Interventions
ANAS - 2004 – Synthèses des ateliers
Synthèse des ateliers
Notre profession est en perpétuelle évolution. Elle est en prise avec son temps et répond avec retard parfois, d’une façon bien plus réactive à d’autres moments aux adaptations nécessaires. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des échanges qui ont eu lieu au sein des 11 ateliers qui se sont déroulés sur deux jours. Deux couples de mots reviennent systématiquement pour caractériser ce qui s’y est passé : dynamisme et richesse d’un côté, manque de temps et frustration de l’autre. Dynamisme et richesse tout d’abord parce qu’on sent des professionnels enthousiastes, forts de leurs expérience de terrain qui ont énormément de choses à dire. Tellement, d’ailleurs que le temps a manqué. D’abord parce que la durée impartie a été le premier jour diminuée par deux. Mais, de toute façon, toujours trop courte en regard de tout ce que chacune et chacun pouvait avoir à dire. D’où une inévitable frustration. Mais cette frustration est féconde et prometteuse de nouvelles rencontres à l’occasion des prochaines journées de l’ANAS dans les années à venir.
Je vous propose de rendre compte des contenus de ces carrefours à partir de trois entrées :
■ l’assistante sociale face aux nouveaux défis■ l’assistante sociale face aux pratiques innovantes
■ l’assistante sociale face aux risques de dérive
L’assistante sociale face aux nouveaux défis
Notre société est en pleine mutation et confronte la profession aux nécessaires adaptations.
C’est le cas tout d’abord des nouvelles technologies de l’information.
Atelier n°1 (mercredi 16 Juin) et atelier n°7 (jeudi 17 juin) : « Démarche qualité, informatique et système d’information sociales : quelle place pour les usagers ? Quel positionnement professionnel ? »
La qualité est une démarche qui vise à identifier la conformité, l’efficience et le résultat. Ce concept sert à structurer la recherche d’excellence quant au service rendu. On peut l’illustrer avec la technique qui s’est imposée depuis quelques années dans le travail social : l’informatisation. Cette technologie peut être utilisée soit comme un outil bureautique et statistique, soit comme un outil permettant de gérer des données sensibles, soit comme un outil d’évaluation tant des demandes que des réponses apportées mais aussi des dispositifs. Quelles que soient ses déclinaisons, son utilisation pose d’emblée la question de la place de l’usager. Là comme ailleurs, ce qui est enjeu, c’est bien sa reconnaissance comme sujet acteur et non simple objet soumis à une machine ou à une technique. Se pose dès lors toute une série de questions très concrètes. Si l’on informe l’usager de la saisie d’informations le concernant et qu’il répond s’y opposer, que doit-on faire ? Cela implique-t-il qu’on ne puisse alors répondre positivement à sa demande d’aide ? Est-ce aux tribunaux de trancher ?Quel contenu va prendre le dossier informatique et comment organiser son droit d’accès à ce dossier ? Va-t-on remplacer l’échange empathique, le face à face ainsi que la dimension interindividuelle par une communication par micro interposé ? L’informatisation ne peut se concevoir sans que soit associé les principaux concernés. Mais, si chaque travailleur social doit jouer un rôle actif en donnant du sens à l’outil qu’il utilise, il ne doit pas en exclure l’usager. On peut même envisager l’élaboration d’une charte tripartite (employeur, travailleur social, usager).
Le deuxième défi auquel ont été confrontés les carrefours est celui de l’adaptation des écrits professionnels aux nouveaux droits des usagers.
Atelier n°5 (mercredi 16 juin) : « Droit des usagers : quelles conséquences et quelles pratiques pour les écrits professionnels »
La citoyenneté des usagers a gagné un cran de plus, du jour où les dossiers judiciaires ont bénéficié du même droit que les dossiers administratifs en terme de consultation par les usagers. Cette possibilité élargie qui était peu utilisée jusqu’à présent, semble être de plus en plus utilisée depuis quelques mois. Cela rend d’autant plus incontournables la qualité et la précision des écrits qui sont rendus. L’objectivité des contenus, la nécessité que l’usager soit informé de ce qui est rédigé avant même qu’il ne le lise, l’utilisation d’un vocabulaire compréhensible et accessible par lui sont autant de recommandations qui s’inscrivent dans un authentique respect à son égard. Mais, comme toujours, l’accès à de nouveaux droits posent des problèmes d’application. Ainsi, la communication ne concernant que la personne et ses enfants directement impliqués par l’écrit, il conviendra de l’organiser de telle façon qu’il soit possible par exemple à chaque membre d’une famille recomposée de pouvoir n’avoir accès qu’aux parties qui le concerne personnellement. Les possibilités légales de saisie par la justice, nous rappellent l’importance de bien distinguer ce qui relève du dossier administratif directement consultable et ce qui correspond aux notes personnelles du professionnel. D’où l’intérêt de disposer de deux pièces bien distinctes. Ces nouvelles dispositions imposent que l’écrit soit rigoureusement selectionné en fonction du destinataire principal (ce qui était déjà le cas jusqu’alors), mais aussi dans l’hypothèse d’une lecture possible par l’usager. Faut-il craindre un jour, une plainte en diffamation d’un usager concernant les propos d’une assistante sociale dans un rapport ?
