De l’adolescence à la post-adolescence: les 15-20 ans

La pré-adolescence et le début de l’adolescence sont encore largement marqués par la récente sortie de l’enfance, alors que les 15-20 ans se tournent plus franchement vers le monde adulte. Autant une certaine insouciance, frivolité voire désinvolture peuvent caractériser les premiers, qui après tout ont bien raison de se consacrer avant tout à leur jeunesse qui commence, autant l’inquiétude de l’avenir et la recherche d’une reconnaissance et d’une place taraudent bien plus les seconds. L’approche d’un public qui se situe à cheval sur la fin de l’adolescence et le début de ce qu’on désigne comme la post adolescence  nécessite de comprendre autant leurs espoirs que leurs angoisses.
 

Quelle place pour la jeunesse du XXIème siècle ?

Les 15-20 ans marquent l’entrée dans un âge qui devrait être plus serein que les années précédentes. L’enfance s’éloigne et l’entrée dans le monde adulte se fait plus précis. Le temps des amours naissantes est arrivé,  les années lycées viennent confirmer l’orientation professionnelle envisagée, l’entrée dans le monde du travail est même parfois engagée ... tout devrait contribuer à acheminer l’être humain vers un accès progressif à l’autonomisation et à la responsabilisation. Mais voilà : le monde adulte a juste oublié de faire une place, à celles et çà ceux qui arrivent !
 
La seconde moitié du XXème siècle a été marquée par un phénomène massif : l’allongement du temps de la jeunesse qu’un sociologue comme Michel Fize n’hésite pas à élever au rang de quasi couche sociale. Cette émergence est liée tant à la constitution du collège unique au sein duquel les 11-16 ans se sont quasiment tous retrouvés, qu’à l’augmentation considérable du chômage et de l’exclusion qui a tout particulièrement concerné les plus jeunes. Si cette configuration mérite d’être abordée de plus près, il est aussi important de replacer ces évolutions récentes dans un contexte plus général. Ne serait-ce que pour se convaincre que si ce que l’on constate n’a pas toujours existé, cela veut dire aussi que notre avenir n’est pas borné aux constats que nous pouvons faire aujourd’hui.
 
 

Les multiples jeunesses

Dans la monumentale « Histoire des jeunes en occident » (1) (780 pages), un ensemble d’historiens montre qu’il serait vain de vouloir présenter cette époque de la vie de l’homme comme un cheminement linéaire et sans heurts, au caractère immuable et universel. Tout au contraire, cette construction sociale et culturelle que constitue cette classe d’âge, possède des dimensions trop multiples pour la réduire à un seul schéma. Dès lors, il faut parler non, de la jeunesse, mais bien plutôt des jeunesses, en les resituant, chaque fois, dans le contexte qui leur a donné des fonctions et des statuts différents. Plusieurs portes d’entrée sont donc possibles.
En premier lieu se pose un problème de définition : où commence et où finit la jeunesse ? On ne peut la comparer à une appartenance sexuelle ou de classe, dans la mesure où chacun y passe et la dépasse : ce n’est qu’un état transitoire. Les romains faisaient terminer l’adulescens à 28/30 ans et la juventus à 50 !. Au XVIème siècle, la société juive situe l’âge des responsabilités non selon une longue tradition, mais en fonction des besoins du moment. Ainsi, entre l’âge de10 ans -considéré comme étant la fin de l’enfance- et de 30 ans -perçu alors comme la pleine maturité- s’étend une longue période de transition qui n’est raccourci que par l’institution matrimoniale.
Autre façon d’aborder le  sujet : évoquer la scolarisation. Et il est vrai, que cette pratique est ancienne. Elle remonte à l’antiquité grecque qui concevait alors l’éducation comme un art de vivre, une stylisation des attitudes et un savoir-faire social. L’inculcation de ces valeurs était l’œuvre d’un aîné (l’éraste) qui établissait une  relation pédérastique avec un adolescent (l’éronème) qui, s’il n’avait pas trouvé d’amant, aurait été soupçonné de posséder quelque tare. On retrouve cette transmission du savoir grandement transformée au XVIème siècle entre les mains des jésuites qui vont accompagner la montée en puissance progressive du nombre de jeunes scolarisés qui, doublant entre 1789  et 1850, stagnera ensuite à 180.000 élèves pour 38 millions d’habitants jusqu’en 1914. C’est que l’école, suivant en cela l’avis des Voltaire et Rousseau, restera longtemps élitiste, de peur que trop d’instruction donnée aux classes populaires menace de trop les équilibres économiques et sociaux…
 

La jeunesse est-elle violente ?

