L’alcoolisme et les jeunes

Nous sommes passés d’une longue tradition de banalisation et de déni à une prise de conscience des dangers de l’alcool. La mutation n’a pas été simple dans un pays où les lobbys des producteurs de vins et spiritueux ont longtemps été puissants et le sont encore ! Les ravages sont pourtant terribles : outre les 45.000 victimes annuelles de l’alcool, cette substance serait à l’origine de 50% des crimes et délits, de 40% des accidents mortels sur la route, de 20% des hospitalisations, de 30% des cancers, de 40% des internements psychiatriques et de 80% des violences conjugales. De quoi prendre la mesure d’un produit pour lequel les animatrices et animateurs doivent trouver une réponse adéquate face à un public jeune tout particulièrement fragile et vulnérable.
 

L’alcool : entre fascination et de la diabolisation

William Faulkner  lança à son époque ce qu’il ne croyait être qu’un mot d’esprit et qui s’avère plus profond qu’il n’y paraît : « La civilisation commence avec la distillation ». Le destin de l’alcool est tellement lié à l’histoire de l’humanité et la problématique qu’il pose est si souvent imbriquée avec les questions existentielles de l’espèce humaine (plaisir, angoisse de vivre, recherche d’évasion, tentative d’échapper à sa condition etc ...) qu’on ne peut l’évoquer qu’en choisissant un large périmètre dans l’investigation de ses tenants et aboutissants.
 
« Alcool plaisir ou alcool violence, alcool oubli ou alcool fête, alcool accident ou alcool détente ? Qu'importe le flacon, les conséquences sont graves. » peut-on lire dans l’excellente publication  de la MILDT (1). Qu’il soit obtenu par fermentation de végétaux (vin, cidre, bière) ou par distillation (eaux de vie de vin, de fruits, de céréales, de marc), l’alcool passe directement dans le sang sans être digéré et va se répartir très vite dans toutes les parties du corps. Ses conséquences sont connues : effets déshinibiteurs, euphorie, sentiment de plaisir et de chaleur certes, mais aussi troubles digestifs potentiels (nausées, vomissements), diminution de la vigilance, perte de contrôle de soi, comportements de violence, facilitation des passages à l’acte sans oublier les pathologies qui surgissent à terme : cancers (de la bouche, de la gorge, de l'œsophage, entre autres), maladies du foie (cirrhose) et du pancréas, troubles cardio-vasculaires, maladies du système nerveux et troubles psychiques (anxiété, dépression, troubles du comportement). Ce tableau n’a rien pour réjouir, ni apaiser. Pourtant, ce produit exerce une telle fascination qu’il faut d’abord chercher à comprendre.
 

Une histoire vieille comme le monde

Les recherches historiques l’attestent : la quasi-totalité des peuples a, à un moment ou à un autre, inventé une substance qui modifie l’état de conscience. De la feuille de coca mâchée en Amérique du sud aux champignons hallucinogènes d’Amérique du nord, en passant par les boissons indiennes à base de cannabis, ou fermentées en Europe, chaque civilisation a cherché à utiliser des produits qui leur permettaient certes de chasser fatigue et angoisse mais surtout d’entrer en relation avec les esprits magiques. De toutes ces substances, une s’est toutefois imposée : l’alcool. Ce succès est sans doute lié au fait que sa fabrication est réalisable à partir de toutes les matières végétales : raisin, pomme, canne à sucre, patate, betterave ... la seule condition étant la présence de sucres sur lesquels un enzyme va réagir. La première boisson alcoolisée remonte à l’âge de pierre : il s’agit de l’hydromel, vin réalisé à partir du miel. L’invention de la céramique (4.000 ans avant JC) en permet le stockage. L’occident excelle très vite dans son raffinage : les modes de production des vins, des eaux de vie, des bières se perfectionnent. La colonisation de l’ensemble de la planète par l’Europe contribue largement à la généralisation de ce liquide. C’est que notre culture fait une large place à la production de l’alcool. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère, l’ancien testament, la puissante symbolique d’un Christ opérant son premier miracle lors des noces Canaan en changeant l’eau en vin, la liturgie chrétienne proposant d’absorber au travers du vin sacré le sang de Jésus (héritage probable de l’évolution qui vit le vin remplacer le sang des sacrifices humains lors des offrandes destinées à calmer le courroux des divinités). L’alcool a pris ainsi progressivement une place centrale dans la civilisation.
 