Dernier défi traité par les carrefours, et pas des moindre, car il détermine l’avenir de la profession : la réforme du diplôme.
Atelier n°12 (jeudi 17 juin) : « La réforme des diplômes d’Etat à l’épreuve de la validation des acquis par l’Expérience »
La réforme du diplôme d’Etat a été l’occasion de l’élaboration d’un référentiel professionnel auquel a été associée l’ANAS. Comme toujours, l’association a souhaité être présente au sein des instances mises en place par le ministère, même si cette collaboration n’est jamais simple. La participation au cheminement de la réforme a permis de faire passer entendre la voie de la profession et de faire adopter certaines options auxquelles elle tient. Mais cela n’a toutefois pas fait disparaître un certain nombre d’inquiétudes. Ainsi, avec la possibilité d’accès à la profession que permet la validation des acquis de l’expérience -notamment en ce qui concerne les nouveaux métiers du social- n’y a-t-il pas un risque d’abaissement du niveau de qualification ? La régionalisation des formations ne signifie-t-elle pas le retrait de l’Etat en tant que garant de l’uniformité au niveau national des exigences quand aux modalités d’enseignement et sanction finale du diplôme laissées à l’appréciation des conseils généraux ? Comment les écoles vont-elles pouvoir appliquer pour le mois de septembre une réforme dont les décrets paraissent au mois de juin précédent ? Le regret qui a été formulé au cours de cet atelier, c’est que la profession ne se soit pas plus massivement emparée de l’occasion qui lui était donnée là de peser sur un processus qui va déterminer sa destinée dans les prochaines décennies
L’assistante sociale face aux pratiques innovantes
Après les défis, passons aux pratiques innovantes.
Les carrefours en ont abordé deux.
Le premier n’est pas nouveau, mais peine à se généraliser : c’est le travail collectif.
Atelier n°2 (jeudi 16 juin) et n°8 (vendredi 17 juin) : « démocratie, actions collectives, solidarités et développement social local : les différents positionnement professionnels »
L’action collective est un outil de plus en pus souvent utilisé par les professionnels de l’action sociale.
A d’abord été évoqué l’exemple d’une assistante sociale de secteur qui a mis en œuvre une action de dynamisation des familles d’un quartier, l’objectif visé étant de les aider à peser sur les décisions locales. La démarche a pu se réaliser grâce à la mise en réseau des professionnels. Le résultat obtenu a permis une véritable mobilisation de la population. Avec comme résultats : la mise à disposition d’un local pour les rencontres, l’organisation d’une aide aux devoirs, l’investissement du bailleur dans l’amélioration du cadre de vie, la mise en place un temps, par la mairie d’une navette pour assurer les trajets jusqu’à l’école. Mais les bénéfices indirects sont tout aussi intéressants : renforcement du lien social, renouvellement du dialogue entre habitants et appropriation de l’espace par les familles du quartier… obtenus grâce à une action citoyenne.
A ensuite été présenté l’exemple d’un centre social qui a conçu son fonctionnement comme un lieu de vie servant d’articulation entre des habitants et le territoire sur lequel ils vivent. Le travail social engagé dans ce contexte vise à faire entrer les personnes dans une dynamique transversale. Ce sont leurs souhaits, leur avis et leur cheminement qui guident la démarche des professionnels qui s’adaptent en utilisant toute une palette d’interventions qui va de l’individuel au collectif.
Dans un cas comme dans l’autre les mêmes constats ont surgi.
Ces actions collectives qui se veulent souples et adaptables se heurtent trop souvent aux lourdeurs institutionnelles, les professionnels étant amenés à se placer parfois en porte à faux avec leur employeur. Les financements proposés sont trop souvent peu compatibles avec un travail à long terme et une pérennisation. C’est l’occasion pour les usagers de se réapproprier un savoir-faire dont ils ne se pensaient pas capables et de prendre de l’autonomie dans leurs relations aux professionnels qui perdent un peu de leur toute puissance. Quant à ces derniers, la mutualisation et la rupture des cloisonnements constituent un avantage indéniable, tant en terme de confort de travail que de relation aux usagers.
Seconde innovation le travail au sein même des commissariats de police.
Atelier n°11 (jeudi 17 juin) : « Travail social en commissariat : quelles pratiques professionnelles ? »
Les menaces récentes contre le secret professionnel dans les lois Sarkozy et Perben ont fait l’objet d’une vigoureuse réaction de la part des travailleurs sociaux. Se pose dès lors la question du respect des règles déontologiques pour les 25 collègues qui interviennent au sein des commissariats. Une complémentarité est-elle possible sans que cela implique une complicité ? L’exemple de Nantes évoqué lors dans l’atelier démontre que le travail engagé ne remet pas en cause les modalités traditionnelles de la profession et notamment le respect absolu de la confidentialité et l’accueil de la souffrance des usagers qui peut être assuré dans une logique de suivi psychosocial sans que l’autorité policière ne vienne à aucun moment interférer. L’AS a accès aux procédures policières mais n’est pas sollicitée pour donner des informations. L’accompagnement s’est toutefois limité aux victimes, alors qu’il était prévu que les mis en cause soient aussi concernés. Mais cela aurait trop heurté la culture des policiers. Le travail côte à côte implique un respect réciproque et un renoncement aux représentations souvent caricaturales que chacun a sur l’autre. Qu’en est-il exactement de la composante raciste et violente d’une profession à qui la société accorde le monopole de la force ? Un dialogue dynamique a opposé au sein de l’atelier les participants refusant l’angélisme à ceux qui ont mis en garde contre les caricatures.
