Assistante Sociale, Educateur Spécialisé
-
dans Dossiers thématiques
Assistante Sociale, Educateur Spécialisé : à quoi ils servent ?
Combien d’animateurs confrontés à la situation d’un enfant difficile, ont affirmé (ou ont pensé) un jour « je ne suis pas assistante sociale » ou « je ne suis pas éducateur » ? Mais au fait, en quoi consiste exactement le travail de ces deux métiers du social ? On sait que ce sont les professions historiquement les plus anciennes du secteur. Mais on peut les côtoyer sans pour autant vraiment connaître leur quotidien. Le dossier de ce mois va s’intéresser à ce qui fonde leur action et la façon dont ils la mènent.
Celui que notre société moderne désigne comme l’exclu, le désaffilié, le surnuméraire a toujours existé, même si son sort fut bien différent d’une époque à l’autre. Pendant des siècles, une vieille tradition paysanne prévoyait à la table familiale une assiette de plus que le nombre de convives : c’était l’assiette du pauvre. Toute personne frappant à la porte au moment du repas était conviée à venir partager la soupe. Un toit lui était proposé pour la nuit. On ne lui posait aucune question. Cette pratique était bien sûr imprégnée de cette charité chrétienne qui voit dans chaque déshérité une représentation du Christ. Mais peut-être, peut-on aussi interpréter cette bienveillance à l’égard des démunis, comme la crainte inconsciente d’être confronté soi-même un jour ou l’autre à une telle situation. Outre cette solidarité individuelle, l’entraide a aussi pris tout au long de l’histoire, des formes plus collectives. Ainsi chez les hébreux prélève-t-on la dîme pour les étrangers, les veuves et les orphelins. On réservait aux pauvres « l’angle du champ » (1/60è des terres ensemencées) et on leur concède le « droit de glanage » après la moisson. Dans l’ancienne Egypte, l’Etat qui règle tout, prévoit aussi l’assistance aux personnes âgées, infirmes et orphelins. La Grèce en fait de même pour les blessés et victimes de guerre ainsi que pour les veuves. Avec l’avènement du christianisme, l’église devient le principal acteur de l’assistance aux miséreux. Des ordres religieux sont fondés pour se consacrer à la charité. Tout un réseau d’hospice de charité et d’hôtel-Dieu se crée qui ouvre ses portes aux indigents, aux infirmes, aux orphelins...
La société civile prend le relais
Si le concile de Tours tenu en 567, recommandait déjà à chaque cité de nourrir ses pauvres et si Charlemagne prescrivait à ses comtes d’avoir à secourir les démunis de leur territoire, il faut attendre François 1er, pour voir l’Etat civil reprendre progressivement pied dans l’assistance aux pauvres, avec la création des premiers « bureau des pauvres » (ancêtres de nos actuels Centres communaux d’action sociale présents dans chaque mairie). Les philosophes du XVIIIème siècle se font l’écho de cette volonté de sécularisation. Ainsi, Montesquieu d’expliquer dans « L’esprit des Lois » que : « ... quelques aumônes distribuées dans la rue ne remplissent pas les obligations de l’Etat : celui-ci doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé. » Ce qui se traduira directement dans la constitution de 1793 édictée par la Convention par : « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens de subsister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». Mais ce principe révolutionnaire reste lettre morte pendant près d’un siècle, siècle au cours duquel, l’essor du capitalisme entraînant dans son sillage l’exode rural et la destruction des solidarités familiales et locales, provoque une impressionnante misère longuement décrite par Zola (« l’Assommoir »), Hugo (« Les misérables ») ou Dickens (« David Copperfield »). Les mouvements associatifs, politiques et syndicaux reliés par les intellectuels et les philanthropes vont contribuer à une prise de conscience collective autour de ce qui est désigné comme « la question sociale ».
