CADCO - Le droit aux origines

Un agriculteur peut retrouver la descendance génétique d’un bovin sur plusieurs générations. En 1998, en France,  il n’en va pas de même pour certains citoyens qui se trouvent privés par la loi de leur histoire. “ Le droit aux origines ” est une revendication qui peut apparaître tout à fait élémentaire. Et pourtant, c’est encore l’un des derniers tabous de cette fin de XX ème siècle, même s’il commence sérieusement à d’effriter. La CADCO (1) organisait ce 4 février son premier colloque dans les lambris feutrés du Sénat. Le choix de cette noble enceinte n’était pas le fait du hasard à une période où il s’agit de peser sur le législateur. Hélas, le salon Clémenceau était trop petit pour accueillir toutes les inscriptions dont une centaine n’avait pu être honorée. Cette affluence inattendue n’est qu’un signe parmi d’autres de ce qui pourrait bien être un renversement de tendance. Les associations d’usagers dont la création s’est multiplié ces dernières années ont longtemps prêché dans le désert au point de se voir refuser toute audition par la commission de lois au moment du vote du texte Mattéi sur l’adoption en 1996. Changement de ton, aujourd’hui : leur combat pourrait bien porter leurs fruits.

 

La parole aux victimes

Cette rencontre du 4 février aura été tout d’abord l’occasion de témoignages émouvants de la part d’hommes et de femmes dont on a souvent voulu se faire le porte-parole au point parfois de la leur confisquer. C’est ce jeune-homme de 28 ans, adopté à l’âge de 4 mois qui explique comment sa famille adoptive lui a apporté tout ce qui était possible sauf une chose : la connaissance de ses origines. Il a décrit avec pudeur et sensibilité la recherche de sa mère biologique. Scénariste de métier, il connaît bien les règles de sa profession : “ quand on crée un secret au début d’une histoire, il faut le révéler à la fin, sinon les personnages n’ont plus de sens ”. Puis, c’est au tour d’une mère qui a accouché “ sous x ” il y a de cela 11 ans. Son souhait était alors de donner à sa fille des parents qui la rendraient heureuse, elle qui avait peur de ne pas y arriver. Pour autant, elle n’avait pas vraiment réalisé à l’époque que son acte signifiait ne plus pouvoir jamais revoir son enfant. C’est encore le témoignage de cette maman adoptante qui a toujours expliqué leur histoire à ses enfants. Mais à chaque difficulté rencontrée avec eux, elle s’interroge en se demandant si ce n’est pas une forme prise par le malaise du vide de leur origine. Et l’on pourrait multiplier à l’envie ces cris de douleur et de révolte de celles et de ceux qui ont l’impression d’être traités comme des citoyens de seconde zone. Jusqu’à cet homme abandonné en bas âge et qui, à 50 ans passés, se demande s’il est normal parce qu’il n’a jamais ressenti le besoin de chercher ses racines … sauf, comme lui fera remarquer un autre participant au colloque, à avoir passé sa vie à s’engager dans des associations qui permettent aux autres de retrouver les leurs !

 

Pourquoi cherche-t-on ses origines ?

Geneviève Delaisi de Parceval a tenté de répondre à une question essentielle : est-il important de savoir d’où l’on vient ?  S’il n’a jamais été question de contraindre quiconque à retrouver ses ascendants, au nom de quoi l’interdit-on à ceux qui en expriment le désir ? Certains psychanalystes s’enferrent à démontrer que les origines narcissiques seraient bien plus importantes que les origines biologiques. Pourtant, le concept de base de la théorie freudienne ne démontre-t-il pas  la force destructrice du secret en matière de généalogie ? C’est bien, en effet, à cause de l’anonymat de sa filiation qu’Œdipe tuera son père et épousera sa mère ! Non, aucune théorie ne peut justifier cette violence faite à l’enfant d’avoir à choisir entre deux loyautés : celle à l’égard de ses parents biologiques et celle envers sa famille d’adoption. Il est temps de revendiquer haut et fort le droit au cumul et à la filiation additionnelle : oui, l’enfant peut créditer son père de l’avoir engendré et sa mère de l’avoir porté 9 mois sans remettre en cause l’affection du couple qui l’a élevé. Oui, l’enfant peut être reconnaissant à ceux qui l’ont aimé et l’ont fait grandir dans le quotidien de leur affection sans se sentir tenu de rejeter ses géniteurs.

