ANAS - Développer notre pouvoir d’agir

La sinistrose et la plainte des travailleurs sociaux n’ont rien, d’articiel. Il semble néanmoins nécessaire de ne pas s’y enfermer. Ce que proposait l’ANAS à Montpellier.

Deux créatures se sont penchées sur le berceau des journées nationales organisées par l’ANAS les 6 et 7 novembre dernier. La première, une sorcière de mauvaise augure, n’a eu de cesse que de rappeler les nuages sombres et menaçants qui se sont accumulés depuis quelques années sur les fractions les plus fragiles de la population et sur le travail social qui se tient à leur côté. La seconde, une fée bienfaisante, était là pour nous inviter à dépasser les épreuves et à ne pas céder au découragement, à redoubler de créativité dans nos pratiques et à renouveler et enrichir nos méthodologies.

 

Etat des lieux

L’unanimité s’est d’abord faite sur un constat peu encourageant.  Du côté de la société tout d’abord : persistance, voire aggravation de l’exclusion et crise financière. Du côté des bénéficiaires de l’action sociale, ensuite: des fractions de population de plus en plus marginalisées et fragilisées, des usagers perçus autrefois comme avant tout victimes, aujourd’hui stigmatisés comme premiers responsables de leur situation, des jeunes soupçonnés comme s’ils constituaient une nouvelle classe dangereuse ; l’ensemble de la population soumise à l’idéologie sécuritaire. Du côté de l’action sociale qui file un très mauvais coton, encore : réduction croissante des moyens, tentative de standardisation des pratiques, accroissement du contrôle des professionnels, gestion managériale et comptable de la souffrance, dispositifs institutionnels se cantonnant à l’organisation des flux et des files d’attente, multiplication des protocoles et des contraintes induisant une codification routinière. Du côté des travailleurs sociaux, enfin : accusés d’intervenir trop tôt ou trop tard comme dans les situations de protection de l’enfance, ou encore sommés de collaborer avec la police, parfois même interpellés, rigidité de plus en plus grande dans les modalités d’aide et d’accompagnement, lent mais régulier déclin de l’espace de liberté dont a longtemps disposé la profession, l’Etat et les élus locaux se montrant de plus en plus intrusifs jusque et y compris dans l’élaboration des méthodologies.

 

Relancer notre créativité

Mais ces journées ne voulaient s’inscrire ni dans la plainte, ni dans la victimisation. Elles montrèrent bien au contraire que le travail social est riche de son expertise et fort capable de fournir analyses et propositions, de se montrer innovant et créatif. Au niveau méthodologique tout d’abord, Yann Le Bossé, universitaire québécois appela à rejeter les hypothèses qui privilégient la seule responsabilité de la société et celles qui se focalisent sur le seul sujet, dans les mécanismes d’exclusion. Son projet ? Une véritable alliance passée entre l’usager qui est appelé à développer son pouvoir d’agir et le professionnel véritable passeur et authentique personne ressource. L’un et l’autre négocient leur expertise respective tant pour définir le problème et ses solutions que pour faire évoluer les modalités sociales, tant pour changer l’individu que pour réformer la société. Seconde piste permettant de nous renouveler : la posture professionnelle. Ce qui relie les travailleurs sociaux aux exclus, expliqua Jean Maisondieu, c’est la tentation de l’apitoiement des premiers et la fréquente honte des seconds. Dès lors, prendre soin des exclus passe d’abord et avant tout, par accepter de s’identifier à eux dans ce qu’ils peuvent avoir de différent, mais aussi de semblable à nous. C’est difficile de partager une même humanité avec des épaves. Et pourtant, l’exclusion commence justement non pas quand on rejette ce qui nous distingue de l’autre, mais quand on se défend de qui nous fait lui ressembler.

 

Utiliser les institutions

Troisième piste pour se ressourcer, l’utilisation des dispositifs existants. D’abord, en direction des usagers. Une législation récente, notamment celle concernant les étrangers ou la répression de la délinquance, a pu confiner les professionnels du travail social à un sentiment d’impuissance. Laurent Selles, juriste à l’IESTS de Nice, a démontré que si le droit pouvait imposer une limitation, allant jusqu’à heurter les convictions éthiques, il peut tout autant être source de protection. Jean Paul Nunez, délégué régional de la CIMADE ira dans le même sens nous encourageant à exceller dans un rôle d’expertise pour dénoncer les pratiques illégales d’une administration qui prend parfois bien ses aises avec la loi. Le droit ne doit être ni craint, ni suivi à la lettre. C’est un instrument qui peut être investi et parfois servir de moyen efficace, pour autant qu’on ose s’en saisir. Autre support institutionnel dont peuvent s’emparer les professionnels, mais cette fois-ci, pour eux-mêmes : le groupe d’analyse des pratiques. Pour Michel Boutenquoi, universitaire et psycho sociologue, l’inflation du nombre de ces groupes doit nous rendre vigilant. Ils ne peuvent avoir d’utilité qu’à condition de n’être confondus ni avec une supervision ou un groupe Balint (qui agissent sur le contre-transfert), ni avec un temps de formation ou un moyen de performance et d’efficience. Il ne s’agit ni de rejouer ce qui s’est vécu avant, ni de préparer ce qui va se mener après, encore moins donner la moindre solution ou définir les bonnes pratiques. C’est un lieu suspendu permettant d’élaborer autrement ce qu’on fait au quotidien, en interrogeant les présupposés, en identifiant les ressorts et en proposant une amorce d’élucidation du sens, dont chacun repart avec sa propre réflexion. Ces journées auront montré que s’il est légitime d’interpeller la société sur ses responsabilités, il ne faut pas pour autant fuir les nôtres et être aussi en capacité de se remettre en cause.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°906 ■ 20/11/2008