L’action sociale
Pour remédier à la situation de plus en plus désastreuse d’une partie importante de la population, est conçu le principe de l’action sociale. Son objectif est simple : élaborer des systèmes de prévoyance, mettre en œuvre une véritable solidarité nationale et instaurer un service public qui puissent libérer tout individu de l’état de besoin. C’est le congrès international d’assistance, réuni à Paris en 1889 qui pose les fondements d’un dispositif qui ne cessera dès lors de s’améliorer : « l’assistance publique est due à ceux qui se trouvent temporairement ou définitivement dans l’impossibilité de gagner leur vie » y est-il proclamé. Se succède alors toute une série de lois qui structurent et charpentent ce que nous connaissons aujourd’hui : assistance médicale gratuite (1893), assistance aux tuberculeux (1901), assistance aux vieillards, infirmes et incurables (1905), assistante aux femmes en couches et aux familles nombreuses (1913). Bien d’autres mécanismes vont être instaurés, notamment après la seconde guerre mondiale l’ordonnance de 1945 concernant l’enfance délinquante ou la sécurité sociale qui a pour ambition de répondre aux risques maladie ou accident du travail, mais aussi pour permettre de faire face à la maternité et à la vieillesse. Puis viendront l’ordonnance de 1958 en faveur de l’enfance en danger, l’assurance chômage en 1959, la loi en faveur des personnes handicapées en 1975 (récemment rénovée en 2002), le Revenu minimum d’insertion en 1989, cette même année la loi contre la maltraitance (plusieurs fois complétée), la Couverture maladie universelle en 1999...
Assistance et non assistanat
Il n’est pas dans notre propos de décrire plus avant les arcanes parfois complexes, du cadre de l’aide sociale de notre pays qui s’est constitué au cours des décennies par couches successives. Il est essentiel néanmoins de préciser que l’action sociale ne se limite pas à une distribution de subsides, même si celles-ci permettent de compenser l’extrême misère qui sinon, frapperait une partie non négligeable de la population. Elle se réfère bien plus à la parabole du pêcheur : « mieux vaut apprendre à quelqu’un à pêcher que de lui donner du poisson ». Ce qui importe le plus, c’est de permettre aux personnes en difficulté de trouver les moyens de s’en sortir définitivement. Le paradoxe du travail social est bien là : tout faire pour se rendre inutile. S’il essaie de répondre aux besoins immédiats qui se font sentir, il agit tout autant afin de rendre la personne autonome et capable de se gérer par elle-même. L’assistance n’est pas là pour maintenir dans l’état d’assisté, mais pour arriver le plus vite possible à s’en passer. Toute la difficulté consiste alors à identifier les potentiels et de les valoriser, à mesurer les possibilités d’autonomisation et les mettre en œuvre. Mais ce qu’il faut favoriser, ce n’est pas seulement la dynamique individuelle. Tout aussi importantes sont les ressources des réseaux qui entourent la personne ainsi que les possibilités offertes par la société pour permettre une insertion digne et durable. C’est cette complexe alchimie entre un béquillage qui se veut momentané et le réapprentissage de la marche qui fait la particularité d’une pratique professionnelle parfois bien difficile à décrire. C’est pour contrer ce délicat descriptif que le petit reporter du Journal de l’animation s’est glissé dans la poche de deux travailleurs sociaux pour suivre l’une de leur journée de travail.
