Familles plurielles
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Avec le XXème siècle s’est éteint le temps des certitudes. Il n’y a plus de modèles de référence qui puissent s’imposer comme la seule et unique bonne façon de penser ou de vivre en société. Pourtant, il n’est pas si loin le temps où une institutrice divorcée était accueillie avec hostilité par des parents d’élèves soucieux de la bonne moralité de leurs chérubins. Aujourd’hui, familles monoparentales, familles éclatées, familles décomposées ou recomposées, concubinage, couples non cohabitants, couples homosexuels font partie du paysage quotidien. Le concept de famille ne peut plus se conjuguer qu’au pluriel, tant ses modes d’existence sont multiples et diversifiés.
La civilisation occidentale a été marquée, dans les trente dernières années, par de profondes mutations. De toutes les évolutions majeures qui ont eu lieu, celle qui a touché le monde de la famille a été tout particulièrement marquante. Ces transformations ont provoqué des réactions de peur et de défense face aux menaces qui pèseraient sur une institution qui a survécu depuis des millénaires aux affres de l’histoire, mais qui seraient particulièrement menacée dans son devenir. Paradoxalement, contrairement à l’idée selon laquelle, elle serait délaissée, la famille est littéralement plébiscitée par la population (ainsi 87% des 15-29 ans interrogés en 1998 considéraient qu’elle doit rester la cellule de base de la société). Pour comprendre cette contradiction, il faut peut-être en revenir à la profonde diversité de ce qui constitue cette organisation élémentaire de la communauté humaine, qui a toujours su s’adapter aux besoins manifestés par son époque. Peut-être que, finalement, ce qui est menacé ce n’est pas tant la famille comme mode d’organisation aux formes très diverses, mais son expression unique tel que nous la connaissons aujourd’hui et son exigence d’exclusivité.
Un passé riche de diversité
Le petit Robert désigne sous le terme famille des “ personnes apparentées vivant sous le même toit ”. Définition très vague et très large qui laisse la place à de multiples contenus. Spontanément, on pense au couple parental et à ses enfants. Et, c’est effectivement sous la forme de ce noyau nucléaire, que la famille moderne est le plus fréquemment répandue. Pourtant, ce modèle familial est très récent. Avant les années 60, il était courant que l’un des beaux-parents vive au domicile. L’amélioration des retraites et des établissements d’accueil a permis aux personnes âgées de prendre leur autonomie et de ne plus dépendre de leur enfants pour vivre. Mais, à peine avaient-ils quitté le cercle de famille qu’ils ont été remplacés dans certains cas, par ces couples kangourous, jeunes gens s’installant chez les parents de l’un d’entre eux par manque de moyens pour prendre leur indépendance. Ces mutations visibles sur quelques décennies sont à l’image d’une profonde diversité qu’a pu connaître la famille dans le passé.
Ainsi, en comptabilise-t-on des centaines de formes qui ont été, dans l’histoire, inventées et pratiquées. Rien que dans la France rurale d’avant le XIXème siècle, on distinguait déjà entre la famille communautaire (tous les fils se mariaient et s’établissaient au foyer parental) qui se partageait le territoire avec la famille-souche (un seul des fils héritant, les autres devant s’installer ailleurs), plutôt dans le sud du pays et la famille nucléaire (chacun des fils héritait à égalité), plutôt au nord. Le développement de l’industrie rendit nécessaire l’unification de l’organisation familiale autour d’un modèle unique qui va s’imposer progressivement : celui de la famille nucléaire. La remise en cause d’un modèle dominant provoque toujours de vives inquiétudes quant aux effets produits sur l’équilibre social. La généralisation de la famille nucléaire ne fut pas sans poser au XIXème siècle des réticences et des résistances. A son tour contestée dans sa suprématie absolue, la famille moderne déclenche des vagues de réaction : y toucher signifierait menacer les fondements mêmes de la société ! L’organisation actuelle telle qu’elle se présente dans notre société autour d’une cellule regroupant les parents et leurs enfants, constitue en réalité le maillon d’une longue chaîne qui a proposé de nombreuses combinaisons différentes par le passé et qui continuera à agencer d’autres types d’assemblage encore à l’avenir. Et, déjà d’autres modèles ont émergé.