L’alcoolisme surgit longtemps après l’alcool

Longtemps, cette substance n’aura pas d’effets nocifs majeurs. Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, sans doute, parce que sa consommation fut limitée à un usage surtout sacré. Ensuite, parce que sa production s’avèrera fluctuante avec des quantités peu importantes. La qualité sera quant à elle variable avec une teneur en alcool souvent faible. Les moyens de transport limités et les techniques primitives de conservation ne permettront pas une large diffusion. De ce fait, un petit nombre de personnes sera concerné par la consommation régulière de boissons alcoolisées. L’essor de l’industrialisation et du commerce va notablement changer la donne. L'augmentation des rendements et des surfaces agricoles, l'amélioration des méthodes de conservation rendent la production et la distribution incomparablement plus aisées. L’essor du capitalisme provoquant parallèlement une misère grandissante et des conditions avilissantes de vie, la recherche de l’oubli et de l’évasion font très vite le lit de l’ivresse qui est devenue beaucoup plus facile du fait de la nouvelle disponibilité du produit.  Autre raison paradoxale à l’expansion réduite de l’alcoolisme pendant une longue période historique : la faible espérance de vie. La dépendance physique à l'alcool, on le sait maintenant, s'installe très lentement, mais sûrement. Avec une durée de l’existence se limitant en moyenne à 28-30 ans, les imprégnations longues ne pouvaient matériellement qu’être rares. La prolongation de la vie aboutit à ce que l’alcoolisme devienne un phénomène de masse, succédant ainsi à l’alcoolisation accidentelle et à l'ivrognerie de quelques individus particuliers. Les conditions étant réunies, on assiste à l’orée du XIXème siècle, à l’émergence de la pathologie alcoolique. En 70 ans, la consommation passera de 15 à 35 litres par habitant et par an. Aujourd’hui, la moyenne a été notablement rabaissée, mais elle atteint néanmoins pour l'Européen moyen entre 6 et 14 litres d'alcool pur par an, la palme étant détenue par les Français (14,1 litres) et les Luxembourgeois (14,6 litres).
 

Une imprégnation culturelle

La consommation d’alcool est avant tout un trait culturel fortement ancré au sein de la population. Ce produit peut potentiellement faire partie de chaque moment de la vie. Il accompagne fréquemment le casse-croûte du matin sur les chantiers, arrose le repas du midi, est le prétexte d’une détente bien méritée en rentrant le soir du travail, sert à allonger le café, mettre en appétit, digérer après un bon repas, fait de la place en milieu d’un plantureux festin, est prétexte à fêter un évènement important,  se remettre de ses émotions, se donner du courage, aider à passer un mauvais cap et chasser les idées noires, favoriser une ambiance conviviale, permettre de se sentir plus à l’aise dans les relations amoureuses, faire la fête, partager un plaisir commun, entrer en relation avec l’autre, abaisser les inhibitions, aider à dormir, etc... On ne peut que le constater : ce produit a pris une place essentielle dans un quotidien qui a quelque mal à l’en chasser. Les habitudes de consommation sont bien intégrées et enracinées. Le bar familial est amplement équipé, les bars ne désemplissent pas et les cérémonies de famille se conçoivent difficilement en dehors d’une table bien fournie en bouteilles multiples et variées. Les pratiques sont très diversifiées et dépendent de facteurs liés à la géographie, aux traditions, mais aussi à l'âge, au sexe, à la classe socio-économique, au lieu de résidence (urbaine ou rurale), à la religion de chaque personne concernée. Ainsi, par exemple, la bière produite à partir de la fermentation de l’orge (et qu’on retrouve déjà 4.000 ans avant notre ère à Babylone) est bien plus prisée par les jeunes que le vin (qui aurait été inventé par les Egyptiens) qui reste l’apanage des adultes (en France 2,7 % des 20-25 ans en consomment régulièrement contre 62,9% des 65-75 ans). Dans de nombreux pays, la prise d’alcool des adolescents est moins fréquente et en quantité plus grande, là où celle des plus de trente ans est plus modérée, mais aussi plus régulière. L’avance traditionnelle des hommes sur les femmes quant à la propension à boire tend à se réduire avec les progrès de l’égalité  entre les deux sexes. La culture marque fortement les modes de consommation. Les produits issus du raisin se consomment avant, pendant et après les repas, les alcools forts sont plutôt absorbés en dehors du contexte alimentaire, la bière ayant plus un statut intermédiaire et pouvant accompagner les aliments ou être absorbée en dehors. La mondialisation induit toutefois un large brassage culturel : les pays du Nord découvrent le vin pris au moment du repas et les pays du Sud deviennent, quant à eux, buveurs de bière et d'alcools forts. D’ici quelques décennies, les Européens auront peut-être aligné leurs modes de consommation qui en s’ajoutant les uns aux autres risquent de produire une accumulation d’absorptions successives.
 