L’équation entre jeunesse et violence est aussi très souvent pratiquée. Et, il est vrai qu’on la vérifie tout au long des 2.000 ans de notre ère … Et bien avant, à l’image de cette éducation à la dure qui a court en Grèce et qui veut faire de l’enfant un soldat résistant au froid et à la fatigue. Ou encore à l’époque de la fondation de Rome par Rémus et Romulus entourés d’une bande de jeunes gens composés de voleurs, d’assassins, d’esclaves en fuite ou d’anciens conspirateurs. Cela continue avec ces bandes juvéniles qui pourfendent l’équilibre de l’ordre social au travers de l’esprit carnavalesque ou des charivaris, ces soupapes de sûreté qui traversent tout le moyen-âge jusqu’au seuil du XXème iècle comme autant de moyens d’évacuer les mécontentements et les frustrations. La brutalité, on la retrouve tout autant chez les collégiens (l’affrontement est réciproque entre maîtres et élèves) que chez les étudiants (qui seront très présents dans les révolutions du XIXème siècle) ou encore les jeunes ouvriers (qui n’hésitent pas à participer aux émeutes et aux mouvements de révolte, mais aussi aux bagarres entre corporations). Cette violence qui semble inhérente à la fougue et à l’impétuosité, on la retrouve pourtant comme un formidable signe d’espoir au cœur de l’une des pires tyrannies qu’ait connu  l’humanité. En 1933, les études raciales sont introduites dans le programme des écoles allemandes : il s’agit d’apprendre aux enfants comment reconnaître la race de quelqu’un. En 1936, une loi contraint chaque famille –sous peine d’amende ou de prison- à faire recenser son enfant à partir de 10 ans afin qu’il rentre dans les jeunesses hitlériennes. En 1944, Himmler sera contraint dans une circulaire de reconnaître les méfaits de cette jeunesse pourtant si fortement conditionnée. Le dirigeant nazi déplore les activités criminelles (goujateries, bagarres, vols collectifs …) l’opposition politique (indifférence à la guerre, écoute de radios étrangères, attaques de la jeunesse hitlérienne …) ou encore l’attitude individualiste libérale des bandes de jeunes. Après l’écrasement de tous les opposants, le ferment de la contestation subsistait donc dans cette jeunesse qui pourtant faisait tant l’espoir du régime … au point de l’affubler de plus en plus tôt d’un uniforme. Pendant longtemps, les armées ont hésité à recruter des jeunes considérés comme trop vulnérables et indisciplinés. On leur préférait des adultes mûrs que leur famille suivait au gré des champs de bataille. Quand la conscription a concerné chaque jeune, elle a provoqué son lot de réfractaires (jusqu’à 25 %), mais a très vite constitué aussi un rite de passage aux côtés de la communion religieuse ou du certificat d’étude : ce fut là pour des générations le passage entre la dépendance et l’indépendance à l’égard de la famille. Aujourd’hui, la réalité continue à être tout aussi sordide : selon les chiffres de l’UNICEF(2), depuis une dizaine d’années, plus de deux millions d’enfants ont été tués dans des combats, plus de six millions ont été gravement blessés ou mutilés à vie et 300.000 seraient enrôlés de force ou comme volontaires dans des armées régulières.
 

L’accès au monde adulte

Autre porte d’entrée encore : la classe d’âge que l’on situe entre 15 et 20 ans comporte, en effet, en son mitan l’accès à la majorité. Il est intéressant de s’arrêter quelques instants sur cette fonction essentielle à toute société : le moment où la personne est admise comme membre à part entière de la communauté des adultes. Si l’on remonte à la tradition romaine qui constitue l’une des principales sources d’inspiration de notre droit, on constate que pendant longtemps, l’individu a été maintenu, sans limite d’âge sous la dépendance du dernier ascendant paternel encore en vie (3). C’est au 2ème siècle avant J.C., qu’une réforme instaure une distinction entre minorité et majorité civile dont la limite est fixée à 25 ans. Pour autant, la tutelle du père perdure, puisqu’il n’est pas possible de signer un contrat, de rédiger un testament ou de choisir une carrière sans son consentement préalable. La France va faire sienne cette règle tout en préservant la toute-puissance du qui a alors un devoir de sévérité : son autorité est au service de la loi divine. « Quand Dieu se fait père, chaque père devient image de Dieu » (4) La révolution française supprime le droit de correction et les lettres de cachet par lesquelles un enfant pouvait se voir emprisonner sur simple demande de son père (loi du 26 mars 1790). La puissance paternelle est, elle aussi abolie (loi du 28 août 1792). Puis vient l’abaissement de la majorité à 21 ans (loi des 20-25 septembre 1792). La démarche est terriblement moderne : ce qui est évoqué, c’est la nécessité d’aimer l’enfant pour lui-même. C’est le bon ordre de la société qui impose alors la pertinence d’avoir un père aimant. « La loi ne reconnaît plus, de la part des pères et mères, que la protection envers leurs enfants : la puissance paternelle est abolie » proclame même Bélier, en février 1793 (5).  Le premier empire reviendra sur l’essentiel de ses mesures tout à fait révolutionnaires. En 1804, le Code civil fixe la majorité à 21 ans (25 ans pour le mariage). Il rétablit, par ailleurs, à peu près tous les pouvoirs du père, remplaçant les lettres de cachet par un courrier à adresser au président du Tribunal de Grande Instance pour obtenir une incarcération (un mois renouvelable pour les moins de 16 ans et six mois pour les 16-25 ans). C’est par une loi en date de 1935 que disparaîtra cette opportunité. Il faut attendre 1974, pour que soit rabaissé  l’âge de la majorité à 18 ans, provoquant alors des réactions d’effroi des milieux conservateurs qui crient de l’autorité parentale et au dévoiement d’une jeunesse livrée à ses plus bas instincts. Aujourd’hui, non seulement personne ne réclame plus le recul de l’âge de la majorité, mais certains évoquent l’opportunité d’une « pré-majorité ». Les prémisses d’une telle configuration sont déjà en place : sanction pénale possible dès 13 ans (auparavant, du fait de l’atténuation de responsabilité, seule une mesure éducative peut être prise à l’encontre de l’enfant, pouvant prendre la forme y compris d’un placement judiciaire en établissement spécialisé), autorisation de conduire un vélomoteur à partir de 14 ans, dépénalisation des relations sexuelles à l’âge de 15 ans (mais maintien de l’interdiction d’une relation avec tout adulte ayant autorité), possibilité de conduire une voiture, à partir de 16 ans, en étant accompagné. Ces modulations sont pertinentes, car, bien entendu, on ne passe pas, comme par magie, d’un état où l’on a besoin de la protection et de la guidance des adultes jusqu’à ses 17 ans, 364 jours et 59 minutes, à une situation de pleine possession des ses capacités dans les soixante secondes qui vont suivre. La démarche d’autonomisation doit se faire progressivement, l’apprentissage de la liberté et de l’aptitude à faire des choix, devant s’acquérir petit à petit. Mais notre droit actuel continue à fixer une limite couperet. Dans bien des cas, rien ne change vraiment pour le jeune, sauf à subir ces terribles situations de certaines familles, heureusement exceptionnelles, qui mettent leur enfant à la porte, aussitôt atteints les 18 ans fatidiques. Insensiblement, pourtant, toute une série d’actes devient possible : ouvrir un compte bancaire et disposer librement de ses économies, s’inscrire sur les listes électorales, signer un contrat de travail, d’assurance ou de location, être destinataire des bulletins de note et des courriers de l’administration scolaire (signer soi-même ses justifications d’absence) etc ... Enfin tout ce qui fait qu’un adulte peut et doit assumer sa propre vie, faire ses choix et décider de son existence en pleine responsabilité. Pourtant, des voix se sont élevés pour dénoncer une certaine hypocrisie : « La majorité à 18 ans ? La belle affaire (citoyenne) quand elle ne s’accompagne par de l’autonomie financière. La jeunesse reste enfermée dans sa condition d’assujettissement. Sans travail, elle n’est rien, avec du travail, bien peu de choses » (6) Des mutations essentielles sont intervenues au cours des 30 dernières années qui permettent de comprendre la situation difficile qui est faite aux 15-20 ans.
 

