Où en sont les droits de l’enfant ?

On dit la France championne du monde … des commémorations. Tout est prétexte à célébrer, se souvenir, rendre hommage. Chaque semaine apporte son lot d’anniversaires en tout genre. Le 20 novembre n’a pas échappé à la règle ! Deux colloques ont été consacrés aux droits de l’enfant (1). Mais, force est de constater que loin des discours convenus, ces deux journées ont été marquées par des interventions de grande qualité, permettant de faire le point sur les avancées mais aussi les zones d’ombre dans l’application de la Convention qui fêtera son dixième anniversaire l’année prochaine. De quoi, en somme, donner l’occasion à Lien Social de faire profiter à ses fidèles lecteurs des meilleurs moments de ces deux rendez-vous, pris sur le vif.

Coup de projecteur sur les institutions

En tout bien, tout honneur, il convenait de commencer par un retour sur nous-mêmes. L’une et l’autre rencontre commencèrent par une approche sur les violences institutionnelles.

Avec un Pierre Verdier expliquant la longue évolution qui mena l’enfant petit à petit à être à une place centrale. Tout a commencé par une logique d’assistance dont l’expression la plus achevée se trouva être exprimée dans une loi de 1793 spécifiant le devoir de la Nation à qui revient l’obligation de se charger “ de l’éducation physique et morale ” des enfants abandonnés. A la compassion a succédé très vite le temps de la protection tant de la société contre les jeunes délinquants (ouverture des maisons de correction et autres bagnes d’enfants) que des jeunes contre les exactions des plus indignes des pères (loi de 1889 prévoyant la déchéance de la puissance paternelle en cas de négligence grave ou de mauvais traitement). Troisième époque, à partir des années 70 de notre siècle, celle du soin qui permit au moins d’en finir avec le paternalisme répressif dominant. Ce n’est finalement que très récemment, que le mineur emporte toute l’attention : on l’écoute, on conçoit pour lui des projets individualisés, les parents sont perçus comme partenaires à part entière. Cette progression a été attestée par Stanislaw Tomkiewicz qui a constaté la bonne place de notre pays dans le concert des nations en matière de réduction de la maltraitance institutionnelle. Le pourcentage des appels reçus Service national d’appel téléphonique sur l’enfance maltraité (SNATEM) consacrés à ce chapitre ne dépasse pas 5%. Pour autant, cela représente quand même 20.000 plaintes par an ! Le problème ne réside pas tant dans la présence d’éducateurs ou de professeurs sadiques ou pédophiles que dans l’effort déployée par leurs employeurs pour couvrir leurs méfaits au nom des la préservation de la bonne réputation de l’établissement ou de l’honneur de la profession. A côté de ces exactions malgré tout minoritaires subsistent plus largement les pratiques pédagogiques anti-thérapeutiques et les violences psychologiques qui pour être plus banalisées n’en sont pas moins destructrices. L’enfant, doit se voir garantir au moins trois droits essentiels, expliquera Marceline Gabel : bénéficier de professionnels compétents dégagés des mécanismes passionnels, pouvoir profiter d’un réseau d’aide complémentaire entre les différents services intervenants et voir sa situation traitée sans que sa famille ne soit systématiquement exclue. Michel Huyette n’a pu en tant que magistrat lister de façon exhaustive toutes les circonstances au cours desquelles la procédure judiciaire des mineurs fait peu de cas du droit. Il en a cité néanmoins quelques exemples représentatifs  du fossé qui sépare le principe de la défense de l’intérêt de l’enfant de sa concrétisation : absence des avocats au côté des familles, non-respect du contradictoire quand les services sociaux sont entendus hors-présence des usagers, choix du lieu de placement sans tenir compte de la proximité du domicile parental etc … Jusqu’à Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la santé, tout fraîchement promu à l’enfance maltraitée qui rappellera les instructions fermes et précises données aux préfets par Martine Aubry le 5 mai dernier pour les inciter au devoir de vigilance à l’égard des violences dans les institutions. Et de conclure qu’“ en de nombreux endroits, la loi du silence qui, pendant longtemps, étouffait ces affaires, a été rompue, les scandales ont été révélés, des professionnels ont été poursuivis, des plaintes ont été déposées, des parents inquiets ou indignés ont été écoutés et ont pu demander réparation. ” L’anniversaire de la signature de la Convention coïnciderait-elle avec notre fête à nous professionnels de l’éducation ? Nous n’aurons garde de nous retrancher derrière un réflexe corporatiste. Car il est insupportable d’imaginer que des enfants soumis aux pires traitements familiaux, se retrouvent à nouveau victimes mais cette fois-ci des institutions que la société charge justement de les sauvegarder. Pour autant, nous ferons nôtre la remarque des plus pertinente formulée par Pascal Vivet : “ qui protége celles et ceux qui protègent les enfants ? ” Il faut savoir qu’à ce jour, il n’y a pas moins de 200 procédures de licenciement engagées par des employeurs contre des personnels socio-éducatifs au prétexte que ceux-ci ont eu le courage de dénoncer les mauvais traitements institutionnels dont ils avaient été témoins. Ne faudrait-il pas penser à une loi qui par exemple viendrait préserver l’emploi (au même titre que les délégués du personnel) de ceux qui signalent, et ce dès l’instant où une instruction judiciaire serait ouverte ?

