La Jupe du mardi

Nos billettistes ont bien mérité leurs vacances de cet été. Ils reviendront en pleine forme, début septembre. Dans cette attente, voilà un billet des « tribulations d’une assistante sociale de rue »  déjà publié sur le site de Lien Social

La Jupe du mardi (1)

Mes réflexions d’aujourd’hui portent sur la condition de la Jupe.

Pour vous mettre dans le contexte, il y a quatre ans, ma garde de robe se composait principalement de jupes, de collants et de leggings qui engloutissaient mes rares jeans. Quand j’ai postulé au poste d’assistante sociale de rue, j’ai tout de suite su que j’allais devoir modifier ma façon de m’habiller et que le confort de mes vêtements deviendrait primordial. Il est évident que la Jupe n’est absolument pas pratique, lorsque l’on s’assoit au sol pour discuter avec les personnes rencontrées, situation dans laquelle les collants peuvent également rapidement souffrir d’accrochages qui se terminent, invariablement, en filages. Ces raisons n’ont pourtant jamais été celles qui crispaient les discussions entre les membres de l’équipe.

Je me suis donc réhabituée à porter des pantalons. Pourtant, il était clair pour moi que la Jupe serait réintroduite progressivement. Ce qui a été fait et ce qui a soulevé de nombreux débats. L’argument principal à l’abolition de la Jupe tenait – et persiste faiblement – sur le principe qu’elle sexualise celle qui la porte au regard de l’autre et favorise un transfert ou des comportements particuliers à son égard : propos déplacés, tentatives de séduction, voire violence quand elle ne répond pas à ce qui est fantasmé. Ici, je préciserai, que la Jupe n’est jamais sortie – et ne sort jamais – quand elle est de soirée en rue et qu’elle est exclusivement accompagnée de leggings ou collants opaques.

Une année a été nécessaire au public pour l’accepter, la découvrir et reconnaitre ses compétences, après avoir longuement testé/joué avec sa résistance, sa posture professionnelle, la cohérence de son discours et sa position au sein de l’équipe. Il a fallu une année de plus à une partie de ses collègues – qui se sentaient insécurisés lors du travail de rue par une féminité dévoilée par la Jupe et par ce qu’elle pouvait fantasmatiquement déclencher – pour être rassurés quant à l’auto-gestion de ce vêtement en particulier.

De mon côté, différentes questions me taraudaient et me taraudent encore : la Jupe signifierait-elle une dévalorisation de la femme, qui par son choix vestimentaire, ne se verrait pas respecter d’office ? La Jupe renverrait-elle automatiquement à la sexualisation prononcée de la personne qui la porte ? Pourquoi est-elle source d’insécurité pour celle qu’elle habille tout comme pour ses collègues ? Si aucun respect à la Jupe n’est possible, le sera-t-il à sa porteuse ? A l’inverse, obtenir le respect un jour de Jupe, ne signifiera-t-il pas que celui-ci est indubitablement gagné ? Enfin, pourquoi un simple vêtement peut-il, à la fois, revêtir représentations et préjugés tout comme dissimuler individualité, personnalité et caractère derrière un étroit tissu ? La Jupe rendrait-elle faible et sans défense ?

Alors, après deux années d’apprivoisement et d’adaptation, la Jupe s’impose régulièrement, surtout le mardi – journée de réunion hebdomadaire –, et se fout du qu’en dira-t-on !

(2) Oula, ne soyez pas effrayés, ce billet n’est pas une diatribe de type femen ou #metoo !