Une jeunesse qui s’allonge ...

A la fin des années 60, l’essentiel d’une génération entre dans la vie active dans la succession rapide que constituaient alors, la fin du service militaire des garçons, le mariage et la prise d’emploi. Aujourd’hui, non seulement ces étapes ne sont pas forcément vécues d’une façon synchronisée et mécanique (chaque situation étant particulière), mais la période qui s’étend de la fin des études à l’installation dans la vie adulte a connu une prolongation tout à fait importante. Entre 1981 et 1995 (7), l’âge moyen de sortie de la scolarité est  passé de 18 à 21 ans, celui de l’obtention d’un emploi, d’environ 20 ans à un peu moins de 23, celui de la formation d’un couple de 23 à 25 ans et enfin celui de la naissance du premier enfant de 26 à 29 ans. En 1982, les hommes sans diplômes trouvaient un emploi stable vers 21 ans, contre 25 ans aujourd’hui (ils sont, à trente ans, 78%, contre 90%, vingt ans auparavant, à bénéficier de ce statut). Ces chiffres démontrent la prolongation de la période de transition et le moratoire généralisé portant sur la formation de la famille, la prise d’activité, l’âge du mariage et l’accès à la parentalité. Le modèle traditionnel d’entrée dans la vie adulte (on quittait ses parents, on prenait un emploi et on se mariait) est  très rarement respecté. Dorénavant, la phase de transition qui s’étend jusqu’à l’accès à l’âge adulte, peut s’étendre sur huit années. On distingue trois étapes. C’est d’abord la phase qui va de la scolarisation au départ de chez les parents. Les garçons franchissent ce passage surtout en trouvant un travail. Les filles le font plus facilement en se mettant en ménage. C’est ensuite, la période qui va du départ de chez les parents à la formation du couple. Cette période est particulièrement longue et fréquente chez les jeunes adultes qui engagent une formation supérieure. Ce cas de figure retarde alors de plusieurs années la formation d’un couple stable. Dernière étape enfin, celle qui s’étend de la formation du couple à la naissance du premier enfant. L’accès à un statut considéré comme pleinement adulte n’est achevé qu’avec l’entrée dans un rôle parental (encore entre deux et trois ans de délai supplémentaire).
Entre 16 et 28 ans s’étend donc une période d’entrée dans la vie adulte faite d’instabilité, mais aussi  de précarité et de pauvreté, le filet de sécurité de la protection sociale pour cette partie de la population s’avérant des plus déficients.
 