Les jeunes face à l’alcool

C’est dans ce contexte d’imprégnation massive de l’alcool placé au cœur de la société où ils grandissent, que les enfants et les jeunes vont entrer en relation avec ce produit. Avant même d’y toucher, ils auront vécu à son contact. Ils auront vu leur famille consommer d’une manière largement banalisée et normalisée. L’alcool apparaît comme un trait dominant du monde adulte qu’ils sont destinés à intégrer. S’identifier à cette substance, c’est le passage plus ou moins obligé de l’accès à la société des « grands ». En commençant par placer la question sous cet angle, nous revendiquons de la repositionner, non comme une dérive inquiétante d’une population d’adolescents et jeunes adultes trop souvent stigmatisée, mais comme un phénomène d’imitation et un rite d’intégration. Si l’on doit s’inquiéter de la place de l’alcool chez les jeunes, ce sont les adultes qu’il faut interroger et interpeller en premier.
Il serait toutefois abusif et réducteur de se limiter à cette seule porte d’entrée. D’autres facteurs apportent aussi des éléments de compréhension. L’alcoolisation peut prendre plusieurs significations pour un adolescent. Il y a d’abord la recherche délibérée des effets psycho-actifs : l’ivresse, la désinhibition, l’euphorie, le bien-être etc ... Ce qui est visé c’est le plaisir procuré. Ces mécanismes jouent autant pour les jeunes que pour les moins jeunes. Il est important de rappeler qu’à côté des ravages et des malheurs, l’alcool fournit aussi un état de bien-être. Autre ressort à la prise de ce produit, la quête des effets anxiolytiques et hypnotiques. Face à une réalité parfois angoissante que le sujet cherche à fuir, l’alcool sert alors de moyen d’évasion. L’attitude des plus jeunes n’est finalement pas fondamentalement différente de celle de leurs aînés. Ils se placent comme dignes héritiers des générations précédentes qui montrent la voie. Pour autant, qu’en est-il de l’évolution de la prise de ce produit depuis quelques années ? Y a-t-il ou non un accroissement de la consommation d’alcool chez les jeunes ? Il semble que non : on assiste plutôt à une stabilisation des quantités absorbées, mais en même temps une modification qualitative. L’objectif recherché est bien plus ouvertement la recherche d’ivresse (+ 30% depuis 5 ans chez les moins de 25 ans) : on se défonce avec des mélanges de bière et d’alcools forts. Il n’est pas rare, en outre, d’assister à des associations avec d’autres substances (médicaments, cannabis, héroïne, lsd, ...). Autre tendance qui mérite d’être soulignée : un rajeunissement des premiers contacts avec l’alcool : des enfants de 9-10 ans peuvent se prendre leur première cuite à la bière.
 

De l’alcoolisation à l’alcoolisme

Absorber son premier verre d’alcool ne prédispose pas à décéder d’une cirrhose du foie. L’alcoolisation commence par un premier contact qui constitue une sorte d’expérimentation. Cette première approche peut déboucher sur un usage régulier mais contrôlé. Qui, à son tour, peut devenir usage excessif. Jusque là, la personne peut se stabiliser à l’un de ces stades (l’escalade n’est en rien une fatalité). Elle possède encore toutes les facultés de réagir et d’interrompre sa consommation, quand elle le souhaite. Le danger véritable survient quand la dépendance s’installe : il lui est alors, quasiment impossible de s’arrêter sans traitement et sans aide. L’ensemble du processus peut prendre entre 15 et 20 ans pour les hommes, 10 ans pour les femmes. Un certain nombre de symptômes cognitifs, comportementaux et physiologiques permettent de déceler le passage de la simple alcoolisation à un début d’alcoolisme : prise de quantités toujours plus importantes pour obtenir le même effet, temps important passé autour de la prise du produit au détriment de l’activité sociale, familiale et des études, impossibilité de différer, le besoin devenant irrépressible, poursuite de la consommation malgré la conscience de sa nocivité, ritualisation des pratiques. La chaîne des comportements qui amène à l’alcoolisme ne bascule pas immédiatement dans cette perte de la liberté d’arrêter de boire qui caractérise cette maladie.
Ce qui préside à cette évolution relève certainement d’une multiplicité de facteurs et de circonstances susceptibles de créer un terrain favorable à l’addiction. Ainsi, évoque-t-on la pathologie du manque, cette incapacité à supporter la moindre frustration. On parle aussi de facteurs génétiques favorisants. Et puis, il y a ces moments tragiques de la vie (accidents, déception amoureuses ou professionnelles, syndrome post traumatique ...) dont seul l’effet psychotrope semble alors pouvoir venir calmer quelques peu les effets de souffrance. Et, c’est vrai que l’alcool comble la faille narcissique et donne une sensation de toute-puissance. Il annule la notion de temps (le passé devient le présent et rend l’avenir impensable). La prise du produit constitue dès lors une protection, un béquillage essentiel dans un équilibre qui met à l’abri d’une confrontation par trop douloureuse avec une réalité plus ou moins insupportable.
 