Un présent en pleine mutation
Un certain nombre de transformations sont venues frapper de plein fouet le socle de la famille nucléaire. En premier lieu, il faut noter le passage de la référence au groupe à la référence à l’individu qui lui-même est devenu la véritable cellule de base de la société. Le triomphe de cet individualisme revendiquant l’épanouissement de chacun et l’authenticité des relations a entraîné le refus des règles traditionnelles, la disqualification de la morale et le rejet des conventions. La vie privée n’est dès lors plus fixée à l’avance en fonction d’une nécessité ou d’une norme sociale. La recherche du bonheur personnel passe avant la soumission à un code qui était imposé auparavant par la société et ce au mépris du bonheur individuel. Le choix de se marier et de se séparer relève dorénavant de la conscience individuelle.
Second événement essentiel, le mouvement de libération de la femme qui a fortement contribué à remettre en cause un contrat de mariage basé sur une logique inégalitaire et hiérarchique entre les sexes. L’ancien cadre familial imposant un carcan qui écrasait les désirs et aspirations de chacun et notamment des épouses (reléguées à l’éducation des enfants et à l’entretien des foyers pour 71,4% d’entre elles encore en 1961) à craqué de toute part. L’exigence de sincérité s’oppose au formalisme de la convention. Le libre engagement au sein du couple ne rend plus nécessaire une institution du mariage créée à l’origine pour sceller la relation de deux familles au travers de personnes qui ne s’étaient pas le plus souvent choisies : “ le mariage d’amour tue le mariage ! ”
Troisième facteur aussi très important, la révolution démographique que constituent l’effondrement de la mortalité infantile et la prolongation importante de l’espérance de vie. Le risque de veuvage s’éloigne, la cohabitation s’allonge dans le temps, rendant d’autant plus délicate et plus fragile une vie en commun qui n’aura dans l’histoire de l’humanité jamais été aussi longue.
D’où une crise majeure de la nuptialité : entre 1960 et 1995, les mariages sont passés de 320.000 à 255.000, les divorces de 32.600 à 124.000 et les naissances hors mariage de 6,1% à 37,6%. Plus de 4 millions de personnes (sur les 30 millions qui vivent en couple) ne sont pas mariés.
Si une large majorité de la population reste attachée à la conception du mariage et de la famille nucléaire, une minorité non négligeable a pu développer ses propres formes de vie couple et familiale, sans craindre ni l’opprobre, ni la stigmatisation encore présentes, il y a encore 20 ans. En 1994, on comptabilisait 82,8 % des enfants de 0 à 18 ans vivant avec leurs deux parents. La vie familiale traditionnelle reste donc bien le cadre dans lequel évolue la plupart des mineurs. On compte néanmoins 11,5% d’entre eux qui vivent avec l’un seulement de leurs deux parents (10,7% avec la mère et 0,8% avec le père) : ce sont les familles dites monoparentales. Pour 4,6% autres, le mode d’existence se déroule avec l’un des deux parents et son nouveau conjoint : ce sont les familles dites recomposées. Enfin, pour 1,1% de l’ensemble, soit quand même 132.000 mineurs, ils ne vivent avec aucun des deux parents : ce sont, entre autre, les situations de placements en famille d’accueil ou en internat éducatif.
Sur 11.684.000 mineurs de moins de 18 ans, cela fait quand même plus de 2,1 millions qui grandissent dans des conditions non traditionnelles, mais pas toujours très nouvelles. Ainsi, contrairement à ce qu’on imagine, le cas des familles recomposées n’est pas récent. Pendant de nombreux siècles, les situations de veuvage ont été fréquentes. Le remariage était alors fortement conseillé. La présence de beaux-parents était donc bien plus répandue qu’on ne le pense. La tradition populaire en a gardé une représentation dramatique de la marâtre ou du parâtre, menace directe contre les enfants du premier lit.