Une journée particulière d’un éducateur spécialisé
Bertrand sursauta quand le réveil retentit à 6h30. Il se leva en maugréant. Il avait une sainte horreur de se lever aux aurores. Heureusement, cela arrivait rarement. Il savait que c’était l’inconvénient du travail en milieu ouvert : l’élasticité des horaires. Quand il était éducateur d’internat, c’était réglé comme du papier à musique. Ce matin, il devait accompagner Christian pour une rencontre avec un artisan susceptible de le prendre en stage. Au téléphone, il se plaisait à proposer un rendez-vous, même de bonne heure. C’était un argument choc, pensait-il, pour montrer la détermination et la motivation du jeune, prêt à se déplacer à n’importe quelle heure. Cette fois-ci, l’artisan l’avait pris au mot. Quand Bertrand sonna à la porte de la famille de Christian, il était 7h30, tout le monde dormait. Très démunie et sans moyen de locomotion, Madame s’était mise à beaucoup angoisser, rien qu’à l’idée de devoir accompagner son fils. Bertrand n’avait pas trop insisté. Il la solliciterait pour d’autres démarches. L’adolescent vint lui ouvrir et le suivit, à moitié endormi. Dans la voiture qui le conduisait sur le chantier où travaillait l’artisan, il lui fit la leçon : « c’est à toi de te vendre, en montrant que tu es intéressé par ce stage. Ce n’est pas moi qui veux le faire ce métier ». « C’est bon, j’ai compris, lâche-moi » fut la seule réponse du jeune qui avait protesté d’être obligé de se lever aussi tôt. L’entretien se passa finalement bien, Christian prenant sur lui. Les conventions de stage purent être signées. Juste le temps de déposer le jeune à son collège et de retraverser la ville pour une réunion de synthèse dans un foyer, prévue à 9h00. Sabrina y avait été accueillie trois mois plus tôt, après avoir révélé être l’objet d’attouchements sexuels de la part de son beau-père. Il s’agissait de faire le point de son évolution : sa scolarité, ses relations avec sa famille. La plainte avait été classée sans suite, mais le juge des enfants avait maintenu la mesure de protection. De toute façon Sabrina refusait de retourner dans sa famille. Tout le monde fut d’accord pour respecter le désir exprimé par la jeune fille et attendre avant d’envisager une reprise de contact. 10h30 : la synthèse devait se terminer pour laisser place à l’étude d’une autre situation.
Etre partout à la fois
Bertrand quitta l’établissement et se rendit au foyer jeune travailleur où logeait Samir. Il lui avait promis de l’accompagner à la caisse d’allocation familiale pour éclaircir le dossier d’allocation logement à propos duquel la caisse réclamait des justificatifs que le jeune affirmait avoir déjà envoyés. A 11h30, Bertrand rentra au bureau : consultation de ses messages téléphoniques, du courrier arrivé, signature des lettres dactylographiées par la secrétaire. Puis, ce fut l’heure d’un frugal repas avec ses collègues, histoire de décompresser avant de repartir pour un après-midi tout aussi chargé que la matinée. A 14h30, il se rendit dans la famille d’accueil de Samira. La petite fille de 5 ans se rendait tous les quinze jours en visite protégée chez ses parents. Retirée de sa famille pour mauvais traitement, le juge des enfants avait décidé d’un maintien des liens, mais accompagné par un professionnel chargé d’aider à retisser des relations plus saines. A 16h00, Bertrand avait déjà raccompagné Samira et se dirigeait vers le collège Jacques Brel : rendez-vous avec le professeur principal de Lucille. L’adolescente, très perturbatrice avait été menacée d’un conseil de discipline. C’est le principal qui reçut Bertrand, pour expliquer qu’il allait falloir penser à une réorientation, Lucille étant mise à pied pour une semaine. Il était 17h30, quand Bertrand franchit la porte du petit pavillon où l’attendait Dimitri. L’enfant âgé de 10 ans communiquait avec difficulté, poussant de véritables colères quand sa mère s’opposait à lui, menaçant de tout casser dans la maison. Bertrand avait du à plusieurs reprises le contenir physiquement. Il n’y avait qu’au travers des devoirs scolaires qu’ils arrivaient à parler. Alors, il passait une fois par semaine pour l’aider. Cela lui permettait en même temps d’échanger avec l’enfant.
Quand c’est fini, il y en a encore...
