ITS Brest - 2008 - Séjours de rupture à l'étranger

Les séjours de rupture s’organisent, se fédèrent et se réfléchissent. A preuve la journée qui leur était consacrée à Brest.

Ce jeudi 16 octobre se tenait pour la première fois, dans les locaux tout neufs de l’Institut pour le travail éducatif et social de Brest, une journée d’étude consacrée à trois associations organisatrices de séjours de rupture (1). Pour une fois, la parole fut principalement donnée aux acteurs de terrain. Traditionnellement convoqués en vedette américaine, après des spécialistes censés expliquer comment réfléchir, ils ont brillé par la pertinence et le foisonnement de leur pensée. Produits d’une expérience prolongée, fondés par la confrontation quotidienne, ouverts à la multiplicité des pratiques, leurs propos n’ont jamais craint le contradictoire, ni la diversité des points de vue. Le concept du séjour de rupture aura bénéficié là d’un approfondissement salutaire autant que d’une bénéfique mise en perspective.

 

Rupture ou pas ?

Tout a commencé par une fraternelle dispute sémantique. Gilles Amerand (Ribinad) a remis d’emblée en cause la notion de rupture, faisant appel pour cela à une définition officielle : « fait de rompre sous l’effet d’un choc ». S’il peut s’avérer parfois nécessaire d’imposer une telle coupure brutale, les adolescents qui en sont destinataires, n’ont peut-être pas que des bénéficies à retirer d’une telle cassure venant se rajouter à tant de fractures qui ont jalonné leur courte existence ! Et de préférer l’idée de prise de recul et de distance, d’entrée dans un processus d’individuation, de pacification des relations offrant l’opportunité de se reconstruire. Filant la métaphore mécanique, Thierry Tichit (DAD), proposera une autre définition de la rupture en évoquant le rupteur : « dispositif permettant d’interrompre un courant primaire, pour produire une étincelle » Il s’agit alors bien d’abord de mettre un terme à une crise et de calmer des tensions, chaque acteur du conflit n’étant plus en capacité d’avoir un regard distancié. Il s’agit ensuite d’ouvrir un espace de dialogue et d’action dans lequel le jeune intègre un rôle d’acteur sur lui-même. Que l’on conçoive ces séjours dans une logique de rupture ou non, chacun en est conscient : l’éloignement d’un adolescent de son lieu de résidence, la séparation d’avec sa famille et son immersion dans un pays étranger sont autant d’actes à la fois graves et lourds qui n’ont rien d’éducatif en soi. Qui plus est, cela ne peut constituer qu’une orientation exceptionnelle, ne serait-ce qu’au regard des coûts consentis, des effets souhaités et des résultats constatés, remarque Gilles Allières, maître de cérémonie (ITES).

 

Le sens des réponses

Les jeunes concernés par de tels séjours ont une configuration existentielle particulière. On les désigne par des substantifs qui renseignent autant sur l’impasse des adultes que sur la leur : incasables, inclassables, patates chaudes … Rarement leur profil est univoque. On retrouve toutefois successivement, quand cela n’est pas de façon cumulative, un certain nombre de constantes : la frustration face à toute limite, les difficultés récurrentes dans le rapport à la loi, la spirale de l’échec. Il sont connu l’errance, les fugues, les tentatives de suicide, les atteintes au corps, les excès de produit, un parcours institutionnel chaotique. Les séjours de rupture sont directement utilisés pour mettre ces jeunes au travail. L’action engagée en leur direction doit leur permettre de retrouver l’estime de soi et de développer leurs propres ressources pour Amélie Monin (Média), leur montrer ce dont ils sont capables, les redynamiser, renforcer leur confiance en eux, pour Olivier Archambault (Media), leur proposer un temps de médiation, un nouveau départ, un tremplin, une quête d’identité, la fin de la stigmatisation, pour Guirane Diene (JCTIS). Le public, sollicité pour donner sa propre définition par écrit de ces séjours, fera feu de tout bois : retour sur soi, l’entre deux, faire le point, sevrage d’un comportement inadapté, repositionnement en qualité de sujet, respiration sur un parcours, arrêt sur image, espoir d’avenir, larguer les amarres pour mieux revenir, parcours initiatique, solution de la dernière chance, dernier risque, casser la spirale infernale…

 