Mais voilà que les familles monoparentales et recomposées sont à peine intégrées au paysage quotidien que déjà perce un nouveau chamboulement sous la forme des familles homoparentales
Un futur encore plus hétérogène
En Amérique du Nord, depuis le début des années 90, en France depuis la moitié de cette décennie, des couples homosexuels gays ou lesbiens accueillent des enfants, pour les élever au quotidien. Cela se fait soit par la voie de l’adoption (la loi française autorisant un célibataire à adopter), de l’insémination artificielle (non permise en France pour des célibataires, c’est la Belgique, plus permissive, qui prend en charge les candidates) ou encore, tout simplement en recevant l’enfant issu d’une première relation de couple hétérosexuelle. On peut, à juste raison s’interroger sur le devenir de ces enfants et surtout sur leur équilibre de futurs adultes. Aucune des 200 études que le monde anglo-saxon a diligentées depuis 1978 pour évaluer les conséquences psychologiques, éducatives, comportementales pour les enfants élevés dans de telles conditions n’ont permis de déceler une évolution plus inquiétante en comparaison avec la progéniture de familles hérérosexuelles. Ce que pose la situation des familles homoparentales, c’est bien des questions sur le rôle éducatif et la fonction parentale. La pratique de l’adoption qui, rappelons-le, est récente (c’est une loi de 1923 qui l’a autorisée pour permettre l’accueil de tous les orphelins de la guerre 14-8) a montré que pour être des parents acceptables, il n’était pas nécessaire au préalable d’être les géniteurs de l’enfant. Le rôle de parent ne doit pas être non plus confondu avec le sexe de l’individu : chacun connaît dans son entourage des mères énergiques et autoritaires et des papas-poules. Etre parent va bien au-delà d’être femme ou homme. C’est savoir alterner (ou se partager) les fonctions de protection et de sanction, de congruence et de sévérité, d’affection et de rappel à la loi. Mais, est-il vraiment possible d’avoir deux papas ? “ On dit : un homme peut avoir deux fils. Il ne saurait avoir deux pères. En vérité, ne suffit-il pas pour avoir deux pères que l’on soit engendré par l’un et adopté par l’autre. ” L’auteur de cette affirmation n’est pas un révolutionnaire échevelé ne rêvant qu’à une chose : l’effondrement du vieux monde et de ses traditions. Ce n’est pas non plus un réformateur du droit en avance sur son temps. Cette réflexion de bon sens, on la doit à Saint Augustin (sermon 51 de la double généalogie de Jésus Christ) ! La responsabilité d’être parent va donc bien au-delà de la procréation, c’est ce que met en avant la problématique des couples homosexuels qui élèvent des enfants et revendiquent d’être reconnus officiellement par la société dans cette place.
Le droit de l’enfant à une famille
L’opinion publique reste des plus partagée en ce qui concerne toutes ces nouvelles formes familiales. Il suffit de se rappeler les fortes résistances opposées à l’instauration du PACS, au nom justement du risque de voir reconnues à égalité familles traditionnelles et familles atypiques. Pour autant, notre société assimile les mutations qui l’animent, comme le montrent les propositions présentées en septembre 1999 par le rapport Dekeuwer-Défossé en vue d’une rénovation du droit de la famille : réaffirmation des droits et devoirs des parents à l’égard de leurs enfants au-delà du divorce, instauration d’un statut de tiers chargé de prendre en charge l’enfant (mandat confié au beau-parent) etc …
Irène Théry affirmait dans son rapport sur les mutations de la famille que “ la société considère qu’il existe une contrepartie très forte à la liberté accrue du couple : l’obligation corrélative pour chacun des deux parents de maintenir sa responsabilité à l’égard de l’enfant et de respecter et encourager celle de l’autre. ”Il apparaît donc que l’indissolubilité du mariage, en disparaissant, a laissé la place à l’indissolubilité de la filiation, tout adulte devant continuer, quelques soient les circonstances, à assumer ses responsabilités parentales tout d’abord, éducatives ensuite auprès de l’enfant auprès de qui il s’est engagé. Finalement, ce qui compte, c’est que l’enfant se voit garantir, quelque soit la forme des familles au sein desquelles il est élevé, les conditions d’affection, de soins et d’équilibre nécessaires à son épanouissement.
Lire interview : Vaillant Maryse - Familles plurielles
Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°25 ■ janv 2002
Fiche n°1 : Diversité du mariage, diversité des couples
La société humaine a su organiser des formes très originales de couples et de mariage. L’ethnologie nous démontre que le monde moderne n’a vraiment rien inventé d’original.
Dans près de 150 tribus d’amérindiens, les individus attirés par des êtres du même sexe se trouvaient affublés d’un troisième genre. Ils étaient désignés comme “ deux esprits ”, “ homme-femme ”, ou encore “ femme-homme ”. Un sujet de sexe féminin, mais de genre “ femme-homme” pouvait très bien se marier avec une autre femme. Si l’on peut considérer -en reprenant des concepts complètement anachroniques dans ce contexte- qu’il y avait homosexualité de sexe, du point de vue de la société d’appartenance, il s’agissait d’hétérosexualité le genre (puisque les deux individus ne partageaient pas le même sexe tel que défini par la société). Un couple de même sexe biologique étant par définition stérile, un amant officiel pouvait alors procurer sa semence et permettre la naissance d’un enfant sans pour autant prétendre à aucun droit sur celui-ci.
De même, en Afrique, dans la population Azandé, il était parfaitement admis que les guerriers prennent pour femme un jeune garçon jusqu’à ce qu’intervienne son mariage avec une femme, la plupart de celles disponibles étant monopolisées par quelques hommes âgées et puissants (polyginie).