Il était presque 19h00, quand il sortit de son dernier rendez-vous. Par acquis de conscience, il consulta la boite vocale de son portable. Geste fatal : il entendit la voix bienveillante de la secrétaire du service lui annonçant que Madame V. avait téléphoné en larmes, demandant une intervention en urgence. En soupirant, Bertrand composa le numéro de la famille. Malgré toutes ses tentatives pour reporter son passage au lendemain, les propos de Madame V. le convainquirent de se rendre tout de suite à son domicile. Il trouva une situation de tension très forte. Bertrand prit le temps d’écouter Madame V. qui menaçait de mettre son fils à la porte. Puis, il se rendit auprès de l’adolescent réfugié dans sa chambre. Là aussi, il prit le temps de dialoguer. Commença alors une navette entre la chambre du jeune et la salle à manger où se trouvait sa mère. Un compromis put être passé : statut quo entre les protagonistes jusqu’à son passage le lendemain. Il était plus de 20h30, quand Bertrand regagna son domicile, bien décidé à ne plus consulter la boite vocale de son portable avant le lendemain matin. De toute façon, c’était sa demi-journée de permanence qu’il allait consacrer aux contacts téléphoniques et aux rapports à rédiger. Il pourrait cette fois-ci n’arriver qu’à 9h30 au bureau : une vraie grasse matinée ! L’après-midi, réunion d’équipe. Il ne commencerait ses rendez-vous à domicile qu’à partir de 17h00.
Une matinée bien remplie
Isabelle roulait vers la commune de Saint Yves à quinze kilomètres de son domicile. Cela faisait trois ans qu’elle occupait ce poste d’assistante sociale polyvalente de secteur et elle avait appris à appréhender le jeudi matin : c’était le jour de sa permanence dans cette petite ville de 15.000 habitants. Elle savait que cela risquait comme chaque fois d’être épuisant : dix ou quinze personnes dans la matinée. Il y a des fois où elle avait l’impression de travailler à la chaîne sans consacrer toujours le temps qu’il fallait à chacun. Elle essayait alors surtout de parer au plus pressé, quitte à proposer un rendez-vous dans les jours suivants, ce qui lui permettait d’être moins dans la pression des personnes qui attendent. Parfois, les personnes étaient contrariées, cherchant surtout à obtenir une réponse immédiate et une solution dans la minute qui suivait. Quant elle pénétra dans son bureau elle aperçut une salle d’attente à moitié pleine. Juste le temps de poser son manteau et de sortir son bloc de papier, et elle fit entrer la première personne. C’était une jeune femme d’une trentaine d’années. Quand elle enleva ses lunettes de soleil, Isabelle put constater des traces de coups : « regardez ce qu’il m’a fait hier soir » affirma la jeune femme avant de fondre en larmes. Isabelle passa de longues minutes à écouter les plaintes de l’épouse battue qui semblait résolue à demander le divorce et venait chercher conseil. Chaleureuse et bienveillante, mais sans jamais se départir de sa neutralité, Isabelle apporta tous les éléments qui pouvaient être utiles : c’était à la jeune femme de décider de ce qu’elle allait faire. Elle lui proposa nouvelle rencontre afin de faire le point sur ses démarches.
Faire feu de tout bois
La seconde personne à entrer dans son bureau était une charmante vieille dame qu’elle connaissait bien. Dès qu’elle avait un papier à remplir, elle se déplaçait à la permanence. Isabelle l’aida à rédiger son formulaire. La vieille dame se mit alors à commenter l’incident qui avait éclaté la veille dans la cage d’escalier où elle habitait. Isabelle comprit très vite que cela concernait la jeune femme qu’elle venait de recevoir. Elle se contenta d’écouter, mais ne répondit pas aux questions qui lui étaient posées. « C’est vrai, j’oubliais : vous êtes tenue au secret professionnel » affirma malicieusement la vieille dame avant de partir. Troisième rencontre de la matinée : une demande financière pour une famille qui avait accumulé des retards de loyer. Des sollicitations pour combler des dettes, il y en aura une demi-douzaine dans la matinée : surendettement, précarités liées à une perte d’emploi ou la modification des allocations familiales (quand les enfants quittent le foyer), difficulté de gestion du budget, imprévoyance, équilibre financier fragile que vient bousculer les frais occasionnés par une voiture qui tombe en panne ou une machine à laver qui lâche. Parallèlement aux aides possibles, Isabelle prenait toujours du temps pour réfléchir avec la personne sur la façon de s’y prendre pour éviter de nouvelles dettes. Pas toujours facile quand les ressources sont si justes parfois. Se succédèrent ensuite un couple qui voulait des renseignements sur l’aide à domicile dont pouvait bénéficier la mère de Monsieur âgée de 75 ans « qui aurait bien eu besoin de quelqu’un pou lui faire ses courses et son ménage », un jeune homme voulant savoir quels étaient ses droits (il voulait revoir sa fille, mais sa compagne dont il était séparé ne voulait pas qu’il la voit), un chômeur en fin de droit venu signer son contrat d’insertion dans le cadre du RMI, une mère de famille demandant un appui pour obtenir un appartement plus grand (elle venait d’avoir deux jumeaux).