Quelle réaction ? Réduire l’offre.

Face aux ravages provoqués par l’alcool, la première réaction consiste à essayer d’épuiser la source de la difficulté, en s’attaquant à la fourniture du produit. Longtemps avant d’avoir monté des campagnes de bombardements des champs de coca en Amérique du sud, les Etats Unis avaient déjà tenté l’expérience de la prohibition. Le 17 janvier 1920, 46 des 48 Etats qui constituent alors le pays, adoptent le 18ème amendement à la constitution qui interdit la production, la vente et la consommation d’alcool. Le 5 décembre 1933, le président Roosevelt fait voter le 21ème amendement qui abolit cette prohibition. L’illégalité dans laquelle l’alcool a été plongé se sera avérée plus que catastrophique. La production non seulement a continué, mais elle a échappé à toute surveillance sanitaire (provoquant une multiplication du nombre de morts dûs à l’alcool frelaté qui étaient alors vendu sous le manteau). Elle a, en outre, permis l’essor d’une mafia qui a trouvé dans le trafic du produit le moyen de se constituer de gigantesques fortunes. L’interdiction totale de l’alcool est donc contre-productive. Par contre, il est possible d’en réglementer l’accès de façon à le rendre moins facilement accessible. C’était là l’objectif de la loi Evin votée le 10 janvier 1990 qui interdisait toute forme de publicité. Prétendant qu’il n’y avait pas de corrélation directe entre publicité et consommation d'alcool le lobby alcoolier s’est battu contre ces dispositions et a obtenu que soit rétablis le droit à l'affichage et aux enseignes (loi du 8 août 1994).  C’est vrai que le poids des viticulteurs est non négligeable dans certaines régions de France. Sans compter les grandes rencontres sportives confrontées au manque à gagner des sponsors et les média se voyant privées de pleine pages de publicité rémunératrices. On mesurera les difficultés à essayer de tarir le produit à sa source aux efforts déployés par les associations sportives pour rétablir les buvettes installées sur les terrains de sport du club de football qui ont toujours fourni une partie non négligeable de leurs ressources. Même avec une mention obligatoire incitant à une consommation modérée, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les effets de ces campagnes publicitaires qui identifient un produit potentiellement mortifère au bonheur de vivre. Autre possibilité de réduction de l’offre : celle qui consiste ni plus ni moins qu’à appliquer la législation qui fait interdiction aux commerçants d’avoir à vendre de l’alcool aux moins de 16 ans. Combien de supermarché demandent-ils leur papier d’identité à des mômes qui se présentent en caisse avec des packs de bière ou pire des bouteilles de wisky ? Bien entendu, rien n’empêchera ces mêmes pré-adolescents d’envoyer un grand frère « faire les provisions ». Mais l’interdit aura été néanmoins posé... et la loi respectée. Dans un période où l’on prétend imposer la tolérance zéro, il est des infractions qui sont largement admises.
 

Quelle réaction ? Apprendre à bien consommer.

