Les SESSAD sont-ils l’avenir du travail social ?

Ils existent depuis 40 ans, mais ils prennent depuis quelques années une importance nouvelle dans le paysage médico-social. Les SESSAD sont au cœur des mutations à l’œuvre dans le secteur. Explications.

Les premiers Services d’éducation spéciale et de soins éducatifs à domicile que l’on appelle plus fréquemment SESSAD (voir encadré) sont apparus en 1971. Dès le départ, ils ont été conçus comme une dimension à part entière de la prise en charge des enfants porteurs de handicap. Il y a une vie, en dehors des institutions et les professionnels peuvent aussi se déployer dans la société pour faciliter l’adaptation à la vie ordinaire tant au sein de la famille, qu’à l’école ou dans les lieux de loisirs et de culture. Cette idée simple s’est inscrite dans la même mouvance que la désaliénation qui aboutira tant à la sortie des fous des hôpitaux psychiatriques, qu’à la création des lieux de vie, comme alternative aux internats éducatifs et médico-sociaux. Mais, il faudra néanmoins attendre la réforme des annexes XXIV intervenues en 1989, pour que ces dispositifs soient officialisés. Aujourd’hui, les SESSAD ont le vent en poupe. Au nombre de 279, en 1987, ils sont passés à 911 en 2001 et 1464, en 2010. Les créations de postes de professionnels va se multiplier au rythme de 1.000 places supplémentaires par an alors que dans le même temps, le reste du secteur médico-social est invité à faire plus, au mieux à moyens constants et dans beaucoup de cas avec des réductions de crédits. Voilà une énigme qui mérite d’être résolue. Les 9èmes journées nationales tenues à Nantes les 25 & 26 novembre 2010 y ont largement contribué.

En pleine expansion

Le 3 décembre 2002, le Président Chirac annonçait, devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées, les mesures prises dans le cadre de l’année européenne qui, en 2003, leur était consacrée. L’Éducation nationale était chargée de faire passer, pour la rentrée scolaire suivante, le nombre d’auxiliaires de vie scolaire auprès des élèves porteurs de handicaps de 2.000 à 6 000. La loi de 2005 ayant affirmé le droit à un parcours scolaire continu et adapté au plus près de son domicile, le recrutement de ces personnels ne fit que s’accélérer. Jean-Paul Laurent, du bureau du ministère de l’Éducation nationale, chargé de la scolarisation des élèves handicapés put dresser l’état des lieux, à partir des chiffres de l’année scolaire 2009/2010 : 21.800 aides à la vie scolaire sont intervenus auprès de 62.000 élèves. Ce dispositif a pris place dans une scolarisation plus large de 190.000 d’élèves handicapés dans 72.500 unités d’enseignement, tant en primaire au sein des Classes pour l'inclusion scolaire (CLIS), que dans le secondaire, dans les Unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS). Cette évolution est spectaculaire, puisque depuis 2005, on est passé de 96.000 élèves à 120.000 dans le premier degré et de 37.00 à 67.000 dans le second degré. Marie-Claude Marais de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie est venue confirmer cette montée en puissance, en présentant le plan pluri annuel programmé sur la période allant de 2008 à 2012 et qui prévoit la création de 12.250 places se répartissant en 7.250 créations nettes et 5000 transformations de places d’internat.

Quelle explication ?

Pour un peu, on se croirait revenus à cette période faste des années 1970, où chaque jour, un IME sortait de terre. Ne rêvons pas ! Le premier réflexe est de penser à une recherche du moindre coût, l’intervention ainsi externalisée revenant infiniment moins cher que l’accueil en internat. Mais, l’explication va bien au-delà de la simple rationalisation des choix budgétaires. Robert Lafore, professeur de droit public, propose une grille d’interprétation qui permet de comprendre la reconfiguration du paysage médico-social qui est en train de s’opérer. Certes, explique-t-il, ce secteur a toujours été agité, tant du fait l’inventivité permanente de ses acteurs que des réformes qui se succèdent d’année en année. Mais, derrière ce sentiment d’agitation, on peut identifier une logique de recyclage : avec du même, on cherche à faire différemment. Robert Lafore identifie ces transformations dans les trois lignes de force qui traversent tout système d’action sociale. La première d’entre elles se situe dans les conceptions fondatrices : ce sont les valeurs qui fondent la démarche et les finalités qu’elle s’assigne. La logique catégorielle qui s’adressait à des populations définies à partir de leurs difficultés, laisse la place à la dynamique individuelle de la personne singulière de l’usager. Il ne s’agit plus de trouver un espace propre à la différence, mais d’aider, de soutenir, d’accompagner le sujet, afin de lui faire suivre un cheminement qui lui permettra au travers de son projet de vie et des différents contrats qu’on l’invite à signer à revenir dans la norme et le droit commun.

Un nouveau paradigme

Second axe qui traverse l’action sociale : l’organisation des structures organisationnelles. Le développement d’un dispositif de prise en charge pour chaque catégorie d’usagers souffrant d’une déficience ne correspond plus au nouveau modèle. Ce qui est dorénavant à l’ordre du jour, c’est bien la remise en cause des cloisonnements entre les institutions : incitation au regroupement, à la coopération, à la construction de réseaux, la politique d’État consiste bien à ce que chacun se connecte aux autres. Les profondes modifications en terme de valeurs et de modes d’organisation ne pouvaient qu’avoir des effets sur les cultures professionnelles. Là aussi, un glissement progressif s’opère depuis une logique corporative qui voit les différentes qualifications et savoirs se juxtaposer vers un modèle systémique qui privilégie la mise en cohérence des compétences réciproques des uns et des autres. Ce qui est privilégié est bien, dorénavant, la constitution d’une intelligence collective. Illustration de ce nouveau paradigme décrit par Robert Lafore, le concept d’inclusion qui s’est imposé au domaine de la scolarisation des enfants handicapés. Philippe Mazereau, Maître de conférence et chercheur à l’université de Caen, décrit bien cette exigence qui est faite à l’école d’assurer pour chaque élève une réussite et une inscription sociale et ce quelles que soient ses caractéristiques. Dans ce modèle, l’intervention spécialisée ne doit plus en appeler à la dérogation mais se réfère dorénavant au droit commun et aux besoins de l’enfant en situation ordinaire.