L’assistante sociale face aux risques de dérive
S’il est bien un thème auquel est attachée la profession, c’est la vigilance à l’égard des dérives qui peuvent entacher son exercice.
Premier sujet assez récurrent : les rencontres et actions communes entre partenaires.
Atelier n°3 & 4 (mercredi 16 juin 2004) : « Quand les femmes participent à la vie locale : quoi de neuf pour la démocratie ? » & « Partenariat, travail en réseau et partage de l’information : à quel prix ? »
Il convient de distinguer entre le partenariat qui est une initiative institutionnelle et le réseau qui se situe dans une dynamique individuelle. Dans un cas comme dans l’autre, il est essentiel de s’interroger sur le sens que l’on donne à ce type de travail qui implique un partage de l’information. L’obligation du secret professionnel s’impose dans tous les cas, le secret partagé n’ayant aucune existence légale (dès qu’il est partagé, un secret n’en est plus un). Le risque est important alors que les éléments fournis soit l’occasion de suspicions artificielles et colporte une vision pré-établie des situations. Tout usager, s’il doit être consulté sur de tels partages, a un droit inaliénable à l’opacité sur son existence. C’est l’article 9 du Code Civil sur le respect de la vie privée. Illustration de cette problématique du travail en réseau, l’émergence de femmes médiatrices dans certains quartiers qui occupent une place à l’interface entre des femmes en difficulté, des élus et des travailleurs sociaux. Les professionnels ont dû apprendre à leur faire confiance et à les intégrer comme partenaires de travail, avec à la clé la question du partage de l’information et de ses limites.
Second thème traité par les carrefours : la place du secteur économique dans le travail social.
Atelier n°6 & 9 (mercredi 16 et jeudi 17 juin) : « Enjeux et paradoxe de l’insertion par l’économique : quelle mission pour les travailleurs sociaux ? »
Les associations d’insertion par l’économique ont pour mission principale d’accompagner les personnes dans leur intégration dans un emploi salarié. Dans la continuité du nouveau contrat RMA, il leur est demandé de se rapprocher des partenaires du secteur marchand pour mieux affiner l’évaluation de leur travail. N’est-ce pas là le début d’une appropriation par le privé du dispositif d’insertion concomitant aux financements de plus en plus aléatoires ? L’insertion par l’économique s’est toujours heurté à la question de savoir si l’emploi était la forme ultime du bien-être social. Mais, elle pose aussi une autre question : le maintien d’une catégorie de travailleurs pauvres que l’on indemnise selon des modalités qui les placent en dessous du seuil de pauvreté. Face à ces constats, les professionnels ressentent un fort sentiment d’impuissance et sont parfois partagés entre l’obligation de réserve et l’implication militante.
Enfin, dernier sujet qui subsisterait quand bien même tout viendrait à s’écrouler : la question de l’éthique
Atelier n°10 (jeudi 17 juin 2004) : « Ethique et déontologie : quels positionnements des travailleurs sociaux face aux évolutions de la loi ? »
L’atelier confié à Saül Karsz a été l’occasion de contre-points, de fulgurances et d’aphorismes parfois déroutants, souvent déstabilisants, mais toujours féconds. Trois illustrations nous permettront de donner à voir ce qui a pu se dire. D’abord une mise en garde sur des mots qu’on utilise parfois imprudemment de telle façon que ce sont eux qui nous utilisent. Ainsi lorsqu’on parle des bénéficiaires du RMI. Est-on sûr que les usagers s’épanouissent grâce à cette allocation plus qu’ils n’en pâtissent ? Autre illustration : il y a une illusion a se croire en prise directe avec l’usager. L’écoute est toujours instrumentalisée par des grilles de lecture, des catégories qui sont déterminées par les politiques sociales. Ce qui compte c’est d’être conscient de cette dépendance et de savoir ce que l’on va en faire. Enfin, que dire de la volonté de vouloir sortir l’usager de ses souffrances ? Sinon que les symptômes peuvent aussi protéger. Faisons attention de se dépêcher à vouloir les guérir trop vite !
Pour ce qui me concerne, je suis conscient du caractère réducteur et limitatif de mon travail de synthèse. Et comme les travailleurs sociaux sont a priori bienveillants et empathiques face aux usagers auxquels ils font face, je vous demanderais, une fois n’est pas coutume, de me considérer comme votre client et donc de m’accorder votre indulgence. Merci de votre attention.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°715 ■ 01/07/2004