 

Les parents, l’école et la société

A noter, le ton nouveau, celui adopté à l’égard des parents. Ne pliant pas sous le poids des préjugés d’une opinion publique prompte à désigner des boucs-émissaires, les intervenants ont su éviter la “ tarte à la crème ” de la “ démission des parents ”. Depuis quelques années, les compétences familiales ont été réhabilitées : les parents sont sollicités comme co-éducateurs et invités à participer aux conseils d’établissement. Michèle Fournier-Bernard expliquera avec pertinence le mythe que constitue l’idée de l’unicité d’un modèle familial garantissant épanouissement de l’enfant et l’équilibre de l’adulte. Certes, la famille s’est profondément transformée. Au souci de l’écoute de l’enfant sont venus se rajouter la place et le rôle de la femme de plus en plus impliquée et dépassant la seule fonction de mère au foyer, la multiplication des désunions suivies de recomposition familiale… toutes ces mutations nous confrontent à une profonde transformation  d’une famille qui devra se reconstruire autour des droits de l’enfant à être accueilli, aimé accompagné et éduqué. Une telle responsabilité ne peut s’assumer sans un minimum de doute salutaires comme le fera remarquer Jacques Dayan : le lien biologique n’est ni nécessaire, ni suffisant pour exercer le difficile métier de parents. C’est “ le fruit d’un équilibre changeant, d’un mouvement psychique qui s’élabore et se transforme (…) L’enfant exige du temps, de l’attention, des soins, de l’amour, de l’autorité, de s’adapter à ses besoins, mais aussi de refuser clairement d’assouvir sans limites ses exigences, d’accepter pleinement de le décevoir et d’être soi-même déçu sans jamais l’abandonner à lui-même. Aucun parent n’est apte à réaliser pleinement ces conditions : tous les parents sont partiellement défaillants. ” Un véritable travail de prévention s’avère alors nécessaire pour aider les familles alors même que les difficultés ne sont pas encore cristallisées. Il faut accompagner les parents dans le deuil de ce qui n’ont pas la possibilité d’assurer.

Des parents à l’école, il n’y a qu’un pas, qui peut être allègrement franchi. De ce côté-là, les critiques se font de plus en plus fréquentes. La parole des jeunes y est officiellement prise en compte, notamment depuis qu’un décret d’octobre 1991 est venu préciser les modalités d’application des droits de réunion, d’association et d’expression les concernant. Mais, 7 ans après, l’application a peu suivi la préconisation. Il a fallu 500.000 lycéens dans la rue en octobre dernier, pour réactiver ce besoin de démocratie. Les professeurs continuent toujours à être juge et partie dans les sanctions qu’ils imposent explique Vincent Ruet, éducateur spécialisé au service des droits des jeunes de Strasbourg. On est loin d’une élaboration des règlements intérieurs où tout le monde aurait son mot à dire. Que penser de cet élève frappé par un enseignant, qui subit une mesure de renvoi après avoir refusé de suivre les cours de son agresseur, la justice, de son côté, n’hésitant pas à condamner les parents venus protester sous les fenêtres de l’établissement à la suite d’échauffourés avec les forces de police. S’il apparaît indispensable de dénoncer la violence dont est victime parfois l’institution scolaire, il convient de rester vigilant face à la violence qu’elle-même engendre.