On peut fort bien vivre sans absorber d’alcool. Cette substance n’est en aucun cas vitale ni indispensable à la santé, à l’épanouissement individuel ou familial. Il faut peut-être apprendre à ne pas systématiquement accompagner le quotidien de ces habitudes qui se sont transformés en rites obligatoires. Fêter une promotion professionnelle, un anniversaire ou le nouvel an en dégustant le jus de pomme qu’on a ramené de son dernier week-end en Normandie peut apparaître anachronique tellement notre culture nous a habitués à plutôt ouvrir une bouteille de champagne. Mais est-ce à ce point inconcevable ? Si le choix de non-consommation d’alcool doit être reconnu et favorisé, il ne peut en aucun cas s’imposer à tous. Vouloir une société sans alcool est aussi utopique que de vouloir une société sans violence. L’important pour celles et ceux qui refusent l’abstinence, est d’apprendre à savoir bien boire. L’essentiel consiste alors à savoir identifier les produits, à en connaître les conséquences et les dangers, ce qui revient en fait à contrôler sa consommation pour en tirer tous les bénéfices attendus, tout en évitant les effets pervers. Le public jeune est tout particulièrement concerné par cet apprentissage. Il doit être accompagné dans sa découverte du produit. Cela ne signifie pas bien entendu s’enivrer en sa compagnie, mais rester ouvert à l’échange et instaurer un dialogue qui permette un partage de connaissances et une information sur les risques. L’alcool par son côté déshinibiteur peut provoquer des comportements asociaux : les attitudes de violence ou d’agressivité et les passages à l’acte sont plus faciles et plus fréquents. Apprendre à connaître ce que cela fait sur soi, identifier les limites au-delà desquelles on ne se contrôle plus, savoir quelle consommation il vaut mieux éviter de dépasser pour toujours garder la maîtrise de soi etc ... telles peuvent être les thèmes abordés librement. Boire moins mais mieux. Préférer la qualité à la quantité. Savoir se modérer dans la prise du produit. Voilà des pratiques qui pourraient facilement faire tâche d’huile. Pour y parvenir, le monde adulte garde une responsabilité essentielle face aux jeunes. Il devrait pouvoir montrer l’exemple d’une consommation raisonnée et contrôlée. Convenons qu’avec ses 5 millions de malades alcooliques il est loin du compte...
 

Quelle réaction ? S’intéresser aux causes plus qu’aux effets.

L’alcool peut devenir un moyen comme un autre de répondre à une détresse. Plonger dans l’oubli, se consoler, retrouver une certaine joie de vivre, éloigner l’angoisse... sont aussi des raisons pour boire. Il convient alors d’essayer de distinguer ce qui relève de la consommation festive et ce qui correspond plutôt à la réponse à un mal-être. Face à des jeunes, il est possible d’échanger sur la façon dont ils voient la vie : sont-ils pessimistes ou optimistes ? Comment perçoivent-ils leur avenir ? Comment se comportent-ils quand ils vivent un coup dur (déception amoureuse, échec scolaire, conflit avec les parents...) ? Comment réagissent-ils aux frustrations, aux conflits, aux agressions ? Il s’agit en fait de faire le point sur les difficultés ressenties (ce qui importe, ce n’est jamais la réalité objective des problèmes, mais la façon dont on les vit), les compétences (une bonne estime de soi et un équilibre acquis permettent de résister bien plus facilement) et les aptitudes à être confronté aux contrariétés (capacité à rebondir, à trouver suffisamment de ressources en soi et autour de soi pour dépasser les écueils de la vie). A partir d’un certain niveau de détresse, l’intervention de spécialistes de l’aide peut être nécessaire : médecins, psychologues, travailleurs sociaux... Mais, tout un chacun reste compétent pour détecter une difficulté existentielle et y apporter une simple réponse humaine qui peut le plus souvent suffire : une écoute attentive et bienveillante, un accueil ouvert et tolérant, une présence rassurante et chaleureuse sont à la portée des parents, des animateurs, de l’entourage amical. La prévention commence aussi par le simple fait de s’enquérir comme va l’autre, comment il arrive à vivre avec ses problèmes et réussit ou non à les dépasser. L’alcoolisation est aussi la fille de l’indifférence et de l’égoïsme au même titre que les prises d’autres produits psychotropes, les comportements à risque ou le suicide.
 
 
 
Alcool poison ou alcool plaisir nous interrogions-nous en introduction. Une fois de plus il semble important de sortir de la fixation autour du seul produit et de nous recentrer sur les comportements qui accompagnent sa consommation. Ils vont du pire au meilleur. L’alcool est une substance dangereuse qu’il ne faut ni bannir ni idéaliser mais apprendre à maîtriser. En être convaincu est une chose, être capable de transmettre cet apprentissage en est une autre qui nécessite d’être au clair sur ses propres pratiques et de se former à des questions dont cet article n’a fait que survoler la complexité.
 
(1)  "Drogues : savoir plus, risquer moins"


A lire interview : Bourdaud Helena - Alcoolisme
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°591 ■ 04/10/2001

Journal de L’Animation  ■ n°37 ■ mars 2003

 
Ce que les mots veulent dire :
Abstinence : consommation nulle de produit
Accoutumance : état psychologique résultant de la consommation répétée de substances toxiques
Alcool : produit liquide fermenté ou distillé, à pouvoir psychotrope
Alcoolémie : présence d’alcool dans le sang
Alcoolisation : action de boire de l’alcool
Alcoolisme : état pathologique caractérisé par une dépendance psychologique à l’alcool pouvant entraîner une dépendance physique
Ivresse : état dû à un excès d’alcoolisation et modifiant l’état de conscience. 

