Conférence Isabelle Filliozat – Être parent

A l’heure où l’on ne parle que de soutien à la parentalité, il est essentiel de replacer le rôle de parent dans toute sa complexité. Ce que fait avec brio Isabelle Filliozat.

Un couple qui attend pour la première fois un enfant ne rêve le plus souvent que d’une chose : constituer une famille idéale. Il se jure bien de ne pas ressembler à celles et à ceux qu’ils voient crier sur leurs enfants. Ils excellent d’autant plus dans leur projet parental, qu’ils n’ont pas encore eu l’occasion de s’y exercer. Dès la naissance, la situation est susceptible d’évoluer quelque peu. Il y a bien sûr ces moments merveilleux qui les remplissent de bonheur. Mais, il y a aussi ces circonstances qui viennent un peu tempérer leur enthousiasme. Certains parents ne se s’interrogent guère, convaincus de leur bonne fortune et persuadés de posséder les bonnes réponses. Mais pour beaucoup d’autres, surgissent une multitude de questions.

 

Le temps de désillusions

Cela peut commencer dès l’accouchement : émotions accumulées au moment de la grossesse, honte, désespoir, conflits non résolus. Aucune sage femme n’est là pour inviter la maman à se libérer de sa colère. La suite n’est pas toujours idyllique. On n’avait pas prévu que son enfant ne dormirait pas la nuit, qu’en grandissant il frapperait ses copains, qu’il aurait de mauvaises notes, qu’il se rebellerait à l’adolescence. C’est épuisant de vivre avec des enfants, car ils aiment tout ce que les adultes ont en horreur : le désordre, le bruit, l’agitation. Ils affectionnent tout particulièrement se lever tard quand il y a école et tôt quand il n’y en a pas. Comme on n’a jamais appris comment faire, on essaie d’agir au mieux. Et on essaie souvent de se comporter à partir de ce qu’on imagine que les autres pensent : plus on cherche à être un bon parent, plus on se met dans le devoir de ce qu’on devrait faire. Ce qui s’impose n’est pas tant le « j’ai envie de », mais « il faut que ». Quelle que soit la réponse adoptée, on se sent trop sévère ou au contraire trop protecteur. Rien ne semble aller comme on l’avait imaginé : on se sent coupable d’être dans le trop ou le pas assez. Et comme on n’a nul endroit où déposer ses angoisses, on les retourne contre soi. Pour cacher sa détresse on en rajoute : se lever encore plus la nuit quand le bébé pleure, changer l’enfant de vêtements à la moindre tâche, multiplier les inscriptions à des activités ... Rien n’est suffisant pour se raccrocher à l’image du bon parent. C’est finalement sur nos enfants que nous déversons toutes ces émotions accumulées, les chargeant de sentiments qui ne les concernent pas.

 

Ne pas subir…

Rappelez-vous, avant la naissance, on était pourtant bien décidé de ne pas ressembler à ces parents toujours à crier sur leur progéniture et pourtant on reproduit les mêmes mots et les mêmes attitudes. On a le sentiment de perdre le contrôle de sa vie. Et pourtant, il n’y a aucune fatalité à fonctionner ainsi. La première bonne résolution à prendre consiste à mettre à la poubelle la quête du bon parent. Ce qui importe, ce n’est pas de jauger sa façon d’agir au regard d’un modèle idéal forcément tyrannique, mais de prendre conscience de la façon dont on élève ses enfants. La deuxième décision, c’est d’accepter le sentiment d’épuisement que l’on peut ressentir, en le considérant comme normal. Le parent ne reçoit pas dans sa fonction ce sentiment d’accomplissement ni cette gratification, comme cela peut être le cas à l’occasion d’une activité salariée. La situation est encore plus difficile pour la mère. Le père a toujours le droit de dire qu’il ne sait pas faire, elle, non. Lorsqu’un père change les couches de son bébé ou le promène au parc, il est valorisé, elle, non. Tout cela est sensé être naturel chez elle. Aussi, a-t-on le droit d’être en colère, si cela est justifié, pourvu qu’on n’accuse pas son enfant d’en être la cause. Et c’est bien le troisième changement qui peut faire évoluer nos comportements : décider enfin d’exprimer ses émotions et arrêter de faire semblant, être attentif au ressenti de son enfant, en allant à la rencontre de celui qu’on a été, celui qui se sentait humilié, terrorisé, victime d’injustice.

 

… mais répondre aux besoins

C’est bien parce qu’on se fixe comme obligation d’être un bon parent et qu’on refuse d’admettre sa fatigue ou son découragement que l’on peut d’autant plus déverser sur son enfant sa colère et sa frustration. Ne pouvant admettre ses inévitables défaillances, on en est amené à projeter sur lui la responsabilité de ses propres échecs. Notre cerveau cherche dans sa mémoire un comportement ayant déjà existé pour résoudre un problème analogue. Il choisit la solution la moins douloureuse. Quand il l’a trouvé, il la duplique. C’est ainsi que, sans même nous en rendre compte, nous transmettons les problèmes et reproduisons les blessures vécues dans notre enfance sur nos enfants. C’est là qu’on doit chercher l’origine des personnes qui affichent des certitudes en éducation : c’est leur propre histoire qu’il est en train de défendre. En la matière, il faut renoncer aux certitudes et expérimenter. La relation à l’enfant se construit au jour le jour. Il n’existe pas de règle qui pourrait fonctionner non seulement à chaque fois, mais à l’identique pour tout le monde. Et ce n’est pas parce que cela ne fonctionne pas, qu’on utilise forcément la bonne méthode. Nous interprétons trop souvent les demandes de l’enfant dans un jeu de pouvoir : il ferait des caprices ou chercherait des limites. Cela nous amène à tout penser en terme d’affrontement alors que le temps passé avec l’enfant est finalement bien court. Si une demande se présente c’est qu’il y a un besoin. Son cerveau  est différent du nôtre. Face à une demande qui dérange, mieux vaut chercher à quel besoin elle correspond et nommer l’émotion sous-jacente.

 

Jacques Trémintin – mai 2008

 

Article réalisé à partir d’une conférence tenue à Nantes le 14 mars 2008