JET ANAS - 2005 - Evolution du monde du travail

Jeudi 17 mars 2005 - Ouverture des Journées d’Etudes du Travail
 

Catherine BANLIN - ANAS

Je fais partie de la Commission Travail de l’ANAS et suis plus particulièrement chargée de l’organisation des 54èmes Journées d’Etudes du Travail, appelées pour simplifier JET05. Leur programme a été largement porté par l’équipe d’ACTIS et par Pascale Fournand.

Au nom de la Commission Travail de l’ANAS, je vous souhaite la bienvenue à ces JET05. Avant tout, nous souhaitons remercier nos aînées qui nous ont transmis leur expérience des JET, mettant ainsi en pratique la transmission intergénérationnelle des connaissances.

Vous venez de toute la France, y compris de l’outre-mer, et de toutes sortes d’entreprises. Nous vous remercions d’avoir répondu nombreuses pour tenter de progresser dans notre compréhension du monde du travail dans lequel nous vivons à la fois en immersion et à la marge. Au cours de ces journées, nous nous efforcerons également de mieux définir le rôle du service social du travail.

Les contacts que j’ai eus durant la préparation de ces JET05 m’ont confirmé que, bien qu’elles en soient à leur 54ème édition, ces journées ne sont pas devenues un rite. Elles répondent au contraire à un besoin d’autant plus impérieux que la situation des entreprises et de leurs salariés se complexifie en ce début de XXIème siècle. Les 53èmes JET avaient eu lieu en janvier 2002 sur le thème de la violence au travail. Aujourd’hui, les inscriptions dans les ateliers montrent que la pression psychologique apparaît au centre de vos préoccupations. Nous avons d’ailleurs travaillé dans cet esprit en ouvrant deux ateliers consacrés à l’accompagnement des salariés en situation de pression psychologique.

Ces JET sont les premières journées à être organisées par la Commission Travail actuelle qui a été réactivée il y a 18 mois, précisément pour relancer cette manifestation. Cette commission est constituée d’une douzaine d’assistantes sociales représentatives des différents statuts et conditions d’exercice du service social du travail en entreprise. A partir de ce noyau organisateur, s’est développée l’équipe d’intervention des JET05. Elle est composée d’une soixantaine d’intervenants extérieurs à la profession (comme ceux qui prendront la parole ce matin) mais surtout d’assistantes sociales. Nous avons donné la priorité au travail en atelier. Chacun de ces ateliers permettra d’échanger avec au moins trois assistantes sociales. Ces dernières transmettront leurs expériences afin que nous puissions déterminer ensemble comment répondre aux situations que nous rencontrons dans l’exercice de notre métier. Je précise que Jacques Trémintin, notre animateur, est également assistant social.

Nous avons travaillé dans la continuité des 53 JET précédentes comme l’indique notre choix d’un thème récurrent comme la place du service social du travail au sein de l’entreprise.

Sur la forme, nous avons cependant apporté un certain nombre de changements. Ils concernent tout d’abord le format de notre manifestation. En effet, nous en avons ramené la durée de trois à deux journées dans la mesure où il nous est de plus en plus difficile de nous absenter plus de deux jours de nos entreprises. Ensuite, cette session de formation interactive alternera temps d’apports théoriques et temps d’échanges, puisque nous avons voulu donner une large place à la discussion en séance plénière comme en ateliers. Dans le même esprit et afin d’optimiser le temps que nous allons passer ensemble, les déjeuners ont été organisés de manière à prolonger ces échanges de façon libre et ouverte.

Pour conclure, je rappellerai qu’au-delà du constat des difficultés que nous connaissons dans les entreprises et de leur impact sur le service social du travail, ces JET05 doivent avant tout nous permettre de construire des réponses à ces problèmes. En effet, nous devons être une véritable force de proposition au sein de nos entreprises et institutions.

 

Présentation des intervenants

Jacques TREMENTIN
Je tenais à vous dire comme je suis heureux d’être parmi vous, ceci pour plusieurs motifs. Tout d’abord, le premier poste auquel j’ai postulé avant de m’orienter vers la protection de l’enfance était un poste d’assistant social du travail.
Vous êtes également les héritières des pionnières de 1917 et cela a un côté fascinant. J’ai participé au groupe de travail qui a préparé ces journées. A cette occasion, j’ai été étonné et impressionné par le dynamisme de ses membres. Cet enthousiasme évoque celui que l’on pouvait trouver chez ces pionnières.
En outre, à chaque fois que j’ai participé à des journées de l’ANAS, j’ai été frappé par l’extrême interactivité des débats. En effet, contrairement à nombre d’autres colloques, les participants dans la salle sont très impliqués : ils discutent, interviennent...
Je vais maintenant passer la parole à Gloria Kibler qui va nous présenter les deux premiers intervenants : Philippe Askenazy et Philippe Davezies.

 

Gloria KIBLER
Bonjour, je suis assistante au sein du service social du travail d’ACTIS à LYON.
Pour l’ouverture de ces 54èmes journées d’études du travail, nous consacrerons la matinée à une réflexion sur l’évolution du monde du travail. Celle-ci s’appuiera sur une analyse pluridisciplinaire menée par trois acteurs qui occupent une place importante dans la société ou dans l’entreprise : l’économiste, le médecin du travail et le responsable des ressources humaines.
Nous avons donc l’honneur d’accueillir :
▪       Philippe Askenazy, économiste, chercheur au CNRS et à l’Ecole Normale Supérieure à Paris ;
▪       Philippe Davezies, médecin du travail, enseignant chercheur à l’université Lyon 1 et praticien à l’hôpital sud à Lyon ;
▪       Marie-Claude Sarrazy, DRH au Réseau Ferré de France à Paris.

 

Présentation de Philippe Askenazy

Pourquoi avons-nous invité Philippe Askenazy ? Au moment où la Commission Travail de l’ANAS venait de définir le thème des JET 2005, sortait en librairie son dernier ouvrage Les désordres du travail – Enquête sur le nouveau productivisme (avril 2004). J’ajoute que cet ouvrage a obtenu le prix du livre d’économie au Sénat en janvier 2005. Ce travail constitue une analyse innovante de l’évolution des organisations de travail et des formes de management dans l’entreprise, ces évolutions étant saisies à travers le prisme de l’économiste.

Ce qui nous est apparu intéressant dans cette démarche, c’est que, pour une fois, la prise en compte de la santé au travail dans les modes de management et les organisations y est présentée comme un passage obligé pour l’entreprise si celle-ci veut améliorer les conditions de travail, réduire les accidents et les maladies professionnelles, mettre en place une véritable politique de prévention des risques professionnels, qui permette d’améliorer la santé, la sécurité et le bien-être des salariés.

A cet égard, il faut savoir que 760 000 accidents du travail, entraînant 700 décès et 35 000 maladies professionnelles, sont déclarés chaque année.

Un médecin du travail s’interrogeait récemment sur une antenne de radio : « Comment ne pas perdre sa vie à la gagner ? ». Comment remédier au paradoxe de notre société qui, alors même qu’elle accomplit d’énormes progrès (notamment dans le domaine technologique ou du droit du travail), assiste à une dégradation de notre environnement et du climat au travail, avec les répercussions que cela peut avoir sur la santé des travailleurs ? Le service social du travail prendrait-il sa place au cœur de ce paradoxe ? Comment affirmer sa spécificité ? Philippe Askenazy nous fera part de ses constats et esquissera quelques réponses.

 

Présentation de Philippe Davezies

Pourquoi avons nous invité Philippe Davezies ? Nombre d’entre nous ont eu, à un moment ou à un autre, l’occasion de lire l’un de ses nombreux articles ou de le croiser à l’occasion d’un colloque ou au sein d’un groupe de travail professionnel.
 
Dans son article Psychodynamique et évolution des pratiques en santé au travail – Perspectives et difficultés paru dans les actes du colloque international de psychodynamique et psychopathologie du travail des 30 et 31 janvier 1997, Philippe Davezies distingue trois grandes périodes dans l’évolution de la médecine du travail.
Avant les années 60, les questions de santé renvoyaient aux travailleurs fragiles ou faibles, aux « petites natures ». On partait également du principe que les accidents du travail étaient le fait de travailleurs maladroits.
 
Des années 60 aux années 80, la médecine du travail a été marquée par un changement majeur : la prise de conscience et l’invention des conditions de travail par les partenaires sociaux. C’est au cours des années 70 qu’ont été votées plusieurs lois :
▪       le texte instituant l’ANACT en 1973 ;
▪       la loi relative à la prévention des accidents du travail en 1976 ;
▪       celle visant à améliorer la prise en charge de la prévention par la médecine du travail en 1979.
 
Enfin, la période allant des années 80 à nos jours a notamment vu le vote des lois Auroux en 1986, celles-ci apportant une nouvelle pierre à l’édifice de la médecine du travail.
De plus, avec l’apparition des nouvelles technologies, de nouveaux modes de management et de nouvelles formes d’organisation du travail, la problématique de la santé au travail doit désormais intégrer la dimension collective de la prévention.
Les apports de la psychodynamique du travail et les travaux de Christophe Dejours viennent également enrichir les pratiques de la santé au travail, en améliorant la compréhension des nouvelles pathologies liées à la vie au travail : TMS, stress, dépression, souffrance au travail renvoient à ces évolutions.
Sans oublier une nécessaire dimension européenne, la loi de modernisation sociale de 2002 prévoit une réforme de la santé au travail et introduit la notion de pluridisciplinarité. Le service social du travail doit y trouver sa place. Comment ?
Enfin, il convient d’évoquer le plan santé au travail 2005-2009 qui a été présenté le 17 février dernier par le Ministre délégué aux relations du travail. Ce plan prévoit, parmi d’autres mesures, la mise en place d’une agence de santé au travail. Cette dernière prendra en charge :
▪       l’évaluation de la prévention des risques professionnels ;
▪       le renforcement de la formation des inspecteurs du travail ;
▪       la mise en œuvre de la réforme de la tarification des accidents du travail.
Philippe Davezies nous dira ce qu’il en pense.
Ma collègue Françoise Fraizy nous présentera, après la pause, Marie-Claude Sarrazy.
 
Bonne matinée à toutes et à tous !

 


Du malaise au travail, fatalité ou problème économique ?

Philippe ASKENAZY - Economiste, CNRS, ENS

L’actualité se fait de plus en plus pressante en France sur la question des conditions de travail, en particulier s’agissant de la santé et de la sécurité dans les entreprises. Pour ma part, je vais m’adresser à vous en tant qu’économiste du travail. A ce titre, je m’intéresse aux sujets suivants : comment les gens travaillent-ils ? Quelles sont les conditions de travail en entreprise ?

Je procéderai en deux grandes étapes. Tout d’abord, je m’efforcerai de décrire ce qu’un économiste peut comprendre du malaise au travail et de ses sources. Ensuite, j’évoquerai les solutions qui, au sein des entreprises, peuvent être apportées à ces problèmes.

 
 

Une intensification du travail

Quel malaise au travail ? Depuis deux ans en France, le discours politique du gouvernement Raffarin évoque une perte de la valeur travail : les Français n’auraient plus confiance dans leur travail, ne voudraient plus travailler… Or l’ensemble des travaux menés par les sociologues et les économistes montre que de telles affirmations ne sont pas fondées. En réalité, les Français travaillent, souhaitent travailler et, de surcroît, travaillent dur. S’il existe un malaise au travail, il réside dans son intensification et dans la dégradation des conditions de travail, ces deux phénomènes se traduisant par une dégradation de la santé et de la sécurité.
 
A partir de ce premier élément, il convient d’étudier en quoi consiste cette intensification. Au milieu des années 90, le rapport Boissonnat sur l’évolution du travail à un horizon de vingt ans affirmait que le travail allait devenir de plus en plus immatériel et évoquait des problèmes de charges mentales, de stress. On s’aperçoit aujourd’hui au travers d’enquêtes, d’études statistiques que la charge mentale s’accroît effectivement au travail avec la culture de l’urgence, la recherche de la qualité, la préoccupation permanente de la satisfaction du client à laquelle est même sensibilisé l’ouvrier sur sa chaîne. La nouveauté, c’est que cette charge mentale ne se substitue pas à la charge physique. Au contraire, les deux se cumulent. Ceci est vrai dans les entreprises privées mais aussi de plus en plus dans le secteur public.
 
Ce phénomène n’est pas seulement français mais européen. Dans les enquêtes menées dans les différents pays de l’Union européenne, les salariés déclarent de plus en plus supporter de lourdes charges physiques auxquelles viennent s’ajouter des éléments de charge mentale tels que l’augmentation des cadences subies ou les tensions qui règnent au sein des entreprises.
 
 

Des accidents du travail à nouveau en augmentation

On assiste depuis plusieurs années à la fin de la baisse historique des fréquences d’accidents du travail, comme si on ne parvenait plus à améliorer la sécurité au travail. En France, les dernières statistiques connues montrent même une augmentation du nombre des accidents, avec une hausse de 9 % des accidents graves du travail dans le secteur privé entre 2001 et 2002. On observe également une multiplication des troubles musculo-squelettiques qui ont décuplé au cours de la dernière décennie.
 
Pour l’économiste, il est intéressant de noter que l’évolution que l’on connaît aujourd’hui en France correspond à ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec un décalage de cinq à six années, le temps que les managers français importent les méthodes américaines. Par exemple, la courbe d’augmentation des troubles musculo-squelettiques aux Etats-Unis à partir de 1985 est similaire à celle de la France depuis le début des années 90. Il en est de même pour la progression du nombre d’accidents du travail.
 
 

Les raisons de ce phénomène

Les discours des économistes du travail, des sociologues, des médecins du travail et des ergonomes pointent tous une même cause : ce que j’appelle dans mon livre le productivisme réactif. Il s’agit d’une dynamique du capitalisme qui s’avère particulièrement difficile à enrayer.
 
Ce productivisme réactif recouvre de nouvelles pratiques managériales et de nouveaux modes de travail : les démarches de certification totale (en particulier la certification ISO), le développement du juste à temps et, plus généralement, la flexibilité du travail et du temps de travail. Parallèlement, on assiste à l’irruption des technologies de l’information et de la communication qui sont de plus en plus utilisées par l’ensemble des travailleurs. Or les économistes ont montré que ces nouvelles technologies et ces changements organisationnels entrent en résonance les uns avec les autres : tout progrès technologique exige de la part des entreprises une plus grande flexibilité et cette exigence induit à son tour le besoin de technologies adaptées à ces organisations.
 
Le malaise au travail tient à un troisième paramètre que je désigne sous les termes de concurrence, de structure des marchés, de sous-traitance… L’entreprise elle-même suscite des besoins chez les consommateurs (être livré le plus rapidement possible par exemple). Ainsi, ce qui se passe au sein de l’entreprise entre en résonance avec plusieurs facteurs externes :
▪       le consommateur ;
▪       la pression qui pèse sur la réglementation du travail afin d’accroître la flexibilité ;
▪       le développement de la concurrence, qui favorise l’arrivée de nouvelles technologies (cela a été le cas de l’explosion de l’ADSL qui a été rendue possible par la remise en cause du monopole de France Télécom).
 
Au centre de cette dynamique extrêmement difficile à enrayer, se trouve le travailleur qui est négligé par les entreprises. Leur management considère en effet que tout salarié est avantagé ne serait-ce que par le fait d’avoir un emploi et, dès lors, il ne se préoccupe pas de ses conditions de travail. Ce mouvement du capitalisme mondial (on assiste ainsi à une explosion des certifications ISO y compris dans les nouveaux pays adhérents à l’Union européenne et encore plus en Chine) semble irréversible sauf à faire une révolution.
 
Pourquoi ce productivisme réactif se traduit-il par une dégradation de la santé et de la sécurité et nourrit-il un malaise au travail ? Au-delà d’une très grande hétérogénéité d’un salarié à l’autre ou d’une entreprise à l’autre, on constate un grand nombre de dysfonctionnements au sein de ces organisations du travail dites de haute performance. En particulier, le fait que les salariés reçoivent des ordres contradictoires ou que l’on assiste à une montée spectaculaire de l’absentéisme montre une réalité très éloignée des organisations optimisées affichées par le management. Il existe donc un profond dysfonctionnement du travail au sein de l’entreprise, dysfonctionnement dont l’origine réside dans l’oubli du travailleur. Dans les modes d’organisation, l’humain n’est pas suffisamment pris en compte avec ses besoins et ses faiblesses.
 
 

Ses conséquences

Toutes ces évolutions ont des conséquences socio-économiques et plus particulièrement économiques.
Leur coût est d’abord humain avec l’augmentation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
 
On assiste, de plus, à un cumul entre précarité (problèmes familiaux, problèmes de logement, statut salarié précaire en CDD ou en intérim) et pénibilité du travail. Une catégorie de travailleurs est donc tout particulièrement touchée par la dégradation des conditions de travail.
 
En outre, il existe une vraie contradiction entre la volonté affichée de maintenir la population active le plus longtemps possible au travail et « l’usure » de plus en plus rapide des jeunes salariés.
 
La société supporte déjà le coût des maladies et accidents du travail au travers du déficit de dix milliards d’euros de la branche travail de la Sécurité sociale, ce déficit concernant uniquement le secteur privé. Il convient d’y ajouter dix autres milliards d’euros, toujours au titre de la Sécurité sociale ainsi que le coût des hôpitaux publics. Le coût est également élevé pour les entreprises qui doivent supporter un fort absentéisme et une perte de motivation de leurs salariés.
 
En France, les études sur le coût de ces dysfonctionnements pour la société et pour les entreprises sont rares, contrairement aux pays anglo-saxons ou aux pays du nord. Cependant, on peut considérer qu’il représente 3 % de la richesse nationale (soit l’équivalent de douze jours fériés), alors qu’il est évalué à 2 % du PIB aux Etats-Unis et à 1,5 % dans les pays scandinaves. Dès lors que l’on se trouve confronté à un coût aussi important, ce problème à l’origine strictement social revêt une dimension économique, ce qui permet à l’économiste de s’intéresser à ce qui se passe dans les entreprises.
 
 

Une approche économique

On sait depuis longtemps que le modèle institutionnel responsabilise financièrement les entreprises (le plan santé travail du gouvernement avance certaines pistes à ce sujet). En outre, dès lors qu’elle dispose en matière de contrôle de gestion d’outils qui s’intéressent à la santé, à la sécurité et au bien-être des salariés au travail, l’entreprise a les moyens d’effectuer un calcul coût/avantage qui peut ensuite la convaincre de faire le choix de la prévention. Une fois les coûts identifiés et internalisés, autrement dit payés directement, les entreprises, comme c’est le cas dans les pays scandinaves et anglo-saxons, mettent en place, en parallèle à une démarche de qualité des biens et services, des actions en faveur de la qualité de vie de leurs salariés. Les améliorations des conditions de travail des salariés peuvent ainsi résulter d’un strict calcul économique.
 


L’exemple américain

Au milieu des années 90, aux Etats-Unis l’ensemble des acteurs a pris en considération les coûts induits par de mauvaises organisations. Les compagnies d’assurance (privées aux Etats-Unis) ont commencé à augmenter leurs tarifs de manière spectaculaire au point que les seules primes pour les accidents et maladies professionnels ont pu représenter 5 % des profits moyens des entreprises (jusqu’à 20 % pour certaines). Dès lors, les entreprises ont commencé à regarder cette source de coûts et cherché à réaliser des économies à ce niveau.

Les syndicats ont également joué un rôle important dans ce domaine. Pour inciter le plus grand nombre de salariés à se syndiquer, ils ont attaqué diverses entreprises en s’appuyant sur plusieurs arguments au premier rang desquels, avec la faiblesse des salaires, se trouvaient les mauvaises conditions de travail. Dès lors, pour éviter qu’un syndicat ne se développe en leur sein, les sociétés ainsi mises en cause ont engagé des démarches de prévention consistant en l’augmentation des salaires et en l’amélioration des conditions de travail.

L’Etat a également joué un rôle essentiel en la matière, plus particulièrement l’inspection du travail qui constitue une véritable police du travail aux Etats-Unis et qui a commencé à stigmatiser les entreprises. En particulier, tous les rapports des inspecteurs du travail sont disponibles sur le site Internet du département du travail américain. De la même manière, l’Etat américain publie tous les ans la liste des 10 000 établissements les plus dangereux avec leur adresse, leur numéro de téléphone, le nom de leur directeur. Certaines entreprises ont fait des efforts afin de sortir de cette liste noire alors que d’autres comme Coca-Cola ou Pepsi-Cola, qui comptent chacun une centaine d’usines sur cette liste, n’en ont pas tenu compte.

Globalement, quand les entreprises ont pris conscience que cette question pouvait induire pour elles un coût financier ou d’image, un véritable changement a eu lieu au milieu des années 90. Cette prise de conscience a coïncidé avec le retour au plein emploi, qui a, lui aussi, contribué à l’amélioration des conditions de travail. Environ la moitié des entreprises s’est alors mise à effectuer des investissements massifs sur les enjeux de santé, de sécurité et de conditions de travail des salariés. Le nombre de consultants en ergonomie a ainsi doublé aux Etats-Unis à cette période.

Dès lors, tous les indicateurs du mal-être au travail se sont améliorés : le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles ainsi que l’absentéisme ont chuté parallèlement de près de 40 %. Les TMS ont également connu une diminution sensible, sans toutefois revenir à leur niveau du milieu des années 80. A cet égard, le décalage de six ans que l’on constate d’ordinaire entre les Etats-Unis et la France n’est pas vérifié dans le cas présent. En effet, l’amélioration que notre pays aurait dû connaître dans ce domaine au début des années 2000 ne s’est pas manifestée.