... et qui se paupérise

Là aussi, les chiffres sont parlants (8). Si le taux de chômage des 15-24 ans a baissé de 25,2% à 16,1% entre avril 1997 et le printemps 2001 et ce, grâce essentiellement aux emplois jeunes, il a été pendant longtemps plus du double du pourcentage de chômage du reste de la population.  Si les plus jeunes des salariés sont tenus à l’écart du marché du travail, le taux d’emplois précaires qu’ils occupent étaient en 1997 de 44% chez les jeunes hommes de 17 à 28 ans et de 38% chez les jeunes femmes (contre moins de 8,5% pour l’ensemble des salariés). Enfin si, entre 1987 et 1993, le salaire moyen en Francs constants de l’ensemble des salariés a progressé de 11%, celui des jeunes entrants sur un emploi, a diminué de 4,2%. Plus de chômage, plus de situations précaires et moins de revenus. Le résultat ne s’est pas fait attendre : si, en 1970, l’écart des revenus entre les ménages des 25-29 ans et ceux des 50-59 ans était de l’ordre de 10%, il est passé à 25% en 1990 et est aujourd’hui d’environ 40%. Tout se passe comme si la situation de grande pauvreté qui concernait encore le secteur des personnes âgées jusqu’aux années 1970 s’était déplacée vers une jeunesse en proie aux plus grandes difficultés pour entrer dans la vie active d’une manière décente.
Paradoxalement, cette situation intervient, alors même que jamais la scolarité n’a été aussi longue, jamais les diplômes obtenus n’ont été aussi nombreux, jamais le niveau de qualification n’a été aussi élevé. Les calculs ont été faits (8) pour évaluer l’investissement que les familles et l’Etat concèdent pour permettre à une génération d’être dotée du savoir et des compétences nécessaires à son intégration dans le monde du travail. Un élève moyen né en 1940 a reçu une dotation totale de 229.000 F. Un élève né en 1968, a bénéficié quant à lui d’une somme de ... 924.000 F (en Francs constants). Soit, quand même, un investissement quatre fois supérieur, qui loin de permettre une meilleure intégration professionnelle a surtout abouti à une importante dévalorisation des diplômes obtenus. Alors qu’en 1969, le Bac suffisait pour occuper à trente ans un poste de cadre pour 62,5% des jeunes hommes et 57,5% des jeunes femmes, ce n’est plus vrai aujourd’hui que pour 34,8% des premiers et 18,6% des seconds !
 

Penser l’insertion des jeunes différemment

Suzanne Rosenberg , psychosociologue, rappelle avec pertinence les circonstances qui ont prévalu quant aux modifications des perspectives proposées à la jeunesse contemporaine. Avant les années 1970, explique-t-elle (8), le discours dominant s’entendait sur l’idée d’un ascenseur social efficient. Après cette période charnière, ce qui l’a emporté, c’est bien la disqualification de toute perspective de promotion sociale. Au « il y a de la place pour tout le monde, du moment que chacun se bouge » a succédé « il n’y en aura de toute façon, pas pour tout le monde, il subsistera toujours une fraction incompressible d’inutiles au monde ».
Ce constat, les 15-30 ans le font quotidiennement, provoquant la montée de l’inquiétude qui se traduit soit par la révolte qui met parfois le feu aux banlieues, soit par un désinvestissement et un découragement que d’aucuns ont moqués en parlant de la « bof génération ». La société, quant à elle, n’a pas su mobiliser les moyens pour répondre à cette situation en tout point dramatique.
Laurence Roubleau-Berger, sociologue, témoigne très bien du décalage des tentatives d’insertion de cette jeunesse qu’on a si souvent tendance à stigmatiser. Depuis vingt ans, elle observe  et travaille auprès des jeunes de banlieue. Ses constats sont très précis (10) : si, depuis une trentaine d’années, le marché du travail a considérablement accru ses exigences, il en va de même pour les jeunes générations pour qui, il n’est plus question d’aller travailler à la chaîne comme son père et d’être usé par une vie d’exploitation. Le rapport à l’emploi est imprégné par la précarité : missions intérimaires, contrat à durée déterminée, statut intermittent, travail au noir, participation à l’économie informelle etc. constituent la biographie de beaucoup de jeunes. La capacité de projection et d’insertion d’un(e) jeune est à relier directement avec l’oscillation qui le fait passer d’une logique d’estime de soi à la honte de soi. Or, se sentir reconnu et s’inscrire dans une représentation positive sont essentiels pour s’engager dans un parcours professionnel. Les politiques d’insertion s’appuient, aujourd’hui, continue-t-elle, sur des normes au travail vieilles de 25 ans. Si, elles veulent déboucher positivement, elles doivent s’ouvrir à cette culture de l’aléatoire qui est aussi productrice de normes et de richesse. Elles doivent apprendre à s’appuyer sur toutes les pratiques qui se déroulent (y compris la débrouille, activités informelles, trocs, travail au noir, actions illicites, etc.) et les articuler avec l’insertion. Accepter de reconnaître et valoriser ces domaines, c’est permettre à un jeune qui se présente comme n’ayant rien fait, d’identifier la panoplie impressionnante de savoir faire et de compétences qu’il possède la plupart du temps, mais dont il ne parle pas, car il sait que ces richesses ne sont pas validables au yeux de la norme travail traditionnelle.
 