La temporalité

Quelles que soient la forme et les modalités de ces séjours, ils respectent tous une scansion et une progression récurrentes. Il y a d’abord l’admission. Elle doit donner à voir l’adéquation de la problématique du jeune avec ce qui va lui être proposé, explique Hervé Stéphant (DAD). Il s’agit bien d’évaluer le risque d’une décompensation à partir de ce qui est potentiellement réalisable sur place. Il ne peut être question de forcer le jeune, au risque de lui faire courir un danger à lui, ainsi qu’aux autres. Mais, la question de son adhésion va bien au-delà de la simple sécurité des équipes: comment accompagner un adolescent dans un processus d’individuation si l’on continue à faire violence à l’émergence de sa parole, en perpétuant sa mise sous dépendance des adultes ? Il existe en outre un tableau clinique incompatible (schizophrénie, hallucination, paranoïa …). Mais, la question du trouble est toutefois moins importante que sa stabilisation. Seconde phase, l’arrivée sur place, décrite par Sophie Laridon (RIBINAD). Au bout de quelques jours, les masques tombent : même s’ils ont multiplié les transgressions et les délits, ces ados restent des enfants exprimant très vite le besoin de présence sécurisante et bienveillante de l’adulte. Ce que leur procurent l’accompagnement et la permanence éducative. C’est bien ce temps d’apaisement qui leur permet non seulement de retrouver des rythmes primaires et une hygiène de vie basique (manger, dormir), mais aussi de se tourner vers un changement de perspective : transformer les passages à l’acte auxquels ils sont habitués en réflexion sur leur devenir.

 

Pour quels résultats ?

Troisième phase, celle de la remobilisation favorisée par l’immersion dans un pays étranger et une autre culture porteuse de valeurs différentes. Le séjour de rupture devant prendre sens dans le parcours du jeune, se pose très vite la question de son devenir et du projet qu’il est prêt à mettre en œuvre, à son retour. Et justement : existe-t-il une vie après un séjour de rupture ? Que deviennent les jeunes qui en ont bénéficié ? Ce serait un leurre de fixer à ces dispositifs une obligation de résultat. Mais ce serait tout aussi abusif de les rendre seuls responsables des réussites comme de échecs ultérieurs. On ne peut mesurer l’impact respectif de leur action et de celle des interventions qui leur sont antérieures et postérieures, chacun apportant sa pierre à l’édifice final. Une statistique néanmoins établie par Gilles Amerand, à partir des adolescents ayant bénéficié des séjours de Ribinad, permet d’évaluer à 80% le taux global de réussite. Dans les 20% autres cas, les problématiques de souffrance n’ont pu être suffisamment apaisées pour déboucher sur une évolution favorable. Il apparaît important de dépasser les préjugés et méconnaissances à l’égard des séjours de rupture. Pour cela, il faut les reconsidérer dans leurs justes proportions. Quelles que soient les qualités de tels séjours, ils ne sont qu’un maillon de la chaîne des possibilités offertes. Les associations présentes se sont bien gardées de revendiquer un quelconque statut exceptionnel. Tout au contraire, elles se sont prononcées à l’unanimité pour un alignement sur les modalités d’agrément à l’œuvre sur le territoire national, pour un renforcement des contrôles des prescripteurs et des financeurs, pour l’organisation de visites sur place permettant de vérifier les conditions de prise en charge.

 

(1)   Participaient à cette journée placée sous le patronage de L’institut pour le travail éducatif et social de Brest et de la Sauvegarde de l’enfance du Finistère : Le Dispositif d’Accueil Diversifié (Quimper-02 98 52 97 80), Média-Jeunesse (Lyon-04 78 26 38 92), Ribinad (Telgruc sur Mer- 02 98 27 78 52), JCLTIS (Dakar)

Jacques Trémintin – Octobre 2008


 

