Faire tout seul

A bientôt 18 ans, Victor vit en appartement autonome financé par les services sociaux. Il goutte peu l’exigence d’un suivi régulier. Pour bien montrer son irritation, il manque délibérément deux rendez-vous. Il reçoit un courrier lui rappelant sa minorité et l’obligation d’assiduité de rencontres qui ne sont pas facultatives. Son éducateur, mesurant qu’un accompagnement intensif n’est plus nécessaire, décide de lui « lâcher un peu les baskets ». Le résultat ne se fait pas attendre. Un échange téléphonique avec un proche de Victor lui apprend que l’adolescent se sent abandonné. Quelques mois passent. Le lycée prévient de l’absence de Victor. Celui-ci ne répond pas au téléphone. Inquiet, son éducateur finit par téléphoner à la mère de la petite copine, pour vérifier qu’il n’est rien arrivé de grave. Quand Victor réapparaît, l’échange est houleux. L’éducateur explique la responsabilité du service, l’adolescent affirmant son refus d’une telle intrusion dans sa vie privée. Un accord est trouvé : une fois majeur, son éducateur ne s’autorisera plus à téléphoner à ses proches. Un mois après sa majorité, Victor surgit dans le bureau de son éducateur, le sourire aux lèvres : « je voulais vous prévenir, j’ai perdu mon téléphone depuis deux jours. Je suis sûr que vous avez téléphoné partout pour prendre de mes nouvelles ». Respectueux de son engagement, l’éducateur n’en a rien fait. Légère déception perceptible sur le visage de Victor qui reprend vite sa contenance. Occupe-toi de moi et fiche-moi la paix ! Montre-moi que je compte pour toi, mais laisse-moi ! Intéresse-toi à moi et occupe-toi de tes affaires ! Décidément, qu’il s’adresse à un parent ou à une figure de suppléance, un adolescent est dans une quête à la fois d’autonomisation et de sécurisation des liens, de rupture et de continuité, d’éloignement et de proximité. Et, face à une telle ambivalence, l’adulte ignore quelle attitude adopter. Alors, il fait comme il sent … ou comme il peut !

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1138 ■ 03/04/2014