Le travail social de demain

Et, c’est bien en cela que les SESSAD sont plébiscités. De par l’articulation qu’ils assurent entre les lieux de scolarisation, de professionnalisation, de loisirs et de vie familiale, ils répondent à la continuité d’approche, d’information et de relations requise. Il leur revient d’être les garants de la cohérence du parcours de l’usager, en coordonnant le réseau des différents acteurs intervenants dans les multiples aspects de sa vie, tant au niveau éducatif, thérapeutique que pédagogique. Mais, ils sont tout autant appelés à être les interlocuteurs privilégiés des enfants, adolescents et de leur famille dans l’élaboration de leur projet de vie et les dispositifs d’accompagnement mis en place par les services qui, parce qu’ils les concernent au premier abord, doivent les associer. Olivier Huet, Directeur de l’IRTS Île de France, déclinera les implications de cette posture qui, pour n’être pas dans une illusoire réciprocité égalitaire, n’en revendique pas moins une égale dignité. Il ne s’agit plus, explique-t-il, de cette « prise en charge » sous-entendant l’incapacité de savoir ce qui est bien pour soi et donc la nécessité de faire à votre place. Ce dont il est question dorénavant, c’est bien de proposer et de laisser prendre, de trouver l’endroit où l’on va prendre contact avec l’autre et de renégocier en permanence la relation entre deux parties en permanence mobiles. Cet accompagnement est un art et un savoir-faire complexe qui marque d’autant plus profondément les positions professionnelles que l’implication des usagers ne cesse d’être réaffirmée, dans les réformes, circulaires et conseils de bonnes pratiques qui se succèdent. Longtemps focalisé sur les internats rééducatifs où se trouvaient placés les enfants et adolescents porteurs de handicap, le secteur médico-social est en train de vivre sous nos yeux une métamorphose qui va profondément modifier les pratiques professionnelles. Ce à quoi on assiste, c’est bien à un décentrage du cœur de métier de l’institution spécialisée vers un chef d’orchestre mandaté pour mettre en cohérence les différents lieux fréquentés par l’usager. Les SESSAD pourraient être amenés à remplir de plus en plus ce rôle dans les années à venir.
 

Plusieurs dénominations pour une même fonction
Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? Les Services d’éducation spéciale et de soins à domicile éducatifs (SESSAD) adoptent des appellations différentes, selon le public auprès desquels ils interviennent. Ils ne changent pas de nom, quand ils accompagnent les enfants ou adolescents souffrant de déficience intellectuelle, de troubles du caractère et du comportement (annexe XXIV) ou de déficience motrice (Annexes XXIV bis), mais peuvent le faire dans le cas de situation de polyhandicap (annexe XXIV ter), en s’appelant alors Services de Soins et d’Aide à Domicile (SSAD). Ils deviennent Service de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire (SSEFIS), quand ils s’adressent à un public touché par la déficience auditive (annexe XXIV quater), SAAIS (Service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et de l’intégration scolaire) pour la déficience visuelle (annexe XXIV quinquies) et SAFEP (Service d'accompagnement familial et d'éducation précoce) quand ils prennent en charge de façon précoce des enfants déficients sensoriels (de 0 à 3 ans).
 

Une photographie des SESSAD
Le CREAI des Pays de Loire a adressé un questionnaire aux 418 SESSAD qui avaient donné leurs coordonnées, en vue de l’inscription aux journées : 252 d’entre eux ont répondu, 240 réponses ont été traitées. L’état de lieux donne 75% des services travaillant en direction d’une population d’enfants et d’adolescents souffrant de handicap mental, 46% gérant moins de 30 places et 85% moins de 60 places. Leur lieu d’intervention est à 62% un établissement scolaire ou de formation professionnelle. Le domaine dans lequel ils agissent est à 68% d’ordre éducatif et social et seulement 33% dans le thérapeutique. Leur mode privilégié d’interaction est individuel dans 75,8% des cas. Pour ce qui est de leurs perspectives d’avenir, 77% imaginent l’évolution des relations avec les parents qui se montreront plus exigeants et plus demandeurs d’une intervention éducative voire technique, au sein des familles ; 73% s’attendent à un accroissement de la capacité d’intervention et 46% à l’ouverture vers de nouveaux publics (autisme, troubles de l’apprentissage dont dyspraxie, dyslexie …) ; 71% pensent que les SESSAD vont s’orienter vers la polyvalence. Les séances qui se développeront seront collectives pour 72%, thérapeutiques pour 53%. Les collaborations qui s’approfondiront seront celles avec l’Éducation nationale pour 46% et avec la pédopsychiatrie pour 24%. Enfin, Si 98% des salariés ont le diplôme d’éducateur spécialisé et moins de 1% sont assistants de vie scolaire, c’est bien ce dernier cadre d’emploi qui est appelé à se développer pour 22%.

 
Lire interview de Corbet Eliane
Lire reportage SESSAD ARRIA - Sautron (44)  

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1008 ■ 03/03/2011