Le fossé qui sépare le monde des 15-20 ans du reste de la société ne pourra se combler tant que toutes ces difficultés et angoisses ne seront pas prises en compte. Et ce n’est pas les centaines de voitures brûlées qui semblent apporter aux adultes installés la flamme nécessaire à la compréhension de l’inquiétude récurrente qui taraude les générations qui se succèdent. D’autant, que la galère ne s’interrompt pas ainsi à 20 ans, mais perdure encore jusqu’à 30 ! Décidément cette jeunesse est vraiment très sage : s’il faut s’étonner  de quelque chose, ce n’est pas tant de sa relative turbulence, mais de sa fantastique résignation au regard du sort qui lui est réservé.
 
 
(1)   « Histoire des jeunes en occident » Tome 1 : de l’antiquité à l’époque moderne Tome 2 : l’époque contemporaine  Sous la direction de Giovanni Levi et Jean-Claude Schmitt, Seuil, 1996 (376 p. & 407 p.)
(2)   « Le deuxième homme –Réflexions sur la jeunesse et l’inégalité des rapports entre générations » Michel Fize, Presses de la Renaissance, 2002, p.188
Michel Fize, op.cit. p. 62-64
(4)  « La problématique paternelle » sous la direction de Chantal Zaouche-Gaudron, érès, 2001, p.52
(5)   cité dans « Des parents ! A quoi ça sert ? » Sous la direction de Daniel Coum, érès, 2001
Michel Fize, op.cit. p. 185
(7)  « Une entrée de pluis en plus tardive dans la vie adulte » Olivier Galland, Economie et Statistique N°283-284 1995
(8)   « Avoir trente ans en 1968 et 1998 » Christian Baudelot et Roger Establet, Seuil, 2000
(9)   « La violence, comment faire face » 49ème journées d’étude nationales, 22, 23 & 24 mai 2000, Lyon
(10)      Journée d’étude du 19 octobre 2001 à Plérin, CREAI de Bretagne.
 

Lien interview : Defrance Bernard - 15-20 ans



Fiche n°1 : Les solidarités familiales

Le premier socle de la solidarité intergénérationnelle est familial. Des recherches sociologiques ont tenté de démontrer qu’un mouvement de repli narcissique sur le couple serait responsable d’une crise de l’aide apportée par les familles à leurs enfants. Or, il n’en est rien : l’entretien du jeune scolarisé, les secours matériels et financiers au jeune adulte, les coups de pouce ponctuels ou réguliers sont autant de gestes de soutien spontanés désignés, à tort, comme les «nouvelles» solidarités familiales, mais qui n’ont jamais vraiment cessé. Le premier coup de main que reçoivent donc les jeunes générations provient de leur famille. La loi a d’ailleurs prévu de contraindre cette entraide au cas où elle ne se réaliserait pas : il y a d’abord l’obligation d’entretien (article 203 du code civil) qui fait obligation aux père et mère de contribuer à proportion de leurs ressources et des aptitudes de leur enfant aux à l’entretien et à l’éducation de celui-ci. Cela concerne aussi le jeune majeur qui poursuit ses études. En cas de litige, le tribunal des tutelles peut être saisi. Il vérifie alors que le jeune est bien engagé dans une démarche pour obtenir une qualification professionnelle, s’y prépare sérieusement et que ses chances de succès sont réelles. Il peut, en conséquence, condamner les parents à fournir les moyens à l’enfant majeur de continuer ses études. Le deuxième dispositif concerne l’obligation alimentaire (article 205 à 207 du code civil) qui implique les ascendants et descendants entre eux. De la même façon que chacun d’entre nous peut être amené à subvenir à ses parents dans le besoin, ces derniers ont une l’obligation de venir en aide à leur enfant si celui-ci rencontre des difficultés. A noter qu’au cas où les ressources des parents ne permettent pas de subvenir aux besoins des enfants, les grands-parents peuvent être amenés à prendre le relais. Cela ne concerne toutefois que l’obligation alimentaire et pas l’obligation d’entretien.
 
 

Fiche n°2 : Les aides de la CAF

Trois situations essentielles se présentent pour la CAF :
Les jeunes adultes encore à la charge des familles :
-   Les prestations familiales sont versées jusqu'à l'âge de 20 ans, dès lors que le jeune ne perçoit pas de ressources propres supérieures à 55% du SMIC.
-   Pour les aides au logement et le complément familial, cet âge limite est fixé, depuis le 1er janvier 2000, à 21 ans.
-  La réglementation du RMI considère quant à elle que les enfants sont à charge jusqu'à leur 25ème année.
La moitié des 16-19 ans sont couverts par les allocations familiales, 16% le sont au titre des aides au logement et 23% dans le cadre du RMI.
- Les jeunes allocataires sans charge de famille : 30% des 16-30 ans bénéficient d'une   aide personnelle au logement qui leur est propre.
Les jeunes parents bénéficiaires du fait de leur charge de famille : prestations jeunes enfants (34% du nombre, des allocataires de 16 à 29 ans), allocations familiales (17%), allocation parent isolé (3%).
Toutefois, les dispositifs en l'état laissent de côté une partie de la population. C'est le cas des familles ayant un seul grand enfant. 40% des 16-19 ans ne bénéficient d'aucune prestation familiale (versée à partir du deuxième enfant, seulement).
On constate aussi une nette baisse du niveau de vie à l'âge butoir de 20 ou 21 ans lorsque les familles perdent totalement leurs droits aux prestations familiales. Cela est notamment vrai pour les aides au logement. Leur niveau n'est pas toujours incitatif à la décohabitation : les jeunes adultes de plus de 20 ans n'ouvrent plus droit à cette prestation en restant dans leur famille, sans pour autant avoir les moyens financiers de prendre un logement autonome.
On ne peut donc que constater la fragilisation de la situation des jeunes adultes quand aucun filet de sécurité sociale ne vient relayer un soutien familial qui peut s'avérer défaillant ou peu apte à accompagner le processus d'autonomisation.
C'est vrai pour l'ensemble de la population, ça l'est d'autant plus pour les jeunes SDF, d' origine sociale souvent modeste qui sont marqués par des épisodes passés particulièrement difficiles (décès des parents, mauvais traitements, tentatives de suicide, séparation d'avec la famille, fugues ...) et une faible qualification. Le tableau final auquel on arrive démontre que les mesures standards d'aide sociale et même la récente tendance à la reprise économique ne seront pas suffisantes pour assurer l’insertion sociale des plus fragiles.
(d'après le dossier jeunes adultes de "Recherches et prévisions n°65 2001)
 