Dans d’autres sociétés, le mariage n’était permis qu’une fois qu’il y avait eu relation sexuelle avec un autre partenaire que celui avec qui la femme va se marier. Ainsi, chez les Samo, au Burkina Faso, une fille ne peut être remise à son mari qu’une fois qu’elle a eu un enfant avec un amant de son choix. Cet enfant sera considéré comme le premier-né du mari. Chez les Nuer, au Soudan, si le père vient à décéder, un parent proche procréera au nom du défunt avec sa veuve, sans jamais avoir d’autre titre de parenté que celui correspondant à sa place (oncle, cousin …).
Fiche n°2 : Diversité des familles, diversité des relations parents-enfants
La famille constitue le creuset de l’éducation des enfants. Les différentes civilisations ont proposé de multiples versions de cette fonction.
Qu’il y a-t-il de plus sacré que le lien entre l’enfant et ses parents, peut-on penser aisément ? Pourtant dans certaines civilisations, c’est le frère de la mère qui est considéré comme le père officiel. Parfois, sont désignés comme “ père ” tous les hommes plus âgés. Mais au moins, si la désignation du père est distincte du lien génétique, du côté de la mère, on peut penser que les choses sont plus claires. Rien de moins sûr. Les liens de sang ne donnent pas dans toutes les sociétés, droit aux mêmes prérogatives. La possibilité, les modalités et le pourcentage de délégation à des tierces personnes, de l’éducation de ses enfants, varient énormément. Entre la cession momentanée de sa progéniture et la coupure radicale avec elle (modèle de l’adoption plénière si prisée en occident), il y a une infinité d’étapes intermédiaires possibles. Ainsi se pratiquent aussi bien le “ forestage ” (enfant élevé par un parent proche sans que les détenteurs de l’autorité à son égard ne la perde !), le gardiennage, l’adoption de gendre ou de bru en bas âge (ou adulte), mais aussi la vente d’enfants ou leur mise en gage. Il en va de même pour les raisons qui justifient de tels transferts. Cela peut aller de l’absence d’ascendants (orphelins) ou de descendants (stérilité) au remplacement d’enfants morts, en passant par la pratique magique qui consiste, par le prêt momentané d’enfant, à favoriser la procréation du couple jusqu’alors infertile, la mise à l’abri de l’enfant né d’un premier lit (risque de maltraitance de la part du nouveau conjoint), ou encore le résultat du souhait exprimé par l’enfant de changer de parents. L’adoption est conçu dans notre occident moderne à partir de constantes : anonymat, bas statut social de ceux qui cèdent l’enfant, stérilité des tuteurs et pesanteur des démarches nécessaires. Dans nombres de civilisations qui nous ont précédé, ce qui domine c’est plutôt la familiarité des donateurs et des receveurs de l’enfant, le prestige et l’estime entourant l’acte, la fécondité des nouveaux parents, le caractère informel et souvent réversible de la procédure.
A lire : “ La circulation des enfants en société traditionnelle : Prêt, don, échange ” Suzanne Lallemand, L’harmattan, 1993, (224 p)
Fiche n° 3 : Crise du couple et enfant en crise
Quelle corrélation peut-on établir entre la séparation et les difficultés rencontrées par les enfants ? Les spécialistes autrefois unanimes, sont aujourd’hui plus circonspects.
Pendant longtemps, sociologues, moralistes, psychologues, juristes ont opposé la famille normale aux familles “ déviantes ”. Difficultés affectives, instabilité psychologique, échec scolaire … ont été traditionnellement expliqués par les situations de séparation des parents. Les chercheurs sont aujourd’hui beaucoup plus prudents. Ils se sont aperçus que les mêmes faits analysés selon des grilles d’interprétation différentes concluront soit à des effets graves prolongés pour l’enfant soit à des conséquences seulement transitoires. Une séparation n’est jamais bénigne, mais ce qui importe le plus c’est la façon dont elle est gérée. Les effets de la séparation ne sont pas à ce point significatifs qu’on puisse isoler ce facteur par rapport à d’autres parfois tout aussi perturbants y compris au sein des familles unies. A l’image de cette étude réalisée au Danemark entre 1961 et 1971 sur un groupe de 500 enfants issus de 322 familles séparées. Il s’avère que si 28% d’entre eux ont effectivement été traumatisés, 28 autre % ont vu leur équilibre s’améliorer et 44% semblent n’avoir été affectés ni positivement, ni négativement. Il semble donc, que la dissociation du couple, si elle est perturbatrice pour l’enfant, n’est pas, néanmoins, parfois préférable à son maintien quand cette dernière situation s’accompagne d’une mésentente tout autant sinon plus traumatisante. On peut, à présent, très sérieusement se poser la question de savoir si l’on ne peut pas vivre aussi bien sinon mieux sans un parent inadéquat qu’avec.
