Accueillir et soigner les enfants sans les maltraiter

La maltraitance dont les enfants sont victimes ne se limite pas seulement à de mauvais traitements physiques ou sexuels. Elle inclut aussi le non-respect de ses conditions d’existence et de ses rythmes d’acquisition et de progression ainsi que des exigences disproportionnées pour son âge. Au cours des années, les besoins nécessaires à son développement et son épanouissement ont été perçus avec de plus en plus de finesse et de subtilité. D’où une réflexion approfondie sur les conditions qui peuvent s’opposer à sa santé et à sa sécurité. C’est par ce rappel que Michel Manciaux a ouvert la journée d’étude proposée par Centre International de l’Enfance et de la Famille (1) sur les maltraitances institutionnelles le 15 décembre dernier.

Pour Patrick Ayoun, pédo-psychiatre à Bordeaux, la maltraitance n’existe pas au niveau institutionnel car elle est avant tout inscrite au fond de chaque être humain. Tout un chacun est confronté en permanence à la tentation d’assouvir ses passions en soumettant l’autre au sort de victime passive ou en adoptant à son égard un rôle d’observateur complice et cela tout en respectant une attitude socialement adaptée. Cela n’a pas empêché les institutions de s’interroger depuis quelques années sur leurs pratiques. Au premier plan on trouve les soignants.

 

Du côté du médical

Annie Gauvain-Picquart est venue expliquer la culture qui imprègne les milieux médicaux. L’école  de Liverpool, célèbre dans toute l’Europe pour ses travaux théoriques sur les techniques anesthésiques, prétendra ainsi longtemps que le bébé est insensible à la douleur. Elle préconisait donc, au moins pendant ses neuf premiers mois,  de ne pas l’insensibiliser lors des opérations mais simplement de le paralyser pour pouvoir mieux agir. A ce jour, aucun écrit n’est venu contredire ces affirmations, même si les pratiques ont quelque peu évolué. Mais il n’existe sur le marché toujours aucun produit intermédiaire entre le paracétamol et la morphine pour  adapter la réponse face au degré de la douleur qui se manifeste. On peut même considérer le déni face à ces manifestations comme l’un des paradigmes de base de professions qui, si elles se font un point d’honneur de sauver des vies, ne s’embarrassent pas vraiment de la qualité de celles-ci. La notion de douleur et les modalités pour y répondre émargent sur le programme de formation des médecins pour quelques heures seulement sur sept longues années d’étude. Pourtant le milieu ne reste pas inerte et sait se mobiliser, à l’image de ce groupe de travail formé au sein du service de pédiatrie néonatale de l’hôpital de Clamard qui a cherché non seulement à repérer les situations de souffrance mais aussi celles d’inconfort vécu par les nourrissons afin d’éviter ces douleurs aiguës des premiers temps de la vie dont les nombreuses recherches montrent qu’elles ne sont pas sans conséquences sur l’adulte en devenir.

Jean-Pierre Visier, psychiatre de son état, s’interrogera quant à lui sur l’action des thérapeutes qui, trop souvent s’engluent dans l’idéologie, sans jamais accepter de confronter son expérience avec celles des autres. Cela implique partager le savoir et ne pas se croire l’unique détenteur de la vérité… et de sortir de la paranoïa endémique qui met en concurrence des intervenants qui devraient tout au contraire travailler à un nécessaire partenariat. Il remettra aussi en cause les concepts de neutralité et d’“ attente de la demande ” comme autant de refus d’aide à personne en danger. Et de plaider pour l’empathie qui ne doit pas être confondu avec la connivence, mais néanmoins contribuer à aider notablement le patient.

