Patrice avait déjà accroché à son tableau de bord quatorze conseils de discipline. Il s’en est offert un quinzième. Quand on aime, on ne compte pas ! Son éducateur avait contacté son vieux complice de l’inspection académique s’occupant de la réaffectation des élèves exclus. Après plus de 25 ans d’étroite collaboration, ils étaient devenus un peu intimes. Ils n’avaient jamais comptabilisé le nombre de situations traitées ensemble. Ils auraient peut-être du : une inscription au Guiness des records, ça aurait été sympa. Enfin bref, cette fois-ci, montre en main, Patrice avait tenu un mois dans son nouvel établissement. Il faut dire qu’il avait fait très fort. Entré en classe avec ses écouteurs sur les oreilles, son enseignante avait eu l’outrecuidance de lui demander de les enlever. Beau joueur, l’adolescent avait concédé la possibilité de baisser sa musique « pour ne pas gêner les autres ». Insensible à cet effort démontrant pourtant le sens aigu du compromis de son élève, la prof avait réitéré sa demande. Patrice, qui considérait en avoir déjà fait beaucoup, avait ignoré la requête. Exclu de la salle de cours, il était passé devant l’impudente en lui faisant un doigt d’honneur bien mérité ! Les efforts de son éducateur pour lui faire prendre conscience de l’inadéquation de son comportement étaient restés vains. Patrice ouvrait des yeux ronds, finissant par concéder pour lui faire plaisir qu’il n’aurait pas dû agir ainsi. Mais, enfin, il ne faisait rien de mal, il n’embêtait personne, avait-il aussitôt rajouté. La prof n’avait qu’à pas venir le chercher. Au fond de lui-même, l’idée qu’il puisse être en tort ne l’effleurait pas le moins du monde. Face au conseil de discipline, l’adolescent se demandait encore ce qu’il faisait là. Sans surprise, l’exclusion fut votée à l’unanimité. Et l’inspection académique réaffecta Patrice dans un nouveau collège. « En route pour le seizième conseil de discipline », commenta l’éducateur un peu désabusé.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1256 ■ 02/09/2019