Fiche n°4 : Crise de la famille : point de vue d’une sociologue
Irène Théry est l’une des sociologues de la famille les plus réputées et les plus créatives. Son travail de recherche est source de compréhension de l’histoire qui se déroule devant nos yeux. La dernière moitié du XX ème siècle, explique-t-elle, a connu une nette mutation des comportements familiaux : baisse da l fécondité et du mariage, accroissement du nombre de divorces et de familles monoparentales et recomposées. Parallèlement à cette évolution des moeurs, le droit de la famille a été notablement modifié : la famille stable, hiérarchique et autoritaire, basée sur l’inégalité des sexes et la sujétion des enfants a été mise à mort. Cette double transformation est souvent portée au crédit de trois processus conjoint que sont l’individualisation (l’intérêt de l’individu supplante l’intérêt de la communauté dans l’orientation des choix de vie), la privatisation (l’Etat intervient de moins en moins dans la vie de la famille) et la pluralisation de la famille (diversification des formes de vie familiale). Or, ce qui marque ces dernières décennies, ce sont des constats qui infirment ces hypothèses : la vivacité des rapports intergénérationnels dément l’idée d’un repli sur soi, le renforcement de l’intervention sociale publique contredit l’hypothèse d’une émergence de la sphère privée et la stabilité du modèle familial dominant démontre que la multiplicité des formes possibles ne menace en rien l’aspiration au modèle familial nucléaire. Pour comprendre les mutations qui se déroulent malgré tout, il faut se tourner vers l’inversion du processus entre couple conjugal et couple parental. Le premier est en train d’être progressivement absorbé par le second. Le lien conjugal, qui était auparavant institutionnel est devenu contractuel. Le lien de filiation qui était auparavant lié au bon vouloir des parents tend à devenir inconditionnel et indissoluble (remise en cause de l’accouchement sous x, renforcement de la place du père ...).
D’après Irène Théry dans“ Les implicites de la politique familiale : approches historiques, juridiques et politiques ” Dunod, 2000
Fiche n°5 : L’exercice de l’autorité parentale
Pendant des millénaires, c’est le père de famille qui a exercé en toute exclusivité l’autorité sur ses enfants. Droit de vie et de mort à l’époque romaine, puissance paternelle qui lui permit jusqu’en 1935 de faire incarcérer sa progéniture ... il faut attendre 1970 pour qu’émerge l’autorité parentale et 1982 pour que la mère, au même titre que le père, soit réputée agir en accord avec son conjoint (jusqu’alors, il fallait que toute décision soit signée par le “ chef de famille ”, en l’occurrence le père). Aujourd’hui, la multiplicité des formes familiales peut placer dans l’embarras le professionnel qui ne sait pas toujours à qui s’adresser quand se pose une question impliquant l’autorité parentale. Peut-il remettre l’enfant qui lui a été confié au père qui se présente alors que les parents sont séparés? Que doit-il faire signer en matière d’autorisation (d’activités, médicale etc ...) ?
La loi attribue à celui et à celle qui ont fait devant l’officier d’état civil une démarche de reconnaissance comme père et mère de l’enfant, le droit exclusif de l’autorité parentale. Celle-ci leur est accordée en vue de protéger l’enfant dans sa sécurité sa santé et sa moralité. Ils bénéficient de ce droit à égalité et sont responsables en commun de la garde, de la surveillance, de l’entretien, des soins et de l’éducation de leur enfant. Toute personne intervenant auprès de celui-ci doit agir en accord avec les parents. Si elle se voit confiée une mission par eux (apprentissage scolaire, entraînement sportif, activité socioculturelle, surveillance ponctuelle ...) celle-ci est secondaire et placée sous la supervision des parents. Là où tout se complique, c’est quand il faut détailler les modalités d’exercice de cette autorité parentale. Car détenteurs de ce droit inaliénable, les parents peuvent se trouver dans une situation où ils ne l’exercent pas complètement.