La journée n’est pas terminée
La permanence se terminera par une situation inquiétante : une dame qui avait du mal à formuler ses questions. Elle semblait tourner autour du pot, hésiter, se lancer et s’arrêter avant d’avoir fini. Isabelle crut déceler une situation d’abus sexuel. Elle ne voulut pas brusquer son interlocutrice et lui proposa un autre rendez-vous le lendemain matin. Il fallait respecter son rythme au risque de la faire fuir. La salle d’attente une fois vide, c’est la tête d’Isabelle qui manquait d’exploser. Il était 13h15 : elle pris encore le temps de ranger ses notes et de remplir rapidement les statistiques que son service lui demandait de tenir à jour. Puis, elle rentra au centre médico-social où se trouvait son bureau, y déjeuna tardivement et s’octroya un break jusqu’à 15h00. Elle consacra une heure pour commencer à rédiger son courrier et ses rapports d’aide financière. Elle contacta son encadrante technique pour évoquer avec elle son inquiétude sur sa dernière interlocutrice de la matinée et se faire repréciser les démarches à suivre ... au cas où. A 16h00, elle savait qu’elle allait devoir quitter son bureau pour deux rendez-vous à l’extérieur. Première rencontre à domicile : un couple ayant déposé une demande pour obtenir un agrément d’adoption. Elle les avait reçus une première fois à son bureau. Aujourd’hui, elle les rencontrait à leur domicile. Elle avait prévu de terminer sa journée par la rencontre du conjoint de madame F. Elle voulait échanger avec lui sur les difficultés rencontrées avec leur fille. Monsieur n’arrivant du travail qu’après17h30, elle lui avait fixé rendez-vous tardivement. C’était plutôt rare ces rencontres aussi tardives, mais c’était parfois nécessaire.
On estime à 600.000, le nombre des professionnels concourrant à l’action sociale dans notre pays. Leur démarche s’inscrit bien plus dans le préventif que dans le curatif : travail à bas bruit qui se voit d’autant moins qu’il s’évalue en terme de misère évitée, de souffrance économisée et d’exclusion enrayée. Et pourtant, ce qui se constate au quotidien, ce n’est pas la partie cachée de l’iceberg résultat de ce travail quotidien, mais la partie émergée qui montre le dénuement, la marginalisation et la détresse, preuve que l’action sociale est bien loin encore d’avoir atteint les objectifs qu’elle se fixe.
La prégnance du travail d’équipe
Les travailleurs sociaux raffolent des réunions, dit-on souvent. C’est effectivement une de leurs constantes que de se retrouver fréquemment entre pairs, mais aussi avec d’autres professionnels. La relation d’aide nécessite de répondre à toutes les dimensions des problèmes posés (individuel, familial, scolaire, professionnel, culturel, psychologique...). Aucun intervenant ne peut prétendre avoir à lui, tout seul, une réponse globale. D’où l’importance de mettre en commun les réflexions et de coordonner l’action des multiples techniciens qui travaillent sur la même situation.
Un travailleur social omniscient ?