Martine Duboc, psychologue au Conseil général de seine Maritime reçoit chaque année des dizaines de personnes venant consulter leur dossier administratif (voir encadré). Que ce soit un enfant ou un vieillard, les questions sont souvent récurrentes : comment étaient mes parents ? Quel caractère avaient-ils ? Et surtout, pourquoi m’ont-ils abandonné ? C’est l’impensable du manque de désir de la mère qui abandonne, du doute quant au fait d’être digne d’être aimé quand on a été délaissé une première fois. Au point parfois de mettre à l’épreuve les parents adoptifs dont on peut craindre un nouveau rejet, en étant cette fois-ci à l’initiative de la rupture. Seuls ceux qui pourront montrer qu’ils tiendront le coup malgré toutes les épreuves pourront alors sauver l’adoption. Un travail de deuil s’avère nécessaire à l’égard de ce traumatisme initial. Mais comment le réaliser face à ce qui n’existe pas ? Cette quête des origines est à relier avec l’assurance que son histoire a un sens avec un passé, un présent et un avenir et aussi au sentiment continu d’exister.

 

L’état du droit sur la question

Quels sont donc au juste les obstacles qu’oppose notre législation à la recherche de ses racines ?

Claire Neirinck, professeur de droit à l’université de Toulouse a fait le point sur ce sujet. Les controverses que son intervention a provoquées avec les juristes présents dans la salle ont montré toute la complexité de la question. Quatre situations peuvent amener à une rupture de la filiation et à ce que la loi de 1966 sur l’adoption a conçu comme une “ seconde naissance ”. Il y a d’abord le cas des enfants trouvés. Ils sont rares mais existent néanmoins. Il y a ensuite les parents qui signent une déclaration d’abandon, donnant ainsi leur accord en vue d’une adoption. Il y a encore la déclaration judiciaire d’abandon (article 350 du Code Civil) prise par un juge suite au délaissement manifeste de la part des géniteurs. Une place à part doit être réservée enfin à la possibilité d’accouchement dit “ sous x ”. Rappelons de quoi il s’agit : toute femme enceinte peut entrer dans un service d’obstétrique en restant anonyme. La naissance n’est pas alors constitutive d’un lien juridique. Si elle décide de revenir sur son anonymat, elle ne pourra se prévaloir de son accouchement puisqu’elle est réputée n’avoir jamais été présente (elle devra alors réunir d’autres preuves). Dans ces conditions, n’existant pas légalement en tant que mère, elle ne peut consentir à l’adoption. Cette option extrêmement violente est  non seulement très médiatisée mais elle est souvent la seule proposée. Il existe une autre solution qui garantit tout autant l’anonymat : celle qui consiste à demander à bénéficier du secret de l’identité. L’administration est tenue de respecter cette confidentialité sous peine de 2 ans d’emprisonnement et d’une forte amende pour qui la violerait. Mais, dans cette situation, non seulement les parents ont deux mois pour se rétracter, mais la loi de 1996 leur permet de lever à tout moment le secret de leur identité que l’enfant pourra venir consulter dans le dossier en compagnie de ses parents tant qu’il est mineur ou tout seul dès sa majorité.