 

Fiche n°3 : La solidarité de la société

La société a instauré un certain nombre d’allocations, appelés minima sociaux, à destination de certaines populations fragilisées : les réfugiés ou sortants de prison (allocation d’insertion), les chômeurs en fin de droits (allocation spécifique de solidarité), les retraités n’ayant pas suffisamment cotisé (minimum vieillesse), les personnes handicapées (allocation d’adulte handicapé) etc. Curieusement, seuls les jeunes échappent à cette logique... La loi instaurant le RMI a exclu les moins de 25 ans, sauf celles et ceux qui ont charge de famille (environ 35.000). Depuis 1992, l’allocation d’insertion servie par l’ASSEDIC au titre du régime de solidarité et qui s’adressait aux jeunes sortant du système scolaire, et qui était versée après 3 mois (si obtention d’un diplôme) ou six mois (en cas d’échec à l’examen) a été supprimée.
Plusieurs dispositifs existent, mais elles répondent à des situations très particulières.
C’est le cas pour les jeunes de 18 à 21 ans en difficulté sociale et en situation de rupture familiale : le département propose un contrat jeune majeur qui s’accompagne d’une allocation pouvant aller jusqu’à 3.000 francs. Cette possibilité est liée à un projet (scolaire ou professionnel) et s’interrompt en cas de non respect des obligations acceptées par le (la) jeune. Elle est limitée à un public en grande difficulté, présentant des capacités de se construire un projet... et de s’y tenir.
Un autre dispositif est proposé par la Mission locale : le programme TRACE qui offre une continuité sur un parcours maximum de 18 mois au travers de stages de préformation et de formation qualifiante. Ces stages sont rémunérés. Entre deux sessions ou en appui aux faibles indemnisations assurées, on peut avoir recours aux Fonds d’aide aux jeunes versés, là aussi, par les Missions locales, mais qui est plus conçu comme un dépannage ponctuel. 110.000 personnes en ont bénéficié au cours de l’année 2000 (contre 100.000 en 1999 et 85.000, en 1997), pour un versement moyen de 228,69 € par demande acceptée. Ces aides viennent satisfaire des demandes de subsistance et de déplacement (dans le cadre des démarches d’insertion). Le 24 décembre 2001, une circulaire du ministère de l’emploi précisait les modalités d’application d’une bourse d’accès à l’emploi attribuée aux jeunes engagés dans le programme TRACE. Ces dotations d’un montant de 75€ par semaine seraient accordées pour les périodes non rémunérées (entre deux stages). Mais il s’agit là de « soutenir des parcours d’insertion actifs et non d’attribuer sans condition un revenu de substitution à des jeunes en difficulté ».
 
 

Fiche n°4 : vers un RMI jeune ?