 

Le cas français

Sur l’ensemble des indicateurs, la France enregistre les plus mauvais résultats en Europe à l’exception de l’Espagne, ce qui nous conduit à penser que notre pays dispose d’une certaine marge de manœuvre. Ce retard de la France est principalement lié au fait que les entreprises ne sont pas assez incitées à prendre en compte leurs salariés. Il est également imputable à la grande incompétence des managers français sur ces questions. Dans la plupart des autres pays, de nombreux responsables des ressources humaines ont été formés aux questions de bien-être au travail, de santé et de sécurité. A l’inverse, en France, les formations que suivent les managers s’inscrivent dans une perspective de droit du travail, d’hygiène et de sécurité. Ces sujets sont donc perçus comme autant de contraintes imposées à l’entreprise et nos managers ne cherchent pas à associer l’humain à la performance de l’entreprise.

Que faire en France ? On se trouve dans une situation irrationnelle où les mauvaises conditions de travail entraînent un surcroît de dépenses. Nous devons changer de paradigme et considérer que ce sont les entreprises qui sont mal organisées et non les salariés qui veulent moins travailler. Compte tenu des marges de manœuvre importantes, s’ouvre peut-être aujourd’hui en France une période particulièrement favorable avec notamment le plan santé travail. Celui-ci avance un certain nombre d’idées pour améliorer la prise en compte des conditions de travail au sein des entreprises.

Il y a de la part des politiques, à droite comme à gauche, une véritable prise de conscience due notamment à la condamnation de l’Etat par le Conseil d’Etat sur l’affaire de l’amiante et au déficit chronique de la branche travail de la sécurité sociale. Les syndicats commencent également à réfléchir à cet enjeu qu’ils avaient abandonné depuis longtemps au profit des salaires ou de l’emploi.

Finalement, il manque un acteur principal qui est le dirigeant d’entreprise. Certes, l’Etat et les syndicats peuvent donner une nouvelle visibilité à cette question. Cependant, l’ensemble des intervenants ont un rôle à jouer au sein de l’entreprise, qu’il s’agisse des médecins du travail qui doivent sensibiliser les dirigeants sur les conséquences des mauvaises conditions de travail (pathologies, montée de l’absentéisme) ou des autres acteurs sociaux comme les assistantes sociales. Ces dernières peuvent mettre en évidence le lien entre les difficultés rencontrées par les salariés au travail et celles qu’ils connaissent dans leur vie. Elles peuvent montrer que ces difficultés influent fatalement sur leur performance au travail.

Encore une fois, la période actuelle est propice à cette mobilisation de l’ensemble des acteurs, ce qui permettrait de donner à cette question une nouvelle visibilité auprès des dirigeants d’entreprise. Il est possible, sans revenir à la situation antérieure, de franchir un palier très important en France.

 

 

 

Débat avec la salle

►       Une assistante sociale de la Poste à Tours
Vous n’avez pas évoqué les 35 heures et ce que cette réforme implique comme changements pour les travailleurs qui doivent effectuer la même quantité de travail dans un temps plus court. Cette situation entraîne des problèmes physiques très importants, des TMS en particulier. De plus, hier à la télévision, un reportage évoquait le cas de salariés qui, pour éviter de voir disparaître leur entreprise, ont accepté de travailler 37 heures et demie payées 35. Je constate aussi dans mon entreprise une grande culpabilisation des salariés qui sont sommés de travailler plus pour faire face à la concurrence.

►       Une assistante sociale dans une banque à Toulouse
Je voudrais faire une remarque par rapport à la visibilité que vous avez évoquée. Elle existe bien dans mon entreprise mais je me demande s’il n’y a pas surtout une résistance au changement de la part des DRH et de la Direction ou un manque de savoir-faire et d’exemples.
Quant aux autres acteurs sociaux de l’entreprise, je travaille avec un médecin du travail interentreprises qui a tendance à comparer les différentes entités dans lesquelles il intervient et à considérer le travail dans une banque comme un travail confortable et privilégié, ce qui, selon moi, n’est pas le cas.

►       Une assistante sociale chez Total à la Défense
Il est louable de nous donner pour mission d’informer nos DRH. Néanmoins, dans les faits, dans les très grandes entreprises, nous jouons de moins en moins ce rôle. Je pense que c’est un problème de stratégie d’entreprise. De surcroît, ce qui est vrai aujourd’hui pour les grandes entreprises le sera demain partout.

►       Philippe ASKENAZY
Un chapitre de mon ouvrage est consacré au temps de travail mais il était difficile ici d’en parler longuement. Les 35 heures se sont traduites de la part des hommes politiques par un abandon de la question du travail. Les concepteurs des lois Aubry ont considéré que la réduction du temps de travail suffirait à améliorer les conditions de travail. Du coup, on a lâché beaucoup de lest au patronat qui a cherché à obtenir la plus grande flexibilité possible. On a également pu observer une très forte hausse des inégalités entre salariés. En particulier, les salariés les plus défavorisés se sont retrouvés dans des situations encore plus difficiles avec des éclatements d’horaires et une intensification de leur travail.
Dans l’ensemble, lorsque le temps de travail a été réduit de 10 % dans la plupart des entreprises, on a constaté une augmentation de 5 % de la productivité horaire du travail. Il y a eu de la part de la gauche une véritable erreur de compréhension de la question du travail. Aujourd’hui, quand on s’adresse à des DRH, ils observent qu’avec les 35 heures l’absentéisme a augmenté mais ils ne voient pas pour autant comment ils pourraient corriger ces dysfonctionnements et préfèrent ne pas se préoccuper des salariés. Cela dénote que les managers français ne sont pas suffisamment formés sur ces questions, contrairement à ce qui se passe à l’étranger.
Ce qui me rend optimiste, c’est que les multinationales commencent à établir des comparaisons entre leurs filiales. Par exemple, quand elles constatent les résultats obtenus aux Etats-Unis ou dans les pays scandinaves, elles envoient sur place une équipe chargée d’essayer de comprendre comment ces filiales procèdent. A leur retour, ces équipes font prendre conscience à leur Direction qu’il existe une véritable marge de manœuvre, qu’il est possible de faire des choses, ce qui permet d’obtenir des améliorations dans les domaines qui leur coûtent le plus : les maladies professionnelles et les accidents du travail. C’est pourquoi la mobilisation de l’ensemble des acteurs me paraît très importante face à l’incompétence du management français sur ces questions.
J’ai tenu ce discours face à 300 patrons au cours de l’université d’été du MEDEF. S’ils ne réagissent pas très bien quand on leur dit qu’ils sont nuls, ils sont beaucoup plus sensibles au thème du développement durable et au fait que les Américains y intègrent le bien-être au travail et l’humain. Ils sont très attachés à suivre les mouvements de mode managériaux et à ne pas passer pour des ringards.
La culpabilisation des salariés correspond à une réalité mais cette dynamique est en train de se renverser. On le voit sur la question du pouvoir d’achat. Dans ce domaine, les salariés se mobilisent après avoir accepté pendant des années le discours qui leur expliquait que, puisqu’ils travaillaient peu, il était normal qu’ils soient peu payés. Ce mouvement pourrait s’étendre aux conditions de travail et le discours de culpabilisation prendre fin.
Sur la médecine du travail, cela pose la question de la pluridisciplinarité. Quand les médecins du travail travailleront avec des psychologues du travail, nous pourrons avoir, par exemple, une vision du travail bancaire qui sera à la fois plus nuancée, plus riche et plus complète et d’aller dans l’ensemble des entreprises vers une amélioration des situations.

►       Une Assistante sociale au service interentreprises de Metz
Pourriez-vous décrire ce qui a été mis en place aux Etats-Unis afin d’améliorer les conditions de travail ?

►       La responsable du service social à l’INRA
Je réagis fortement à ce que vous avez dit car je ne pense pas que le patronat français soit complètement idiot ni que les stratégies mises en œuvre en matière de gestion et de management soient aussi claires. Quand vous dites que le facteur humain n’est pas pris en compte, il ne l’est pas à la manière des Anglo-saxons mais il l’est différemment, les salariés étant considérés par ces derniers comme des objets permettant de réaliser des plus-values plus ou moins élevées. Il convient de rappeler également qu’en 1917 le patronat français, par l’intermédiaire des surintendants dans les usines, a contribué à la rationalisation du travail ainsi qu’au maintien des femmes dans l’entreprise.

►       Une Assistante sociale dans la presse
Je voudrais savoir si la présence d’entreprises américaines sur les marchés français et européens a un impact.

►       Une Assistante sociale à l’union patronale du Var, MEDEF et CGPME
Quand j’observe la situation dans mon département, je pense qu’il faudrait apporter au management les outils qui lui font défaut.

►       Une Assistante sociale dans une collectivité locale
Je considère qu’il est réducteur d’évoquer les 35 heures comme un mouvement qui devait améliorer les conditions de travail. En réalité, il s’agissait de créer des emplois. Face au désarroi des patrons devant le mal-être des salariés, il conviendrait de leur suggérer de créer des emplois et de remplacer les salariés qui partent à la retraite.

►       Une Assistante sociale au CNRS
N’y a-t-il pas un problème lié à l’acquisition des compétences des DRH, notamment lorsque ceux-ci sont d’anciens agents comptables ?

►       Une Assistante sociale à EDF
Le travail auprès de salariés en grande difficulté montre qu’ils sont souvent sur le registre de l’être et non du faire : « être malade, être irascible, être insupportable pour le management ». Personnellement, je préfère travailler avec des ergonomes et parler réellement du travail. C’est en effet la raison pour laquelle nous sommes présentes en entreprises. A l’inverse, nous ne devons pas tendre vers une approche psychologique qui ne fait qu’individualiser les problèmes.

►       Philippe ASKENAZY
Concernant les 35 heures je me suis peut-être mal exprimé. Elles n’avaient effectivement pas vocation à améliorer les conditions de travail. Elles ont été conçues pour créer des emplois et y ont contribué depuis. Cependant, l’idée qui a prévalu en 1997 était que l’on pouvait lâcher du lest sur les conditions de travail et la flexibilité dans la mesure où la réduction du temps de travail allait compenser cet effet. L’aveuglement sur les effets que pouvaient avoir les 35 heures sur les salariés était alors considérable et la vision des promoteurs de la loi totalement idyllique.
En outre, quand je m’exprime devant eux, je n’explique pas aux managers qu’ils sont nuls mais qu’ils sont déconnectés de la mode managériale mondiale. Cependant, ce ne sont pas des naïfs. Si l’on considère qu’il existe une situation de lutte des classes en France, c’est bien le patronat qui y contribue en développant une vision presque marxiste du travail : à en croire les patrons, une fois que l’on a versé un salaire aux salariés et donc loué leur force de travail, on peut en faire quasiment ce que l’on en veut. En tant qu’économiste, j’essaie de sensibiliser les patrons au fait que leurs pratiques ont un coût pour l’économie française ainsi que pour les performances de leurs entreprises. Dans cet esprit, je les incite à utiliser les outils de contrôle de gestion qui portent sur les questions de santé et de sécurité au travail.
Il est vrai que la formation des DRH sur ces questions est insuffisante en France. A l’inverse, il existe aux Etats-Unis des filières appelées « relations industrielles » qui peuvent former des DRH ou des cadres syndicaux, ces deux catégories employant le même vocabulaire et connaissant réellement ce qui a trait aux salariés.
Par ailleurs, je dénonce dans mon ouvrage le fait que la psychologie du travail, appliquée uniquement comme un remède aux dégâts causés par le productivisme, a pour conséquence d’individualiser la situation des salariés. Les entreprises utilisent d’ailleurs les psychologues du travail pour aider les salariés à tenir vaille que vaille leur poste et à augmenter leur productivité. Elles ne cherchent pas à employer leurs compétences pour tenter d’aboutir à des solutions collectives. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille renoncer à accueillir des psychologues du travail. En réalité, il convient plutôt de modifier leur positionnement. Par exemple, ils pourraient être conviés par les CHSCT à rejoindre des équipes pluridisciplinaires pour améliorer collectivement les conditions de travail.
Pour finir sur les mesures prises aux Etats-Unis, on constate une très grande hétérogénéité d’une entreprise à l’autre. Sans que cela soit forcément positif sur le long terme pour les salariés, on a souvent assisté à un retour des prescriptions, à commencer par des consignes basiques telles que le respect du port du casque ou d’autres équipements de protection individuels. Les salariés ont été sanctionnés quand ils ne respectaient pas ces règles mais on s’est surtout aperçu que c’était le niveau ou le rythme du travail demandé qui ne permettaient pas le respect de ces consignes. Les conditions de travail ont donc été rendues plus supportables pour les salariés afin que ceux-ci puissent respecter les règles de sécurité. Certaines entreprises ont remis en place, au sein de chaque usine, un ingénieur santé et sécurité chargé d’adapter le mode de production du site en fonction de l’analyse des accidents ou des maladies professionnelles.
L’autre élément mis en place renvoie à la formation des salariés à leur propre bien-être au travail, à l’ergonomie de leur poste (pour éviter les TMS par exemple). Finalement, la clé consiste à considérer la question du bien-être au travail de manière globale, en examinant les performances de l’ensemble des éléments. Or en France, quand les ergonomes procèdent à l’amélioration d’un poste de travail, le management en vient à considérer que le poste est moins dangereux et en profite pour en demander plus au salarié et gagner de la productivité, ce qui provoque à nouveau des TMS chez l’intéressé. Il convient donc d’étudier cette question dans sa globalité avec l’objectif d’améliorer les conditions de travail des salariés, pour optimiser non pas la productivité mais la performance globale de l’entreprise. Malheureusement, en France, la Société prend en charge une grande partie du coût qu’engendre le travail. De même, le système institutionnel fait que les entreprises ont peu de visibilité sur ce coût. Pourtant, il existe une méthodologie simple qui permettrait d’améliorer les conditions de travail des salariés.

 

 


Evolutions des organisations du travail et atteintes à la santé

Philippe DAVEZIES - Enseignant chercheur en médecine et santé au travail, Université Lyon I

Il est important de souligner qu’en France, les questions liées à la santé au travail ont longtemps été ignorées. Par exemple, la silicose n’y a été reconnue comme maladie professionnelle qu’à la Libération alors qu’elle l’était dès les années 20 en Allemagne et en Angleterre. Si les modes de management mettent cinq à six années pour arriver en France, les modes de prévention peuvent s’appliquer dans notre pays avec plus de trente années de retard. Je me réjouis donc que l’on puisse recevoir aujourd’hui l’appui d’économistes sur ces questions car ceux-ci peuvent nous apporter une aide considérable. Je vais bien sûr vous parler du même monde mais du point de vue d’un clinicien.

 

Les acquis de la littérature internationale

Le modèle de Karasek

Dans la littérature, les évolutions des conditions de santé et leurs impacts sur la santé sont le plus souvent abordés sous l’angle du stress professionnel organisé autour du modèle de Karasek qui a émergé à la fin des années 70. L’intérêt de ce modèle réside dans sa simplicité puisqu’il se limite à deux facteurs : le niveau d’exigence et l’autonomie. Il en ressort tout d’abord que le niveau d’exigence en lui-même n’est pas prédictif des pathologies du stress et, par conséquent, des atteintes à la santé. Il convient donc d’y ajouter un autre élément que les auteurs anglo-saxons ont appelé l’autonomie.

Cette notion d’autonomie suscite souvent une grande incompréhension mais, pour Karasek, elle recouvre clairement la possibilité de disposer dans son travail d’un espace d’expérimentation dans lequel le sujet peut mener des tentatives, s’éprouver et chercher les voies de son développement. Ce qui apparaît ici, c’est donc le pouvoir d’agir, c'est-à-dire le pouvoir de se manifester comme humain et pas simplement comme un rouage.

Les travaux anglo-saxons qui se multiplient à partir des années 70 vont montrer que le risque de basculer dans la pathologie mentale ou physique menace avant tout les salariés qui sont soumis à un fort niveau de pression mais qui, surtout, ne disposent pas d’espaces d’expérimentation, d’expression et de développement (ou alors d’espaces extrêmement réduits). A la fin des années 70, les cadres sont certes exposés à des niveaux de pression importants mais ils bénéficient de larges marges d’expression et de développement, de sorte qu’ils ne sont guère touchés par le stress professionnel. En réalité, ce dernier affecte avant tout les ouvriers dont le travail s’inscrit dans des processus tayloriens. Ces ouvriers sont en effet victimes de trois types de pathologies :
▪       les pathologies cardio-vasculaires (avec des excès de mortalité impressionnants) ;
▪       les manifestations de souffrance psychique (dépression, consommation de psychotropes, etc.)
▪       les troubles musculo-squelettiques qui ne sont pas des phénomènes que l’on peut exclusivement traiter sous l’angle de la biomécanique. 

 

Les travaux ultérieurs

 La littérature va ensuite évoluer et s’enrichir. Dans les années 80, on voit apparaître un nouveau facteur : le soutien social, c'est-à-dire la possibilité de bénéficier d’une part de la compréhension et du soutien technique de la hiérarchie et, d’autre part de l’entraide et de la solidarité des collègues. L’absence de soutien social et l’isolement apparaissent, eux aussi, comme un facteur de morbidité. Ce point est très important car, si le premier état du modèle concernait un groupe professionnel particulier, les nouveaux facteurs comme l’isolement touchent l’ensemble des groupes professionnels.

 

Le modèle de Siegrist

 Les années 90 voient l’émergence de l’autre grand modèle du stress, celui décrit par Siegrist. Ce modèle met l’accent sur la reconnaissance. Il montre en effet que l’apparition d’un sentiment de déséquilibre entre la mobilisation de l’individu et sa rétribution (en termes de salaire, d’image, d’estime de soi et de statut) est extrêmement prédictif des atteintes à la santé (troubles cardio-vasculaires, dépressions, perturbations intrafamiliales…).

A nouveau, avec l’apparition de ce modèle, ce n’est plus un groupe professionnel particulier qui est concerné mais l’ensemble des salariés. Les résultats fournis par l’INSEE sont très parlants de ce point de vue puisque environ 50 % des ouvriers s’estiment exploités, affirmant être traités de façon inéquitable dans leur travail. Cependant, ce sentiment est également éprouvé par 40 % des employés, 35 % des cadres et 30 % des cadres supérieurs. On constate donc au travers de l’évolution des modèles de stress que la souffrance au travail, qui était l’apanage des ouvriers les plus exposés, s’étend désormais à l’ensemble des catégories socioprofessionnelles.

 

Les transformations des organisations du travail et leurs impacts

Nous sommes confrontés à plusieurs questions. Notamment, quels sont les mécanismes qui font que l’isolement constitue un danger pour l’identité au point de se manifester par des atteintes à la santé ? Comment comprendre cette diffusion du sentiment d’être traité de façon injuste à des catégories professionnelles jusqu’alors considérées comme privilégiées ?

Pour y répondre, il convient de quitter l’approche épidémiologique et de se tourner vers des investigations cliniques (interventions en entreprises, consultations à l’hôpital sur les questions de souffrance au travail…). A la lumière de ces observations, il apparaît que l’on a assisté au cours des dernières années à des transformations extrêmement importantes des organisations du travail. Ces évolutions ont touché l’ensemble des milieux et modifié assez profondément le rapport au travail.

 

La fin du modèle taylorien

Dans la société industrielle antérieure aux années 70, la forme d’organisation dominante était le fondée sur taylorisme. L’injonction était faite explicitement aux individus de se comporter comme des rouages. Peu de place était laissée à l’improvisation dans la mesure où l’industrie produisait en masse des objets standardisés pour des marchés de premier équipement sur lesquels le client achetait uniquement ce qui lui était proposé. L’activité était prévisible, le projet industriel décliné, ce qui fondait la prétention de l’organisateur à définir le travail dans ses moindres détails.

Bien qu’il existe encore des secteurs extrêmement tayloriens, ce modèle a aujourd'hui explosé. Nous sommes désormais confrontés à des marchés de rééquipement en situation de concurrence exacerbée, avec des clients avertis et largement sollicités par la publicité. Dès lors, la performance ne tient plus simplement aux économies d’échelle liées à la production de masse d’objets standardisés mais est de plus en plus conditionnée par la capacité à s’adapter aux variations quantitatives et qualitatives de la demande.

 

Une transformation des modes de travail

Le développement du pilotage par l’aval

Les rôles et les relations au sein de l’entreprise s’en trouvent profondément transformés. En particulier, le pilotage par l’aval se substitue de plus en plus à la soumission à la hiérarchie. Par exemple, le pourcentage de salariés dont le rythme de travail dépend non plus d’un supérieur hiérarchique mais d’une demande extérieure (client, patient, usager…) est passé de 28 % en 1984 à 54 % en 1998. Il conviendrait d’ajouter à ce pourcentage les 27 % de salariés dont le rythme de travail est déterminé par la demande de leurs collègues. Le monde du travail évolue ainsi vers les modalités d’organisation du secteur des services, ce qui constitue un changement majeur.

Une évolution du mode de management

Si la performance dépend de la capacité à s’adapter en permanence aux aléas, aux imprévus, aux variations de la demande, l’idée selon laquelle il est possible de définir le travail dans le détail est caduque. L’appel à l’initiative, à l’autonomie, à la responsabilité découle de cette prise de conscience par l’encadrement de son incapacité croissante à prescrire le travail. On a assisté ainsi à un désengagement massif des hiérarchies vis-à-vis des modalités d’exécution du travail. Nos interlocuteurs qui étaient des organisateurs ont été remplacés par des managers qui ont un bagage constitué d’outils de gestion et d’éléments issus des sciences sociales et humaines mais qui n’ont plus la même prétention à connaître le travail.

Ce changement a des conséquences très importantes en termes d’organisation. On a vu se répandre dans le monde du travail le principe dorénavant universel du « débrouillez-vous ». Dans certains cas, de telles transformations imposent de faire appel à l’intelligence des salariés et c’est une bonne chose.