Le point de vue d’un Conseil général

Depuis maintenant une dizaine d’années, le département du Finistère, comme d’autres,  s’est lancé avec deux associations locales dans la prise en charge de jeunes en séjour de rupture. Cette aventure commune n’a pas toujours été simple. D’abord parce que ces dispositifs n’existent toujours pas ou tout du moins ils n’existent pas légalement. Aucun texte législatif ou réglementaire n’y fait en effet référence… Pas plus la loi du 2 janvier 2002 concernant les établissements sociaux et médico-sociaux que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui préconise des alternatives au placement classique mais se limite à évoquer des accueils de jour ou des accueils séquentiels… Ensuite, parce que l’organisation de ces séjours à l’étranger et l’encadrement des jeunes dans ce cadre posent beaucoup de questions et de difficultés que nous avons tenté de résoudre ensemble. Nous sommes conscients que ces prises en charge ne sont pas dénuées de risques au regard desquels nous posons un certain nombre d’exigences. Le projet de la structure doit permettre un réel apport éducatif au delà du simple éloignement. Les modalités d’accompagnement des jeunes doivent garantir leur sécurité et des soins possibles dans un environnement proche. Les conditions d’accueil et d’hébergement correctes doivent offrir un minimum de confort au regard du contexte local. Il est impératif qu’existent des modalités claires d’échanges réguliers d’informations avec le service, et la possibilité de joindre les jeunes et les encadrants en cas d’urgence. Ce sont toutes ces conditions que nous allons vérifier sur place pour ces associations finistériennes organisant des séjours de rupture, comme pour les structures habilitées du département… Enfin, même si nous sommes convaincus que ces expériences sont concluantes, puisque nous avons fait le choix de les poursuivre et de les pérenniser, nous ne pensons pas qu’elles puissent constituer, pas plus que d’autres modalités, en particulier innovantes, la panacée, la solution miracle à mettre en œuvre pour tous ces jeunes qui nous mettent en difficulté.

Brigitte Mével - Directrice Enfance Famille - Conseil général du Finistère

 

Témoignage d'un vieux président de tribunal pour enfants et d'association employeur de travailleurs sociaux

 L'action sociale a ses modes. L'une des dernières en date est d'extraire un jeune dit à problèmes de son quartier et de le mettre sur orbite autour du monde ou de lui offrir  une activité à haut risque pour qu'il rompe avec son milieu habituel et revienne plus réinséré que nature. On combat le mal par la rupture. On entend que ce séjour permettra de laver le jeune de ses mauvaises influences.  Le disque dur est bon, on va changer les programmes et en remettre de tout neuf. Cette technique, car il ne s'agit que d'une technique, peut produire le meilleur comme le pire. Elle n'est pas exempte d'avantages pour ceux qui la mettent en oeuvre (liberté, avantages financiers, etc.). Elle n'est  pas plus exempte de risques et d'effets pervers.

1.  Cette réponse lourde ne peut qu’être exceptionnelle. Tout déplacement de longue durée hors du territoire national se doit d’être réservé à des hypothèses où on a fait le tour de solutions de proximité et où une mise à l’écart d’avec les proches – parents notamment, mais aussi quartier et "potes" – s’impose objectivement et généralement de manière consensuelle même si cette séparation est douloureuse.

2.  L’objectif affiché pose déjà problème quand on parle de séjour de rupture. Il ne doit pas être question de rompre, mais de prendre du recul : on ne rompt jamais avec son passé ! C’est une approche artificielle que de penser qu’un jeune pourra revenir d’un tel séjour vierge de tout passé, plus blanc que blanc et près désormais à affronter la vie. L’enjeu est au contraire de lui apprendre à faire face à la réalité de la vie dans laquelle il va nécessairement replonger après la vie relativement artificielle de ce séjour à l’étranger. Ce séjour d’éloignement n’est pas une punition – cette sanction n’existe pas en tant que telle dans le code pénal –, mais une mesure éducative, il n’est pas inutile de le rappeler. En pratique, un jeune doit savoir qu’il peut joindre son juge – et on doit lui  en donner les moyen –, son éducateur ou le directeur de la structure voire ses parents pour appeler à l’aide. Il doit savoir que rien n’est figé et que la décision du juge pour ferme qu’elle soit, peut être remise en cause. Il est essentiel que le jeune n’ait pas le sentiment d’être abandonné, mais au contraire que ce séjour intervienne dans le cadre d’un accompagnement inscrit sur la durée.

3.  L'éloignement de mineurs sous l'autorité d'adultes appelle à la plus extrême vigilance, car il ne permet pas les nécessaires contrôles qu’impose la prise en charge. Il ne doit pas s’agir uniquement de contrôle financier et administratif mais de vérifier les conditions de vie réelles faites aux jeunes. Mais, ces contrôles sont plus difficiles à mettre en oeuvre dans le cadre d'un séjour dit de rupture que pour des institutions classiques sachant que déjà la chose n’est pas aisée quand le séjour se déroule sur le territoire national.

Ni rejeté, ni panacée, « l’étranger » ou « l’éloignement » ne sont pas en soi une valeur éducative, pas plus que les activités dites à risques. Le séjour est au service d’un projet individuel. Souvent on s’apercevra que d’autres réponses existent moins dangereuses et moins coûteuses. Mais, souvent ne signifie pas toujours.