 
Contacts : ANPAA (qui pourra fournir les adresses  des comités locaux) 20 rue Saint Fiacre 75002 Paris Tél. : 01 42 33 51 04  Fax. : 01 45 08 17 02 Site internet : www.anaps.asso.fr Mail : contact@anpa.asso.fr
 
 
 

Fiche n°1 : L’alcool en quelques chiffres

En 1960, le français moyen absorbait 27,4 litres d’alcool pur par an. En 1997, ce chiffre est tombé à 10,9 litres, plaçant malgré tout notre pays à une peu glorieuse troisième place dans le monde.
Entre 1979 et 1997, l’absorption de vins a diminué de plus de 18 %, surtout au détriment du vin ordinaire (-47%), le vin de qualité étant beaucoup plus prisé (+112%). Il en va de même pour la bière dont la consommation a augmenté de 17%. A noter toutefois que la croissance est aussi au rendez-vous pour les jus de fruits (+590%), les boissons rafraîchissantes tels les sodas (+89%) et les eaux minérales (+76%).
Entre 12 et 75 ans :
-      7,3% déclarent être abstinents, 12% buveurs occasionnels, 9,8% boire une fois par mois, 70,9% au moins une fois par semaine.
-      13,3% des hommes (4,1% des femmes) auraient un risque de dépendance.
-      22,1% boivent du vin, 4,5% de la bière, 1,2% de l’alcool fort, 0,6% d’autres alcools.
On estime à 5 millions, les personnes ayant des difficultés médicales, psychologiques et sociales liées à leur consommation d’alcool. 29,5% des hommes et 11% des femmes de la clientèle des généralistes, 13% des patients hospitalisés et 7% des prises en charge psychiatrique sont constitués de buveurs excessifs. 
La consommation excessive d’alcool est la seconde cause de décès évitable avec 45.000 victimes par an. En 1997, on a comptabilisé 11.167 décès pour une psychose alcoolique ou une cirrhose du foie (à titre de comparaison, la moralité liée à l’usage de drogue était la même année de 143 décès par overdose). Il faut rajouter à cela les 4.000 morts liés aux accidents de la route liés à l’imprégnation alcoolique des conducteurs.
Taxés à 20,6 %, les vins et alcools ont rapporté un peu moins de 2,44 milliards d’Euros à l'Etat et la vignette spéciale frappant les boissons contenant plus de 25 % d'alcool a permis de verser directement 0,35 milliards supplémentaires à la sécurité sociale. Des chiffres sans commune mesure avec le coût médical de l'alcoolisme. Selon l'INSERM, la mortalité par psychose alcoolique a diminué presque de moitié en trente ans, de 18.000 morts en 1960 à 11.000 en 1997 mais l'alcool coûte tout de même 9,91 milliards de francs en traitements, 1,22 milliards en hospitalisations et 76,23 millions pour les centres de désintoxication. En terme de coût social (incluant en autre les pertes de productivité engendrées par les décès et absentéisme), on aboutit à la somme de 17,53 milliards d’Euros.
(sources :  statistiques 1999 ANPA / CFES Santé 2000)
 
 