En cas de séparation du couple parental. Deux cas se présentent. Soit l’enfant est né avant le 8 janvier 1993. Les jugements de divorce attribuaient alors quasiment systématiquement l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents, l’autre ne bénéficiant que d’un droit de visite. Quant aux couples non mariés, l’autorité parentale était attribuée à celui des deux parents (vivant alors ensemble ou non) qui avaient reconnu l’enfant le premier (la mère pouvant procéder à une pré-reconnaissance alors qu’elle était encore enceinte). Les deux parents non mariés devaient pour exercer conjointement cette autorité faire une déclaration commune, sans limite de délai. Après le 8 janvier 1993, la loi sur la séparation du couple parental a inversé la procédure : l’exercice de l’autorité parentale partagée devient la règle, l’attribution à l’un seul des deux parents l’exception. Pour les couples mariés, cela se fait automatiquement. Pour les couples vivant en concubinage, il faut que le père aie reconnu l’enfant avant son premier anniversaire et fasse la preuve qu’il vivait avec la mère dans ce même délai. Dans ces conditions, les deux parents bénéficient de l’exercice de l’autorité parentale à égalité. Il ne faut pas confondre exercice de l’autorité parentale et résidence de l’enfant (qu’on appelait autrefois droit de garde). Même si l’autorité est conjointe, le lieu où va vivre l’enfant est désigné par le juge des affaires familiales : cela peut être une résidence conjointe ou chez l’un ou l’autre des deux parents.En cas de déficience parentale. Si la sécurité, la santé, la moralité de l’enfant ne sont plus en mesure d’être protégées par les titulaires de l’autorité parentale, l’exercice de ce devoir peut être limité par une mesure dite d’assistance éducative, prise par un juge des enfants qui précise alors dans quel domaine va porter cette limitation : ce peut être par exemple la surveillance, l’entretien, les soins, l’éducation et les actes de la vie courante confiés à un tiers (que soit une personne physique ou morale –un service ou un établissement). Il n’y a toutefois pas remise en cause du droit mais simplement modulation de son exercice : les parents doivent être consultés et associés.
Deuxième possibilité : la délégation d’autorité parentale décidée par le juge des tutelles. Ce sont les cas de parents malades mentaux ou gravement déficients, dans l’impossibilité de faire face à leurs obligations. Le juge désigne là aussi un tiers ou un organisme qui va exercer les attributs de l’autorité parentale.
Les juges compétents exercent dans un cas comme dans l’autre un contrôle sur ce qui ce qui a été réalisé auprès du mineur.
Les cas de disparition de l’autorité parentale. Il arrive que les deux parents disparaissent : l’autorité parentale est alors dévolue par un conseil de famille présidé par le juge des tutelles à un tuteur chargé d’en exercer les obligations.
Il arrive aussi qu’un parent décide de renoncer à exercer ses responsabilités : il remet alors son enfant au service de l’Aide Sociale à l’Enfance en vue de l’organisation de son adoption. Cela peut aussi être décidé par le juge de grande instance si durant une année révolue, les parent se sont manifestement désintéressé de l’enfant. Celui-ci peut est alors déclaré judiciairement abandonné. Il devient alors adoptable.
Dernier cas de figure : le retrait partiel ou total de l’autorité parentale décidé quand les parents sont reconnus pénalement auteur ou complice d’un crime ou délit commis par leur enfant ou sur leur enfant (décision très rares).
Dans tous les cas de figure, un document peut être demandé pour attester de la réalité des droits d’autorité parentale : le livret de famille pour le couple marié ou le parent seul, l’acte de communauté de vie que délivre le juge des affaires familiales pour la parent non marié, le jugement du juge des affaires familiales en cas de séparation des parents, le jugement du juge des enfants ou du juge des tutelles en cas de mesure judiciaire venant limiter l’exercice de l’autorité parentale.
Les projets gouvernementaux de réforme du droit de la famille, prévoit en matière d’autorité parentale de supprimer la condition de vie commune pour les couples non mariés. Il suffirait alors aux deux parents de reconnaître l’enfant pour bénéficier à égalité de l’autorité parentale. Ségolène Royale qui avait instauré en 1999, l’obligation pour les établissements scolaires d’adresser tant au père qu’à la mère (quand ceux-ci sont séparés) toute correspondance concernant l’enfant a pu faire instaurer le congé de paternité à la naissance de l’enfant et le livret de paternité. Le droit de la famille est appelé à se transformer beaucoup dans les mois et années à venir. Il sera nécessaire de réactualiser les données juridiques proposées aujourd’hui dans cet article.