Un travail au contenu plus relationnel

Aujourd'hui, le travail présente un contenu relationnel beaucoup plus explicite qu’auparavant. Il est beaucoup plus adressé et, de ce fait, le sens de l’activité est beaucoup plus présent. Travailler dans une perspective de services, cela impose de se déterminer sur ce qui est bon pour l’interlocuteur que l’on doit servir. A priori, le travail en devient potentiellement plus intéressant non seulement parce qu’il faut mettre à contribution son intelligence mais parce qu’il faut mobiliser sa personnalité, sa sensibilité et sa réflexion éthique.

De fait, on a vu surgir des questions éthiques au cœur de l’activité, ceci à un niveau probablement jamais atteint dans les formes d’organisation antérieures. De plus, cette évolution ne s’est pas faite contre les salariés mais s’est développée comme une réponse aux critiques des années 70 sur le caractère oppressant de l’organisation sociale. Elle constitue également une réponse aux aspirations montantes à un accomplissement de soi. Dès lors, cette évolution paraît a priori favorable.

 

Des évolutions aux impacts négatifs

Le développement du pouvoir d’expression et d’action des salariés devrait avoir un effet positif sur la santé si l’on en croit les modèles. Or ce n’est pas le cas. Par conséquent, nous devons nous efforcer de comprendre comment les perspectives d’accomplissement que proposent les organisations du travail peuvent se transformer en cauchemars pour un grand nombre de salariés.

Dans ce sens, il convient de revenir sur l’importance croissante prise par la réflexion éthique dans l’activité et sur le débat qu’elle engendre sur les modalités et les finalités du travail.

 

La place de la réflexion éthique

Chacun, face aux situations auxquelles il est confronté, se débrouille, et réagit avec sa propre sensibilité. Ainsi, chacun est rapidement confronté à la singularité de sa mobilisation individuelle et à la pluralité des conceptions du bien. Cependant, si chacun agit à sa manière, cela pose de grosses difficultés. Le travail étant une activité sociale collective, son caractère éthique appelle une activité communicationnelle orientée vers la construction d’accords normatifs capables de cadrer la mobilisation de chacun et d’organiser la coopération. Autrement dit, il n’a jamais été autant nécessaire de prendre du temps pour réfléchir sur ce que l’on a fait hier, sur ce que l’on fait aujourd’hui et sur ce que l’on fera demain.

 

L’évolution du mode de contrôle

Une telle approche va se heurter à des difficultés. Le désengagement des hiérarchies vis-à-vis des modalités d’exécution du travail ne s’est pas traduit par un laisser-faire généralisé. Au contraire, le contrôle ne s’est pas relâché. Les statistiques du Ministère du Travail montrent même que ce contrôle s’est accentué. Certes, le nombre de collaborateurs à qui l’on confie des consignes précises tend à diminuer mais, dans le même temps, de plus en plus de salariés sont soumis à un contrôle constant de leur hiérarchie. Les derniers résultats montrent que ce type de contrôles tend lui-même à être remplacé par un contrôle informatique.

Les modalités de contrôle se sont donc largement transformées dans la mesure où ce suivi est assuré par des individus de plus en plus éloignés du métier et repose sur des indicateurs de plus en plus abstraits. Ces indicateurs ne sont d’ailleurs pas neutres : ils répercutent tout au long de la chaîne hiérarchique les exigences portées par les logiques financières en termes de pression à la réduction des coûts et d’accélération de la production.

On est donc face à un paradoxe majeur : alors que l’ensemble des activités tend à évoluer vers des modalités d’organisation des services et que les dimensions qualitatives de l’activité prennent une importance croissante, les modes d’évaluation purement quantitatifs, statistiques ou comptables (notamment les évaluations en termes de débit de la chaîne taylorienne) tendent à s’appliquer à l’ensemble des activités. Aujourd’hui, les activités les plus complexes telles que les psychothérapies sont évaluées de cette manière. Dès lors, cette pression temporelle et le sentiment d’urgence vont réduire, voire écraser les temps de préparation, d’anticipation, de discussion, d’étude et de réflexion, alors même que ces temps sont rendus plus nécessaires que jamais dans la mesure où le travail est de moins en moins cadré.

Cette situation va prendre un caractère dramatique car de plus en plus de salariés, dans toutes les branches et à tous les niveaux de hiérarchie, se trouvent dans l’incapacité de maintenir la qualité de leur travail. Ils ne se reconnaissent plus dans les formes dégradées imposées à leur activité résultant de cette pression des contraintes économiques. Le phénomène majeur auquel nous sommes confrontés consiste dans la perte de repères communs et d’une vision partagée de ce que constitue un travail bien fait.

 

Le développement de la conflictualité dans l’entreprise

Le monde du travail est traversé par une conflictualité autour des critères d’évaluation du travail, conflictualité systématiquement présente dans les phénomènes de harcèlement moral, de décompensation ou pathologiques…

Je peux notamment vous citer l’exemple d’une entreprise qui se porte très bien, dans laquelle sont conçus des prototypes de très haute technologie et dont les salariés sont des ingénieurs. Une tension y règne entre ingénieurs et managers autour de la notion de qualité. Les seconds prétendent, afin de lutter contre la concurrence, mettre rapidement sur le marché des produits alors que les premiers considèrent que leur stade d’élaboration ne le permet pas. En réalité, les managers obéissent ici aux normes du marché, tandis que les ingénieurs suivent celles de leur métier. Ces derniers s’avèrent extrêmement exigeants en matière de qualité alors que, pour les managers, le niveau de qualité qui importe est celui qu’il suffit d’atteindre pour vendre sur le marché. Tout collaborateur qui fait plus que ce minimum est accusé de gâcher des ressources collectives au nom de ses exigences personnelles (pour se faire plaisir) : c’est donc un individualiste. Ainsi, ceux qui ne font que défendre les normes de leur métier sont stigmatisés.

J’évoquerai un autre exemple, dramatique cette fois. En effet, le cas que je vais aborder a abouti à quatre suicides parmi des télé-opératrices.

Leur hiérarchie leur a adressé des consignes leur laissant entendre que leur conception individuelle de la qualité et de leur métier de conseiller n’était plus la bonne. Désormais, il ne s’agissait plus de satisfaire chaque client mais de faire en sorte que l’ensemble des clients appelant le service soit satisfait. Cette consigne totalement abstraite a semé la confusion dans l’esprit de ces salariées pour qui la qualité ne pouvait être assurée que dans une transaction individuelle avec le client au téléphone. Elle était également incompréhensible pour elles. Le responsable de cette équipe leur a aussi fait comprendre qu’elles devaient « botter en touche » lorsqu’un client posait un problème sérieux et se concentrer sur les interlocuteurs présentant des problèmes faciles à résoudre et donc rentables.

Un tel changement d’optique a provoqué une très forte désorientation parmi les télé-opératrices. En effet, celles-ci jugeaient qu’il était honteux et en contradiction avec les exigences de leur métier de négliger des clients rencontrant de vrais problèmes. Dans ce contexte, outre des problèmes de TMS, ces salariées éprouvaient un véritable désarroi par rapport à la qualité. Elles étaient incitées à abréger leurs réponses et à se plier à des normes d’évaluation fondées sur le débit, les temps d’attente, les délais de réponse et, au bout du compte, le chiffre d’affaires. Leur désarroi était d’autant plus grand que les discours qui leur étaient tenus étaient franchement paradoxaux, les exigences de qualité étant en même temps réaffirmées.

Ces salariées n’ont pas osé exprimer leur sentiment de mal travailler car elles ne voulaient pas s’exposer à des mesures de rétorsion ou de reprise en main de la part de leur hiérarchie. Les mensonges et les dissimulations se sont multipliés à tous les niveaux, chacun s’accommodant comme il pouvait de ses manquements aux règles du métier. Les repères communs qui définissaient un travail bien fait se sont estompées, des dissensions sont apparues, le sentiment de valeur partagée à la base de la solidarité a disparu et l’on a vu s’installer une extrême sensibilité individuelle des salariés aux remarques des clients, de la hiérarchie ou des collègues.

 Cela a pu donner lieu à des réactions extrêmement violentes alors même que les individus ne faisaient l’objet que des stimulations très réduites. En outre, ces phénomènes étaient vécus non pas comme des problèmes collectifs relevant de l’organisation du travail mais sur le mode de l’indignité personnelle. Ce n’était pas simplement l’humain en tant qu’individu qui n’était pas pris en compte. En réalité, les problèmes de l’organisation du travail et du collectif étaient vécus par les salariés comme des difficultés individuelles.

 

Comment prendre en charge ces situations ?

Faut-il développer des solutions individuelles alors que c’est précisément un processus d’individualisation qui se trouve à l’origine de ces problèmes ? Si l’on répond par l’affirmative à cette question, plusieurs modalités d’action peuvent être retenues :
▪       l’assistance à la progression de l’individu libéral en développant le soutien individuel, le coaching, la gestion du stress etc.,
▪       les modèles victimologiques (notamment autour du harcèlement moral) qui mettent en scène la chute de cet individu libéral.
Dans tous les cas, on s’achemine vers des modèles extraordinairement individualisants.
A l’inverse, on peut reconnaître que ce qui pose problème, ce sont la dissolution des collectifs, la perte par les salariés de leur capacité à penser les événements. Il convient alors de construire avec ceux avec qui l’on doit coopérer une approche commune du travail que l’on puisse exprimer en face du management. Dans ce cas, il sera possible de donner une issue sociale à ces tensions.
Aujourd’hui, les enjeux pour les cliniques du travail se jouent entre la question de l’individu et celle du collectif : comment d’une façon ou d’une autre reconstituer du tissus social et donc des capacités de discussion ?

 

 


Débats avec la salle

 ►       Une assistante sociale dans une banque
Je souhaite féliciter le dernier intervenant avec qui je suis globalement d’accord. Cependant, je voudrais réagir à ce qui a été dit sur la psychologie. Il a notamment été affirmé que celle-ci isolait les salariés. Il me semble que, de son côté, la psychodynamique obéit à une logique inverse : en effet, les psychodynamiciens qui n’interviennent qu’au niveau des collectifs du travail vont à l’encontre de l’individualisation. La psychodynamique ne doit pas être confondue avec la psychologie comportementaliste.

►       Une assistante sociale aux Nations Unies dans une branche humanitaire
Je suis passée par tous les modes de management (américain, européen…). D’assistante sociale, je suis devenue chargée du développement du bien-être.
Je vous remercie d’avoir si bien mis en évidence les liens entre la souffrance des salariés et l’individualisation du travail. Nous avons tout essayé aux Nations Unies et nous aboutissons toujours au même constat d’échec parce que nous n’arrivons pas à communiquer avec le management. Pouvez-vous nous dire comment travailler avec les managers au même titre que l’on travaille avec autres salariés ?

►       La responsable du secteur social dans un établissement hospitalier parisien
L’affaiblissement des collectifs a des incidences importantes sur les personnels qui connaissent des difficultés de santé et sont exclus des équipes. Leur réadaptation au travail pose d’énormes difficultés, ce qui pose la question de leur maintien dans l’entreprise.

►       La responsable du service social d’Air France
Je rejoins ce qu’a dit ma collègue des Nations Unies. Ce qui m’a particulièrement intéressée dans votre intervention, c’est l’opposition entre normes du marché et normes du métier. Je rapprocherai cela de la césure qui peut exister entre les normes de l’entreprise et celles de notre métier d’assistante sociale.

►       Philippe DAVEZIES
Sur la psychologisation, je le dis très amicalement à Philippe Askenazy mais on constate un certain nombre de contresens dans ce domaine. Cela tient à des effets de perspective. Quand on parle de psychiatres ou de psychologues en entreprises, la plupart d’entre eux sont « vendus » au management et mettent en œuvre des actions qui vont dans le sens de l’individualisation ou avec lesquelles je suis en désaccord d’un point de vue théorique ou que je réprouve franchement.
De plus, ces questions attirent parfois des individus peu recommandables. En particulier, elles constituent l’une des voies d’entrée majeures des sectes dans les entreprises. Sur un registre plus sérieux, on peut distinguer essentiellement deux courants qui s’intéressent vraiment aux questions du travail :
▪       la psychodynamique, avec Christophe Dejours notamment (c’est le courant auquel on me rattache)
▪       la clinique de l’activité, autour d’Yves Clot.
Les tenants de ce dernier courant sont très minoritaires mais ils sont les seuls à poser explicitement la question du collectif.
S’agissant du travail avec le management, je suis très content que des économistes tiennent un discours comme celui de Philippe Askenazy. En effet, c’est un débat que l’on a depuis longtemps entre professionnels de la santé au travail. On sait depuis de nombreuses années que de mauvaises conditions de travail ont un coût et que leur amélioration est rentable. Cependant, toutes les situations ne correspondent pas à ces caractéristiques. Dans certaines branches, la rentabilité passe malheureusement par une pression considérable sur les salariés. Les médecins doivent donc défendre les conditions de travail à la fois quand c’est rentable et quand ce ne l’est pas. Il est donc extrêmement utile pour nous que des économistes qui ont vocation à étudier des notions comme la rentabilité tiennent ce discours parce que cela nous évite de créer des distorsions en nous mettant dans la position de manager alors que nous sommes responsables de la santé.
Par ailleurs, ce que j’ai essayé de décrire fonde un certain type de positionnement par rapport au management. Les disciplines autour du travail (l’ergonomie notamment, dont je suis issu) ont cherché par le passé à analyser l’activité pour avertir la hiérarchie des éventuels problèmes et lui permettre de prendre les meilleures décisions possibles. Or aujourd’hui, le management n’a plus la prétention de connaître le travail. Le problème réside beaucoup moins dans une surdité des hiérarchies que dans un effondrement des capacités d’expression des salariés sur les questions de travail. Par exemple, s’agissant de la reconnaissance des salariés, il est difficile de reconnaître quelqu’un qui ne s’affirme pas. Aujourd’hui, les courants que j’évoquais, plutôt que d’expliquer aux hiérarchies ce qu’elles doivent entendre chez des salariés qui ne s’expriment plus, développent essentiellement leur activité vers une assistance à la reconstruction des capacités des salariés à penser et à débattre du travail.
Sur les normes de métier et du marché, les points de vue quels qu’ils soient sont indispensables à la survie de l’entreprise, celui du manager comme celui de l’ingénieur. Il ne s’agit pas de dire qu’une des normes est bonne et pas l’autre, mais de constater qu’il y a un affrontement à partir de logiques et de rapports au réel qui sont différents. Ce qui pose problème, c’est la façon d’organiser ce débat. Celui-ci rejoint les discussions qui ont cours dans notre société sur l’articulation entre normes sociales et normes du marché. A mon sens, le fonds du problème réside dans le fait qu’au niveau du poste de travail, les problèmes généraux de la société sont vécus de façon totalement individuelle.

 


Evolution du management en ressources humaines, attentes vis-à-vis du service social du travail

Françoise FRAIZY - ANAS

Dans une vie professionnelle antérieure, j’ai eu l’occasion de travailler avec Marie-Claude Sarrazy. Celle-ci a accepté de venir nous parler de sa vision des ressources humaines et du management et de leur articulation avec le service social en entreprise.

 

Marie-Claude SARRAZY - Directrice des ressources humaines, Réseau Ferré de France

En préambule, je tiens à vous dire que mon expérience de DRH est un peu particulière puisqu’elle a eu lieu dans des entreprises de petite taille (entre 150 et 600 salariés). Leur personnel était principalement composé de cadres (0 75 % dans le cas de Réseau Ferré de France)

Je ne peux que corroborer ce qui a été dit par les intervenants précédents et partager leurs constats sur l’évolution du management de nos entreprises depuis une vingtaine d’années.

 

 Un nouveau modèle d’organisation du travail

On est passé d’un modèle d’organisation du travail assez hiérarchique avec un chef qui fait respecter des consignes à un modèle fondé sur l’autorité du manager qui anime des équipes et coordonne, dans un processus de décision très décentralisé, des salariés dont le niveau d’autonomie a subitement crû. Surtout on n’organise plus du travail mais on coordonne des projets avec des méthodes participatives.

Cette évolution présente des aspects positifs : par exemple, le fait d’être reconnu comme une personne pouvant penser, émettre des idées, corriger des processus et non plus seulement exécuter. Mais ce management par projet a aussi sa contrepartie.

Désormais, l’entreprise formule des exigences de plus en plus fortes à l’égard de ses salariés et les soumet à des pressions croissantes. En particulier, les salariés étant directement exposés à la demande des clients et de leurs collègues, on exige d’eux qu’ils soient d’emblée beaucoup plus polyvalents. Ils doivent également avoir des connaissances et des compétences relationnelles nouvelles sans que l’on se soit d’ailleurs préoccupé de les y former. On leur demande aussi de savoir s’adapter aux clients, aux caractéristiques de la production, de développer des compétences économiques (puisqu’ils sont porteurs des enjeux de l’entreprise), d’être autonomes, de participer et d’être épanouis.

Au nom de la compétitivité économique, l’effort à fournir est donc constant et le stress de plus en plus important. Le salarié est considéré comme un acteur sommé de prendre en mains non seulement son propre destin mais aussi celui de l’entreprise. Il se voit prescrire des comportements précis mais doit trouver seul son chemin et assumer seul ses éventuels échecs au nom de la responsabilisation. Tout cela intervient dans un univers dans lequel le contrôle est loin d’avoir disparu : l’action des individus est contrôlée, ils doivent atteindre des objectifs, rendre compte de leur activité par l’intermédiaire de systèmes de reporting. Leur travail est constamment évalué et les salariés doivent même s’autocontrôler.

 

 Le temps du désenchantement ?

Aujourd’hui on constate un certain désenchantement. Le management participatif n’a pas tenu ses promesses. Les plans sociaux n’ont pas seulement touché les salariés les moins qualifiés mais l’ensemble de la chaîne hiérarchique, notamment les cadres. De même, les salariés de plus de cinquante ans sont considérés comme les moins adaptables et les moins performants. Le travail s’est précarisé avec de plus en plus de CDD, d’intérimaires, de temps partiel imposés et un recours croissant à la sous-traitance externe. Au nom de la compétitivité économique et pour minimiser les charges fixes, les Directions privilégient le recours aux effectifs flexibles et externalisent tout ce qui ne constitue pas le cœur de l’entreprise. Le management par le stress fait des ravages et l’on voit apparaître depuis plusieurs années des situations de harcèlement et de souffrance au travail.

Bien qu’il y ait aussi des motifs pour s’enthousiasmer, les salariés perçoivent moins de raisons de s’impliquer. Ils hésitent à accepter des responsabilités et adhèrent moins facilement à un projet d’entreprise. Ils salariés se replient sur des projets de vie personnelle. A cet égard, je suis frappée par le fait que les jeunes sont extrêmement soucieux de préserver un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée.

 

Le rôle du DRH

Le DRH ne doit pas gérer uniquement un salarié mais une personne globale qui vit en dehors de l’entreprise. Or le modèle familial explose. Un mariage sur deux se conclut par un divorce en région parisienne. Les familles monoparentales sont nombreuses. Les problèmes liés au surendettement sont de plus en plus fréquents. Les jeunes ont du mal à trouver un emploi stable. Il est très difficile de se loger. Les problèmes de dépendance des personnes âgées interfèrent avec la vie des plus jeunes qui sont au travail. Les difficultés de vie se traduisent par des addictions diverses (alcoolisme, drogue) présentes au sein de l’entreprise, par une incapacité croissante du management à gérer le stress ou par une insécurité économique grandissante… Il devient de plus en plus difficile de concilier vie professionnelle et vie privée. Selon une statistique récente, 58 % des cadres se plaignaient de cette difficulté.

Face à cette situation, le DRH est un peu déconcerté et seul face à son Comité de Direction qui obéit à des préoccupations économiques et ne prend pas forcément en compte l’humain. Il ne peut plus se contenter de gérer le personnel à la manière de « stocks » comme le faisait le chef du personnel. Il gère une ressource humaine qu’il est parfois difficile de trouver ou de conserver, qu’il faut faire croître. On attend du DRH qu’il fasse avancer l’Entreprise et qu’il participe à l’atteinte de ses objectifs.

Cela dit, le DRH n’est pas outillé pour résoudre l’ensemble des problèmes que rencontrent les salariés dans la globalité de leur vie. Il doit avoir l’humilité de reconnaître qu’il n’est pas compétent sur tout, qu’il ne dispose ni des outils, ni des réseaux, ni des compétences, ni du temps nécessaire, qu’il ne connaît pas toutes les procédures. S’il a cette humilité, il doit essayer de travailler en mode projet, c'est-à-dire dans une multidisciplinarité, en faisant appel à des compétences qu’il ne possède pas : le médecin du travail et l’assistante sociale.

Dans les entreprises dans lesquelles j’ai travaillé, il a été fait appel à une assistante sociale. Cependant, il n’était pas facile de faire accepter la nécessité de créer un tel poste dans une petite entreprise. La solution a consisté à transformer un contrat de salarié à temps partiel en contrat de sous-traitance. Le recours à une prestation de services rend cette solution beaucoup plus acceptable pour les Directions. Ainsi ,je n’ai jamais eu de mal à faire admettre que l’on puisse avoir une prestation d’une demi-journée par semaine pour travailler sur les difficultés rencontrées par les salariés. L’intérêt de la prestation externe réside aussi dans le fait que l’on peut l’adapter à sa dimension. Pour moi, c’est très exactement dans les champs d’interaction entre les sphères professionnelle et privée que se joue l’intervention de l’assistante sociale. C’est pourquoi le DRH a besoin de disposer d’une compétence différente de la sienne, d’un relais, d’une écoute, d’un retour, d’une réelle collaboration.