Fiche n°2 : Les idées fausses sur l’alcool

“Faire du sport, boire de l’eau ou avaler un café dessoûle”
Faux : Aucun moyen ne permet de faire baisser par miracle le taux d’alcoolémie : les enzymes du foie ne peuvent détruire que 0,10 à 0,15 g d’alcool par litre de sang et par heure. Seul le temps permet d’éliminer les effets de l’alcool.
“Un whisky est plus dangereux qu'une bière”
Faux. Il y a autant d'alcool dans un demi de bière (25 cl) que dans un verre de whisky (4 cl), ou encore un verre de vin (12,5 cl) et une dose de liqueur (4 cl). Pourquoi ? Parce que la bière (5°) a un taux d’alcool moindre que le vin (12°) ou le whisky (40°), mais le volume est plus important.
“Ajouter du soda dans son whisky, c'est plus sûr”
Faux. Ajouter du soda ou de l'eau ne modifie en rien le volume d'alcool pur contenu dans le verre.
“L'alcool réchauffe”
Faux. C'est une idée très répandue mais c'est pourtant le contraire qui se produit.
La sensation de "chaud" vient du fait que l'alcool déplace la chaleur interne et l'amène à la surface de l'organisme. Celui-ci, grâce aux terminaisons nerveuses, l'enregistre mais cette chaleur n'est autre que celle du buveur. En réalité, l'organisme refroidit.
“L'alcool donne des forces”
Faux. L’alcool procure parfois un effet euphorisant qui peut diminuer la sensation de fatigue pendant l’effort. Cependant, ces effets sont de courte durée et n’ont pas d’impact réel sur la force physique.
“L'alcool protège le cœur”
 Vrai et faux. Les récentes études s’accordent à reconnaître qu’une consommation modérée régulière d'alcool (entre un et trois verres par jour pour un homme / entre 1 et 2 verres par jour pour une femme) peut avoir des effets protecteurs contre les maladies cardio-vasculaires.
Reste que la consommation abusive d'alcool est néfaste pour le cœur et peut entraîner d'autres pathologies.
“Quand j'ai bu, je me sens plus à l’aise au volant”
Faux. Il s’agit d’une illusion. Les conducteurs ont le cerveau "anesthésié" par l’alcool et peuvent avoir le sentiment de mieux conduire. Or, leur organisme est perturbé et les réflexes diminués.
“Un digestif favorise la digestion”
Faux. Malgré son appellation, le digestif n’aide en aucun cas à digérer. Pour favoriser la digestion, il est préférable de manger léger et équilibré.

Fiche réalisée à partir du site www.soifdevivre.com
 
 

Fiche n°3 : Jusqu’où aller ?

Quelle quantité d’alcool peut-elle être considérée comme dangereuse ? Quelle est la limite qu’il convient raisonnablement de se fixer ? Où finit exactement la modération et où commence la consommation excessive ? Répondre à cette question est bien difficile : nous sommes tous inégaux face à l’alcool. Alors que Gérard a besoin de 3 scotchs, 3 bières et 2 vodkas pour commencer à se sentir "bizarre", une seule bière est suffisante pour Michelle. Fixer une limite est compliqué, car un tel repère est fluctuant selon les personnes, son sexe, son âge, son poids, sa taille, l’état de sa santé et de son patrimoine héréditaire, son tempérament et ses habitudes face à l’alcool. Chacun doit pouvoir mesurer son état de conscience, les effets que peut avoir le produit sur son humeur, ses réactions et déterminer jusqu’où il peut aller. C’est ainsi que l’on pourra déterminer quelle mesure respecter. La méthode est relativement simple. Les boissons varient beaucoup dans leur teneur en alcool pur : cela peut aller de 4% pour le cidre jusqu’à 50 voire 60% pour certains alcools forts. Il y a un réflexe bien intégré qui consiste à verser spontanément le liquide qu’on veut absorber en fonction de sa densité : on se sert un verre de bière, un ballon de rouge, un doigt de whisky... qui correspondent chacun à environ 10 grammes d’alcool. Ce repère permet de mesurer le danger encouru. La consommation moyenne qui semble permettre que les bénéfices l’emportent sur les risques est fixée à 20 grammes d’alcool pur par jour pour les femmes et 30 grammes pour les hommes. A partir de cette base, chacun doit pouvoir se fixer sa propre frontière de l’acceptable. Par contre un certain nombre de circonstances imposent une abstinence non négociable : pendant l’enfance ou une grossesse, quand on conduit un véhicule, quand on travaille sur une machine dangereuse, quand on exerce des responsabilités qui nécessitent un niveau élevé de vigilance, des gestes précis ou des réflexes rapides, quand on prend certains médicaments (bien lire les notices).
 
 

Fiche n°4 : Toujours rester maître de sa consommation

La force de la convivialité, la pression amicale, la peur de casser l’ambiance, la crainte de vexer la personne qui vous invite ... les raisons sont multiples qui expliquent qu’on se fasse entraîner à boire plus de voulu. Pourtant des stratégies existent qui permettent de pouvoir contrôler ce que l’on consomme. Quelques « trucs » simples et efficaces qui vont du simple refus de la consommation jusqu’à sa gestion tempérée, de quoi faire du buveur potentiel le maître du produit et non son esclave.
-      Ne jamais se sentir obligé à boire de l’alcool. Résister aux pressions de l’entourage. C’est à chacun de décider en toute liberté.
-      Soutenir dans leur choix les personnes qui ne souhaitent pas consommer d’alcool.
-      Toujours prévoir de mettre à disposition de vos invités suffisamment de boissons sans alcool.
-      Au café, à l’occasion de tournées, ne pas hésiter à commander une boisson sans alcool. Cela peut encourager d’autres personnes à faire de même.
-      Avant de sortir, décider de son seuil de consommation et prendre les moyens de s’y tenir.
-      En cas de soif intense, préférer une boisson non alcoolisée pour se désaltérer d’abord, le verre d’alcool sera d’autant plus apprécié ensuite.
-      Prendre des boissons faiblement alcoolisées plutôt que des boissons fortes.
-      Au cours du repas, entre deux verres, ne pas hésiter à boire des consommations sans alcool. Cela réduira la consommation d’alcool et étanche la soif.
-      Savoir refuser d’être à nouveau servi, si on ne souhaite pas l’être.
-      Ne pas vider son verre à chaque passage de la bouteille.
-      Savourez son verre lentement, ne pas se laisser imposer un rythme.
-      Toujours manger quelque chose en buvant. Non seulement cela ralentit le passage de l’alcool dans le sang, mais cela ralentit aussi la consommation.
-      En cas de dérapage de sa consommation, ne pas hésiter à s’éloigner un moment. Se lever, aller se rafraîchir aux WC ou aller prendre l’air quelques instants.
 