Lui faut-il tout savoir et tout connaître pour répondre à la multitude et à la diversité des problèmes posés ? C’est la question qui vient à l’esprit quand on prend connaissance de son quotidien. Rassurons le lecteur, ni Bertrand ni Isabelle ne sont superman. Un bon professionnel n’est pas celui qui possède une représentation encyclopédique du dispositif réglementaire et institutionnel, mais celui qui sait où chercher et à qui demander, qui possède un réseau et des relais sur qui s’appuyer, qui sait renvoyer la personne vers les ressources adéquates et les bons interlocuteurs.
Tant d’efforts pour quels résultats ?Les travailleurs sociaux ne sont-ils pas parfois découragés de constater que l’action qu’ils ont entreprise n’a pas abouti ? « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » affirmait le Duc Guillaume d'Orange. Cette maxime pourrait être celle des professionnels de l’aide qui ignorent toujours à l’avance les résultats de ce qu’ils engagent avec un usager. La capacité que possède un être humain pour réagir et s’en sortir est souvent surprenante et ce jusqu’au dernier moment. Et la meilleure façon de la trouver, c’est d’aller la chercher !
Les limites du secret professionnel des A.S.
« Il ne faudrait pas que la revendication du secret professionnel soit le prétexte à un repli sur soi corporatiste laissant entendre qu’il y aurait des professions du social plus nobles que d’autres. D’autant que face aux jeunes en difficulté, il est impossible de travailler seul. La nécessaire collaboration entre partenaires ne doit pas être imposée par injonction, comme le voulait Sarkozy, mais doit être compris comme l’ouverture d’un espace de dialogue et d’échange, permettant à chacun d’identifier sa marge de manœuvre. »Bernard Lustière, animateur DEFA, chargé de mission prévention de la délinquance
Fiche n°1 : Fiche signalétique de l’assistant de service social
Fonction de la profession : l’assistante de service social accueille les personnes rencontrant des difficultés les plus diverses : logement, travail, maladie, endettement, insertion, orientation scolaire des enfants, établissements pour personnes handicapées, pour personnes âgées etc ... Elle leur propose une écoute attentive qui permet d’identifier la nature des problèmes rencontrés et de repérer les solutions possibles. Si l’assistante sociale est fréquemment amenée à effectuer des démarches, elle n’est pas là pour faire à la place de l’usager : ce dont il s’agit, c’est bien de rendre ce dernier acteur, de l’accompagner dans un cheminement qui lui permet de déterminer son propre projet de vie. Pour cela, elle donne toutes les informations sur les aides existantes (dispositifs de soutien et d’accompagnement, prestations et aides financières...) et construit avec l’usager un plan d’intervention et d’action.
Composition de la profession : 38.000 professionnels dont 95% de femmes.
Secteurs d’intervention : polyvalence de secteur (la professionnelle est affectée à un territoire précis et reçoit toute personne qui y réside : chaque département est divisé en circonscriptions d’action sociale auxquelles sont rattachées des équipes d’assistantes de service social), polyvalence de catégorie (la professionnelle est affectée à un secteur d’activité particulier et reçoit toute personne présente dans ce secteur : hôpital, Education nationale, Maison d’arrêt, entreprises...), spécialisées (la professionnelle se consacre à une problématique particulière : santé mentale, protection de l’enfance, santé scolaire, toxicomanie, alcoolisme etc...).
Partenaires : les institutions d’action sociale (CPAM, CAF, ANPE, ASSEDIC ...), les autres services medico-sociaux (CCAS des mairies, Protection maternelle et infantile, hôpital ...), les administrations (Justice, préfecture, Education nationale ...), les associations caritatives (Secours catholique, Secours populaire, Restaurant du coeur ...), le secteur des loisirs (maison de quartier, service enfance jeunesse, ...)...
Qualités requises : bon équilibre psychologique personnel, sens de la communication, disponibilité et intérêt certain pour les problèmes humains.
