Ecrire…

Depuis la disparition de Lien Social, nous sommes nombreuses et nombreux à nous sentir orphelins. Les belles plumes qui alimentaient les billets tant de sa version papier que de son site ne devaient pas disparaître. Si rien ne remplacera jamais ce journal écrit par des travailleurs sociaux, retrouvez quelques un(e)s de ses chroniqueurs et chroniqueuses, chaque jeudi, dans la rubrique « carte blanche à …» ».

Ecrire…

J’ai l’impression qu’il ne se passe pas une journée sans que nous ayons à constater de nouvelles déflagrations, de nouvelles mesures antisociales. Un fait est égal à une loi sans qu’aucune position méta ne soit élaborée dans un monde médiatico-émotionnel sur fond de populisme et de course au pouvoir. Il m’est demandé d’écrire sans que je ne sache aujourd’hui sur quel sujet m’épancher. Pourtant, il y en a des choses à dire, et l’écriture reste un moyen, si ce n’est encore un moyen privilégié de s’exprimer, tant que la censure ne vienne à nous sanctionner.

Et si le sujet du jour était là ? Ecrire…

Ecrire est pour moi depuis longtemps un besoin et une nécessité. Ce sont les mots de Jean Cartry (1) qui me résonnent et qui décrivent le mieux le sens de l’écriture, quand il dit qu’: « écrire est la seule façon de partager et de transmettre pour ne pas que s’évapore le contenu réel et symbolique de la relation éducative, qui est aussi une relation de soin. Et puis, au soir d’une dure journée avec un groupe de mômes perturbés, après une « crise » avec tel ado agressif, écrire c’est chercher le refuge des mots. Écrire est un acte simple, humble et besogneux. Point n’est besoin, pour commencer, de style. C’est écrire qui donne le style en récompense. Certes, et si écrire était la marque, le signe d’un engagement, d’un risque : s’exposer, monter à l’assaut de la critique, témoigner pour une cause qui est toujours la cause d’autrui ».

Je pense que l’écrit, par ce qu’il procure, est finalement un espace de médiation entre soi et ses émotions, entre soi et les autres, un tiers bienvenu dans une mise au travail de la complexité de notre pensée.

En fait, écrire nous oblige à réfléchir. C'est un moyen de faire écho à notre pratique, de mettre en mots nos actions, nos émotions, nos affects. C'est, aussi, se donner un temps singulier pour parfois reprendre une position d'acteur, voire, d’auteur. C'est donc se retrouver en face d'une page parfois blanche, mais en tout cas face à soi, où l’on peut se poser. C'est favoriser un feed-back de nos émotions sur notre réflexion professionnelle.

Si « point n’est besoin pour commencer de style », penser un écrit est finalement rendre compte de la réalité complexe de nos métiers dans lequel nous nous situons. Et puis, c'est un partage, comme un bon plat. D'abord avec soi, seul, pour se dire à soi ce que l’on a envie de dire aux autres. Puis, c'est si l’envie nous en prend, de partager nos mots, notre vision, nos réflexions. Si écrire permet de déposer ses émotions, des fois même notre intimité, de se mettre à nu, il aide en tout cas à repérer les freins, les forces et formalise une pensée en structurant un processus d'élaboration. Cela serait presque un processus pédagogique de transformation des idées en des argumentaires, eux-mêmes transformés en un discours. Écrire est donc une formidable manière de communiquer en marquant aussi dans le temps un événement, dans une durée. Il donne du sens. En termes de signification et de direction, tout en permettant une prise de distance. Parfois vitale avec notre quotidien. C'est une trace qui engage. C’est une responsabilité.

Écrire permet finalement, une tiercéisation par une fonction médiatrice, souvent cathartique.

Dans le contexte actuel moribond du travail social, continuons d’écrire notre pratique, notre clinique du quotidien.

 

Écrivons. Écrivez. A vos plumes !

 

  • Cartry J., lignes d’horizon, Lien social n°1048, 2012.