Du cercle de la famille, à celui de l’école, on en arrive à la responsabilité d’une société dénoncée par Colette Duquesne. Cette société qui tolère que l’enfant puisse vivre dans des conditions affligeantes, partageant quelques mètres carrés de logement insalubre ou de chambre d’hôtel avec sa famille, sans le moindre confort et dans la plus grande promiscuité. Impuissants face à ce gâchis, les services sociaux sauront néanmoins effectuer le signalement adéquat quand ne supportant plus ces conditions d’existence, un parent passera ses nerfs sur l’un de ses enfants. La société dépensera alors 1000 F par jour pour le placement d’un mineur dont la famille se sera vue refuser pour la énième fois un relogement. Mais cette violence-là, banalisée et négligée ne fait guère la une des journaux et ne provoque ni mobilisation de l’opinion publique ni grève de protestation.

 

Ici et ailleurs

Bernard Birsinger, secrétaire de la commission parlementaire créée à l’initiative de Laurent Fabius pour faire le point sur l’application des droits de l’enfant en France est venu expliquer la position du politique. Sur les cinq propositions retenues par les députés (création d’un médiateur pour l’enfance, possibilité d’invoquer la Convention internationale devant toutes les juridictions françaises -la Cour de Cassation s’y est jusqu’à présent opposée-, constitution de comités communaux chargés de veiller à l’application des droits de l’enfant, développement de la santé à l’école et enfin amélioration de l’information sur la Convention), l’une a abouti (vote de la loi sur le médiateur le 19 novembre). Une autre a sensibilisé le pouvoir (création de  185 poste d’infirmières scolaires). Ce même 19 novembre, une autre loi a été votée : celle qui propose l’interdiction de l’achat par les écoles et collectivités locales de tout produit fabriqué dans le monde par les enfants. Les préoccupations nationales viennent ainsi coïncider avec le sort terrible réservé aux enfants du tiers-monde : 250 millions d’entre eux sont en effet au travail dont 120 millions à temps plein. Tels sont les chiffres rappelés par Yannick Simbron. Beaucoup de circonstances permettent d’expliquer cette situation : pauvreté, catastrophe, guerre, habitudes, traditions, coût moins élevé de  la main d ‘œuvre enfantine en outre bien plus docile. Les tâches qui leur sont dévolues varient grandement et peuvent aller de la simple aide familiale à la prostitution. Face à ce fléau, la mobilisation des nations riches reste ridicule. Le FMI a ainsi décidé récemment d’aider le Brésil et le Japon à faire face à la toute récente crise financière qui ébranle leur économie. Pour ce faire, il a débloqué 42,5 milliards de $ pour le premier et 100 pour le second. Dans le même temps la CNUD a évalué à 6 milliards le budget annuel nécessaire pour assurer l’éducation de base de tous les enfants du monde ! Non, c’est bien sur l’initiative des forces qui émergent dans les pays concernés qu’il faut le plus compter et sur les solutions originales et adaptées à chaque cas qu’elles proposent, à l’image de cette marche mondiale contre le travail des enfants, organisée en mai dernier. Cette manifestation a traversé 56 pays pour se terminer à Genève en plein milieu de la Conférence internationale du travail qui a fini par intégrer dans la nouvelle Convention de l’O.I.T. un article condamnant les formes les plus intolérables du travail des enfants. 1999, date de la prochaine conférence, une nouvelle mobilisation vise à faire admettre dans cette définition toute activité qui empêche l’enfant d’acquérir une éducation de base ainsi que l’utilisation des enfants dans les conflits armés.

Que de chemin parcouru, mais aussi que de chemin encore à parcourir. L’état des lieux dressé au long de ces deux journées de réflexion incite à penser qu’au milieu du gué il ne nous est pas possible d’en rester là. Le retour en arrière impensable, n’est malheureusement pas inenvisageable comme le fait craindre le retour au travail des enfants dans certains pays de l’union européenne. Le mouvement doit aller de l’avant. Mais, pour cela, il est nécessaire que se développe une claire conscience des enjeux, des risques ainsi qu’ une vigilance pour appuyer fermement le sens de l’histoire dans la bonne direction.

 

Jacques Trémintin – Novembre 1998

 

(1)   “ Une imposture, un leurre, les droits de l’enfant en France ? ” journée du 13 novembre 1998 organisée par le Journal du Droit des Jeunes avec le Conseil Général de Seine Saint-Denis et l’APCEJ

“ Journée Nationale des Droits de l’Enfant ” journée du 20 novembre 1998, organisée par le Ministère de l’emploi et de la solidarité, le COFRADE et la Commission Nationale Consultative des Droits de L’Homme.