 


Débats avec la salle

►       L’assistante sociale de la Poste à Tours
J’aimerais que vous reveniez sur la notion d’autonomie du salarié. Vous avez dit que celle-ci faisait partie des attentes de l’entreprise. Je n’ai pas l’impression que cela corresponde à la réalité vécue par les salariés. En effet, ces derniers sont soumis à des contraintes de plus en plus nombreuses. On ne les écoute pas et on les jette quand on en n’a plus besoin.

►       De la salle
Vous avez évoqué votre solitude en tant que DRH pour gérer l’articulation entre vie professionnelle et vie privée. En outre, vous avez recours aux compétences d’une assistante sociale. Pouvez-vous nous parler des arguments que vous utilisez pour convaincre votre Comité de Direction d’embaucher cette personne et nous dire à quel coût ce recrutement a eu lieu ?

►       Une conseillère technique du service social de l’Education Nationale
Je voudrais savoir quelles sont les missions du service social du travail dans une entreprise comme la votre. Pour ma part, je ne vois pas comment il est possible de s’intégrer à la culture d’une entreprise et de venir en aide aux salariés tout en y étant présent qu’une demi-journée par semaine. Je souhaiterais aussi pointer la contradiction entre la précarisation des emplois que vous constatez et le fait que vous fassiez vous-même appel à la sous-traitance.

►       Marie-Claude SARRAZY
Réseau Ferré de France n’est pas la SNCF. Depuis 1997, notre établissement public est le propriétaire et le gestionnaire du réseau ferré français. Nous employons 600 salariés contre 60 000 personnes à la SNCF. En tant qu’établissement public, nous supportons d’énormes contraintes sur nos effectifs et, pour arriver à mener à bien tous nos projets, nous n’avons pas d’autres choix que de nous faire aider par des sous-traitants et par des CDD. En effet, nous ne sommes pas autorisés à procéder à des embauches définitives.
 
Sur les missions du service social du travail, j’ai bien entendu vos réserves sur le fait que notre assistante sociale n’est présente qu’une demi-journée par semaine. C’est toujours mieux que rien. Elle est présente depuis un an environ et, auparavant, il n’y avait personne. Je me suis rendu compte que les salariés, quand ils rencontrent des difficultés personnelles, ne s’adressent pas à leur supérieur hiérarchique mais à la DRH qui n’a ni le temps ni les compétences pour leur répondre. C’est ce qui m’a amenée à proposer la présence d’une assistante sociale à ma Direction. Dans ce sens, j’ai sensibilisé d’abord le Comité d’Entreprise, puis ai convaincu la Direction en soulignant qu’il n’était pas nécessaire de créer un poste et que le coût de cette solution s’en trouverait donc minoré. L’assistante sociale n’intervient qu’une demi-journée et au téléphone pour les salariés implantés en province. Cependant, ceux-ci disposent au moins d’un interlocuteur vers lequel ils peuvent se tourner.
S’agissant de la notion d’autonomie, celle-ci dépend des entreprises et des modes de management. Chez RFF, nous gérons essentiellement des projets et nous employons principalement des cadres. Nous leur demandons, certes, de rendre compte mais nous leur disons surtout que leur fiche de poste n’est pas contractuelle, qu’elle n’est que l’expression à un moment donné de la vision d’un besoin exprimé par leur service. Nous leur demandons de produire un travail tout en leur imposant peu de consignes.

►       Une assistante sociale responsable d’un petit service interentreprises
Nous sommes de plus en plus sollicités par des entreprises qui nous demandent en une demi-journée par semaine ou par mois de résoudre les problèmes de salariés en grande difficulté. Cela donne bonne conscience aux DRH mais ne permet pas d’être efficace. De surcroît, les DRH ont tendance à mettre à se défausser sur l’assistante sociale en cas de problèmes.

►       De la salle
Je voudrais répondre à la collègue qui vient d’intervenir : une assistante sociale qui estime qu’une intervention d’une demi-journée par semaine est insuffisante peut refuser de fournir cette prestation.

►       L’assistante sociale responsable d’un petit service interentreprises
On peut se permettre de refuser les contrats quand on est une grosse structure. De notre côté, nous sommes un petit service qui se bat pour exister et nous sommes obligés de composer avec le potentiel économique de la région.

►       Marie-Claude SARRAZY
Vous avez en main la crédibilité de votre profession. Si un DRH vous demande de venir régler les problèmes en une demi-journée par mois, vous pouvez lui dire que ce n’est pas suffisant.

►       Une assistante sociale indépendante en service social interentreprises
Je suis parfois sollicitée par une entreprise pour une demi-journée par mois. J’estime que c’est mieux que rien. A nous de faire un point au bout de trois ou six mois et de demander plus si nous l’estimons nécessaire. Nous pouvons aussi mettre un terme à notre intervention si celle-ci constitue uniquement un moyen pour l’entreprise de se donner bonne conscience.

►       Marie-Claude SARRAZY
Faisons nous confiance mutuellement. Si une entreprise exprime une réelle volonté de confier une mission à un service social, elle doit lui attribuer des moyens à la hauteur de ces ambitions.

►       Une conseillère du travail aux Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne
Nous sommes aussi ici pour parler de l’évolution de notre métier. Dans cet esprit, j’aimerais vous demander si, selon vous, une conseillère du travail peut prendre en charge un projet dans le cadre du plan de prévention qui doit être mis en place par les entreprises au regard de chaque risque identifié dans le document unique.

►       Une assistante sociale chez Schneider Electrique à Grenoble
On attend beaucoup de l’assistante sociale dans le traitement des difficultés extra-professionnelles des salariés. Quelle peut être son intervention sur les conditions de travail, l’organisation du travail, la vie au travail et le maintien dans l’emploi, notamment s’agissant des personnes qui connaissent des problèmes de santé ?

►       Une Assistante sociale du travail au CE Airbus France à Toulouse
Je rejoins la personne qui m’a précédée. Je ne pense pas qu’en une demi-journée, il soit possible de développer une connaissance suffisante de la culture d’une entreprise et de ses réseaux pour traiter efficacement les problèmes liés au travail.

►       Marie-Claude SARRAZY
Il est vrai qu’une demi-journée ne permet pas d’associer l’assistante sociale à la conception du document unique (auquel le médecin du travail participe). On pourrait envisager de lui confier une mission spécifique dans le cadre de ce projet mais cela nécessiterait d’augmenter son temps de présence. Je reconnais également qu’il est difficile d’intervenir dans ce laps de temps sur les problèmes de vie au travail ou d’organisation du travail. Cela dit, quand la prestation est solide et s’installe sur la durée, l’assistante sociale est associée aux grands évènements, ce qui lui permet largement de s’imprégner de sa culture et de ses réseaux.

►       De la salle
Conviez-vous l’assistante sociale aux réunions du CHSCT, les textes prévoyant qu’elle puisse y être invitée ?

►       Marie-Claude SARRAZY
Je n’y vois pas d’inconvénient, sous réserve que le calendrier le permette. Cela me fait penser à ce qu’a dit Philippe Askenazy en parlant des DRH qui, selon lui, ne se soucient pas des problèmes d’absentéisme. Chez nous, il s’agit d’un indicateur que nous examinons très précisément en CHSCT avec le médecin du travail. D’ailleurs, ce dernier a été amené par le passé à rencontrer le Directeur général au sujet d’une brusque augmentation de l’absentéisme des cadres.

►       La responsable du service social d’Airbus France à Toulouse
Vous parlez de la solitude du DRH. Que dire de celle de l’assistante sociale du travail ! Je voudrais savoir quels sont vos arguments pour convaincre le Comité de Direction de créer des emplois d’assistantes sociales.

►       Une assistante sociale indépendante
Je voudrais en savoir plus sur la formation des DRH. Des assistantes sociales, des partenaires sociaux ou des médecins du travail, qui sont tous en relation avec les DRH, interviennent-ils au cours de ce cursus ?

►       Une Assistante sociale à la DCN
Pouvez-vous nous dire ce que vous attendez d’un service social en dehors de l’aide à la personne ? Est-il présent dans l’entreprise uniquement pour procéder à des « replâtrages »? Ou bien son rôle doit-il se développer vers une aide aux managers et aux DRH ? Doit-il leur remonter un certain nombre d’informations ?

►       Marie-Claude SARRAZY
Je ne suis guère favorable à une conception trop large du rôle de l’assistante sociale. En effet, les managers bénéficient déjà de l’aide d’un certain nombre d’intervenants. Cette multiplication des acteurs risque donc de poser problème. L’assistante sociale doit travailler étroitement avec le service des ressources humaines. Elle doit effectivement lui transmettre des informations mais aussi l’alerter en cas de difficultés, ceci selon des procédures plus ou moins formalisées.
Sur la formation des DRH, j’ai personnellement suivi un cursus relativement atypique puisque j’ai fait lettres et droit. En revanche, ma pratique m’a permis de croiser un certain nombre de partenaires sociaux et d’assistantes sociales. Dans ma précédente entreprise, l’assistante sociale assistait au CHSCT et on pourrait envisager de faire de même chez RFF. Cela me paraîtrait très intéressant dans la mesure où cette instance traite des conditions de travail au sens large.
S’agissant des arguments en faveur de la création d’un service social, je n’ai pas rencontré de difficultés quand j’ai présenté ce besoin. Cependant, l’examen de ce projet par le Comité d’Entreprise m’a certainement facilité la tâche.




Vendredi 18 mars 2005 - Synthèse des ateliers

Jacques TREMENTIN - ANAS

La fonction d’assistante sociale du travail existe depuis 1917. A 88 ans, le temps de l’adolescence et de l’entrée dans la maturité est bien loin. Il s’agit d’une période de la vie où l’on dresse des bilans, en se demandant ce que l’on va léguer à ceux qui vont nous survivre.

Cette profession est-elle appelée à disparaître, après avoir engendré des enfants qui ne lui ressemblent guère ? Ou bien ne fait-elle que renaître perpétuellement des cendres qu’on lui prédit régulièrement, en ne faisant que s’adapter pour mieux continuer à exister ? C’est à cette question que seront consacrées l’intervention de Monsieur Aballéa et la table ronde de cet après-midi.

Avant de réfléchir à l’éventuelle répartition de l’héritage, il convient de tenter de dresser un état des lieux. Cela nous permettra de mieux déterminer ce qui peut être transmis en l’état aux nouvelles générations de professionnels et ce dont on doit se débarrasser.

Si l’on quitte la métaphore que je viens de vous proposer, on pourrait reformuler la problématique de la façon suivante : pour qu’une profession soit menacée, il faut que ce qu’elle propose soit suranné, dépassé et superflu. Il convient donc de s’arrêter quelques instants sur ce que l’assistante sociale du travail propose, afin de distinguer ce qui est idoine et périmé dans son action, de ce qui est adapté au contexte contemporain.

Une lecture attentive des comptes-rendus des ateliers de la journée d’hier laisse apparaître très clairement trois constantes, trois compétences qui parcourent les débats comme un fil rouge. Il s’agit d’abord de l’affirmation d’une authentique expertise. Il s’agit ensuite de l’incontournable nécessité du partenariat. Il s’agit enfin d’une capacité d’introspection, qui n’hésite pas à situer en interne l’origine des faiblesses et des dysfonctionnements qui fragilisent la profession.

 

I.              L’expertise

L’expertise peut prendre des formes très diverses. Elle se déploie sur des registres qui, pour être parfois partagés, n’en font pas moins de l’assistante sociale du travail un acteur privilégié à la fois d’accompagnement du changement individuel et social, mais aussi de protection à l’intérieur de celui-ci. Cette compétence traverse quasiment tous les débats des ateliers.

Nous allons débuter par trois registres que l’on pourrait appeler traditionnels, car ils sont quasiment atemporels.

 

Les difficultés financières

Le premier de ces registres est celui des difficultés financières des salariés, auxquels l’assistante sociale du travail a toujours eu à faire face. Il n’y a pas de meilleure conseillère pour apprendre à gérer un budget. Même si la précarisation rampante et l’ouverture inconsidérée des vannes du crédit ont fait passer ce type d’intervention du domaine du ponctuel à celui du chronique, on reste dans la même dynamique éprouvée par le temps : tout travail dans l’urgence apporte une accalmie provisoire, mais ne permet pas un travail sur le fond.

Il faut du temps pour rendre la personne actrice et l’aider à se réapproprier ses potentialités. Cela passe par une analyse financière rigoureuse permettant d’établir un diagnostique et un plan d’action psychosocial. Cette technique apparaît particulièrement bien maîtrisée par la profession.

 

Le retour à l’emploi

Le second registre traditionnel de l’expertise de l’assistante sociale du travail est celui du retour à l’emploi d’un salarié, faisant suite à une maladie ou à un accident, à une maladie professionnelle ou à un accident du travail. L’assistante sociale du travail joue un rôle moteur dans ce domaine, gardant le lien avec le salarié durant son arrêt de travail, et proposant l’aménagement ou le changement de poste pour éviter un licenciement pour cause d’inaptitude. L’assistante sociale du travail développe alors tout un savoir-faire, négociant avec l’employeur et/ou avec l’Agefiph, pour maintenir le salarié au sein de l’entreprise.

 

La vie extérieure du salarié

La vie extérieure du salarié, et plus particulièrement sa vie familiale, constituent également un secteur d’intervention traditionnel pour l’assistante sociale du travail. L’identification des problématiques liées directement aux difficultés de l’articulation entre la vie privée et la vie professionnelle fait partie des compétences des assistantes sociales du travail. Celles-ci savent bien détecter les dysfonctionnements de la vie privée qui viennent perturber la sérénité du salarié au travail, et elles tentent de convaincre l’employeur d’y remédier. On peut citer l’exemple de ces fonctionnaires expatriés, démissionnant alors même qu’une perspective de carrière intéressante s’ouvrait à eux. Cette décision a priori incompréhensible trouve souvent son origine dans l’isolement et l’inactivité dont souffrent les conjoints. Face à ce constat, il a été décidé de créer un club des conjoints.

Le domaine de la vie privée du salarié est un terrain sur lequel les assistantes sociales du travail sont tellement attendues qu’on souhaiterait parfois les y enfermer. Les assistantes sociales du travail revendiquent pourtant leur intervention dans le domaine de la gestion de la santé au travail. Cette intervention n’est pas toujours acceptée par des directions. Cela constitue un des défis majeurs de la profession : il s’agit d’acquérir une nouvelle légitimité face aux mutations socio-économiques.

Le productivisme réactif, qui a si bien été décrit par Philippe Askenazy, engendre une nouvelle organisation du travail, génératrice d’angoisses liées à une perte de repères et à l’émergence d’une insécurité nouvelle. Si l’assistante sociale du travail apparaît incompétente pour mettre en œuvre des stratégies de licenciements et de fermetures d’usines, elle est très vite repérée comme une précieuse interlocutrice, dès lors qu’un plan social est élaboré. Elle va alors s’investir pour accompagner les reclassements professionnels, pour la recherche d’un nouvel emploi, pour l’aide aux démarches administratives, ainsi que dans le cheminement du salarié. L’assistante sociale du travail est donc bien identifiée comme force de proposition et comme agent d’accompagnement des salariés face au changement.

Il en va de même pour la mobilité professionnelle, qui est souvent bien plus imposée que choisie. Ce dogme de l’adaptabilité n’est pas sans rappeler le sort réservé aux serfs du Moyen-Âge, taillables et corvéables à merci. Le service social est parfois associé au dispositif chargé de planifier cette adaptabilité. Cela peut aller jusqu’à la mise au point de critères très précis par le service social, validés par la DRH quant aux situations prioritaires de mobilité. Cette situation existe ainsi au sein de l’Education nationale.

L’expertise ne se limite pas seulement à la gestion du présent. Elle peut se faire prospective, notamment en ce qui concerne la gestion du phénomène des seniors. Ces derniers risquent de rester bien plus longtemps dans la vie active. Le service social joue alors un rôle d’alerte sur un problème qui deviendra de plus en plus prégnant. Le service social peut aussi inciter les salariés à réfléchir à leur bilan de carrière. Ce bilan doit intervenir suffisamment tôt, afin de permettre aux salariés de se projeter dans un avenir qui sera très différent de celui des générations précédentes.

Les assistantes sociales du travail ont vu le champ de leur expertise s’accroître avec la gestion des catastrophes AZF ou de celles qui ont émaillé la vie d’Air France au cours des dernières décennies. Cette nouvelle qualification a été renforcée par des formations au débriefing. Cette approche n’a pas vraiment convaincu toutes les assistantes sociales du travail, car les phases d’écoute, de reformulation et de prise en compte des émotions de l’usager leur sont déjà familières. Néanmoins, cette nouvelle mission constitue une reconnaissance des compétences des assistantes sociales du travail.

Enfin, l’expertise de l’assistante sociale du travail perdrait toute crédibilité si elle ne s’appuyait pas sur les nouvelles technologies de l’information. L’ordinateur portable, les logiciels de service social, l’Intranet, l’Internet, les courriers électroniques et les téléphones portables n’ont plus de secret pour nombre de professionnelles.

 

 

Le partenariat

Le travail en partenariat constitue la seconde compétence la plus fréquemment abordée dans les ateliers. L’assistante sociale du travail s’affirme comme le maillon d’une chaîne qui la relie à différents interlocuteurs auxquels elle a conscience de la nécessité absolue de s’articuler. Il en va de sa crédibilité et de son efficacité.

Cette dimension incontournable de la fonction d’assistante sociale du travail a fait l’objet d’un atelier à part entière. Pour être efficaces, les partenariats doivent répondre à cinq conditions :
▪       trouver un intérêt mutuel ;
▪       être à égalité ;
▪       agir en pleine autonomie ;
▪       coopérer entre eux ;
▪       bénéficier d’une évolution positive du fait de cette coopération.

Cet atelier a été illustré par deux expériences menées dans les domaines respectifs de l’alcool et du harcèlement moral et sexuel, montrant la nécessité de privilégier le partenariat entre les principaux acteurs de l’entreprise dans les actions de prévention.

D’autres ateliers ont évoqué cette ressource partenariale. Dans l’accompagnement des restructurations, l’assistante sociale du travail se situe ainsi clairement à l’interface entre le salarié et l’employeur. Le deuxième atelier a mis en avant la nécessaire synergie avec les différents acteurs : employeurs, salariés, syndicats et médecins du travail.

Les deux ateliers sur les pressions psychologiques ont illustré la pertinence du travail de collaboration, par la création d’une association regroupant une quarantaine de professionnelles. Ce lieu leur permet de mettre en commun leurs pratiques, de partager leurs constats et d’essayer d’harmoniser leurs différentes représentations de réalités pourtant proches. Cette collaboration a permis, au moment de l’accident d’AZF, d’apparaître comme groupe expert, en fournissant aux autorités toute une série de données et d’informations sur les salariés touchés par l’accident.

Le sixième atelier, portant sur l’articulation entre vie professionnelle et vie privée, a également insisté sur la nécessité de trouver des partenaires adéquats, tant au sein qu’à l’extérieur de l’entreprise.

L’aide à la gestion budgétaire n’a pas fait non plus exception, tant il apparaît essentiel que la professionnelle communique son cadre d’intervention, les règles et les limites de son action aux différents partenaires.

 

L’introspection

Il est fréquent d’identifier des causes extérieures pour expliciter les problématiques qui nous mettent en difficulté ou en échec. L’estime de soi, qui est à la base de notre rapport aux autres, nous incite à nous protéger et à mettre en accusation l’autre plutôt que d’essayer de se remettre en cause soi-même. Les assistantes sociales du travail présentes dans les ateliers ont pourtant montré une capacité certaine à interroger leurs pratiques.

La participation aux restructurations (atelier 1) ou à l’aménagement des conditions de mobilité (atelier 5) pose la question de la présence des professionnelles au sein d’instances destinées à gérer la réorganisation du travail. Comment éviter le risque d’instrumentalisation par la direction ? Cette même direction semble redécouvrir l’utilité du service social lorsqu’un problème important éclate, exigeant du service social le règlement du problème dans l’urgence (atelier 4).

Dans cet atelier, une participante s’est interrogée sur la façon la plus appropriée de rendre visible le travail de l’assistante sociale. Une autre professionnelle a évoqué l’impossibilité récurrente de la profession à expliquer en moins de cinq minutes à un DRH les apports du travail de l’assistante sociale.

Une autre critique a été émise au sein du sixième atelier : à vouloir être trop créatif et réactif, ne risque-t-on pas de se disperser en voulant tout faire ?

La capacité de diagnostique social de l’assistante sociale du travail se heurte à sa déontologie : comment faire remonter les dégradations des conditions de travail, quand le salarié demande à ne pas révéler ces conditions par peur des représailles (atelier 4-1) ?

Les protocoles élaborés pour intervenir dans les situations de catastrophe revalorisent et légitiment la place des assistantes sociales du travail. Cependant, ces protocoles peuvent conduire à la délivrance de réponses aseptisées et standardisées, bien éloignées du suivi individualisé et adapté à chaque situation particulière.

Enfin, les nouvelles techniques de communication, certes pratiques et efficaces, ne doivent pas réduire la relation humaine et remplacer le face-à-face entre deux personnes physiques.

Ce discours empreint de complexité demeure fidèle aux sciences humaines et tourne le dos aux techniques de management. Ces techniques s’appuient sur le langage de l’insignifiance, en niant toute contradiction et en la remplaçant par un positivisme systématique, comme l’écrit Vincent de Gaulejac dans son dernier ouvrage. La critique n’est admise qu’à la condition de contribuer au seul objectif possible : l’accroissement de la compétitivité et de la rentabilité de l’entreprise. La difficile reconnaissance de l’utilité du service social du travail par l’employeur, ne serait-elle finalement pas liée à une différence de vision de l’être humain. Celui-ci est souvent considéré comme un simple rouage au service de la productivité par les entreprises, tandis que l’assistante sociale du travail voit en lui sujet auquel il faut garantir un minimum de dignité.