Face à la paupérisation constatée des 16-25 ans, plusieurs départements ont expérimenté un RMI jeunes. Ainsi, l’Ile et Vilaine qui propose depuis 1998 un accompagnement personnalisé et une «Bourse emploi 35» de 2.000 francs par mois, ou la Gironde, qui a mis au point, l’année suivante, un «Contrat d’accompagnement à l’autonomie» assurant une aide financière de 500 à 2.000 francs par mois sur 6 mois minimum.
Au niveau national, l’année 2001 a été riche de réflexions et de propositions.
Le Conseil de l’Emploi, des revenus et de la cohésion sociale a lancé, d  ans son rapport du 27 février, la proposition d’un chèque éducation équivalent d’un an de formation assorti d’un revenu de remplacement pour tous les jeunes sortant du système éducatif sans diplôme ou bien seulement avec le CAP ou le BEP.
Le Commissariat général du plan rendait public, dès le lendemain 28 février, un rapport préconisant que toute personne soit dotée, à la naissance, d’un capital initial de formation de 20 ans, garanti par l’Etat. La fraction non consommée augmentée des droits rajoutés tout au long de l’exercice professionnel, pourrait être utilisée tout au long de la vie  pour suivre une formation ou reprendre des études. La seconde préconisation du rapport concerne la transformation des prestations familiales, avantages fiscaux et bourses actuellement versées aux familles (soit 6,693 milliard d’€) en une allocation formation d’un montant mensuel de 1.200 francs à 1.700 francs qui pourrait être attribuée à chacun des 3 millions de jeunes majeurs qui poursuivent leurs études (coût : entre 6,555 et 9,3 milliards d’€).
Le 28 mars, le Conseil économique et social votait un projet d’avis rejetant l’idée d’un Rmi jeunes trop identifié à de l’assistance et préconisant l’attribution à tout jeune de 20 à 25 ans, présentant un projet d’entrée dans la vie professionnelle, une allocation de 2.000 francs dont la moitié serait à rembourser (sans intérêt) entre 25 et 30 ans. Autre piste proposée : la souscription par la famille ou un proche d’un compte d’épargne formation, la capitalisation des intérêts pouvant permettre au jeune de contracter un prêt à taux privilégié qui serait fonction de la durée de l’épargne.
La conférence de la famille tenue le 11 juin décidait de la création d’une «Commission nationale pour l’autonomie des jeunes» chargée de faire le bilan des dispositifs proposant des ressources aux 16-25 ans, et d’envisager les modalités de création d’une allocation d’autonomie. Quatre scénarios sont en cours d’étude. Première hypothèse : prolongement des allocations familiales jusqu’à 22 ans accompagné d’un élargissement des bourses de l’enseignement supérieur. Seconde hypothèse : une allocation autonomie mensuelle  de 122 € versée entre 20 et 21 ans. Troisième hypothèse : création d’un revenu social jeune visant à assurer à tout jeune entre 18 et 25 ans une indépendance financière (avec suppression des allocations familiales à partir de 18 ans). Quatrième hypothèse : allocation formation versée à toute personne engagée dans un investissement formation (égale au montant maximum des bourses universitaires). Le coût de ces mesures, selon leur ambition iraient de 760 millions d’€ à 13 milliards.
Le 26 novembre, le Haut Conseil de la population et de la famille, présidé par le Chef de l’Etat, se prononçait pour l’attribution d’une aide financière à tous les jeunes adultes à partir en vue de favoriser leur autonomie.
Petit à petit, l’oiseau fait son nid.
Progressivement, s’affine ce que pourrait être pour les jeunes, une forme de Rmi.


Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°30 ■ fév 2001

 

Bibliographie

►     « Le deuxième homme - Réflexions sur la jeunesse et l’inégalité des rapports entre générations »
Michel Fize, Presses de la Renaissance, 2002
Michel Fize nous livre ici un nouveau plaidoyer tout entier tendu vers la dénonciation de la domination  de la jeunesse par le monde des adultes. L’école, si elle a permis la diffusion du savoir, ne peut cacher son but véritable : dompter une jeunesse impatiente, emportée et rebelle.  L’éducation populaire est surtout là pour l’encadrer et la soustraire aux mauvaises influences. L’Eglise a toujours voulu l’arracher à ses passions naissantes (sa sexualité). Le fondement de ces injustices tient pour beaucoup au mythe d’une soit-disante immaturité de l’adolescence que dénonce avec véhémence l’auteur. L’être humain étant en maturation permanente, ce sont des maturités différentes et complémentaires qui se complètent selon les âges, sans que l’on puisse établir une quelconque hiérarchisation. Ce qui est dénoncé ici c’est l’exclusion sociale, politique et économique de la jeunesse qui doit chercher son émancipation. Quatre handicaps constituent néanmoins des obstacles à ce projet ambitieux : la conviction qu’ont la plupart des jeunes que cet ordre des choses est une donnée naturelle, le peu de parole dont elle dispose, son rejet de la politique et sa faible conscience de constituer une authentique classe (d’âge). « Pour que l’homme soit grand, il faut que la jeunesse soit fable » (p.297). Michel Fize pousse ici jusqu’au bout sa démonstration  déjà engagée dans ses ouvrages précédents, visant à démontrer la duplicité du monde des adultes.

►     « Accompagner les jeunes dans la réussite de leurs projets »
Deanna Garza Brown, Pascal et Xavier Papillon, Chronique Sociale, 2001
Cet ouvrage propose un parcours de réflexion aux jeunes gens, afin de leur permettre de réfléchir aux valeurs qui ont le plus de chances de rendre meilleur le monde de demain. L’important n’est pas tant de gagner sa vie que de contribuer positivement à la construction du monde dans lequel on vit, explique d’emblée la préface. Et pour y arriver, il est nécessaire de se poser toute une série de questions : la compétition est-elle encore la voie royale vers le succès ou bien la coopération ne produirait-elle pas de meilleurs résultats ? L’efficacité consiste-t-elle à produire toujours plus ou à choisir les biens et services humainement nécessaires et socialement utiles ?  L’accumulation de richesses et de biens matérielles que l’on peut acheter par l’argent est elle le signe de la vraie valeur d’une personne ? Les exposés s’articulent avec des questionnaires et des exercices destinés à aider le lecteur à cheminer et à faire le point sur ce qu’il eut faire de sa vie. Tout doit commencer par la création d’une vision claire des aspirations qu’on porte en soi. Face aux turbulences de l’environnement, le lecteur est ensuite invité à mettre en œuvre la méthodologie de la démarche de projet. Il peut ainsi prendre les moyens de réaliser ses objectifs. Troisième axe proposé : faire le point sur sa vie relationnelle, comprendre ses émotions, réussir à bien communiquer... Démarche ultime : s’engager dans le processus d’apprentissage : découverte de son potentiel, utilisation du cerveau gauche et du cerveau droit, apprentissage de la gestion de son temps. C’est par l’acquisition de la connaissance que l’on pourra concrétiser ses rêves.