 

Le dernier des Mohicans

En 1990, la France a ratifié la convention Internationale des droits de l’Enfant. Ce traité stipule dans son article 7-1 le droit indéfectible de l’enfant à vivre avec ses parents. Dans la mesure du possible rajoute le traité. Il n’en fallait pas plus pour que la jurisprudence hexagonale justifie son refus de mettre son droit positif en conformité avec ses engagements internationaux. Un autre texte a permis de faire évoluer la législation en Europe sans arriver toutefois à faire bouger celle de notre pays : c’est la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui précise dans son article 8 le respect de la vie privée. Pascale Boucaud, experte au Conseil de l’Europe  rapportera les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a condamné un certain nombre de pays dont les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume Uni et … la France pour violation de ce droit. Plusieurs Etats ont été amenés ces dernières années à modifier leur législation au vu de cette liberté fondamentale à connaître ses origines. La Grèce permet ainsi depuis peu la communication entre parents biologiques et enfants adoptés sauf décision contraire de la justice. Au Portugal, la loi transformée récemment elle aussi, dénie à la mère la possibilité de refuser sa maternité (du type accouchement sous x) ou la filiation (secret des origines). En Suède, le secret est possible, mais peut être levé à la demande de l’enfant devenu majeur, sur décision de justice. Seules la France et la Norvège restent campées sur des positions de plus en plus contestées. Il est temps de la faire évoluer. Déjà, la pratique introduite par la loi de 1996, consistant à proposer à la mère de laisser des informations non-identifiantes marque bien la prise de conscience de l’inhumanité de ce grand vide imposé à l’enfant. Mais cela ne résout rien : savoir quelle couleur ont les yeux ou les cheveux de sa mère ne fait que rajouter à la frustration sans calmer le tourment de celle ou de celui qui reste avec l’angoisse d’être “ né de personne ”.

 

Vers une réforme de la législation

Jean-Pierre Rosenczveig rappellera que notre pays a connu depuis 10 ans des réformes essentielles en matière de droit familial. En 1987, la loi Malhuret rétablit un meilleur équilibre entre les parents non-mariés dans la co-responsabilité parentale. En 1993, le législateur a inversé les pratiques judiciaires : le partage de l’autorité parentale passe lors de la séparation du couple de l’exception à la règle et son attribution exclusive à l’un des parents de la règle à l’exception. Malgré cela notre droit est encore très “ adulto-centrique ”. Il y a en fait que très peu de temps que l’on commence à prendre en compte l’intérêt de l’enfant. Et encore, si tout citoyen dispose du droit d’être entendu dans toute affaire le concernant, l’enfant lui ne dispose de la possibilité que de demander à être entendu, le juge pouvant en tout arbitraire et sans avoir à se justifier, refuser cette audition. L’orateur a appelé à  poursuivre les progrès réalisés, en garantissant à tout être humain la double filiation à l’égard de son père et de sa mère. Ce n’est pas le sentiment des parents qui doit l’emporter mais le fait que l’enfant est né d’un homme et d’une femme. Une telle revendication remet en cause directement l’accouchement sous x et le secret de l’état civil. Il ne faut pas confondre le dispositif juridique et ses modalités d’application. La révélation peut être accompagnée au niveau social ou psychologique. Elle peut faire intervenir un médiateur. Mais il reste essentiel de sortir de l’opposition entre biologique et l’affectif et de permettre à l’enfant de maintenir les liens avec qui il souhaite. C’est là d’ailleurs ce que réclame la CADCO (1) : que toute mère qui ne peut garder son enfant puisse le confier en vue de son adoption mais sans le priver de son identité, et que les adoptants se voient garantir la sécurité des liens qu’ils établissent avec l’enfant sans le priver de la connaissance de son histoire.

 

Enfin, le droit aux origines !

L’exigence de connaître ses origines est-elle si menaçante qu’on ait refusé d’en parler pendant des années ? Faut-il y voir -comme l’a fait remarquer Pierre Verdier il y a de cela quelques temps déjà- la volonté de certains hommes de se protéger des conséquences de leurs liaisons extraconjugales ? Cette revendication, qui semble si légitime, peut juste être l’occasion pour des citoyens de crier leur révolte et leur indignation de voir leurs droits élémentaires ainsi bafoués. Et comment ne pas les comprendre ? Plus que jamais, la situation semble mûre pour une évolution des mentalités et des procédures. Même si un changement de loi ne permettra pas de résoudre la situation des milliers de citoyens dont les dossiers administratifs sont vides ou ont disparu, il serait temps qu’une ère nouvelle commence : celle où plus jamais un être humain ne pourra vivre dans une société qui aura permis, couvert et organisé la destruction de sa filiation.

