Comptes-rendus
Faire table ronde autour de l’enfant - PJJ - 2007
« Quand j’ai commencé mon métier d’éducateur, chaque fois que j’entendais les histoires de vie des jeunes qui nous étaient confiés, je restais pantois, les yeux écarquillés devant ces trajectoires cafouilleuses et emmêlées » confie Hervé Fabre, éducateur de la Protection judiciaire de la jeunesse dans les Hauts de Seine. Nous les avons tous croisés, un jour ou l’autre, ces gamins qui bien avant d’avoir terminé leur enfance, présentent une invraisemblable accumulation de placements en internats, en établissements scolaires, en foyers, en familles d’accueil. Les hospitalisations ont succédé aux emprisonnements et les errances dans la rue aux déménagements. A force de bourlinguer, ces jeunes ne se sont jamais posé. C’est comme si pour vivre, ils avaient besoin de toujours bouger. Ils nous entraînent dans leur tourmente et nous perdent en miroir dans nos tentatives pour démêler les fils de leur labyrinthe temporel. Le fouillis et l’enchevêtrement de leur parcours de vie sont tels que toute tentative pour le reconstituer n’aboutit qu’à un morceau de gruyère chronologiquement troué de partout. L’éducateur qui tente de le faire doit frapper patiemment à diverses portes. Celle du jeune tout d’abord. Prendre le temps d’entrer en relation avec lui, de gagner sa confiance, de déverrouiller ses fermetures permet d’ouvrir une forteresse plus ou moins perméable, plus ou moins défendue. Mais l’intérieur se révèle souvent pratiquement vide. Il faut alors aller toquer à d’autre portes : celles de la famille ou celle des institutions successives qui ont connu l’enfant. Cette reconstitution, morceau après morceau, du déroulement de son existence peut lui permettre de s’approprier son cheminement et de (re)trouver un sens, un fil directeur dans le patchwork de sa courte vie. Il pourra alors, mais cela lui appartient, lui trouver une issue. Les professionnels qui peuvent le mieux l’aider à y parvenir sont ceux qui se montrent dépositaires de son histoire et garants de la continuité de ses trajectoires. Mais, « plus il y a d’intervenants, plus il y a de risques de réponses fragmentaires, morcelées, si personne ne tient le fil rouge pour prendre place auprès du mineur en tant que repère permanent qui va l’accompagner tout au long de son parcours » explique Marcel Klanjberg, Juge des enfants au TGI de Grenoble. Le continuum de la prise en charge est l’une des conditions essentielles pour ne pas reproduire et perpétuer le parcours chaotique antérieur de l’enfant. La confiance tissée au long des années, la fiabilité des interventions, la crédibilité des actions engagées se mesureront à l’aune d’une cohérence de l’ensemble des partenaires concernés. C’est cette articulation qui permettra aux séparations et aux passages de relais de ne pas être perçus par l’enfant comme une rupture ou un rejet. Cela passe par une claire définition du champ de compétence de chacun. Bien connaître ce que l’on peut faire soi-même et ce que l’on peut demander à l’autre. Ne pas considérer que l’appel à l’autre soit le signe de son propre échec. Ne s’assigner ni à soi, ni à l’autre une obligation de résultats. Considérer que l’adaptabilité, la réactivité et une grande souplesse sur la palette des réponses possibles sont une richesse et non un affaiblissement de sa position professionnelle. Telles sont les attitudes les plus à même de renforcer la logique de complémentarité. Mais cette complémentarité ne saurait se limiter aux professionnels. On le sait bien « ce qui se fait pour les enfants et les parents, mais sans eux risque de se faire contre eux » nous rappelle Frédéric Jesu, pédopsychiatre. Les enjeux de l’éducation constituent une question bien trop complexe pour être confiée exclusivement tant aux familles qu’aux seuls spécialistes. Le pari est bien de réaliser une coopération de tous ceux qui gravitent autour de l’enfant et une cohérence de leurs interventions réciproques, de fédérer tant les faiblesses et les difficultés de chacun que leurs forces et leurs potentialités. Mais, pour que l’expertise technique des institutions puisse s’articuler à l’expertise profane des familles, encore faut-il que chacun adopte des changements de regard et de posture envers l’autre et recherche une position qui relève non du face à face, mais du côte à côte. Cela n’est déjà pas facile dans les dispositifs tout public n’accueillant les enfant que d’une manière transitoire (crèches, halte-garderies, assistantes maternelles à la journée …). Ca l’est encore moins, quand les difficultés familiales requièrent l’intervention de l’autorité administrative ou judiciaire. La famille passe alors sous le regard d’intervenants mandatés qui vont répertorier bien plus systématiquement ses échecs et ses problèmes, que ses réussites et ses potentialités. Les relations avec les parents se dégraderont d’autant plus que leurs interlocuteurs tiendront des discours contradictoires, adopteront des logiques hétérogènes et s’inspireront de registres aussi différents que la sanction ou l’éducation partagée, la surveillance ou le soutien, le conseil ou la mise à l’épreuve, le soin ou la stigmatisation. Seule une table ronde des différents professionnels se répartissant clairement les rôles et les tâches et repositionnant les parents dans leurs compétences et non seulement dans leurs failles, peut faire en sorte que le parcours suivi ne soit pas celui du combattant.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°854 ■ 27/09/2007
(1) « Chemin faisant. La prise en charge concertée au service du parcours des mineurs » PJJ, Conseil général du Vaucluse, Inspection académique, CHS Monfavet