 

 

Bibliographie

►     « Les alcooléens »
Jean Maisondieu,  Bayard édition
« Ne parlons plus d’alcooliques : sans la honte, ils ne boiraient pas, sans le mépris, ils guériraient » Le parti pris de l’auteur est ici très clair : l’alcool n’est pas une maladie, c’est une passion morbide. Ce qu’il appèle les alcooléens souffrent moins d’un manque de volonté que d’une inextinguible soif de considération. Ils sont moins dépendants de l’alcool que des regards que l’on porte sur eux. Ce qui les fait souffrir c’est de se sentir ni aimables, ni aimés : ils se rendent donc haïssables par leur inconduite chronique. Avant de chercher à les empêcher de boire, il faut tout faire pour les réhabiliter comme sujets dignes de respect et d’attention. Pour y arriver, il faut au préalable que chacun se reconnaisse en eux et identifie les angoisses existentielles que nous partageons en commun. Ce n’est que lorsqu’ils se sentiront réhumanisés et réinsérés qu’ils seront prêts à être sevrés. Démarche  provocatrice de la part de Jean Maisondieu ? Non, choix de s’intéresser à l’être humain qui est derrière un produit.
►     « Passion alcool »
Michel Craplet, Odile Jacob, 2000
Cet ouvrage rédigé par un médecin délégué de l’ANPA propose un tour d’horizon tout à fait intéressant sur la question. L’alcool prend ses sources aussi bien dans le bassin méditerranéen (inventeur du vin de raisin) que sur les côtes de l’atlantique (où sera créé le vin de pommes). Ce produit va pénétrer profondément la civilisation occidentale au point de devenir une fantastique source de revenus pour les producteurs, les commerçants et même l’Etat, ce qui explique les difficultés rencontrées pour réduire son influence. Mais on ne peut comprendre la fascination qu’exerce l’alcool si on n’évoque pas ses facettes gastronomiques, diététiques et sociales ainsi que ses dimensions mystiques et psycho-actives. C’est cette réalité qui côtoie  les effets toxiques tant pour le buveur que pour les autres. L’ivresse, si elle permet de lutter contre la peur, le temps et contre soi-même, favorise aussi le contact avec son prochain et permet tout autant de se révéler à soi. C’est cette complexité que l’auteur essaie de cerner en insistant sur l’importance de l’éducation au plaisir.
►     « Savoir plus, risquer moins »
MILDT
La mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), sous la direction de Nicole Maestracci (qui vient d’être remercié par le nouveau gouvernement), a accompli un travail excellent, en ne limitant pas la  prévention vers les seuls produits illicites, mais en l’orientant délibérément vers toutes les substances psychoactives (donc, y compris l’alcool, le tabac et les médicaments). On peut se procurer le petit livre publié en 2000 « Drogues : savoir plus, risquer moins, ce qu’il faut savoir » auprès de tous les services de prévention. On peut aussi utiliser avec intérêt « Savoir plus vidéo », cassette présentant 14 émissions différentes (de 13 minutes chacune) consacrées aux différentes situation de toxicomanie ( de l’alcool aux poly toxicomanies en passant par l’héroïne, l’ecstasy, la cannabis, le dopage sportif, les tranquillisants etc...). Composée de témoignages de spécialistes, cette cassette a l’immense avantage d’apporter d’une manière pédagogique des informations sur la nature de chaque produit, ses modes d’utilisation, ses conséquences physiques, psychologiques et sociales. De quoi donner un éclairage pertinent face aux amalgames qui mélangent usage et abus, consommation et dépendance, risques sanitaires et délinquance.