 

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°436  ■ 02/04/1998

 

 

(1) La CADCO (Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines) regroupe les personnes directement concernées (enfants abandonnés, adultes nés de Procréation Médicalement Assistée, adoptants, mères qui ont accouché sous x), les professionnels et les associations de défense et d’entraide autour d’une charte qui exige le respect du droit de toute personne à connaître son histoire et revendique l’abrogation de la possibilité d’accoucher sous x  et de demander le secret de son identité. Adresse : 23 rue Camille Desmoulins 75011 Paris – Tel/fax : 01.47. 64.56.67

 

La communication du dossier administratif et la CADA
La loi du 1er Juillet 1978 prévoit que tout document en possession de l’administration peut être communiqué. Seules exceptions, celles relatives à l’intérêt général (défense nationale, délibération du conseil des ministres, …), à la protection de la propriété industrielle ou encore au secret de la vie privée. Cette consultation peut se faire sur place gratuitement ou sous forme de photocopies délivrées aux frais du demandeur. Toutefois, tout document comportant des informations sur plusieurs personnes à la fois, devra être occulté de ce qui ne concerne pas l’intéressé. Une commission a été créée pour veiller à l’application de cette loi : c’est la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (1). Elle peut être saisie pour conseil tant par les administrations que par les particuliers. La CADA étudie chaque demande et donne une position de droit. La bonne foi est présumée de part et d’autre. Mais elle n’a aucun pouvoir de contrainte. C’est toutefois le passage obligé à toute saisine du Tribunal Administratif. Dans 85% des cas, son avis est suivi. Les dossiers de pupilles sont directement visés par ces règles. L’accompagnement psychologique ou social lors de leur présentation est possible et recommandé, mais pas obligatoire. Le transfert des documents d’un département à un autre est possible pour éviter de longs déplacements à l’usager. Ne sont pas concernés par contre les dossiers médicaux (obligation de passer par un médecin), judiciaires ou les documents d’état civil.
(d’après l’exposé de Noëlle Chalmeton, ancienne secrétaire générale de la CADA)
(1)   C.A.D.A. : 64 rue de Varennes 75007 PARIS

 
Le parcours du combattant
Jean-Claude Rousvoal né en 1941 est pupille de l’Etat. Dès l’âge de 7 ans, il s’interroge sur l’identité de sa mère. Ce n’est qu’en 1992 qu’il apprend la possibilité de consulter son dossier. Il écrit donc à la DASS de Paris qui lui répond qu’elle est en pleine réorganisation. Nouveau courrier,  visite inopinée, communications téléphoniques multiples …il est finalement reçu en juin 1993. Les informations qu’il recueille lui permettent de retrouver sa mère  le 5 août, “ rencontre chaleureuse et inoubliable ”. Interrogée sur les circonstances de sa décision d’abandon celle-ci lui explique n’avoir jamais demandé le secret de son identité. C’est donc à l’initiative de l’administration que l’acte de naissance a été modifié faisant disparaître sa filiation. Nouveau courrier à la DASS, puis au procureur qui se déclare incompétent. Ce sera finalement  le TGI de Moulins qui rétablira sa filiation (à ses frais : 5200 F). Jean-Claude Rousvoal a décidé de créer une association pour faire profiter de son expérience d’autres personnes dans la même situation. En 1996, il a ainsi pu aider à la résolution de 13 dossiers et 12 en 1997. 
“  Droit à leur origine – Les pupilles de l’Etat ” : 17 rue du 8 Mai 1945 03400 Yzeure Tél. : 04.70.20.85.45