Sortant d’une cage d’escalier, l’éducateur se fait interpeller par trois jeunes à bord d’une voiture « vous êtes allés voir Samir ? ». Le professionnel leur répond qu’ils n’ont qu’à demander à l’intéressé. Se rapprochant du véhicule, il leur tend la main, pour les saluer. Les jeunes remontent aussitôt leur vitre. A peine a-t-il tourné les talons, que le groupe l’interpelle à nouveau : « vous travaillez pour l’État ? ». Confirmant son statut de fonctionnaire, il est assailli de propos insultants à l’égard d’une entité que le groupe affirme vouloir sodomiser. Il se rapproche à nouveau, tentant d’établir le dialogue : « on n’a rien contre vous m’sieur, mais vous faites partie de la pire des races, celle des éducateurs ». Le groupe éclate de rire, ravi d’avoir ainsi apostrophé l’un de ses pires ennemis. « On n’est pas Charlie », provoque l’un. « Balance ! », accuse l’autre. « Peut-être que vous me haïssez, mais moi je vous trouve très sympathiques » réplique l’adulte, déstabilisant quelque peu le groupe qui s’attendait à une réplique bien plus agressive. Profitant de son avantage, le travailleur social continue, en affirmant qu’il comprend leur haine. Mauvaise pioche : un des ados lui répond : « vous ne pouvez comprendre, car vous n’êtes pas à notre place ». « Tu as raison, il aurait mieux valu que je dise que j’accepte votre haine ». Le discours dévie très vite sur la juge des enfants copieusement insultée, l’éducateur étant missionné pour transmettre le chapelet d’injures sexualisées à l’intéressée, ce qu’il refuse. Quand le groupe l’interroge sur sa femme ou sa fille, le professionnel comprend très vite que la gente féminine de sa famille va être aussi l’objet d’offenses qui devraient provoquer son ire, pour respecter les codes de virilité patriarcale. Il rompt alors l’affrontement et se retire, non sans avoir salué courtoisement le groupe, se promettant de se montrer tout aussi civilisé s’il devait recroiser à nouveau ces jeunes, lors de son prochain passage.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1172 ■ 29/10/2015