Bibliographie
► “ Le premier sexe- Mutations et crise de l’identité masculine ”André Rauch, Hachette Littérature, 2000, (300 p)
La crise qui affecte l’identité masculine remonte à l’effondrement du vieil ordre dominant. Pendant longtemps, ce qui a dominé c’est le régime d’apartheid entre hommes et femmes qui s’imposait alors, constituait un acte initial et initiatique. Le refus de la domination du père débute avec le parricide de Louis XVI. Commence alors la quête de la nouvelle identité masculine. C’est, tout d’abord, la conscription qui crée la différence : le guerrier donne la mort là où la femme donne la vie. Jouer chaque jour son existence au combat devient le critère principal de l’honneur. Pour mesurer sa virilité, on se bat à tout propos. Puis, vient une autre référence : celle de l’idéal bourgeois qui valorise la prospérité et la réussite individuelle. La compétence supplante alors la naissance. Colères, irritations, chagrins n’ont plus droit de cité sur la scène publique et sont remplacés par la froide planification de l’homme d’affaire. La jeunesse est massivement regroupée dans les internats des collèges et des lycées. S’y développent des signes de virilité qui s’identifient à l’endurance : résister à la souffrance, ne jamais exposer ni partager ses émotions ou ses chagrins. L’art de subir sans perdre sa dignité confère alors une marque d’excellence.
► “ Fonctions maternelle et paternelle ”
sous la direction de Georges Greiner, Dunod, 2000, (162 p.)
Les parents sont accusés d’être démissionnaires et responsables de la montée de la violence. La société qui les accuse ainsi est celle-là même qui se délite et s’enfonce dans la crise du symbolique. Le morcellement et la déstructuration des comportements parentaux sont à relier au paradoxe de fonctions de moins en moins étayées mais de plus en plus confrontées à de fréquentes redéfinitions. La manière d’être homme ou femme, père ou mère dépend de la façon dont on a rencontré, au sein même du fonctionnement de chacun de nos parents, le maternel et le paternel, le féminin et le masculin. C’est aussi le produit de ce bébé imaginaireque nous avons été dans l’esprit de nos parents et auquel ils nous ont confrontés, mais aussi celui que nous aurions voulu être. La qualité des soins que nous apportons à l‘enfant en tant que parents dépend encore de la qualité de l’intégration de la bisexualité psychique qui est propre à chacun d’entre nous. En fait, l’enfant naît deux fois : la première en venant au monde du vivant, la deuxième en émergent dans le monde humain, celui du langage et de la culture. Ni le maternel, ni le paternel, ni le féminin, ni le masculin ne sont spécifiques à l’un ou à l’autre des deux sexes. Cela ne veut pas dire qu’ils sont interchangeables, mais plutôt complémentaires, sans que l’on puisse toujours figer les attributions toujours du côté des uns ou des autres.
► “ La problématique paternelle ”
sous la direction de Chantal Zaouche-Gaudron, érès, 2001, (206 p.)
Décidément, la place du père interroge manifestement beaucoup les chercheurs. Quelle est sa fonction exacte ? La répartition des rôles de chacun a gagné en complexité, mais aussi en richesse. Qu’en est-il des relations précoces du papa avec le bébé qui ont été pendant longtemps considérées comme secondaires ? le père apparaît comme un partenaire actif et un acteur à part entière. Comment le processus de parentalisation et de socialisation de l’enfant se construit-il ? Au travers de réponses diversifiées qui ne se résument pas toutes à un seul point de vue, huit spécialistes confrontent leur avis d’où il ressort qu’on ne peut évoquer le père sans en même temps aborder les interrelations qui le relient à la mère, au couple et à l’identité masculine. Coparentalité et coresponsabilité s’imposent comme autant de nouveaux invariants dans la société du XXI ème siècle.
► “ A mort la famille ! Plaidoyer pour l’enfant ”
Michel Fize, érès, 2000, (224 p.)
Avec la famille patriarcale s’est imposé le modèle pyramidal en consacrant la prédominance du masculin sur le féminin et perpétuant “ la domination d’un groupe d’âge (les adultes) sur un autre groupe d’âge (les jeunes) ” (p.69) Ce n’est finalement que récemment que le paterfamilias a perdu le pouvoir de faire enfermer sa progéniture en prison (1935) ou la toute puissance paternelle (1970). Pour l’auteur, le rôle répressif de la famille et plus particulièrement de son chef n’est plus à démontrer. La démocratisation de la structure familiale n’a fait qu’en fragiliser son équilibre. On n’a pas tardé à la dire en crise (comme d’ailleurs quasiment à toutes les époques). Paradoxalement, ce qui la mine, c’est bien le manque d’interdit, de conflit et l’absence de communication qu’on y trouve. L’auteur revendique plutôt que pas de famille du tout (ce qui lui semble une utopie quoique réaliste !) une famille minimum qui permettrait à partir de 13 ans de partir vers des foyers d’hébergement pour collégiens ou lycéens, fréquentés sur une durée à négocier avec le jeune. Décidément, la structure familiale n’a que bien peu d’attrait pour l’auteur qui semble y voir l’un des principaux obstacles à l’épanouissement humain.
