De rouille et d’os
Seuls 15 % des handicaps sont acquis à la naissance ou pendant l’enfance. Cela signifie que 85% d’entre eux sont liés à un accident de la vie. C’est ce qui arrive à Stéphanie, l’héroïne du dernier film de Jacques Audiart. Se réveiller sur un lit d’hôpital, avec les deux jambes sectionnées au dessous des genoux, peut arriver à tout le monde, même s’il n’est pas très fréquent de se les faire briser par un orque. Comme il n’est pas forcément plus courant de croiser un personnage comme Ali, sauf quand on est travailleur social. Cet adulte désaffectivé est quand même un peu brut de pomme : il a oublié que l’on pouvait avoir des sentiments. Il se montre tout aussi inapproprié, en tant que père, face à son fils de cinq ans. Là, où le commun des mortels semble réagir avec aversion face à une femme estropiée, lui n’y voit qu’une meuf de plus à baiser. Ce quiproquo et cette confrontation improbable vont provoquer deux renaissances : celle d’une jeune femme meurtrie dans son corps qui s’ouvre à nouveau à la vie et celle d’un grand adolescent brisé par une existence sans doute chaotique qui va découvrir le charme et les tourments des émotions. Que ce soit pour sa peinture sociale digne des frères Dardenne ou son regard décalé sur le handicap, voilà un film à voir. Ça dérange, ça bouscule. C’est admirablement bien joué. On plonge dans la complexité de l’âme humaine et son extrême ambivalence. Et puis, après l’avoir vu, on ne regardera plus jamais ses jambes comme avant !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1071 ■ 19/07/2012