Porte close

Carte blanche à la Plume noire - Porte close

Rita fait le pied de grue devant la porte de la MDS (1). Il n’y a encore pas très longtemps, elle y avait accès. Parfois, elle y était même convoquée et obligée de s’y rendre. Mais là, la porte est fermée. Rita n’a plus le droit de pénétrer dans le sanctuaire. Douze années de prise en charge en protection de l’enfance et puis d’un coup, plus rien. Douze années à écumer toutes sortes de dispositifs et aujourd’hui, à la rue.

Rita ne peut censément retourner vivre chez sa mère. Quant à son père, elle ne sait même pas où il habite. C’est à peine si elle sait qui il est. Avec sa mère, toutes les deux, elles n’y sont jamais arrivées. Elles ne se parlent pas, elles crient. Rita est en attente d’un amour qui ne s’est jamais manifesté, ou pour le moins assez maladroitement, et la mère n’a jamais cessé de se plaindre de l’attitude de sa fille qui depuis toute petite lui mène une vie d’enfer « c’est tout son père, celle-là ! »

Enquêtes sociales, AEMO(2), placements en MECS(3) et à domicile, suivis en CAMSP(4), en CMP(5) et en unité psychiatrique du pôle accueil adolescents de l’hôpital de secteur. Rita a passé les deux tiers de ses dix-huit années de vie à éprouver toutes sortes de prises en charge qui avaient au bout du compte comme visée commune de travailler à « restaurer un lien mère/fille pathogène », comme avait pu le stipuler en son temps et dans son jugement la juge des enfants. Mais Rita a toujours tout envoyé voler en éclats. Elle a mis tous ces dispositifs en échec. A moins que cela ne soit tous ces dispositifs qui l’aient amenée à échouer. C’est un angle de vue qui se défend, un point à envisager, et c’est peut-être ce que cherche à exprimer Rita devant la porte de la MDS avec ces « Bande de crevards ! », « Sales chiens ! », « J’vais vous niquer vos races maudites ! » lancés avec la rage du désespoir.

Douze années de prise en charge et Rita n’a pas réussi à décrocher le sésame, le fameux contrat jeune majeur qui assure la continuité de l’accompagnement jusqu’à 21 ans. Pour cela, il est nécessaire d’avoir un projet et, hormis celui de chercher à comprendre sa vie, Rita n’a jamais su s’inscrire dans un quelconque chemin balisé par des objectifs, des moyens et des critères d’évaluation. Au jour de ses 18 ans tout s’est arrêté.

« Ce n’est pas faute de l’avoir prévenue » argumente, terrée dans son bureau, la dernière des quatre référents ASE (6) qui se sont succédé auprès de la jeune fille.

Rita ne comprend pas. Depuis qu’elle est toute petite, tous les adultes lui ont martelé qu’ils étaient là pour l’aider. Où sont-ils aujourd’hui ?

Rita hurle, pleure, frappe avec ses poings, mais en vain. La protection de l’enfance reste de l’autre côté, silencieuse et terriblement murée. Soudain, la porte s’ouvre. Le vigil apparait. « Maintenant, vous partez ou je vais devoir appeler la police. »

 

 

(1) Maison Départementale de la Solidarité

(2) Assistance Educative en Milieu Ouvert

(3) Maison d’Enfants à Caractère Social

(4) Centre d’Action Médico-Sociale Précoce

(5) Centre Médico Psychologique

(6) Aide sociale à l’enfance