Pourquoi le danger attire les adolescent(e)s ?
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dans Billets d'humeur
Régulièrement, les médias rapportent le décès d’un enfant victime du « jeu de la mort ». J’y avais consacré un dossier dans le Journal de l’animation en 2012 : Les jeux avec la mort
Au-delà de ces dramatiques faits divers qui ne peuvent que bouleverser et révolter, il est possible de tenter de comprendre les mécanismes qui entrainent certain(e)s adolescent(e)s à se confronter à des pratiques à risque, en semblant ne pas tenir compte des mises en garde.
La première interprétation possible renvoie à cette période si particulière de l’existence qu’est l’adolescence. Cet entre-deux qui sépare l’enfance et l’âge adulte est vécu le plus souvent d’une manière ambivalente. La quête est double et cumulative.
La première recherche consiste à démontrer tant à soi-même qu’aux autres que l’on n’est plus un enfant, tout en voulant profiter des avantages de ce statut : insouciance, droit à l’erreur, ne pas prendre tout au sérieux.
La seconde propension est bien de démontrer tant à soi-même qu’aux autres qu’on est devenu grand, sans se voir imposer pour autant toutes les conséquences de l’accès à l’âge adulte : responsabilité totale de ses actes, exigence de comportement mature, pleine indépendance dans la conduite de sa vie.
Voilà une ambigüité difficile à assumer, un paradoxe complexe à résoudre et une contradiction ardue à gérer.
Chaque adolescent(e) se débrouille comme il (elle) le peut, pour y parvenir, en dialoguant avec les adultes qui l’entourent ou en s’opposant à eux ; en adoptant successivement ou concomitamment des postures d’autonomisation puis des demandes de protection ; en jouant sur plusieurs tableaux à la fois, pour bénéficier des avantages tant de l’enfance qui disparaît progressivement que de ceux de l’âge adulte qui s’annonce.
L’une des attentes principales de ce moment potentiellement confus est donc de (se) prouver que l’on n’est plus un enfant. Et quelle meilleure preuve que de (se) montrer capable de résister à la douleur et de ne pas craindre la mort, toutes choses qui sont censées distinguer l’enfance de l’âge adulte ? Quoi de mieux, dès lors, que ces « petits jeux cons » qui vous mettent en danger, qui testent votre courage, qui vérifient votre endurance ? « Même pas mal ! » : ce cri du cœur est alors lancé comme un cri de victoire.
Si l’on retient cette explication, alors les discours mettant en garde contre le danger encouru pourraient bien être considérés comme contre productifs, car incitatifs pour un jeune voulant se mesurer à l’aune de sa vaillance et de sa bravoure. Le confronter à de vrais risques, à des épreuves et à des défis tout en veillant à la sécurité pourrait bien apparaître alors comme plus pertinent.
Une autre explication tient dans cette évolution du système cortical qui se finalise tardivement. Sa croissance du cerveau va de l’arrière du crâne vers la partie frontale, là justement où se situe le siège de la conscience permettant de se représenter la relation entre la cause et ses effets. Un(e) adolescent(e) ne mesure pas toujours les conséquences des actes qu’il (elle) commet. Même si l’adulte la met en garde et répète sans cesse ce qu’il peut advenir, cela ne fait pas forcément sens. Le câblage final des synapses lui permettant de comprendre les effets délétères potentiels des comportements à risque adoptés ne sera vraiment achevé qu’entre 16 et 20 ans, selon les individus. S’il est donc important de ne jamais cesser de donner des explications, il ne suffit pas de les formuler pour qu’elles soient assimilées. Les adolescents sont dans une situation de vulnérabilité dont il faut les protéger … contre eux-mêmes, parfois.
Enfin, il y a ce mécanisme qui n’est pas spécifique à l’enfance ni à l’adolescence, mais qui est commun aussi aux adultes que nous sommes. C’est ce réflexe de protection consistant à mettre à distance le danger, pour se protéger de sa dimension anxiogène. En se persuadant que cela ne peut arriver qu’aux autres et que l’on est soi-même suffisamment attentif et vigilant pour y échapper, on se surestime, mais dans le même temps, on cultive son estime de soi.
Toutes ces explications possibles ne réconforteront jamais face à la perte d’un être cher qui avait toute sa vie devant lui. Mais tenter de décoder, c’est aussi contribuer à déculpabiliser des adultes persuadés qu’ils n’en ont pas fait assez, même si leur consolation est ailleurs.