Jean Pierre Rosenczveig - Président du tribunal pour enfant de Bobigny

  

Je vous écris du Sénégal

Angélique en avait besoin de cette mise à distance. Pour faire le point sur elle-même et sur les relations avec les autres. Après un lourd parcours institutionnel et de longues périodes d'errance, elle a participé avec le Dispositif d’accueil diversifié du Finistère, de deux séjours de rupture de trois mois au Sénégal, entrecoupés d'une semaine sur le territoire Français. Confrontation à la différence de culture, de relation entre les gens, de rapports entre adulte et enfant, du partage du peu qu’on a… Un choc qu’il lui a fallu apprendre à gérer et assimiler : « Arrivée à Dakar le 9 janvier  2008 à 17h30. Descente de l’avion. Là, c’est une découverte. J’avoue que ma première impression ou idée est de me dire que ce pays, c’est l’anarchie. Tout le monde roule n’importe comment, n’importe où. Mais je sentais déjà que ce pays, j’allais l’aimer. Au fur et à mesure que l’on avance, je découvre un paysage super et pourtant avec une saleté qui ne peut pas nous échapper. Là-dessus, je reprends une phrase de mon directeur d’école « le Sénégal est un fabuleux bordel » Et pourtant, rien ne semble les gêner. Ils ont tous le sourire. Là je me dis que, finalement, plus on en a moins on est content. Là, ils n’ont rien et ils sont heureux. Première remise en question sur moi-même et sur ma façon de penser dans le village de Mbao. Tout le monde se serre la main et se dit bonjour. Chose en France qui serait impensable à faire(…) Leur hospitalité aussi est incroyable. C’est vraiment s’il y en a pour moi, il y en a pour toi aussi. On partage tout avec tout le monde, à la limite du respectable quand même. Le problème c’est que ça marche dans les deux sens : ce qui est à toi est à moi. Ca c’est un peu plus gênant, puisqu’en France, il y  a vraiment une notion de propriété, tandis qu’ici ce n’est pas trop ça. Mais après je comprends : tu ne peux pas que recevoir et ne rien donner en retour. Une chose est sûre c’est qu’à l’avenir, j’éviterai de me plaindre pour un moindre mal.» Mais, le Sénégal, c’est aussi d’autres conceptions éducatives : « je suis surprise qu’ils aient le droit de porter la main sur un enfant. Une fois de plus, je trouve ça absurde, car ce n’est pas en frappant dessus que l’enfant va mieux comprendre. Au contraire, une peur va s’instaurer et non le respect comme le professeur le cherche. (…) Mais, en majeure partie, j’aime assez leur mentalité. Mais, après, je comprends beaucoup de choses, mais je ne les admets pas. Comment peut-on laisser les enfants seuls tous les jours. Il y a un petit groupe d’enfants qui vient quémander de la nourriture mais pour la population c’est normal. Mais après tout, je n’ai pas la même culture qu’eux. Je comprends que chez nous, il y ait des choses qui les choquent. »

Les semaines passent. Angélique se languit de son pays d’origine. Mais, en même temps elle commence à mesurer ce qui est en train d’opérer en elle. « Voilà 21 jours que je suis arrivé au sénégal. Le temps passe vite et pourtant il me semble que cela  fait une éternité que je suis partie. Je ne te cacherai pas que la France me manque énormément, même si j’aime ce pays qu’est le Sénégal. Je dois dire que mon moral est un peu en baisse pour les raison qui sont les suivantes : je sens un changement envers moi et ça me fait peur. Tout ce qui m’a construit, ma personnalité, mon instinct s’envolent petit à petit. Ce passé s'éloigne tellement vite que j'ai du mal à me reconnaître aujourd'hui. Mais au fond de moi-même, je sais que ce changement est positif. Par contre, il y a une chose qui ne change pas, c’est mon mauvais caractère. » Dans son dernier courrier, Angélique explique son point de vue sur sa rencontre le Sénégal : « je pense que le fin mot de l'histoire, c'est que chaque pays a ses défauts et ses qualités et qu'il n'y a nul pays parfait et que c'est juste une question d'adaptation et d'ouverture d'esprit : accepter que les autres soient différents de nous ».

 

Lire Interview : Duthieuw Béatrice - Séjour de rupture

Voir reportage : Du nomadisme à la resocialisation

Voir reportage : Avec les grands frères au Mali et au Burkina Faso

Voir reportage : Rupture et actions solidaires au Sénégal