Au terme de cette synthèse, on retiendra un descriptif plutôt encourageant. La profession semble cultiver l’expertise, privilégier la relation de partenariat et projeter sur elle-même un regard rétrospectif lucide et critique.

J’emprunterai ma conclusion à Georges Brassens : « Tout est bon chez elle, il n’y a rien à jeter. Sur l’île déserte, il faut tout emporter ! »

 

 


Débat avec la salle

►       Une assistante sociale du personnel de la ville de Cannes
Je souhaite dire un mot sur le personnel du réseau de la région PACA. Nous avons travaillé sur le positionnement de l’assistante sociale du personnel. Vous estimez que les difficultés de la reconnaissance de la fonction d’assistante sociale du travail par les DRH sont liées à des visions différentes de la personne humaine. Il s’agit plutôt de différences de perspectives et d’enjeux des missions respectives. Au sein de notre réseau, nous essayons de travailler à l’adoption d’un langage commun. Il faut accepter le fait qu’un DRH n’a pas la même mission que nous, mais il faut réfléchir à l’intérêt à travailler ensemble à un moment donné. Dans cette optique, nous serons en mesure d’émettre des propositions et d’adopter une bonne base de travail.

►       Jacques TREMENTIN
J’ai le sentiment que notre profession est partagée entre deux logiques complémentaires. D’un côté, les conséquences de l’horreur économique nous font frémir. De l’autre côté, l’humanisme de notre profession nous conduit à éviter la diabolisation de la personne humaine, au prétexte que la logique de l’autre ne nous conviendrait pas.
Dans le débat sur les pressions psychologiques, j’ai ainsi observé que de nombreux collègues confrontés à des situations de souffrance étaient révoltés par les difficultés rencontrées par des salariés. L’assistante sociale du travail se situe à l’interface entre le salarié et l’employeur. Il s’agit donc de franchir le pas et d’aller vers l’autre, même si on ne partage pas sa logique.

►       Une assistante sociale à EDF
Je suis présidente de l’association toulousaine Assocentou, qui réunit quarante assistantes de service social. Dans l’atelier auquel j’ai participé, certains collègues participaient à des groupes régionaux. Cela nous a permis d’échanger nos points de vue. Nous connaissons parfois des situations de souffrance par rapport à certains changements. Il est donc d’abord utile de se soigner, avant de soigner les autres. Il faudrait recenser tous les groupes existants en France, afin de créer un réseau d’échanges qui pourrait être fédéré par l’ANAS.

►       Jacques TREMENTIN
Ce genre d’expériences doit être soutenu. La force avec laquelle vous avez réussi à vous organiser prouve que vous n’avez pas nécessairement besoin d’être fédérés, dans la meure où la dynamique est en marche.

►       De la salle
Nous avons créé un site Internet dont je souhaite vous communiquer l’adresse : www.assocentou.free.fr.

►       Pascale FOURNAND
Je vous remercie pour cette intervention. Nous aborderons ultérieurement cet appel à la fédération et à la concertation de ces groupes régionaux en partenariat avec l’ANAS.

►       De la salle
Le nombre de personnes participant à cette réunion prouve notre besoin de communiquer et d’échanger. Il est également nécessaire de sortir de nos cercles et de créer de nouveaux réseaux. Il faudrait réfléchir à la possibilité de créer des réseaux et de resserrer nos liens avec les ressources humaines.

►       Jacques TREMENTIN
Les travaux d’un atelier ont également conduit à une proposition de rencontre entre l’ANAS et une association de DRH.

►       De la salle
Je souhaite aborder la question de la formation. Les assistantes sociales du travail sont bien formées en sciences humaines, mais moins formées aux sciences de gestion. Pour ma part, j’ai également suivi une formation en gestion. Le discours gestionnaire est totalement différent du discours de l’assistante sociale du travail, car il se situe entièrement dans la logique de l’entreprise. Cependant, il est important pour nous de comprendre ce discours.
L’association des dirigeants des ressources humaines nous accueille toujours favorablement. Je fais partie d’un groupe de travail au sein cette association sur les questions de management, de santé et de sécurité au travail. Je constate que les DRH sont intéressés par l’approche des travailleurs sociaux sur ces questions.

►       Jacques TREMENTIN
L’un des principes de notre métier réside dans le refus du jugement vis-à-vis de l’usager. Nous pourrions également utiliser ce principe vis-à-vis des directions et des DRH.

►       De la salle
Plutôt que de travailler conjointement avec les ressources humaines, je préfèrerais effectuer une définition claire de nos rôles respectifs, de manière à ce que le salarié puisse se situer au sein de l’entreprise. Pour ma part, j’ai refusé d’être rattachée au département des ressources humaines, et je demeure rattachée à la direction.

►       De la salle
Il faut rappeler que le DRH est également un salarié. Pour ma part, je suis rattachée à la DRH et je suis satisfaite de cette situation.

►       Une conseillère du travail aux NMPP
Si nous travaillons au sein de groupes avec des DRH, nous intégrerons l’intérêt des salariés, mais également l’intérêt de l’entreprise. Notre profession est au service du social, mais également de l’économique. Nous sommes en effet au service du salarié et de l’entreprise.
Je suis un peu déçue, dans la mesure où je n’ai pas entendu de choses véritablement nouvelles, notamment au sujet d’un partenariat plus offensif.

►       De la salle
Je rencontre souvent des salariés qui s’affrontent et qui ne comprennent pas la logique de l’entreprise. Nous avons un rôle d’interface à jouer entre l’entreprise et les salariés. Nous pouvons tenter de participer à la rencontre et à compréhension des différentes logiques.
Par ailleurs, il faudrait mettre en place des stratégies de communication en direction de nos partenaires internes et externes à l’entreprise. J’ai en effet rencontré des problèmes avec le service médical d’une entreprise, car ce service ne souhaitait pas que j’intervienne en partenariat avec les responsables de l’entreprise.

►       De la salle
Je ne pense pas travailler pour ou contre la direction de l’entreprise.

►       De la salle
A la suite de l’explosion de l’usine AZF, les collectivités territoriales ont pris conscience du fait qu’elles n’avaient pas suffisamment pris en compte l’accompagnement social de l’entreprise. La maire-adjointe de Toulouse nous a demandé de rencontrer la directrice de la sécurité civile, afin de nous inscrire sur la liste des intervenants en cas de situation de catastrophe.
 
 
 


Présentation ENOS : congrès en France en 2006

Christine BAYLEDAQUIN - ENOS France

Les initiales d’ENOS signifient European Network Occupational Social Work. L’unification de l’Europe a fait naître le souhait d’un réseau européen du travail social en entreprise, qui coordonnerait et informerait sur les activités, les connaissances et les pratiques dans les différents pays d’Europe. Il s’agit de donner l’occasion aux travailleurs sociaux d’entreprises européennes.

La structure du réseau se compose d’un groupe de coordination qui comprend un représentant de chaque pays européen. Le Comité de coordination prend la responsabilité de lancer et de coordonner des actions au niveau européen : publications et courriers, réponse à des questions de pratique, et organisation d’une conférence tous les 18 mois environ.

L’adhésion individuelle est ouverte aux Européens qui possèdent un diplôme de travail social et qui travaillent dans le secteur social. Cette adhésion peut inclure des personnes engagées dans des organismes de formation pour le travail social. Le nombre d’adhérents est fort différent selon les pays et la France est le pays d’Europe comprenant le plus grand nombre de travailleurs sociaux en entreprise.

Le prochain congrès aura lieu en France, en juin 2006. Nous avons évoqué la ville de Toulouse, mais nous n’avons pas encore déterminé le lieu d’organisation de façon définitive. L’équipe se mobilise, n’hésitez pas à lui faire parvenir vos idées et suggestions. Mon adresse électronique est la suivante : cbayledaquin@wanadoo.fr.

 
 

Présentation de la Commission Travail de l’ANAS

Catherine BANLIN - ANAS

Je souhaite vous ouvrir les portes de la Commission Travail et vous inciter à nous rejoindre. Je souhaite préciser que l’ANAS nous a donné tous les moyens nécessaires pour monter cette Commission Travail.
L’ANAS existe depuis plus de 50 années. La Commission Travail ne serait pas ce qu’elle est si elle ne disposait pas de ce passé. Nous avons le sentiment d’avoir pris le relais d’un travail commun dans un but collectif.
L’activité principale de cette commission réside dans la préparation des journées de travail 2005 et dans l’analyse du déroulement des journées d’études. Le retour des fiches d’évaluation est donc essentiel à l’organisation des prochaines journées d’études.
La Commission Travail cherche par ailleurs à établir un répertoire de toutes les assistantes sociales du travail en entreprise quel que soit leur statut, et à déterminer le mode de diffusion adéquat de ce répertoire. De plus, la Commission Travail souhaite établir une liste des services interentreprises, quels que soient leur statut et leur rattachement, afin de répondre en toute impartialité aux demandes de service social en entreprise, que ces demandes émanent des DRH ou des CE. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que certaines assistantes sociales travaillent en liaison directe avec les CE.
Sur un plan personnel, cette Commission Travail m’a permis d’échanger, de rencontrer de nouvelles personnes, de progresser en informatique, de voyager, de réfléchir au sens de ma profession et d’utiliser mes compétences professionnelles.
Je souhaite insister sur le fait que les membres de la Commission Travail travaillent réellement dans un but commun et collectif, au-delà de leurs engagements professionnels habituels.
Mon adresse électronique est : anasbanlin@wanadoo.fr et mon numéro de téléphone est le 06 07 67 56 82.
 
 
Didier DUBASQUE - Président de l’ANAS

Notre profession est assujettie : à l’hôpital nous dépendons des médecins, dans les collectivités territoriales nous dépendons des élus, dans la fonction publique nous dépendons de l’administration et dans les entreprises nous dépendons des DRH. Nous devons devenir une profession disposant de plus en plus d’une parole propre.

 

Nos activités actuelles

La Commission Formation s’est investie dans la réforme des études, avec la définition officielle de la profession et des référentiels de compétences et de qualifications. Il est possible d’utiliser ces documents au quotidien pour expliquer la réalité de notre profession, car ils positionnent l’assistante sociale du travail dans une fonction globale d’intervention auprès de la personne. L’assistante sociale du travail est une professionnelle qui doit délivrer une expertise et la fournir aux responsables de l’entreprise.

La Commission Internationale est très active et organise un voyage pour rencontrer les services sociaux en Angleterre. Nous avons constaté que les services de l’Etat s’inspiraient du modèle anglo-saxon. Le désengagement de l’Etat étant important, il est utile de connaître la situation des pays ayant enclenché ce désengagement.

Nous sommes adhérents de la FITS, la Fédération Internationale des Travailleurs Sociaux, et nous travaillons sur une directive européenne qui permettrait de privatiser les services sociaux et de les ouvrir à un marché fortement concurrentiel.

La Commission Travail a existé pendant de nombreuses années, mais elle a cessé de fonctionner durant trois ans, suite à la crise traversée par l’ANAS. Dans la mesure où notre identité professionnelle est bien réelle, une simple association des travailleurs sociaux serait insuffisante. Notre méthodologie dans le rapport à l’autre doit donc être partagée.

Je souhaite vous signaler la renaissance de la Commission Etudiants, associée au travail sur la réforme des études. Il est en effet très intéressant de recueillir le point de vue des jeunes professionnels. Cette commission a travaillé aux conditions d’application de la réforme des études d’assistante sociale du travail. La question des étudiants pauvres occupe une place prépondérante dans les réflexions de cette commission.

Par ailleurs, un groupe de réflexion sur l’informatique a été mis en place. Il s’agit de réfléchir à l’adaptation de l’outil informatique à nos pratiques au lieu de réfléchir à l’adaptation de nos pratiques à l’outil informatique. Enfin, la Commission Hospitalière est actuellement en veille, mais elle a traité l’année dernière du rapport au temps. Il faut ici signaler que l’ANAS ne comprend pas de permanent et que tous ses membres sont des professionnels en activité et des retraités bénévoles.

Concernant le travail des sections départementales, des professionnels doivent être présents dans les groupes de travail qui seront mis en place dans les régions, mais certains territoires ne sont pas encore actuellement couverts. Nous avons donc interpellé des adhérents, afin qu’ils acceptent de devenir des référents de l’association.

 

Les dossiers chauds

La section Languedoc-Roussillon a monté un dossier sur la question de l’illégalité d’un contrat local de sécurité mis en place par la préfecture, le conseil général et le procureur de la République. Ce contrat avait été mis en place en partenariat avec une société privée. Cette société avait créé un fichier sur la population potentiellement à risque, alors que cette population n’avait commis aucun délit. L’illégalité de ce contrat fera jurisprudence.

Par ailleurs, nous travaillons sur la défense du secret professionnel. Le législateur remet actuellement en cause ce secret professionnel. Nous avons donc proposé des amendements par le biais de certains sénateurs. Si un policier interroge une assistante sociale sans commission rogatoire, celle-ci peut lui opposer le secret professionnel. On ne peut pas empêcher la saisie des dossiers, mais nous n’avons pas l’obligation de parler. La première version du texte prévoyait des amendes en cas de refus de réponse.

Concernant l’affaire d’Angers, le président du conseil général nous a alertés sur un possible déchaînement médiatique contre les services sociaux. La stratégie de la défense consiste à accuser les défaillances des services sociaux. Il nous faudra donc expliquer notre métier, car certains auront la tentation de vouloir nous assimiler à des polices des familles.

Nous travaillons également sur la question des enfants de parents étrangers déboutés du droit. Nous avons demandé la fin de la mise en rétention de familles avec enfants. De plus, la séparation des familles est une atteinte à la Convention internationale des droits de l’enfant. La seule solution semble être l’assignation à résidence. Nous travaillons actuellement avec un réseau d’enseignants sur ces questions.

Par ailleurs, le décret de la réforme des études nous semble inquiétant. Nous avons envoyé un courrier au ministère de la santé, car ce ministère est le seul à ne pas avoir signé le décret sur l’organisation des centres de formation, alors qu’en 1980 ce ministère était le seul à avoir signé. Ce décret prévoit qu’un directeur de centre de formation sociale n’aura pas besoin d’être diplômé de l’université et que le diplôme d’Etat d’assistante sociale sera suffisant. Cette mesure risque d’abaisser le niveau de formation des directeurs d’établissements. Cette déréglementation est inquiétante.

Le service social du travail tient une place prépondérante au sein de l’ANAS, car ce service tire la profession vers le haut. Certaines collègues sont enfermées dans des situations de travail administratif et n’ont plus le temps de rencontrer les familles.

Le service social n’est pas constitué du seul service social des exclus. Aujourd’hui, notre principal interlocuteur est la secrétaire d’Etat à l’exclusion. Pourtant, le travail de prévention en direction des salariés qui risquent de perdre leur emploi est fondamental.

Le service social hospitalier se soucie parfois uniquement du nombre de lits vacants, sans prendre en compte les intérêts de la personne.

Nous faisons face à des bouleversements et à une insécurité sociale. Dans ce monde incertain, les professionnels du service social ont une obligation morale et professionnelle à réagir et à s’organiser en réseau. Nous avons besoin d’un service social du travail offensif, en position de négocier face aux pouvoirs publics.

Nous ne pouvons plus nous permettre de demeurer dans le registre de la plainte. Lorsque nos dossiers sont structurés, nous sommes écoutés par le ministère. Concernant la lutte contre la délinquance, nos argumentaires sont repris par les pouvoirs publics, les associations et les syndicats.

 

 


Le service social du travail, avatars d’une fonction, vicissitudes d’un métier

Evolutions de la formation de surintendante - conseillère du travail

François ABALLEA - Directeur du GRIS, Université de Rouen
Charlotte SIMON - Doctorante, Université de Rouen

 

Pascale FOURNAND

François Aballéa et Charlotte Simon ont écrit un ouvrage de référence sur le sujet. François Aballéa est directeur du GRIS et enseignant-chercheur à l’université de Rouen. Charlotte Simon est son étudiante.

 

François ABALLEA

Je tiens à souligner que Charlotte Simon a été mon étudiante, mais qu’elle ne l’est plus.
Je fais partie de ceux qui considèrent que les professions ont encore une légitimité et que la survie d’une profession ne tient pas à la pertinence de son objet ou à l’excellence de son expertise, mais à la dynamique du groupe professionnel.
Je m’excuse de mon absence hier ; je participais un colloque sur la servitude au travail.
Nous tenterons aujourd’hui de traiter trois questions : quel jugement porter sur l’évolution du métier de surintendante d’usine et de conseillère du travail ? Quel jugement porter sur l’évolution du service social du travail ? Quelles remarques suggère l’évolution actuelle des modes d’exercice en service social du travail ?

 

Quel jugement porter sur l’évolution du métier de surintendante d’usine et de conseillère du travail ?

Charlotte SIMON

Le constat ne peut être que négatif. La profession de conseillère technique ou de surintendante d’usine semble en voie de disparition. De moins en moins d’assistantes sociales suivent cette formation. Lors d’un recrutement, l’employeur semble peu se soucier du fait que l’assistante sociale possède une formation complémentaire de surintendante ou de conseillère.

La formation universitaire de conseillère technique, qui réunissait un certain nombre d’assistantes sociales en formation post-diplôme, n’a pas rencontré le succès espéré. Elle a d’ailleurs été suspendue en 1991. Quant aux promotions de surintendantes, elles sont de plus en plus modestes.

 

François ABALLEA

Les assistantes sociales tirent profit de cet échec sur le plan quantitatif, dans la mesure où 80 % des personnels du service social du travail sont des assistantes sociales. Les assistantes sociales tirent profit de cette situation sur le plan de la dynamique des carrières, dans la mesure où le service social du travail permet des reconversions. Les jeunes professionnelles sont en effet peu nombreuses.

Charlotte SIMON

On peut se demander si les assistantes sociales et les conseillères du travail sont les professionnelles d’un même métier dans les entreprises et les administrations, si elles lui donnent le même contenu articulé sur une expertise forte, une déontologie et un système de références normatives assurées. A l’inverse, on peut se demander si la réussite des assistantes se traduit par une perte d’originalité relative, réduisant l’intervention sociale auprès du personnel à l’aide et à l’assistance individuelles des salariés aux prises avec des difficultés souvent extraprofessionnelles.

 

 

Quel jugement porter sur l’évolution du service social du travail ?

Un bilan contrasté

François ABALLEA

Le bilan peut être positif ou réservé selon le point de vue adopté.

Charlotte SIMON

Selon certaines données, le bilan paraît positif, voire encourageant pour l’avenir. Si l’on considère le nombre d’entreprises soumises, au regard de la loi, à la création d’un service social du travail (moins d’une centaine aujourd’hui) et le nombre d’entreprises bénéficiant de prestations d’une assistante sociale (plusieurs milliers), on peut considérer que l’existence d’un service ou d’une prestation de services au bénéfice des salariés a fini par être reconnue comme utile, sinon nécessaire. Le service social du travail aurait donc fait la preuve de sa pertinence et serait reconnu par un nombre important d’employeurs.

François ABALLEA

Le bilan peut être plus réservé au regard du nombre d’entreprises qui seraient susceptibles, de par leurs dimensions, d’accueillir des services sociaux. En France, 1 300 entreprises comptent plus de 500 salariés. Par ailleurs, les effectifs n’évoluent guère, en dépit de la dégradation de la situation économique et sociale et de l’augmentation des licenciements. Ces conditions objectives n’ont pas conduit au développement de la profession d’assistante sociale du travail. Enfin, on note un développement de la sous-traitance de la prestation de services.

Charlotte SIMON

Le jugement est surtout nuancé du point de vue de la définition même du service social du travail : son objet, son insertion dans l’entreprise et sa déontologie.

 

Historique de la fonction de surintendante

François ABALLEA

On observe en effet un confinement du service social du travail sur des missions traditionnelles d’aide et d’assistance, au détriment des fonctions originelles figurant dans les textes de 1917 et de 1942.

Charlotte SIMON

A l’origine, les surintendantes veulent agir sur la sphère professionnelle pour améliorer les conditions de travail et d’existence. Les pionnières du service social du travail ne se confinent pas dans la sphère familiale et souhaitent s’investir dans la sphère professionnelle, allant ainsi à l’encontre des idées masculines de l’époque et anticipant sur la gestion des ressources humaines. Les surintendantes vont donc investir le champ du travail et les usines, monde jusqu’alors dominé par les hommes, avec entre autres objectifs, la défense de la condition féminine.

Les attributions de la surintendante au regard du texte fondateur du 5 août 1917 sont relativement larges et se concentrent dans la sphère professionnelle. La surintendante est chargée de l’embauche, de l’affectation des postes de travail en fonction de la situation sociale ou de la condition physique de la femme. Elle peut déplacer les ouvrières de la chaîne, dans le cadre d’un redéploiement des effectifs. Elle doit également s’occuper de l’hygiène dans les usines et des problèmes relatifs au bien-être et à l’hygiène des femmes de l’établissement et instruire les plaintes des ouvrières. Elle est en effet chargée du recueil et du traitement des doléances du personnel. Le fait d’avoir également l’instruction des plaintes pour fonction annonce le futur rôle d’agent de liaison qu’endossera le service social du travail.

De façon générale, l’action du service social du travail ne se limite donc pas à des préoccupations sanitaires et sociales. Dès les années 20, la surintendante joue un rôle dans la reconstruction et la modernisation de l’appareil productif français, son action devant permettre d’amoindrir les effets négatifs du progrès. Elle est chargée de veiller à la propreté des locaux de travail, de développer la prévention des accidents et des maladies professionnelles, de rechercher les motifs des arrêts de travail et de traiter toutes les questions d’hygiène.

