ANTHEA 2008 - Sanction et éducation

Doit-on punir les enfants ?

Le thème de l’ordre et de la discipline est de nouveau à la mode, tout comme celui de la tolérance zéro et de la répression. Comment le secteur socio-éducatif intègre-t-il les notions de sanction dans sa pratique ? Explications.
 
L’autoritarisme qui domina longtemps le monde de l’éducation (l’enfant ne parlait à la table familiale que pour répondre aux questions que lui posaient les adultes) a pu trouver son antinomie dans l’enfant-roi (à qui on ne refuse rien et qui fait ce qui lui plait quand il le veut). Entre ces deux extrémités, l’on trouve de nombreuses situations intermédiaires. Au cœur de l’attitude propre à chaque éducateur (familles, enseignants, travailleurs sociaux), il y a la question de la sanction et sa forme répressive, la punition. Là encore, entre « qui aime bien, châtie bien » qui resta un leitmotiv pendant des millénaires et le slogan de 1968 « il est  interdit d’interdire », toute une palette de comportements se déploie. On connaît ainsi cette incompréhension de certaines familles immigrées confrontées au signalement transmis au du juge des enfants, quand elles ont voulu punir leur enfant d’une bonne raclée. Elles ne comprennent pas toujours ce qu’on leur reproche, elles qui ne veulent que le bien de leur progéniture. A l’autre opposé, se développe depuis quelques années une nouvelle théorie, celle de la pédagogie non punitive qui affirme qu’en aucunes circonstances, la punition ne peut être une solution. Faire le point sur cette question s’avère donc d’une grande pertinence. L’association Anthéa organisait les 19 et 20 mai dernier à Marseille deux journées d’étude intitulées « sanction et punition dans l’éducation de l’enfant et de l’adolescent » (1). De quoi nourrir notre réflexion à ce sujet.
 

La quête de l’autonomie…

Commençons donc par le commencement et plus particulièrement par ce qui attend l’enfant. La construction de son psychisme est étroitement liée à la présence rassurante de l’adulte à ses côtés, expliqua Sabine Domenichino, pédopsychiatre. Si le fœtus est très vite compétent, apprenant dès le troisième mois de grossesse à faire des galipettes et à sucer son pouce, le bébé n’a rien à lui envier, lui qui, dès la naissance, montre des aptitudes innées, comme fixer les visages, vocaliser ou établir un contact du regard. Cette recherche relationnelle tient à un équipement qui a la particularité de ne pouvoir se développer pleinement qu’en interaction avec son environnement. C’est que la part de l’instinct dans l’humanisation du petit d’homme est minime, en comparaison de tout ce que va lui apporter sa confrontation à ses parents, puis à ses pairs. Le bébé peut réussir à gérer tout seul, ses émotions positives. Pour ce qui est des sentiments négatifs susceptibles de le terroriser, il a impérativement besoin de l’aide de l’adulte, seul capable de mettre de l’ordre dans le chaos qui l’assaillit alors. C’est dès ce moment que commence l’œuvre éducative qui va mener l’enfant vers l’autonomie tant physique que psychique, autonomie qui doit lui permettre non seulement de décider de suivre ou de déroger à une loi, mais aussi d’assumer les conséquences de ses choix. Ce rôle de sécurisation de la part de l’adulte, qui fixe les limites de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas, est l’une des constantes universelles qui permet de structurer ce que deviendra l’enfant.
 
 

… passe par la soumission

Voilà donc le bébé dans un rapport de grande dépendance à l’égard des adultes qui l’entourent. La qualité des relations que ces derniers tisseront autour de lui a fait l’objet d’une recherche initiée par John Bolby, pédiatre et psychanalyste anglais, qui distingua entre un attachement sécure et un attachement insécure ambivalent ou désorganisé annonciateurs d’un (dés)équilibre potentiel à l’âge adulte. Un autre psychanalyste, Serge Lesourd, a rappelé ce qui relie cet attachement à la punition. Au-delà du désagrément que cette dernière implique, ce qui incite l’enfant à renoncer à une partie de son plaisir, c’est la crainte de perdre l’amour des adultes qui s’occupent de lui et dont le retrait est perçu comme une menace vitale. La soumission et l’adéquation aux exigences qui lui sont présentées constituent autant de garanties au maintien de cette présence. Le punisseur et le puni doivent accepter la perte temporaire de l’amour, permettant à l’enfant, en s’adaptant, de le récupérer. C’est justement dans cette reconquête possible que se situe l’efficacité de la punition. Mais, note Serge Lesourd, notre lien social post-moderne inverse les rôles. En craignant de perdre l’amour de son enfant s’il le punit, l’adulte voit son narcissisme être mis en jeu. Tout se passe comme s’il ne pouvait se passer de l’affection inconditionnelle de l’enfant ! D’où un désarroi certain face aux transgressions enfantines que certains parents n’osent plus sanctionner.
 