► “ Homoparentalité : état des lieux ”
sous la direction de Martine Gross, ESF, 2000, (303 p)
L’ouvrage réunit les actes du colloque organisé en 1999 par l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens. Sociologues, psychanalystes, psychiatres, anthropologues, juristes) se sont succédés à la tribune pour tenter de répondre aux risques que peut représenter pour l’enfant de vivre avec deux parents du même sexe. Cela influence-t-il le choix de son orientation sexuelle ? N’y a-t-il pas nécessité qu’il soit confronté à des rôles parentaux distincts ? Ces questions ne sont pas anodines. Depuis le début des années 90, en Amérique du Nord, 1 à 5 millions mères lesbiennes et de 1 à 3 millions pères gays élèvent leurs enfants. En France, l’APGL évalue à plusieurs centaines de milliers les homosexuels hommes et femmes concernés par cette réalité. Cela peut prendre la forme d’enfants issus d’une union hétérosexuelle antérieure (après séparation ou divorce, le parent se remet en couple avec une personne du même sexe et désire avoir la garde de ses enfants). Seconde possibilité, l’adoption, possible depuis la loi de 1966, pour un célibataire. Certains agréments commencent à être accordés à des adultes faisant état de leurs choix homosexuels. Troisième option, la procréation médicalement assistée. Certains couples homosexuels ont même eu affaire avec une mère porteuse aux USA. Inutile donc de jouer à l’autruche : les familles homoparentales sont appelées à se développer à l’avenir. Autant réfléchir à ce qu’elles mettent en oeuvre. Ce que propose cet ouvrage.
► “ Nouveaux couples nouvelles familles ? ”
Revue Dialogues, n°150 décembre 2000, érès, (128 p)
Il y a, d’un côté, la mutation des fonctions attribuées aux couples : jouant avant tout, pendant très longtemps, un rôle de chaînon (servant exclusivement à assurer l’alliance entre deux lignages), la revendication a été très forte dès le XVII ème siècle que ce soit là le produit d’un libre choix avant d’aboutir à ce qui prévaut aujourd’hui : l’union de deux individus égaux entre eux. La famille a subi les conséquences de ces transformations en devenant recomposées (combinaison de plus en plus complexes entre adultes et enfants pas forcément liés par le sang) ou monoparentales (adulte élevant seul leur(s) enfants(s)). Ces évolutions ont contraint les acteurs de ces nouvelles familles à se confronter à la nécessité d’élaborer la perte et le manque et de vivre dans une dynamique de parentalité plurielle (exercée par de multiples adultes). Etre parent ne recouvre plus automatiquement les traditionnelles dimensions biologiques, socio-juridiques et éducatives qui peuvent se trouver dès lors dissociées. Cette évolution remet au centre de la famille deux processus : le premier est la nécessaire affiliation entre les parents et les enfants (ils se doivent de construire les liens qui vont le relier les uns aux autres, puisque cela n’a plus rien d’automatique). Le second processus renvoie et une parentalisation qui doit survivre au naufrage des rapports de conjugalité. On peut renoncer aux liens du couple. On ne peut se délier de sa responsabilité de parent.
► “ Monoparentalité : y a-t-il péril en la demeure ? ”
Cassette vidéo, échange entre Marie Dominique Vergez, résidente du Tribunal pour enfants de Créteil et Maryse Vaillant, Psychologue clinicienne, chargée de mission PJJ, (2000)
La monoparentalité ne présente pas les facteurs de danger qu’on lui prête parfois, car elle n’est le plus souvent que l’un des épisodes d’une trajectoire complexe dont chacun porte la responsabilité d’une éventuelle dégradation. En fait, ce qui peut poser problème, c’est plus la solitude de la mère qui vit par procuration au travers de son enfant à la fois capté et transformé en protecteur, provoquant chez lui une hyper maturité, une parentification en même temps qu’une fragilité à la dépendance et une vulnérabilité à l’entourage. Consolant sa mère de ses déboires amoureux, l’enfant peut se trouver branché sur une génitalité dont il aurait du être mis à l’écart. Cela provoque parfois à l’adolescence une prise du pouvoir du jeune sur son parent et son explosion. D’où l’importance d’animer des lieux de parole permettant à la mère de sortir de cette solitude.
Anthéa : 7 place aux herbes BP 219 83006 Draguignan Cedex