Par ailleurs, les difficultés d’adaptation à l’organisation scientifique du travail et la crise des années 30 rendront plus évidentes l’utilité et la nécessité pour la paix sociale d’une fonction d’intermédiation entre les salariés et les employeurs. Selon Knibiehler, « pour prévenir autant que possible les conflits sociaux, la surintendante devait être « la goutte d’huile », capable de lubrifier toutes les relations humaines à l’intérieur de l’entreprise ».

Les surintendantes vont acquérir une expertise incontestable que reconnaissent, non sans quelques arrière-pensées, nombre de patrons. Monsieur Michelin n’hésite pas ainsi à déclarer : « Le service social est un service qui paie ». Les surintendantes ne se confinent pas dans l’assistance, mais élargissent l’objet de leur métier et surtout elles lui donnent une orientation spécifique. Les surintendantes se focalisent d’abord sur le travail et revendiquent une amélioration des conditions de travail pour le rendre respectueux des obligations et des exigences des ouvrières.

Après la Seconde guerre mondiale, la loi insiste sur le rôle des conseillères du travail vis-à-vis des instances représentatives des salariés, notamment le comité d’entreprise. Ainsi, le conseiller du travail exerce « les fonctions de conseiller technique pour les questions sociales auprès du comité et peut être chargé par lui de l’organisation et de la direction des institutions sociales de l’entreprise ». Par ailleurs, « le conseiller ou la conseillère assiste de droit, avec voix consultative, à toutes les réunions du comité ou des commissions spéciales consacrées, selon l’ordre du jour, à des questions sociales ». L’article R 250-10 ajoute : « ils recherchent, en accord avec le chef d’entreprise et le comité d’entreprise ou le comité interentreprises, des améliorations susceptibles d’être apportées aux conditions de travail, au bien-être des travailleurs et au fonctionnement des œuvres sociales de l’entreprise ou de l’interentreprises ».

 

La répartition des fonctions

François ABALLEA

La situation a beaucoup évolué et les fiches de postes sont très floues. Les fonctions se répartissent autour de quatre types d’activités :
▪       l’aide individualisée concernant la vie privée des salariés : logement, santé, etc ;
▪       l’aide individualisée concernant la vie au travail : aménagement des postes de travail, licenciements, changements de postes, conflits, retraites, etc ;
▪       un travail collectif centré sur le monde du travail, destiné à l’ensemble des salariés, comme par exemple la préparation à la retraite ;
▪       un travail collectif autour de thèmes sociaux concernant la vie privée et ayant des incidences sur la vie professionnelle : nutrition, tabagisme, alcoolisme, etc. ;
45 % des assistantes sociales du travail déclarent effectuer autant d’actions centrées sur le travail que sur le hors travail.

Par ailleurs, les objets d’intervention sont dans l’ordre d’importance : les problèmes d’endettement, les problèmes familiaux, les problèmes de logement, les problèmes de reclassement professionnel, les conditions d’hygiène et de sécurité, les problèmes de conflits entre salariés ou avec l’encadrement et enfin le conseil aux CE et aux instances partenariales. Le service social du travail se confine à des tâches sociales traditionnelles. De plus, de nombreuses assistantes sociales déclarent subir des conditions de travail précaires.

De leur côté, les actions collectives sont relativement fréquentes, mais elles sont plus espacées dans le temps et inégalement réparties. Ces actions collectives ne concernent qu’indirectement le travail et elles concernent beaucoup moins le stress ou la lutte contre l’agressivité. On a donc le sentiment que le métier s’est confiné dans des fonctions classiques de travail social.

 

Les partenariats internes

Charlotte SIMON

Ce confinement dans le social se retrouve au niveau du positionnement institutionnel, c’est-à-dire au niveau des relations que le service social du travail entretient au sein de l’entreprise avec les diverses instances de celle-ci.

Toute assistante sociale ou conseillère du travail est amenée à rencontrer de nombreux partenaires dans le cadre de son activité quotidienne. Le travail en partenariat fait partie intégrante de sa fonction.

La très grande majorité des professionnelles du service social du travail place le DRH et le service médical en première ou seconde position parmi leurs interlocuteurs privilégiés.

La marginalisation du service social du travail par rapport aux instances du personnel constitue un fait marquant. Il semble plus difficile aux assistantes sociales de rencontrer les instances du personnel. Les contacts entre le service social du travail et les différentes instances représentatives des salariés sont souvent distants voire emprunts de méfiance, quand ils ne sont pas inexistants. De fait, relativement rares sont les assistantes sociales et conseillères du travail qui rencontrent et encore moins collaborent régulièrement avec le secrétaire du CE et les délégués du personnel.

Au regard de la loi pourtant, la conseillère du travail doit exercer auprès et pour le compte du CE une fonction de conseil et de gestion. Dans les faits, l’assistante ou la conseillère du travail connaît peu les partenaires sociaux et n’assiste que très rarement aux réunions du CE. Seulement 45 % de l’échantillon assiste aux réunions du CE et du CTP.

La présence du service social du travail est beaucoup plus sollicitée aux réunions du CHSCT même si elle est, là encore, loin d’être la règle.

Les assistantes sociales du travail continuent donc à assister d’une façon assez habituelle au CHSCT, même si la loi du 22 décembre 1982 réformant les comités d’hygiène et de sécurité pour en faire des CHSCT, ne reprend pas les conseillères du travail et les surintendantes dans la liste des membres de droit. Cependant les habitudes perdurent, sans doute parce que les assistantes et les conseillères ont réussi à faire la preuve de leurs compétences et de leur pertinence. La participation au CHSCT renforce leur intégration et leur permet d’avoir une vision plus globale des conditions de travail du personnel.

 

Les partenariats externes

François ABALLEA

Les partenariats externes sont très étendus et le travail de l’assistante sociale est un travail en réseau. Les partenaires que vous rencontrez le plus souvent à l’extérieur sont dans l’ordre d’importance la CPAM, l’assistante sociale de l’hôpital, l’assistante sociale de secteur, les caisses de retraite, la CAF et les HLM. Nous n’avons pas été surpris de constater que le CCAS et les assistantes sociales scolaires étaient relativement absentes de ces partenariats externes. En revanche, il est surprenant de constater que l’ANPE, l’APEC, les Assedics, les fédérations syndicales et les organismes de formation professionnels ne sont pas souvent contactés.

Les assistantes sociales du travail travaillent avec des professionnels et collaborent peu avec les institutions ne disposant pas de services sociaux professionnels. Elles travaillent avec des personnes partageant la même culture et le même modèle professionnel qu’elles.

 

La déontologie

Charlotte SIMON

Sur cette question, seulement la moitié de l’échantillon considère que le métier d’assistant social ou de conseiller du travail exige une déontologie spécifique. Pour l’autre moitié, la déontologie en service social du travail se confond avec celle de l’assistant en service social en général.

Les définitions proposées par les assistantes sociales estimant que le service social du travail possède une déontologie propre manifestent clairement une difficulté à préciser le contenu de cette déontologie. Ces définitions s’attardent plutôt sur une mise en œuvre particulière de la déontologie générale du travail social, mais elles mettent particulièrement l’accent sur l’exigence du secret et la nécessité de neutralité.

Le secret professionnel pose des problèmes à l’assistante sociale dans une organisation, du fait de cette particularité qui consiste à travailler quotidiennement avec des personnes non soumises au secret professionnel. On a bien affaire ici à un élément fort de l’identité professionnelle de l’assistante sociale du travail. Toute mise en cause du secret professionnel est une mise en cause de l’identité professionnelle des assistantes sociales du travail et une menace quant à l’existence de la fonction.

La neutralité revendiquée et affichée permet de travailler avec chacun dans l’entreprise, quel que soit son statut ou sa position. L’assistante sociale du travail cherche à être neutre et impartiale, mais une majorité des professionnelles du service social du travail viennent de la polyvalence de secteur. De plus, il n’est pas nécessairement dans la culture de l’assistante sociale d’être neutre face à la misère du monde.

 

Le manque de formation spécifique

François ABALLEA

La formation de surintendante d’usine, telle que définie en 1917, était une formation d’excellence et n’avait guère d’équivalent dans l’université française. Le nouveau référentiel ne supporte pas la comparaison avec le diplôme d’Etat d’assistante de service social de 1968 et de 1980.

Le diplôme de 1968 est à dominante psychoclinique, tandis que le référentiel de 1980 est plus diversifié. Cependant, ce référentiel comporte peu d’éléments concernant le droit du travail, l’entreprise, le monde socioprofessionnel ou l’hygiène et la sécurité. Il s’agit d’un diplôme polyvalent, ayant pour but de former des personnes à la méthodologie de l’intervention. De son côté, le référentiel de 2004 n’innove pas fondamentalement et ne débouche pas sur des possibilités de spécialisations.

La dimension clinique et la méthodologie caractérisent le mode d’intervention des assistantes sociales en entreprise.

La formation est une formation professionnelle, non pas technique, tandis que la formation de surintendante était une formation technique. Il n’y a pas beaucoup de contenu thématique dans la formation aboutissant au diplômé d’Etat du service social. Il s’agit plutôt de sensibilisations par le biais de modules à faible densité horaire.

Les étudiantes en service social du travail sont peu sensibilisées au monde de l’entreprise et au monde du travail, comme en témoignent leurs stages et leurs mémoires. Les assistantes sociales nous déclarent qu’elles ont été peu sensibilisées au monde du travail durant leur formation.

 

Charlotte SIMON

Dans la formation d’assistante sociale, les questions du travail ne sont pratiquement abordées dans aucun module. Ce n’est pas, semble-t-il, la connaissance des relations professionnelles et de l’univers de travail, encore moins celui de l’entreprise, qui oriente la formation. Ce déficit de spécialisation est fortement ressenti par les assistantes sociales exerçant en entreprise. Selon l’enquête que nous avons menée, 78 % des assistantes sociales considèrent que la formation d’assistant de service social ne les prépare pas correctement à l’exercice dans un service social du travail

Les domaines faisant défaut sont divers : ils concernent la sociologie des relations professionnelles, l’économie d’entreprise, la législation du travail et l’ergonomie. Le droit social ou la psychologie de la relation ou encore la technique d’entretien, enseignés lors de la préparation au diplôme d’Etat d’assistante de service social, sont nettement moins souvent mentionnés. Les lacunes de la formation initiale sont-elles compensées par la formation continue ?

 

La formation continue

François ABALLEA

45 % des assistantes de service social du travail déclarent n’avoir jamais suivi de formation continue complémentaire. 70 % des assistantes sociales du travail ayant moins de cinq années d’expérience déclarent n’avoir jamais suivi de formation.
Dans le secteur public, les assistantes sociales suivent beaucoup plus souvent des formations que dans le secteur privé. Les assistantes sociales salariées suivent par ailleurs davantage de formations que les assistantes sociales exerçant dans un service interentreprises.
Les formations les plus demandées sont celles qui correspondent aux lacunes de la formation initiale : bilan social, GRH, retraite, etc. Un tiers des assistantes sociales du travail ont suivi ce type de formations.
Après ce type de formations, les formations les plus demandées dans l’ordre d’importance sont des formations disciplinaires, des formations liées au livre des références, des formations juridiques et des formations diplômantes.

 

Le métier change-t-il selon le mode d’exercice ?

Les différents modes d’exercice

Charlotte SIMON

Le service social du travail offre la possibilité de comparer trois formes d’exercice d’un même métier. Il a en effet la particularité de pouvoir être exercé selon trois modes différents : en tant que salarié d’une organisation, membre d’une association interentreprises ou en libéral. On peut donc chercher à savoir si le mode d’exercice a une incidence sur la façon dont est conçue et mise en œuvre une activité professionnelle et s’il implique des identités différentes. En fait, quelques éléments de clivage distinguent les assistantes sociales du travail.

Concernant le contenu réel de l’activité des assistantes sociales du travail, il existe des différences dans la façon de concevoir sa fonction et de pratiquer le métier. Le mode d’exercice semble avoir une incidence sur les problèmes traités.

Les assistantes sociales interentreprises et libérales s’occupent davantage de l’accompagnement des plans sociaux et des licenciements économiques. L’accompagnement individuel dans des situations de changement collectif semble constituer une activité centrale dans les fonctions de l’assistante sociale interentreprises et libérale.

Les assistantes sociales d’interentreprises et libérales sont moins sollicitées pour gérer les problèmes d’ordre relationnel, elles interviennent peu en cas de conflits, notamment avec l’encadrement.

Les assistantes sociales libérales opèrent dans un contexte particulier. Elles sont fréquemment positionnées sur le court terme. Quant aux assistantes interentreprises, elles doivent être capables de faire preuve d’une grande souplesse d’intervention en fonction des besoins, allant du suivi régulier d’une entreprise ou d’un salarié, à une prise en charge plus occasionnelle au niveau individuel ou collectif. Si elles peuvent tenir des permanences de manière régulière dans une entreprise pour tous les salariés, elles peuvent également être sollicitées de manière ponctuelle pour accompagner des salariés confrontés à la fermeture d’une usine et proposer un suivi social approfondi. Le suivi social peut être alors plus ou moins long et plus ou moins intensif.

De manière générale et schématique, nous pouvons dire que les conseillères et assistantes sociales interentreprises ou libérales interviennent de façon ponctuelle lorsque l’entreprise rencontre des difficultés conjoncturelles : accompagnement d’un plan social, transfert d’activité, fermeture d’une entreprise, accompagnement d’un plan de départ en préretraite. Cette intervention est souvent limitée dans le temps et présente un objectif précis : aider les salariés à gérer et à mieux vivre les situations de transition professionnelle.

Dès lors, il est logique de constater que les assistantes sociales interentreprises ou libérales investissent moins le champ de l’action collective. Contrairement aux assistantes sociales salariées, qui organisent majoritairement de telles actions, les assistantes sociales interentreprises et libérales arrivent difficilement à faire valoir ce volet de leur profession, et à mettre en œuvre des actions collectives. Le travail collectif, travail de socialisation s’appuyant sur une démarche participative avec les usagers, supposant sans doute proximité et continuité, n’est le fait que de certaines professionnelles du service social du travail.

Concernant le partenariat, le mode d’exercice se révèle avoir une incidence sur la nature des rencontres avec le secrétaire du CE et les délégués du personnel. Les assistantes sociales interentreprises sont davantage en relation avec le secrétaire du CE et les délégués du personnel, que les assistantes salariées de l’entreprise. Le secrétaire du CE et les délégués du personnel semblent s’adresser davantage à l’assistante sociale d’un service interentreprises, donc peut-être moins subordonnée à la direction. De même, elles sont plus présentes dans les réunions du CE et elles exercent plus souvent un rôle de conseils au CE.

Concernant la déontologie, la mise en avant du secret professionnel s’accompagne d’une revendication de neutralité. L’assistante sociale du travail doit être neutre et c’est, selon les assistantes relevant d’un service interentreprises, ce type d’exercice qui garantit le mieux la neutralité.

 

Les dimensions professionnelles, institutionnelles et statutaires

François ABALLEA

Chacun s’accorde à dire que son mode d’exercice est le meilleur.

Pour comprendre le positionnement des différentes assistantes sociales du travail, il est nécessaire d’observer trois dimensions : les dimensions professionnelles, institutionnelles et statutaires.

Concernant les dimensions professionnelles, 90 % des assistantes sociales participent de la même culture et de la même déontologie. L’homogénéité du groupe est donc importante malgré les différents modes d’exercices. La logique professionnelle est très forte, mais elle n’explique pas tout.

La dimension institutionnelle de la structure dans laquelle travaillent les assistantes sociales du travail est également importante. Les assistantes sociales sont plus ou moins en accord avec les valeurs de leurs entreprises ou administrations et elles sont plus ou moins en accord avec le mode de gestion des ressources humaines en fonction leurs orientations personnelles et de leur conception du métier.

Il existe donc une différence entre les assistantes sociales qui s’approprient les objectifs de leur organisation et celles qui marquent une plus grande position d’extériorité.

Concernant la dimension statutaire, les assistantes sociales exercent toutes dans le cadre d’un lien de dépendance. Ce lien de dépendance peut être un lien de subordination pour les salariées, un lien de dépendance commerciale pour les prestataires de services libérales ou les deux pour les assistantes sociales travaillant en interentreprises.

La servitude professionnelle et le volontariat varient en fonction de ces trois dimensions, mais les dimensions institutionnelles et statutaires constituent des clivages forts dans la définition des différents profils.

 

Les quatre profils professionnels

Charlotte SIMON

Si on croise les variables subordination et engagement, on dégage quatre façons de concevoir le métier et donc quatre façons de se situer, de s’identifier d’être reconnu et identifié.
Identité de métier
Un premier modèle, que nous avons qualifié d’« identité de métier », se caractérise par un lien de subordination fort et un engagement faible sur l’orientation de l’entreprise et les logiques institutionnelles. L’assistante du travail est salariée de l’entreprise ou de l’administration dans laquelle elle exerce, mais elle revendique une position de neutralité totale.
L’activité de l’assistante sociale du travail est centrée exclusivement sur les problèmes individuels ou collectifs des salariés, à travers la résolution de problèmes et l’animation d’actions collectives d’accueil, d’information et de prévention. Ses partenaires sont à l’interne les services médicaux, à l’externe les travailleurs sociaux des institutions sociales ou médicales et les assistantes polyvalentes de secteur. Au niveau de la déontologie, elle revendique le strict respect de la déontologie de l’assistante sociale. Elle n’a guère d’espoir de carrière et ne cherche pas à quitter le service social du travail, voire son entreprise. Elle se veut avant tout assistante sociale cherchant à résoudre les problèmes des salariés. Ce premier modèle se retrouve quasi-exclusivement chez les salariées des entreprises ou des administrations.
Identité expert
Un second modèle, « identité expert », se développe à la croisée d’un faible lien de subordination salariale avec l’entreprise et d’un faible engagement sur les objectifs stratégiques du donneur d’ordres. L’assistante sociale se veut avant tout une technicienne du social pouvant aussi bien aider les salariés, que conseiller le comité d’entreprise. Elle conduit peu d’actions collectives. Son extériorité par rapport à la direction de la structure dans laquelle elle exerce, son absence d’implication dans la vie quotidienne de l’entreprise renforcent sa position de neutralité et la confiance que les salariés placent en elle. Son éventuelle intégration dans une structure interentreprises garantit l’actualisation de ses connaissances grâce à la diversité des cas rencontrés et à l’échange interne avec ses collègues. L’assistante sociale du travail se pense ici avant tout comme une experte. Cette identité se retrouve chez les salariées des associations interentreprises et les assistantes sociales exerçant en libéral.
Régulateur social
Un troisième modèle, renvoyant à l’identité de « régulateur social », se caractérise par un fort lien de subordination salariale et un fort engagement sur les objectifs internes de l’entreprise. L’assistante sociale du travail est intégrée à la direction des ressources humaines de l’entreprise au sein de laquelle elle occupe souvent une position de cadre. Elle peut imaginer d’ailleurs évoluer au sein de celle-ci, vers des postes de chargé de communication ou de formation. Elle conçoit sa mission comme la recherche des solutions sociales et professionnelles les plus adaptées aux caractéristiques des salariés, notamment en cas de changement technique ou organisationnel. Elle intervient éventuellement dans la résolution de conflits. Elle tente de concilier les exigences de la hiérarchie et les besoins et capacités des salariés. Elle se pense comme un « régulateur social » au sein de l’entreprise. Ce modèle concerne des assistantes sociales salariées des entreprises ou administrations.
Conseiller professionnel 
Un quatrième modèle, qualifié d’identité de « conseiller professionnel », concerne l’assistante sociale indépendante sur le plan du contrat de travail, mais qui s’engage sur les objectifs de son donneur d’ordres. Son intervention dans l’entreprise est liée à la confiance que lui manifeste son client, confiance qui résulte de sa capacité à trouver des solutions, de son indépendance vis-à-vis de tous les partenaires, de la justesse des conseils qu’elle peut prodiguer. Elle se pense avant tout comme un « conseiller professionnel ». Ce modèle se retrouve chez les assistantes sociales libérales

 

François ABALLEA

En conclusion, il apparaît que la technicité du métier est reconnue. L’assistante sociale du travail est compétente sur les problèmes sociaux généraux, voire sur des problèmes spécifiques à l’entreprise. En revanche, la reconnaissance de l’assistante sociale du travail en tant que travailleur social est moins évidente. En effet, sa légitimité à s’autosaisir de situations et sa déontologie propre ne sont pas pleinement reconnues. Il est de plus en plus demandé aux assistantes sociales du travail de s’aligner sur les objectifs du donneur d’ordres ou de l’entreprise.

On peut donc s’interroger sur le retour à une notion du XIXème siècle : la fonction d’ingénieur social. Il s’agit d’une personne exerçant une fonction et non pas un métier, détentrice d’une expertise technique, mais pas du sens d’une profession. Le marché du service social du travail commence à s’ouvrir à des personnes qui ne sont pas des travailleurs sociaux. On se situerait donc davantage dans une logique de compétences plutôt que dans une logique de qualifications.

 

Jacques TREMENTIN

Je vous remercie pour cet exposé brillant. Je vous invite à lire l’ouvrage en entier.

 

 

 


La formation en service social du travail

Chantal CHEVALLIER - ETSUP
L’ouvrage de François Aballéa et de Catherine Simon permet de « dégager quatre façons de concevoir le métier et donc quatre façons de se situer, de s’identifier et d’être reconnu, d’être identifié ». Ces quatre conceptions du métier résultent du croisement de deux variables : le lien de subordination et le niveau d’engagement sur les objectifs de l’entreprise.
 