Une transgression plurielle

Mais, pour sanctionner une transgression, faut-il encore savoir en quoi elle consiste. Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile, définit ce manquement comme un acte ou une parole délibérée qui s’oppose à une loi ou à une règle. Bien difficile d’évaluer un tel comportement. D’abord, parce qu’il apparaît d’une grande banalité : chacun transgresse à un moment ou à un autre, même si pour l’essentiel, c’est de façon éparse et bénigne. Il n’est pourtant pas à l’abri d’un dérapage bien plus grave. S’il y a bien un ressenti universel, ce sont ces pulsions sexuelles ou agressives, que la plupart d’entre nous réussissons à limiter à la sphère de nos désirs. La quasi-totalité des attirances pour les tops models ou des envies de meurtre à l’égard d’un congénère particulièrement exaspérant restent fort heureusement au stade de l’imaginaire. On est là dans le domaine du fantasme. Ce n’est qu’en cas de mise en projet, voir au-delà, de passage à l’acte, qu’intervient l’atteinte à autrui. Seconde complication concernant les transgressions, celle qui implique de distinguer leur degré de gravité. Il est essentiel de ne pas confondre les manquements mineurs et ceux qui s’attaquent d’une manière grave au lien social, sans oublier ceux qui se confrontent aux règles abusives et non éthiques. Les premiers n’ont pas vocation à être gérés de la même façon que les seconds. Quant aux troisièmes, ils ne peuvent qu’être… encouragés ! Enfin, troisième nuance qui mérite d’être évoquée ici : l’intentionnalité. Pour agir d’une manière délibérée, il faut être lucide et capable d’effectuer un choix et donc être en mesure d’exercer sa liberté intérieure.
 
 

Quelle (ir)responsabilité ?

Dans tout ce processus, bien des facteurs interviennent qui exonèrent tout ou partie de la responsabilité de l’acteur : impulsions irrésistibles, ignorance des conséquences, légitime défense, contraintes externes et internes, conflit de loyauté entre les règles des adultes et celles du groupe de pairs… Ces conjonctures font d’ailleurs l’objet des débats et des délibérés lors des procès, sous forme de circonstances tant atténuantes qu’aggravantes. Dans certains cas, les conditions sont remplies pour déterminer que le sujet a agi en pleine connaissance de cause. Dans d’autres, elles ne le sont pas. Mais, il arrive aussi souvent que le doute subsiste. Il ne faut donc pas statuer trop vite, ni dans la mise en accusation, ni dans l’exonération du supposé transgresseur. La sanction implique donc la plus grande des circonspections dans son application, pour éviter une décision qui, en étant perçue comme injuste ou inéquitable, aboutirait à l’inverse des buts recherchés. Après tout, l’objectif final n’est quand même pas d’organiser la chasse aux transgresseurs, mais d’accompagner ces sujets pour leur permettre de s’accomplir certes, mais en apprenant à respecter le cadre du vivre ensemble. Contrepoint proposé par Noëlle Péchairal, Directrice d’établissement sur cette thématique de la responsabilité : « on est toujours responsable non seulement de ce qu’on a souhaité et accompli, mais aussi de ce qu’on a souhaité mais qu’on n’a pas accompli, qu’on a accompli sans l’avoir souhaité et de ce qu’on n’a ni souhaité, ni accompli mais qu’on n’a pas su éviter ».
 
 

La sanction éducative…

Après avoir tenté de circonvenir la transgression, il fallait faire de même  avec la sanction. Eirik Prairat, Professeur en sciences de l’éducation et auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet, remplit fort bien cet office. Penser la sanction, c’est réfléchir à son contexte, en intégrant l’amont, l’aval et la question éthique, explique-t-il. Et, tout de suite, il écarte le champ de la morale qui ignore tant la rétribution que la compensation. La sanction est inscrite dans le monde de la règle et de la loi. Effectivement, ce concept prendra d’abord, au 18ème siècle, le sens de « peine ou récompense prévue pour assurer l’exécution d’une loi ». Pendant longtemps, c’est son expression répressive qui sera privilégié, l’acte d’éducation étant réduit à la violence, à la cœrcition et aux brimades qui étaient exercées pour l’accomplir. Mais que la sanction soit éducative ou répressive, elle a toujours une fonction de dissuasion par rapport à l’expression spontanée des pulsions. Sa finalité est d’abord politique : affirmer la centralité de la loi et de la règle tout autant que la cohésion et l’identité du groupe. Elle est ensuite éthique : faire advenir un sujet responsable à même d’assumer les conséquences de ses actes. Elle est enfin psychosociale : être un cran d’arrêt à une dérive régressive ou à la toute-puissance. Il s’agit d’apporter une réponse à un comportement problématique et ouvrir sur une autre temporalité et non y enfermer le sujet. Pour qu’une sanction réponde à ces finalités, encore faut-il qu’elle réponde à quatre règles importantes.
 