 

Du côté du secteur éducatif

Myriam David a témoigné de ses presque cinquante années de combat mené en matière de placement familial afin que le remède ne soit pas pire que le mal. L’objectif a-t-elle rappelé doit rester de garantir à l’enfant, l’équilibre et l’épanouissement qui lui ont tant fait défaut et non pas de remplacer un dysfonctionnement par un autre. C’est que la nature du problème et ses solutions sont apparues bien plus complexes qu’on ne pouvait l’imaginer. Eloigner l’enfant du milieu pathologique familial dans lequel il baigne ne suffit pas. On assiste en fait à une interaction des troubles précoces tant de la parentalité que du bébé. Aussi faut-il intervenir simultanément dans de multiples domaines sans en privilégier aucun : indication et préparation de la séparation, soins directs apportés à l’enfant, soin du lien avec ses soignants et ses parents, soin de la dysparentalité, articulation entre les différents intervenants. Ce dernier aspect intervient d’une manière non négligeable dans la maltraitance indirecte produite par le système de protection de l’enfance. Chaque professionnel est formé dans une logique basée sur la pensée unique expliquera longuement Marceline Gabel. L’initiation et la préparation à la multidisciplinarité ne font guère partie des programmes de formation initiale (ou continue d’ailleurs). Dès lors, ce qui domine, c’est bien la confusion : la justice exerce un rôle médiateur, l’action socio-éducative se situe dans le contrôle, la police et la gendarmerie se voient confier la tâche d’évaluer la souffrance des enfants signalés. L’intervenant auprès de l’enfance en souffrance se trouve en outre confronté à ses propres représentations parentales. S’il en projette une image idéalisée, il sera dans le déni de la maltraitance qui lui crève les yeux. Si le symptôme dont il est témoin réactive en lui un fort besoin de réparation, il risque alors de tomber dans la toute-puissance. Ces réactions peuvent entraîner une suractivité mais aussi une perte d’estime de soi. L’intervenant fragilisé, se retourne alors contre la famille, contre l’enfant, contre ses collègues ou sa hiérarchie. C’est là le signe d’un transfert du dysfonctionnement qui du milieu familial transite vers l’institution. C’est à partir de telles situations que peuvent survenir certaines maltraitances institutionnelles. Paul Durning rappellera en quoi tout placement est intrinsèquement  violent par le fait-même qu’il impose une situation de séparation et de suppléance parentale. Mais, à cette réalité de départ toujours difficile à gérer vient se rajouter les conséquences liées chez les adultes chargés de la protection de l’enfance de facteurs tels l’impuissance (absence de modèles théoriques et praxéologiques), la peur (liée le plus souvent à un sentiment de persécution face aux parents, à l’institution ou à l’extérieur), sans oublier l’enfermement (qui provoque une perception disproportionnée des phénomènes internes).

 

A la recherche de la bien-traitance perdue

Le chemin de la maltraitance commence à être balisé. On perçoit de mieux en mieux ses tenants, ses aboutissants et surtout les freins et limites qui chez les professionnels chargés de son identification et de son traitement ont des effets paralysants.

Restent à définir les principes de la bien-traitance qui un jour pourront s’appliquer à tous les secteurs mettant en jeu l’enfant et le futur adulte qu’il représente. C’est dans cette voie que se propose de s’orienter le Centre International de l’Enfance et de la Famille, comme le dira en conclusion Frédéric Jesus. Cette première journée de séminaire ne doit pas rester sans lendemain. Elle n’est que le préalable d’un colloque de plus grande envergure ainsi que de la mise-au-point de modules de formation tant initiale que continue à disposition des professionnels en contact avec l’enfance. Ainsi, cette rencontre entre chercheurs et praticiens sera apparue comme les premières pierres d’un immense chantier visant à une véritable prise de conscience se concrétisant sur le terrain par une modification des mentalités et des pratiques.

 

Jacques Trémintin – Janvier 1998

 

(1)   C.I.D.E.F. : Carrefour de Longchamp - Bois de Boulogne-75016 Paris Tél. : 01-44-30-20-00

 

 

Bibliographie

Quelques livres peuvent être utilement consultés en complément du colloque du CIDEF sur les maltraitances institutionnelles. Il y a le classique « Aimer mal, châtier bien » de Stanislas Tomkiewicz et Pascal Vivet paru au Seuil en 1991 ou les actes des deux colloques proposés  en 1995 par le CREAI Rhône-Alpes « Violences en institutions » & « Outils de prévention » coordonnés par Eliane Corbet (cf Journal du droit des Jeunes n°148).

Nous vous proposons la recension d’un ouvrage édité par Annie Gauvain-Picquart en collaboration avec Michel Meignier sur la question de la douleur et la présentation du dernier livre de Pierre Lassus paru en octobre 1997 et qui apparaît comme un pavé dans la marre des professionnels du secteur psycho-socio-éducatif.