Des propos de chercheurs qui conduisent à s’interroger

Des propos qui conduisent à s’interroger professionnellement
Ces propos nous conduisent à nous interroger professionnellement. Nous avons repris les différents textes de présentation de la formation de surintendante ou conseillère du travail et nous avons repéré des apports relevant plutôt du modèle « identité expert ».
La conseillère du travail est un expert impliqué, disposant d’outils et de techniques, un de ces outils étant centré sur la conduite d’actions collectives. La conseillère est également un expert construisant son positionnement, comme l’atteste la journée de réflexion sur les caractéristiques et les conséquences du lien de subordination.

Des propos qui questionnent le cursus de formation
L’ouvrage soulève également des questions sur le cursus de formation : « il n’y a pas de profession qui n’émerge si elle ne construit pas ses soubassements sur une formation qui garantisse la solidité de l’expertise ». Il faut donc un cursus capable de rendre les professionnels aptes à concevoir, animer, gérer les œuvres sociales et à maîtriser les trois composantes de l’occupation experte d’un poste :
▪       « les règles de l’art du métier qui portent sur l’objet même de l’intervention et qui recouvrent ici pour une large part la maîtrise de la législation sociale, de la législation du travail et de la connaissance des règles du fonctionnement de l’organisation, de l’ergonomie » ;
▪       « une dimension institutionnelle et sociale qui renvoie à la maîtrise du système des relations sociales et institutionnelles au sein duquel se mettent en œuvre les règles de l’art » ;
▪       « une dimension gestionnaire qui concerne la maîtrise de l’économie de son propre travail, donc la gestion de sa propre fonction », dimension particulièrement importante puisqu’elle renvoie à la façon dont les professionnels préservent des espaces temps et des ressources pour les différents aspects de leur fonction.
Les auteurs estiment que « s’inscrire dans le système organisationnel ou institutionnel au sein duquel se déploie l’activité… suppose une capacité à analyser la structure et le fonctionnement concret du système d’action et du système d’acteurs qui le met en mouvement ». Cela suppose une capacité majeure à « s’insérer dans les creux des dispositifs institutionnels, à l’articulation des uns et des autres, dans le rapprochement et la combinaison de leurs compétences, là où la coopération est la condition de la perception et de la résolution des problèmes ».
Par ailleurs, l’ouvrage soulève l’une des questions fondamentales de notre métier, car « les entreprises acceptent toujours plus ou moins bien le service social, mais celui-ci n’existe jamais pour rien ». Cette question peut être étendue à l’ensemble des partenaires fonctionnels et politiques du service social du travail.
En effet, pour ces partenaires, « la difficulté vient de ce que dès lors, qu’on se situe sur la régulation des rapports sociaux et socio-professionnel. C’est au cœur de ce système en tension permanente que se situe le service social du travail, d’où à la fois une acceptation globale liée au service qu’il rend à l’entreprise et à ses membres et le confinement dans un rôle de prestataires de services étroitement technique ».
 
 
 

Le cursus de formation de conseillère du travail

Facteurs exogènes et endogènes
Lorsqu’il s’est agi de procéder au « toilettage » de la formation de surintendante d’usine, sous l’impulsion du ministère de l’Education nationale, nous avons été amenés à faire le point sur un certain nombre de facteurs endogènes et exogènes.
Les facteurs exogènes étaient les suivants :
▪       un contexte réglementaire du service social du travail inchangé alors que celui de la médecine du travail était en cours d’être réformé ;
▪       une modification profonde des textes relatifs à la formation professionnelle continue, avec un accès formalisé à une validation des acquis par l’expérience, après une validation des acquis professionnels peu utilisée ;
▪       une réforme du cycle universitaire ;
▪       des entreprises et administrations en forte évolution, voire en mutation ;
▪       un manque de formations pour l’encadrement RH des organisations sociales et médico-sociales.
Les facteurs endogènes étaient les suivants :
▪       des petits groupes en formation ;
▪       un décalage entre cette formation et le DSTS ou le CAFDES, avec un nombre d’heures plus lourd ;
▪       l’opportunité d’une réorganisation possible des formations supérieures de l’ETSUP sous une seule responsabilité.
 
Un nouveau cursus et un nouveau cadre
Ces différents facteurs ont conduit à proposer un nouveau cursus pour la formation de conseillère du travail et un nouveau cadre d’action. Dans ce cadre, un certain nombre de thèmes pourraient être abordés :
▪       le service social du travail, un métier, une fonction spécifique au sein d’un métier ?
▪       la déontologie et l’éthique ;
▪       le lien de subordination et ses effets sur le service social du travail.
 
Un groupe professionnel sur les spécificités du service social du travail
La difficulté du service social du travail réside dans la définition d’un « objet spécifique dans toutes ces entreprises et administrations où il est spécialisé, confiné dans la résolution des problèmes sociaux individuels ».
Selon les auteurs, « le service social du travail n’aurait pas réussi à développer de missions propres qui lui auraient garanti une certaine spécificité. Seule une minorité participe plus ou moins régulièrement à la régulation des situations professionnelles. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait sans doute que les conseillères et assistantes sociales du travail soient davantage associées à l’évolution générale de l’entreprise ».
 
Un groupe professionnel sur la déontologie
Selon les auteurs, « pour que la déontologie soit un guide pour l’action et puisse atténuer les difficultés à se situer face à des enjeux contradictoires mais dont la légitimité peut être reconnue, encore faut-il qu’elle soit claire dans ses fondements et mobilisable dans la pratique. Or les deux choses ne se conjuguent pas forcément ensemble. D’où l’ambiguïté constitutive de ce métier et la difficulté de l’exercer. ».
La déontologie poserait problème, car une partie des professionnelles porterait une morale de conviction, tandis qu’une autre partie porterait une morale de responsabilité, c’est-à-dire qu’ « on se met d’accord avec les gens sur les choses qu’on dit ou qu’on ne dit pas dans certaines situations ».
Cette situation ne générerait pas de « grand malaise ». Les auteurs s’interrogent donc : « cette absence de malaise apparent est-elle le signe d’une professionnalisation réussie ou au contraire le symptôme d’une ambition professionnelle abandonnée ? ».
Une journée est prévue sur ce thème dans le cadre de la formation, avec une lecture du code de la déontologie, un complément des éléments spécifiques au service social du travail et une réflexion sur la déontologie du service social du travail et de ses partenaires.
L’ANAS réfléchit à un développement du code de déontologie, sachant qu’en entreprise « l’intervention s’adresse principalement aux salariés de l’entreprise. Dans ce cas, l’enjeu professionnel se concentre alors sur la spécificité des valeurs du travail social par rapport aux valeurs économiques portées par les autres acteurs de l’entreprise ».
Par ailleurs, le taux de syndicalisation de 24 % apparaît relativement élevé, voire très élevé, par rapport à la moyenne nationale de 8 %. La question soulevée par les auteurs est donc pertinente : « peut-on revendiquer un positionnement neutre lorsqu’on est syndiqué ? ».
Je souhaite conclure mon propos par la distinction de Max Weber entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. L’éthique de conviction renvoie à l’ensemble des valeurs individuelles du sujet agissant qui s’y conforme sans souci des conséquences, cette simple conformité suffisant à légitimer l’action entreprise. L’éthique de responsabilité impose de prendre également sur soi les conséquences possibles de l’action dont le sujet agissant porte la pleine et entière responsabilité.
 
 


Débat avec la salle

►       Une assistante sociale du personnel de la ville de Châteauroux
Je suis en lien direct avec la DRH de la mairie. J’avais demandé à être rattachée à la DGA. Je suis aujourd’hui ravie d’être rattachée à la DRH.
Je souhaite signaler une dimension que n’ont pas mentionnée les auteurs de l’ouvrage : nous sommes également amenées à travailler avec la justice. En effet, je n’ai jamais effectué autant de demandes de mise sous protection que depuis que je travaille dans cette mairie.
Quelle attitude adopter lorsqu’on apprend qu’un agent travaillant avec des enfants a été condamné pour coups et blessures sur ses propres enfants ?

►       Chantal CHEVALLIER
Cette question est importante, mais la réponse renvoie à une analyse de la situation qui ne correspond pas à la posture que nous abordons ici.

►       De la salle
Avez-vous effectué une comparaison entre les effectifs suivis par les assistantes sociales en interentreprises et les assistantes sociales intégrées dans les entreprises ?
Par ailleurs, je souhaite obtenir des précisions sur la démarche concernant les validations d’acquis d’expériences.

►       François ABALLEA
Nous avons travaillé sur le nombre d’entreprises avec lesquelles les assistantes de service social et les assistantes interentreprises travaillaient.

►       Charlotte SIMON
Le livre se base sur un questionnaire rempli par trois cents personnes. En entretien, je demande à l’assistante sociale le nombre de salariés dans son entreprise. Certaines assistantes sociales sont seules pour s’occuper de deux ou trois mille salariés. Certaines assistantes sociales interentreprises vivent des situations plus favorables que certaines assistantes salariées mais isolées au sein de grandes structures.

►       Chantal CHEVALLIER
Concernant la VAP, nous étions en attente du référentiel de la formation initiale pour construire le référentiel de la formation conseillère du travail. Le travail de construction du référentiel est lancé.

►       Sylvie GUY
Concernant le lien de subordination, l’entreprise dans laquelle je travaille comprend des syndicats et des ressources humaines forts. Grâce à ce contexte particulier, j’ai obtenu d’être rattachée à la direction au lieu d’être rattachée à la DRH.

►       Chantal CHEVALLIER
On ne peut pas analyser un endroit sans connaître les motifs d’un positionnement. L’important est de mettre à jour les motifs d’une configuration.

►       Une assistante sociale du travail du groupe Bouygues
Un référentiel est souvent conçu en partenariat. Avec qui a été bâti le référentiel ? En effet, les chefs d’entreprises ont souvent leurs propres idées sur le service social.
Par ailleurs, je souhaite demander à Charlotte Simon quelles sont ses motivations pour s’intéresser aux assistantes sociales du travail ?

►       Charlotte SIMON
J’avais choisi pour mon mémoire de maîtrise de traiter des nouveaux intervenants sociaux. La prise en charge des bénéficiaires du RMI était effectuée par des conseillers sociaux ne disposant d’aucune formation. Par ailleurs, ma mère est éducatrice et mon père travaille dans une grande entreprise. Enfin, Monsieur Aballéa travaillait sur ce sujet.

►       Chantal CHEVALLIER
Nous attendions le référentiel du diplôme d’Etat d’assistante sociale. Nous avons commencé à bâtir ce référentiel, mais nous n’avons pas commencé à le négocier avec des intervenants professionnels ou avec l’Education nationale.

►       Une assistante sociale des personnels des universités de Grenoble
Je souhaite connaître les motivations de l’ETSUP à poursuivre ce type de formations. En effet, les employeurs ne recherchent pas de conseillères du travail.

►       Chantal CHEVALLIER
La première raison est historique. Il existe en effet un paradoxe : les surintendantes sont à l’origine de l’ensemble des professions. La formation modulaire est ancienne, mais elle n’a pas particulièrement augmenté la taille des groupes. La seconde raison est une raison financière.

►       De la salle
En France, le statut de salarié induit un lien de subordination contractuel et juridique avec l’employeur. Dans le cadre de l’activité libérale, le lien est commercial. Le lien est souvent hiérarchique, mais il ne s’agit pas toujours d’un lien de subordination.

►       Une assistante sociale de Guadeloupe
Je travaille à la mise en place d’une école d’assistantes sociales en Guadeloupe. Nous avons besoin d’entretenir un lien avec vous, et nous pouvons apporter nos spécificités et des ouvertures vers les Caraïbes et l’Amérique latine. Nous souhaitons donc collaborer aux groupes de travail.

►       De la salle
La syndicalisation des assistantes sociales est une question importante, car elle pose la question de la protection au sein de l’entreprise.

►       Charlotte SIMON
Je suis à la recherche d’assistantes sociales prêtes à m’accorder un entretien. Je me déplace partout en France. Je suis à la recherche des tous les types d’expériences, négatives ou positives.
Mon adresse électronique est charlottesimon@wanadoo.fr 
 
 


Intervention introductive à la table ronde : De l’éthique professionnelle

Jacques LADSOUS - Secrétaire général du CEDIAS
 
Jacques TREMENTIN
Jacques Ladsous est éducateur de métier depuis 1946. Il est actuellement secrétaire général du CEDIAS. Il a été vice-président du CSTS et reste membre du bureau de cette organisation. Nous lui avons demandé d’intervenir sue la question de l’éthique professionnelle.
 
Jacques LADSOUS
En tant qu’éducateur, je suis l’un de vos cousins bien que n’appartenant pas à votre profession. J’ai relu un rapport très intéressant intitulé Entreprise et travail social. Il s’agit d’un très bon rapport qui demeure encore d’actualité, notamment la partie traitant des travailleurs sociaux. De nombreux rapports de qualité sont encore dans les placards de la DGAS.
 
On n’entre pas dans une profession sociale sans raison. Dans cette optique, la question de l’éthique tient une position importante. Les référentiels commencent à m’exaspérer. L’évaluation est en effet nécessaire pour toutes les équipes, mais il ne faut pas confondre l’évaluation et la démarche qualité. La démarche qualité provient de l’industrie et porte sur un produit stable. Dans notre travail, deux éléments sont toujours variables : celui qui rend le service et celui qui le reçoit. Ces deux éléments sont toujours des imprévus.
 
Il peut arriver d’être de mauvaise humeur. Nous sommes des personnes humaines, et à ce titre nous sommes parfois moins réceptifs qu’à d’autres moments. La démarche qualité ne me paraît pas constituer une démarche saine du point de vue de l’éthique professionnelle. Notre éthique professionnelle réside dans notre capacité à voir dans l’autre un semblable et un individu différent.
 
Pour ma part, la fraternité représente ma capacité à me reconnaître en vous, et vous un peu en moi. Je reçois l’autre comme sujet, et le reconnaissant comme sujet, je peux le traiter en tant que tel. Un ami philosophe libanais m’a dit un jour que le premier moment de la rencontre était le regard. Nous sommes parfois absorbés par notre tâche et nous ne voyons pas la personne qui vient nous voir. Le début du travail social consiste à faire en sorte que les personnes s’adressant à nous soient des sujets de droit.
 
Cette attitude est antérieure à la République française. En lisant les écrits de Saint-Vincent de Paul, j’ai constaté qu’il tenait le discours suivant à ses filles : « je ne vous envoie pas à la rencontre des gens pour les apporter en leur soumettant mes normes, mais afin d’inventer de nouvelles normes, afin que chacun soit satisfait ».
 
Je suis allé au Liban pour rendre visite aux sœurs de la Charité. Elles se sont aperçues qu’elles s’étaient trompées de cible, dans la mesure où elles oeuvraient en faveur des riches et non pas en faveur des pauvres.
 
La première valeur de l’éthique professionnelle réside dans la reconnaissance de l’autre comme sujet de droit égal à moi-même.
 
La revendication peut parfois être perçue comme une plainte. L’image de notre profession est celle d’une profession constituée de personnes gentilles se situant dans le registre de la plainte. Les individus héritent d’une image de notre profession véhiculée par les médias, mais les médias retranscrivent une image que nous n’avons pas su changer. Nous portons donc notre part de responsabilité dans cette image.
 
Nous sommes travaillés par le doute. Le doute est intéressant lorsqu’il est pédagogique, mais il devient négatif lorsqu’il porte sur notre capacité à effectuer notre métier. Ainsi, lorsque nous acceptons une mission d’exécution, nous dérogeons à la première règle de déontologie de notre métier. En effet, notre profession consiste à inventer une solution adaptée aux problèmes des personnes qui nous sollicitent, afin de leur redonner confiance.
 
Dans le monde actuel, on confond souvent l’outil et l’acteur. On veut parfois nous mettre au service des dispositifs, alors que les dispositifs devraient être à notre service et au service des personnes qui nous sollicitent.
 
Il faut savoir expliquer que le temps n’est pas identique pour tout le monde. Certains comprennent en dix minutes ce que d’autres mettent trois semaines à saisir. Ainsi, il n’est pas possible de recevoir systématiquement chaque personne pendant dix minutes. Il faut refuser une telle règle qui mettrait notre éthique professionnelle en péril. On appelle cela l’empathie. On ne peut aller vers l’autre, que si l’on possède l’attitude authentiquement affective. C’est dans notre posture que l’autre comprendra. La posture est une attitude corporelle, comme lorsqu’on accueille une personne à bras ouverts.
 
Je suis ce que je suis et je fais le métier que j’aime. Je n’ai pas à tricher et à jouer la comédie. J’ai une empathie pour la personne en face. J’ai envie de faire un bout de chemin avec cette personne, afin qu’elle se porte mieux. Une des valeurs de notre éthique professionnelle consiste à ne jamais désespérer.
 
A l’Association des compagnons de la nuit, nous accueillons les sans-logis et nous parlons de football ou d’économie. Ces personnes ne sont plus considérées comme des objets qu’on enjambe dans la rue, mais comme des sujets à part entière. Nous avons relogé une personne, qui est partie dormir dans la rue le soir même de l’obtention de son logement, car elle avait perdu l’habitude de dormir dans un logement.
 
Il existe des différences entre nos métiers, mais il existe des points communs, dans notre posture et dans nos valeurs communes. Nous représentons une chance pour les personnes qui ont besoin d’être soutenues. Lors des Etats généraux, un membre de la Revue Esprit nous a dit que nous devions redonner de la dignité aux individus. Il faut que personne ne se sente rabaissé. Nous ne devons pas regarder ces personnes comme des miséreux, mais comme des frères qui n’ont pas eu de chance.
 
De la salle
Je souhaite simplement vous remercier pour ces propos.

De la salle
Je souhaite également vous remercier, car vous êtes le premier intervenant à parler de la qualité lors de ces journées.
Je travaille dans une entreprise industrielle, dans laquelle le service social a été intégré à la démarche qualité. A priori, la démarche qualité ne s’intègre pas à notre travail, mais il est devenu nécessaire de l’intégrer. Certaines personnes ont estimé lors de ces journées que cette intégration était une évolution nécessaire du travail social en entreprise.

Jacques LADSOUS
Dans certaines situations, le rapport de forces oblige à s’incliner. Cependant, nous devons défendre notre profession telle qu’elle est, et non pas telle que les responsables de management souhaiteraient la voir évoluer. Je regrette que des associations telles que l’UNAPEI nous présentent des démarches qualité positives sur le plan fonctionnel, mais ne laissant aucune place au désir.
 

 


Table ronde : quels projets, quels statuts pour l’avenir du service social du travail en France ?

Participent à la table ronde :
Evelyne LEGENT, Assistante sociale cadre technique Crédit Lyonnais
Dominique PATUREL, Coordinatrice service social INRA
Pascale FOURNAND, Directrice technique ACTIS
Bernard HANICOTTE, Directeur SSTRN
Brigitte RIZZO, travailleur indépendant Service social conseil
Françoise FRAIZY, travailleur indépendant ACSE
Jacques LADSOUS, Secrétaire général du CEDIAS
 
Pascale FOURNAND
Depuis le début des journées, nous avons réfléchi à l’évolution du monde du travail, aux attentes des entreprises en matière de service social du travail, à l’évolution des pratiques des professionnels dans des domaines très différents dans le cadre des ateliers.
Ce matin, avec François Aballéa, Charlotte Simon et Chantal Chevallier, nous avons pu regarder l’histoire de notre profession de service social du travail au travers de ses champs d’intervention et des formations.
Nous allons à présent réfléchir aux développements possibles de notre métier, en donnant la parole à des acteurs de terrain, des professionnels qui ont la charge de piloter les orientations du service social du travail au sein de leurs services.
Nous avons souhaité que ce débat sur les perspectives de développement et d’avenir soit partagé par des professionnels exerçant le métier sous ses différents statuts (services intégrés au sein de l’entreprise privée ou publique, services interentreprises, travailleurs indépendants).
 
Evelyne LEGENT
Le service social du Crédit Lyonnais est rattaché aux ressources humaines au niveau national. En conséquence, notre service jouit d’une importante autonomie. Par ailleurs, le Crédit Lyonnais appartient désormais au Crédit Agricole. Notre chef de service est une responsable administrative.
Au niveau du Crédit Lyonnais, nous sommes deux responsables de zones. Je suis responsable de la zone B, et à ce titre hiérarchiquement responsable de vingt assistantes sociales.
Certaines assistantes sociales sont intégrées à l’entreprise, tandis que d’autres assistantes sociales travaillent en interentreprises. Ce choix résulte de la politique de l’entreprise, dans la mesure où les assistantes sociales n’appartiennent pas aux services prioritaires à l’embauche. Les dirigeants ont choisi de conserver les postes d’assistantes sociales, mais de procéder à des recrutements interentreprises. Actuellement, douze assistantes sociales travaillent donc en interentreprises. Sur 38 assistantes, deux tiers sont intégrées au Crédit Lyonnais et un tiers sont en interentreprises. Les assistantes sociales interentreprises participent aux formations internes.
Notre projet de service stipule que nous apportons une aide psychosociale à tous les salariés, notamment à ceux qui rencontrent des difficultés induites par leur vie professionnelle et personnelle. Notre deuxième mission réside dans la recherche de solutions adaptées, tenant compte des besoins et des potentialités de la personne et des exigences et des contraintes de l’environnement. Enfin, il s’agit d’apporter une expertise sociale auprès des autres acteurs.
Les restructurations du Crédit Lyonnais ont débuté en 1987, entraînant des fermetures de sites, des changements de métiers et des changements de lieux de vies. L’assistante sociale joue en permanence un rôle d’interface entre le salarié et les partenaires de l’entreprise. Elle possède les compétences professionnelles liées à l’obtention du diplôme d’Etat, qu’elle perfectionne au cours de son activité. Elle doit être disponible et organisée. Elle doit aller vers les salariés, se faire connaître dans les services, rencontrer les hiérarchiques et les élus pour échanger avec eux sur le contexte de l’entreprise.
Les assistantes ont une grande part d’autonomie dans leur travail. Nous avons développé l’accompagnement des salariés victimes d’agressions. Nos agences se sont dotées de moyens de sécurité performants et souffrent davantage d’incivilités que de braquages à main armée. Nous avons également développé l’adaptation ergonomique du poste de travail et des actions en faveur des parents d’enfants handicapés.
Les assistantes sociales ont élaboré des documents pour demeurer en lien direct avec les salariés et pour communiquer leurs actions auprès de la direction.
Par ailleurs, nous participons aux instances représentatives de l’entreprise. Cette participation dépend de la perception locale des services des assistantes locales, mais nous participons à toutes les réunions des CHSCT. Nous élaborons chaque année un rapport annuel, présenté au comité d’entreprise. Nous accompagnons les salariés face à la restructuration des entreprises et les assistantes sociales se déplacent une fois par an dans toutes les agences.
Le Crédit Lyonnais a doté tous les métiers de l’entreprise de référentiels de compétences pour l’évaluation. Les assistantes sociales ne sont pas évaluées par ce référentiel, car nous avons fabriqué notre propre référentiel d’évaluation. Il existe 180 référentiels de métier. Chaque année, je procède donc à l’évaluation de chaque assistante sociale.
Le projet du service vise à constituer un véritable service social du travail au service des salariés et de l’entreprise. Nous avons un lien de subordination au niveau national, mais pas au niveau local. Cela nous permet d’être à l’aise lorsque nous nous adressons aux directeurs régionaux.
Notre entreprise a encore des difficultés à travailler en partenariat. Certains comportements sont parfois immatures entre les partenaires sociaux et la direction. Ces relations relèvent parfois davantage de la lutte des classes que de la réflexion et de la construction. Nous demeurons neutres dans notre positionnement, afin d’être acceptées par toutes les parties. Notre spécificité consiste à traduire toutes les difficultés rencontrées par les individus dans leur travail.
Nous avons choisi deux grands thèmes d’intervention pour l’année en cours : les difficultés financières et les difficultés liées au travail.
 
