A défaut de provoquer l'hostilité du monde des banques et du capitalisme financier qu'il ne cesse de faire fructifier, ce gouvernement aura fait réagir, depuis trois ans, les milieux les plus réactionnaires sur des réformes de société. Après le mariage pour tous et l'égalité entre filles et garçons qui déclenchèrent l'hystérie collective des milieux intégristes, voilà les cris d'orfraie, face au projet de réforme des collèges. Nous ne rentrerons pas ici, dans le débat : vaut-il mieux faire pratiquer deux langues à 16 % des élèves, dès la sixième ou deux langues dès la cinquième par tous ? Est-il légitime de supprimer les classes européennes, bilangues ou de latinistes prisées par les milieux favorisés qui y inscrivent leur progéniture, pour leur permettre de se retrouver entre bons élèves ? Est-il judicieux d'étendre aux autres années les temps d'accompagnement personnalisé, jusque là limités à la seule sixième ? Intox, instrumentalisation politique, amalgames, la confusion bat son plein, l'imprécation et l'idéologie l'emportant sur la sérénité du débat. Retenons la prise de position tout à fait symbolique de Finkielkraut contre « la baisse continuelle du niveau d'exigence » d'une école qui devrait non pas combattre les inégalités, mais « assurer l'égalité des chances pour donner à chacun sa juste place, selon ses aptitudes et ses mérites ». Nous sommes bien là au coeur du problème : l'école n'a, effectivement, jamais été conçue pour réduire le fossé entre les classes sociales, mais pour le reproduire. Elle organise la sélection des élèves, en privilégiant ceux qui disposent du capital financier et culturel nécessaire pour réussir. La prétendue méritocratie républicaine n'est qu'une vaste hypocrisie qui favorise, en fait, les enfants des couches sociales aisées au détriment de ceux issus des milieux populaires. Il est donc logique d'assister à la levée de bouclier de la part de l'élite, contre la moindre réforme qui viendrait menacer ses privilèges.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1165 ■ 11/06/2015