 

… et ses 4 règles

Elle doit, tout d’abord, donner à penser et non à voir ; et donc renoncer tant au spectaculaire, qu’à la mise en scène ou à l’édification du groupe. S’il n’y a pas de sanction exemplaire, mais que des punisseurs exemplaires, c’est parce que ce qui doit toujours être privilégié, c’est le sens donné par une parole établissant une relation avec la transgression. La sanction n’a pas l’obligation d’être admise, du moment qu’elle est comprise. Cette compréhension peut se manifester tardivement, ses effets ayant un rôle bien plus structurant qu’on ne l’imagine. En cela, la sanction se distingue de la vengeance qui, elle, est silencieuse et ne s’annonce pas forcément. Seconde règle, la sanction porte sur des actes : on sanctionne un manquement à un contrat social, pas celui qui s’en est rendu coupable,  l’indignité de ce qui a été commis et non l’indignité de son auteur, le vol et non le voleur. Le sujet doit bénéficier d’une bienveillance inconditionnelle. C’est sur ses conduites que s’exerce l’intolérance. On préserve ainsi l’infracteur d’une culpabilité ontologique qui porterait sur sa personne, sur son manque ou son déficit. Troisième règle, la sanction doit apparaître comme privative d’un avantage, d’une joie ou d’un droit partagé (comme être avec ses pairs). S’il y a là une inévitable source de frustration, il ne peut y avoir d’humiliation. Aristote expliquait qu’il y a une bonne honte, c’est celle qui freine les attitudes, sans altérer la personnalité. Dernière règle d’une sanction qui se veut éducative : un geste à l’intention de la victime. Ce qu’il est de coutume d’appeler la réparation, permet non seulement de compenser le tort commis, mais aussi, par un acte positif de réintégrer le lien  social.
 
 

Sur le terrain : d’une MECS …

Toute cette conceptualisation est des plus précieuse. Reste à savoir comment l’appliquer dans le concret, en contact avec les populations les plus difficiles. Françoise Puig, directrice de l’AISAD, une maison d’enfant à caractère social située dans le Var, a apporté son témoignage sur une pratique éducative déployée en direction d’un public d’adolescentes marqué par un très bas seuil de frustration et la non intégration des interdits. L’équipe éducative, se refusant à avoir recours à des réponses brutales (neuroleptiques ou escalade symétrique) opta pour une stratégie privilégiant l’humanisation des relations : si la punition comporte une dimension expiatoire dirigée contre la personne (pour un mal subi, infliger un mal), la sanction quant à elle, se réfère à un acte. L’objectif étant de faire penser les jeunes par où elles agissaient, les adultes mirent au point un protocole précis : notification du désaccord en temps réel, sanction immédiate si la transgression s’avère moindre, temporisation si elle est plus grave, en tout cas sanction unique, réparation proportionnelle au dommage créé, décentration de l’acte vers le contrat de réparation ... Le résultat est tout à fait positif : l’application de mesures de réparation créative, personnalisée et adaptée à chaque situation et même négociée avec chaque jeune a permis d’espacer les passages à l’acte, d’apaiser le groupe et de relancer la confiance en elle de l’équipe éducative, sans oublier le rétablissement du dialogue et le recul du déni.
 
 

… à un ITEP

L’établissement s’est donné comme principe de tout faire pour éviter l’exclusion. Bien sûr, il a ses propres limites et ne peut admettre qu’un jeune particulièrement pervers mette en souffrance le groupe de ses pairs ou celui des adultes. Aussi, a-t-il prévu la possibilité d’un temps de réflexion dans un lieu tiers, permettant tout à la fois une distanciation et le maintien du suivi par l’équipe. Cette question de l’exclusion, Michel Defrance, Directeur d’ITEP, l’aborde dans son aspect paradoxal : « on ne peut exclure pour les raisons pour lesquelles on a justement été admis ». Si l’on retire aux enfants la possibilité de dire leur souffrance par la transgression, comment pourront-ils l’exprimer ? Dès lors, la sanction ne peut se concevoir que dans une logique clinique. L’enfant doit pouvoir se confronter aux limites et à leurs conséquences, tout en se sentant en sécurité dans une institution qui sache le contenir. Pour y arriver, il faut élever ses capacités cognitives (lui donner les outils qui lui permettra d’apprendre à gérer ses pulsions), lui proposer d’expérimenter son inscription dans l’espace social (en analysant et mesurant les conséquences de ses actes, plutôt qu’en restant à distance d’avec l’autre), lui donner la possibilité de se projeter dans l’avenir (lui qui vit essentiellement dans l’immédiateté)… enfin, tout ce qui permet de travailler autant sinon plus à l’éducation de son hétéronomie que de son autonomie. Entre le respect spontané de certains commandements moraux fondamentaux et la pression qu’exerce la menace répressive, il y a une certaine marge de manœuvre laissée à l’éducation, conclura François Sottet, substitut du Procureur à Paris. L’objectif recherché consiste bien à accepter la loi qui s’impose sans que rien ne nous y impose, sauf l’intégration de sa nécessité.


(1)   Actes disponibles à : Anthéa 7 place aux Herbes BP 219 83.006 Draguignan Cedex www.anthea.fr
 
Lire Interview Michel Defrance
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°918 ■ 25/02/2009