leur apporter la lumière. Si l’on applique scrupuleusement son guide, en faisant sienne sa « doctrine », en suivant la voie qu’il a courageusement ouverte, tout ira enfin mieux dans le meilleur des mondes. La prévention fonctionnera avec efficacité, la protection interviendra en temps et en heure, la réparation portera ses fruits. Le nombre d’enfants violés diminuera d’année en année. Et l’on pourra ériger une statue avec tout l’argent économisé, en l’honneur de notre sauveur. Amen !