Dominique PATUREL
Une partie de nos missions sera effectuée par nos collègues du service social interentreprises. Je suis responsable du service social de l’INRA. L’INRA est un établissement public, créé à la fin de la guerre et qui dépend du statut de la fonction publique de l’Etat. En 2004, l’INRA comptait 4 000 chercheurs et ingénieurs, 4 600 techniciens et administratifs et 1 000 doctorants. A la différence de l’Inserm ou du CNRS, l’INRA compte de nombreux personnels de catégorie C, dans la mesure où l’INRA effectue un travail de recherche expérimentale.
L’organisation du travail est un peu particulière, avec une hiérarchie administrative dont la reconnaissance est effectuée par le statut dans une logique de qualification et une hiérarchie scientifique, dont la reconnaissance est effectuée par les pairs. Les scientifiques sont distingués selon leur mérite individuel par leurs pairs et ils possèdent un grand pouvoir sur les décisions administratives.
Le service du personnel a été transformé en direction des ressources humaines dans les années 90, à travers une déconcentration des services du personnel, une gestion locale et l’émergence d’un discours centré sur les ressources humaines.
La fonction publique connaît actuellement un bouleversement avec la notion de ressources humaines et traverse la période qu’ont connue les entreprises dans les années 80. Nos responsables copient la gestion des ressources humaines du secteur privé pour l’imposer dans le secteur public. La gestion des ressources humaines rompt donc avec la gestion quantitative et catégorielle et se dirige vers des parcours individualisés. Cette gestion des ressources humaines est également basée sur la logique de compétences. Or, la fonction publique recrute en fonction des diplômes, pas nécessairement en fonction des compétences.
L’application de la loi de finances aura d’importantes conséquences. La fonction publique procèdera dorénavant par objectifs ; cela nécessitera l’adoption d’indicateurs de performances. La démarche qualité sera donc amenée à s’imposer.
Les missions du service social se situent dans la filiation des surintendantes d’usine. Ces missions visent à prendre en compte la personne dans son environnement professionnel et à maintenir le lien social au sein de la collectivité de travail. Ce service social se situe à l’interface entre les salariés et la direction. Cette position d’interface constitue une position professionnelle et non pas idéologique. L’assistante sociale du travail assure une fonction de régulation des problèmes sociaux.
Le service social du travail est un dispositif d’accompagnement social dans le cadre de la politique des ressources humaines de l’INRA. Il contribue à la gestion des personnes et il est acteur de la gestion des ressources humaines de proximité.
Nos missions sont l’aide individuelle psychosociale, l’accompagnement au changement au niveau des personnes et des collectifs de travail, la prévention des risques médicosociaux et psychosociaux.
L’assistante sociale doit aller vers les salariés, et non pas attendre d’être sollicitée. Elle doit se faire connaître dans les services et se faire reconnaître comme interlocuteur sur les conditions de travail. Les assistantes sociales de l’INRA participent aux cellules de gestion des ressources humaines de proximité et rédigent un rapport annuel d’observation sociale.
Jusqu’en 2001, l’INRA ne comptait que deux assistantes sociales pour 8 000 salariés. Un groupe de travail paritaire a décidé d’externaliser le service social. Cette externalisation a constitué un réel choc, dans la mesure où nous n’y étions pas préparées. L’élaboration de la prestation de services est passée par l’élaboration d’un cahier des charges. Cette élaboration nous a permis de conserver la maîtrise du projet de service social. Certains prestataires de services ont refusé nos conditions.
Aujourd’hui le service social du travail est compliqué. Je suis coordinatrice du réseau de prestataires de services. Nous tentons de mutualiser nos moyens avec deux assistantes sociales de l’Education nationale.
Je crains de ne disposer que de peu de moyens pour l’année prochaine. Nous risquons de passer d’un service social du travail à un service social d’entreprise. L’externalisation du service social intervient à l’époque du règne du marché et risque de renforcer les processus d’individualisation. Ces phénomènes risquent d’entraîner une personnalisation des conditions de travail et de rendre le salarié responsable de demeurer dans une situation de performance. Nous ne devons pas être instrumentalisées par les logiques d’entreprises.
En conclusion, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un questionnement sur les statuts des entreprises de service social. La logique d’une entreprise consiste à réaliser des bénéfices. Notre profession n’est pas préparée à cette logique de marché. Cela pose des questions en termes d’éthique dans le travail social.
 
Pascale FOURNAND
L’ACTIS regroupe 60 assistantes sociales et 130 entreprises en Rhône-Alpes. Nous avons un service de santé au travail.
 
Bernard HANICOTTE
Le métier d’assistante sociale du travail est né en 1932. A l’origine, de nombreuses professionnelles étaient des infirmières visiteuses. Les premières diplômées d’Etat suivaient le cursus d’infirmière. J’ai obtenu mon diplôme de service social en 1970. Les entreprises bénéficiaient autrefois de deux professionnels pour les prix d’un. Respectant les règles de l’interentreprises, nous avions les mêmes règles que la médecine du travail. Nous étions moins connus, car nous n’étions pas obligatoires.
 
Pascale FOURNAND
En 1935, la création des associations répondait à des questions d’éthique, non pas de gestion. Les assistantes sociales ne souhaitaient pas de lien hiérarchique direct par rapport aux dirigeants d’entreprises.
Notre priorité est de promouvoir un service social du travail pour faciliter l’intégration des salariés dans leur entreprise, leur permettre d’être acteurs et d’anticiper les évolutions de leur environnement de travail. La force de nos associations réside dans le management du métier et dans la mutualisation des expériences des assistantes sociales. Nous disposons d’un fort encadrement métier, avec des groupes de travail et des formations.
 
Bernard HANICOTTE
J’ai été étonné par l’intervention de ce matin, affirmant que l’interentreprises investissait peu de moyens dans la formation. Nous consacrons 6 % de notre budget, non pas de notre masse salariale à la formation.
 
Pascale FOURNAND
Il est essentiel que le cadre métier négocie le cadre de la mission avec les entreprises adhérentes. La structuration, la solidité et les références des associations pèsent sur notre pouvoir de négociation.
 
 
Bernard HANICOTTE
Mon service est devenu rapidement paritaire. Les administrateurs sont issus des instances patronales et syndicales. La présidence de l’association tourne entre ces différents partenaires. L’impact de la dimension paritaire est désormais moins fort qu’autrefois.
Chaque mission constitue un projet différent. Auparavant, le développement était simple, il suffisait de dupliquer les modes d’intervention. En 1980, certaines entreprises continuaient à se développer harmonieusement, tandis que d’autres avaient des difficultés. Il est donc devenu important d’écrire un projet avec une dimension professionnelle, en fonction de l’histoire de chaque entreprise. L’écriture du projet nécessite une dimension juridique, mais elle doit conserver une dimension professionnelle.
 
Pascale FOURNAND
Il s’agit de l’articulation entre les textes communs de l’association et des projets individualisés de chaque entreprise.
 
Bernard HANICOTTE
Les chartes éthiques ont toujours existé. Il est toujours nécessaire de réécrire ces chartes, mais on aboutit toujours aux mêmes fondamentaux.
Nous sommes porteurs d’une démarche spécifique, dans la mesure où tout ne relève pas du management des ressources humaines.
 
Pascale FOURNAND
La solidité des associations s’exprime dans des situations difficiles, notamment lors de la perte de contrats dans des bassins d’emplois subissant des restructurations. Il est important de pouvoir refuser des contrats, lorsque nous estimons qu’ils pourraient remettre en cause notre déontologie.
 
Bernard HANICOTTE
L’interentreprises n’est pas synonyme d’intermittence. La durée moyenne des contrats s’élève à 27 années.
 
Pascale FOURNAND
Les évolutions du monde du travail ont connu une nette accélération en termes de mobilité géographique, de changements technologiques et sociaux. Nous avons dû nous adapter à ces évolutions et écrire un projet pour chaque entité. Il nous faut adapter nos prestations, afin de faire découvrir notre métier.
 
Bernard HANICOTTE
La notion de chantier est importante. Nous avons ainsi accompagné le chantier de la construction du tunnel sous la manche. Les ouvriers étaient des jeunes en difficulté qui dormaient parfois dans la gare. Un soir, le DRH est allé chercher sa femme à la gare. Il a dû enjamber des personnes pour accéder au quai. Après s’être renseigné auprès d’un cheminot, le DRH a appris que les personnes qui dormaient sur le quai étaient ses collaborateurs.
Nous avons également travaillé avec l’usine Altadis, une usine de tabac près de Lille. Les salariés venaient encore dans les ateliers, mais ils avaient cessé de travailler. A la création de l’usine, les emplois étaient réservés aux personnes abîmées par la grande guerre. Ces emplois se transmettaient de père en fils. Les employés estimaient donc que la fermeture de cette usine constituait une atteinte à la mémoire de ceux qui avaient défendu la patrie. Il était donc important d’aider ces employés à témoigner, afin de laisser une trace de ce vécu. Nous avons négocié un délai pour la fermeture de l’entreprise, afin de laisser davantage de temps aux salariés. Seul le service social du travail est capable de faire émerger les causes de telles situations.
 
Pascale FOURNAND
D’autres projets sont importants pour l’avenir. Il faut accroître les partenariats autour des thèmes liés à la santé au travail et assurer l’accompagnement des personnes en situation d’insertion professionnelle. Il s’agit de deux axes importants pour l’avenir du service social du travail.
 
Bernard HANICOTTE
La santé constitue un tiers des dossiers que nous traitons. Ce chiffre ne varie pas. La santé au travail réintroduit la responsabilité du chef d’entreprise concernant la santé de ses collaborateurs. La dimension sociale de la santé prend aujourd’hui de l’importance.
 
Pascale FOURNAND
En conclusion, nous sommes confiants concernant l’avenir du service social du travail. Le changement permanent exige l’émergence de nouvelles formes d’accompagnement dans un contexte de concurrence auquel le service social du travail n’échappe pas. Il faut que nos services continuent à développer nos compétences professionnelles et à rechercher le sens de nos actions.
Par ailleurs, nous avons souhaité prolonger notre travail commun au sein d’un réseau national.
 
Brigitte RIZZO
Je souhaite resituer le statut de travailleur social indépendant. Nous représentons 0,001 % des 38 000 travailleurs sociaux.
En 1994, j’ai créé une SARL avec une collègue, dans la mesure où le Fisc avait refusé la création d’une association. Notre SARL compte quatre personnes. Nous travaillons dans quatre départements : le Gard, l’Hérault, le Vaucluse et la Drôme. Nos clients sont des entreprises privées et publiques comprenant de 100 à 1 000 personnes. Notre service social compte 15 % de reprises de postes en interne. Nous avons réussi à créer 85 % de postes d’assistantes sociales.
Dans chaque entreprise, nous développons la concertation et les partenariats avec les ressources humaines, les médecins du travail et les instances représentatives du personnel. Nos actions collectives en entreprise dépendent du profil de l’entreprise. Si l’entreprise dispose d’un Intranet et d’un grand service de communication, nous organisons de grands projets. La direction d’une de nos entreprises nous a demandé d’intervenir pour expliquer aux cadres la notion de harcèlement moral.
Nos projets de service visent à maintenir le service social, même sous un autre statut, ou à créer un service social pour répondre aux besoins des petites et moyennes structures.
Nous entamons une réflexion commune aux trois statuts existants : salariés, salariés interentreprises et indépendants. Pour nous, le statut importe moins que nos actions. Le réseau Artsi est un réseau de travailleurs indépendants. Nous comptons aujourd’hui dix-sept adhérentes.
 
Françoise FRAIZY
Je suis gérante associée de la SARL ACSE. J’ai expérimenté toutes les formes du service social. Après mon licenciement, les conseillers de l’APEC m’avaient expliqué que le service social en entreprise était voué au changement. En 1994, j’ai adopté le statut de travailleur indépendant.
Je n’ai rencontré aucun problème pour m’inscrire à l’URSSAF. Cependant, je n’ai pas indiqué que je souhaitais travailler en tant que travailleur social, cette profession ne figurant pas sur les listes de l’URSSAF. Notre SARL compte désormais cinq salariés.
Le temps d’intervention diverge en fonction de l’entreprise et de ses demandes. Le point le plus important réside dans la création d’un poste de service social à l’intérieur de l’entreprise. Il s’agit presque d’une stratégie d’entrisme.
Nous avons créé une association afin d’aider nos collègues à s’installer en tant que travailleurs indépendants. Nous avons fréquenté les ministères durant de nombreux mois, afin de faire reconnaître la possibilité d’adopter un statut libéral pour le travail social. Nous n’avons jamais obtenu de réponse.
 
 


Débat avec la salle

►       Une assistante sociale d’Air France
Madame Paturel a affirmé qu’une entreprise devait effectuer des profits, et que ce fait posait question concernant l’éthique du métier. Pour ma part, je touche un salaire et je n’ai pas le sentiment de faire une entorse à l’éthique. Nous effectuons le même travail. Il ne faut pas se tromper d’adversaire. Notre adversaire est l’employeur.

►       Dominique PATUREL
Je ne partage pas ce point de vue, mais ce débat est important. J’ai peut-être abordé certaines questions de façon un peu caricaturale à votre goût. La réalité économique est porteuse de changements concernant les statuts des assistantes sociales du travail. Le statut d’assistante sociale n’est pas suffisant pour garantir l’éthique d’une personne.

►       Bernard HANICOTTE
Le statut interentreprises est régi par la loi. Un texte autorise les entreprises à se grouper pour développer des actions médicales et médicosociales. Lorsque les entreprises sont parties prenantes de notre association, il ne s’agit pas de prestations de services mais de co-traitance. Il faut interpeller les entreprises sur leurs responsabilités par rapport à l’association à laquelle elles adhèrent. Par ailleurs, il faut faire émerger la notion de relation de service. Il ne faut pas s’enfermer dans des relations purement commerciales.

►       Françoise FRAIZY
Je souhaite savoir si l’éthique est garantie par une légitimité institutionnelle ? Si nous ne sommes pas intégrées à une entreprise, cela signifie-t-il que nous ne possédons plus d’éthique ?

►       De la salle
Je suis surprise par les propos de l’assistante sociale de l’INRA. Il ne faut pas se tromper de combat. Notre combat porte sur le maintien des postes d’assistantes sociales au sein des entreprises. Les problèmes de statuts constituent des combats d’arrière-garde. Par ailleurs, je ne comprends pas la différence entre les interentreprises et les indépendants.

►       Françoise FRAIZY
En France, il existe trois statuts : les salariés, les fonctionnaires et les indépendants.

►       Bernard HANICOTTE
Les indépendants portent leurs propres risques. Le point central réside dans la cohérence de sa propre démarche. Il faut respecter les personnes et les critères du service social.

►       Françoise FRAIZY
Les interentreprises sont constituées d’assistantes sociales travaillant au sein de plusieurs entreprises.

►       Une assistante sociale d’un service interentreprises de Cognac
Par ailleurs, il ne faut pas se tromper de débat. Au départ, notre association interentreprises s’occupait essentiellement de médicosocial. Depuis deux ans, les entreprises nous contactent elles-mêmes, car elles suppriment leurs postes en interne. Il faut peut-être s’adapter aux évolutions et aux contraintes financières des entreprises.

►       Bernard HANICOTTE
Récif n’est pas encore ouvert, mais nous réfléchissons à son ouverture.

►       Chantal CHEVALLIER
J’ai le sentiment que nous nous laissons piéger par de vieux démons. Les missions de notre métier sont calées. A partir d’un état des lieux des missions, il faut s’interroger sur le cadre des missions. Il ne faut pas partir du statut, pour décliner la façon dont on exerce ce métier. J’ai apprécié la façon dont Dominique Paturel interrogeait le cadre.

►       Jacques LADSOUS
L’éthique est intérieure, elle ne réside pas dans la structure. On peut regretter que les obligations sociales des entreprises reculent, mais le plus important est de sauvegarder le service aux usagers.
 

 


Synthèse générale des journées

Catherine SKIREDJ-HAHN - Consultante

La fonction de consultant regroupe des réalités très diverses. Il existe des années lumière entre le Boston Consulting Group et moi-même. Je suis consultante et sociologue. J’ai travaillé avec Renaud Sainsaulieu sur les identités au travail. J’interviens également sur des questions de sécurité en banlieue sur les publics jeunes.

Les équipes ont des missions de plus en plus abstraites. Je ne crois pas à la neutralité. A ce titre, je n’ai pas de prétention à intervenir de façon neutre.

Je pense que ces journées ont démontré que vous vous situez au point nodal de logiques en contradiction. Ce fait est vrai pour de nombreux métiers. Vous êtes aux confins des logiques économiques de l’entreprise et des logiques sociales des salariés.

Votre profession répond à la définition sociologique des métiers. Vous disposez d’un cursus de formation, vous avez des valeurs (l’éthique), des règles (la déontologie), des questions et des positionnements. Vous disposez d’espaces d’échanges et de réflexion.

Dans vos questionnements, je retiens la question du lien social, la question de vos pratiques et la question de l’injonction à la logique de marché. L’anémie du lien social constitue un objet d’étude privilégié pour les sociologues. La question de la pénibilité au travail est l’une des premières branches de la sociologie. Cette question a toujours été étudiée, mais elle revêt des formes différentes.

Toutes les organisations rêvent de fonctionner sans clients. La SNCF rêve de faire rouler ses trains sans voyageurs, car ces derniers se plaignent toujours des retards. Derrière la logique de marché, apparaît la logique d’actionnaires. Joseph Stiglitz a occupé des fonctions à la Banque Mondiale. Il estime que la logique de marché ne fonctionne pas dans le domaine du développement.

La sécurité sociale permettait aux individus d’effectuer une projection dans l’avenir. On assiste aujourd’hui à une remise en cause de ce modèle, avec l’avènement des modèles anglo-saxons.

Avec le Plan Marshall, les Américains ont financé la reconstruction de l’Europe, mais ce plan a également introduit la logique américaine de management. Le Boston Consulting Group symbolise ces notions de stratégies, de performances, de résultats et de management.

Le management ne peut pas prendre en compte la complexification de certains métiers. Je travaille actuellement pour une CAF. Le management préconise qu’un allocataire ne doit pas attendre plus de vingt minutes, mais ces logiques de management ne sont pas applicables à certains services.

Par ailleurs, il est important de souligner l’éclatement des collectifs de travail et l’atomisation de la souffrance des personnes. Dans un même service, certaines personnes effectuent le même travail, mais elles ne disposent pas des mêmes salaires ni des mêmes statuts.

Le monde du travail est marqué par un repli communautaire et un déploiement de systèmes de protection pouvant aller jusqu’à des défenses perverses.

Toutes ces questions de lien social, d’usure au travail et d’éclatement des collectifs de travail sont prises en compte de façon globale par votre profession. Par ailleurs, vous avez raison de ne pas vouloir vous mettre en concurrence suivant vos différents statuts de travail.

Nous ne sommes pas dans une société du deuil, mais dans une société de la toute-puissance. Nous avons de plus en plus de difficultés à nous projeter. Je vous remercie de votre existence. Sans votre travail, les organisations seraient beaucoup plus barbares.

 


Clôture des journées

Didier DUBASQUE - Président de l’ANAS et de la Commission Travail

Ces deux journées ont été très riches. Le service social du travail va trouver des réponses. Il ne faut pas se tromper de débat ni de combat. Nous prenons conscience que ce que nous vivons est la conséquence des évolutions de la société. Nous ne devons pas nous projeter dans des rêves ou des idéologies, mais nous devons partir du réel.

Certaines de nos collègues ont vécu la souffrance au travail. Notre capacité à nous écouter est essentielle. La lucidité nous rend plus libres. A l’avenir, il faut continuer ce que nous avons initié aujourd’hui. Il faut transmettre ces paroles à nos collègues qui n’ont pas pu venir aujourd’hui.