►     « L’enfant, l’adolescent et les libertés - Pour une éducation à la démocratie »
Christian Vogt, Reynald Brizais, Christain Chauvigné, Yann Le Pennec, L’harmattan, 2000
Depuis Sénèque qui jugeait raisonnable de noyer les débiles et les faibles ou l’église qui considérait que l’enfant portant en lui, la trace du pêché originel, cela justifiait l’emploi de la sévérité et des méthodes fortes, l’au est heureusement passée sous les ponts. Mais, trop souvent encore, les appels lancés à la participation des jeunes recouvrent la volonté de les faire adhérer à des projets pour eux mais conçus en dehors d’eux. Ils sont toujours cantonnés au rôle passif de consommateurs. Que les modalités de régulation sociale soient les usages, les habitudes, l’imitation, la force de conviction (fruit de la pression interne à l’individu) ou bien encore les normes et les règles (plutôt l’expression de la pression de la société) le mode d’intervention des adultes reste encore dominé par le contrôle coercitif. La socialisation se mesure alors au degré d’obéissance et à la conformité aux attentes. Préparer activement l’intégration citoyenne des enfants et des jeunes passe par deux processus. C’est d’abord l’utilisation de la règle vécue comme le moyen d’encadrer  le surgissement quotidien des difficultés dans un espace social dont on a posé les limites. Le second processus qu’il convient de mettre en œuvre, c’est de favoriser l’autonomisation. Cela ne doit toutefois pas se faire en encourageant à ne compter que sur ses propres ressources, mais en apprenant à activer les médiations sociales et à s'inscrire dans des rapports d'échange avec les autres. Telles sont les orientations susceptibles de fonder la citoyenneté de l’enfant et du jeune.

►     « Avoir trente ans en 1968 et en 1998 »
Christian Baudelot et Roger Establet, Seuil, 2000

De profonds changements ont surgi pour la génération des 30 ans, à 30 ans d’intervalle. A l’aide des dernières études sociologiques réalisées et en les comparant à celles effectuées, il y a de cela plusieurs décennies, les auteurs tracent le portrait d’une profonde mutation. Si celle-ci ne touche pas les rapports profonds entre parents et enfants, elles ont largement concerné les femmes, bien plus présentes sur le marché du travail. L’école a multiplié entre 6 et 8 ses investissements : on pensait donner ainsi une chance à tout le monde. En allongeant le temps de la scolarité, on a fait nettement monter le niveau général, sans pour autant réussir à échapper à une large dévalorisation des diplômes. Le travail s’il a gardé une valeur d’intégration s’est imprégné de flexibilité et de précarité et devient, en outre, synonyme de déclassement. S’il n’y a plus de biographies instituées, les inégalités n’ont pas disparu et la proportion de fils d’ouvrier admis dans les études supérieures est passée de 7% en 1970 0 12% en 1998 (contre une progression de 48 à 69% pour les fils de cadre). Si 46% des 20-24 ans sont élèves ou étudiants,  60% seulement des jeunes qui sortent de l’enseignement, en 1986 sont titulaires, sept ans après, d’un emploi stable (les 40% restants se partageant entre l’emploi précaire, les mesures jeunes, le chômage ou l’inactivité). Un livre de constat et d’analyse des plus précieux pour comprendre peut-être certaines explosions de violence.

►     « La planète lycéenne - Des lycéens se racontent »
Bernard Defrance, Syros, 1996.
Bernard Defrance est un prof de philosophie pas comme les autres. Il propose à ses élèves de s’exprimer par écrit, mais sans que leur travail soit noté. « Un philosophe qui donne une note n’est plus un philosophe » (p. 28). Ce qu’il attend d’eux, ce n’est pas de produire en fonction de ce que le jeune croit qu’on attend de lui, mais bien en fonction de ce qu’il a envie de dire. Angoisse de vie, inquiétude de mort, anxiété face à l’avenir ponctuent des lignes d’où ressortent les confidences sur les violences vécues, les humilia-tions subies et les droits bafoués. Rackets, vols, bagarres  autant de morceaux de vie qui n’avaient jamais été dévoilés et que les adolescents révèlent en toute confiance. Châtiments corporels, punitions collectives, incidents dérisoires  l’écriture joue un rôle libérateur. Dans la violence ambiante des jeunes si communément dénoncée « ce n’est pas leur violence qui m’étonne, c’est leur absence de violence, leur capacité à supporter parfois l’intolérable, sans en être trop détruits » (p.87). L’école devrait pouvoir remplir pouvoir répondre à cette violence en préparant à la démocratie. Encore faut-il qu’elle distingue entre celui qui enseigne et celui qui évalue (validation externe des compétences acquises),  entre celui qui juge les infractions au règlement et celui qui en est victime (le professeur ne doit pas pouvoir sanctionner directement). Quant aux règlements intérieurs, ils doivent prévoir leurs propres règles de modification et leur « code de procédure ».