Etudes : 3 ans dont 14 mois de stages au sein d’écoles de service social ou DUT Carrières sociales option assistant de service social et une troisième année qui mène au Diplôme d'Etat d'assistant de service social.L’exercice du métier est conditionné par la détention du diplôme.
Salaires : entre 1 260 € et 2 210 € dans la fonction publique et 1 475 à 2 600 € dans le privé.
Comment tout a commencé : le souci de lutter contre la tuberculose incite à créer dès 1901 une nouvelle fonction, l’« infirmière visiteuse » chargée de se rendre au sein des familles ouvrières pour y favoriser des pratiques de prévention et d’hygiène. L’école ainsi que l’hôpital se dotent aussi d’intervenantes destinées à lutter contre la propagation des maladies. La mobilisation de la guerre 1914-1918 provoque une arrivée massive des femmes dans les lieux de production. Le corps des surintendantes d’usine se voit confier la mission de veiller au bien-être physique et moral de ces femmes et à la protection de la maternité et de la petite enfance. Toutes ces activités trouvent une reconnaissance officielle dans la création en 1932 d’un Diplôme d’Etat d’Assistante Sociale. La profession connaîtra une croissance continue dans les années tant de guerre que d’après guerre.
Fiche n°2 : Fiche signalétique de l’éducateur spécialisé
Fonction de la profession : l’éducateur spécialisé intervient auprès d’enfants, de jeunes et d’adultes présentant soit un handicap (mental, physique ou sensoriel) soit une inadaptation sociale (trouble du caractère et du comportement, délinquance, errance, toxicomanie...). Il agit auprès d’eux pour leur permettre de dépasser les difficultés particulières auxquelles ils sont confrontés et d’accéder à une forme d’autonomie et d’insertion sociale qui correspond à leurs capacités et qui leur garantira une place dans la société. Le travail engagé refuse d’enfermer la personne dans ses difficultés, mais tente de l’aider à les dépasser et/ou à vivre avec.
Composition de la profession : 47.000 professionnels à 65% des femmes.
Secteurs d’intervention : l’éducateur spécialisé intervient traditionnellement dans les internats ou les centres de jours qui accueillent des enfants, des jeunes ou des adultes avec ou sans hébergement. Il est alors présent durant les périodes de classe ou d’atelier et dans les moments de loisirs, de repas et de repos. Mais il peut aussi travailler dans ce que l’on appelle le « milieu ouvert » : il agit aux côtés des familles, les soutenant dans leurs fonctions éducatives. Autre secteur, celui de la prévention : ce sont les professionnels qui interviennent dans la rue, allant à la rencontre des jeunes qui souvent ne franchissent pas d’eux-mêmes les portes des institutions susceptibles de leur apporter une aide.
Partenaires : toutes les institutions susceptibles de participer à l’action éducative et sociale et à l’accompagnement du public concerné : la famille, l’Education nationale, les organismes intervenant dans le champ du handicap (CDES, COTOREP, hôpitaux, établissements de formation et de travail protégé, structures d’hébergement ...) et de l’inadaptation sociale (justice, services sociaux, protection de l’enfance, maison d’enfants à caractère social, entreprises d’insertion, CHRS ...)...
Qualités requises : Ecoute, patience, équilibre, persévérance, disponibilité, résistance physique et psychique
Etudes : 3 ans dont 15 mois de stages au sein d’écoles d’éducateurs menant au Diplôme d'Etat d’éducateur spécialisé.
Trois autres possibilités existent pour préparer le DEES :- DUT carrières sociales, option éducation spécialisée, suivi d'une année de formation complémentaire
- formation dite en cours d’emploi étalée sur 4 ans
- contrat d’apprentissage sur 3 ans.
Salaires : entre 1 333 € et de 2 315 € dans la fonction publique et 1 505 € à 2 614 € dans le privé (selon les conventions collectives).
Comment tout a commencé : pendant longtemps les enfants porteurs de handicaps ou présentant des comportements asociaux ou délinquants ont été relégués soit dans les asiles, soit dans des bagnes d’enfants. Les précurseurs que sont Valentin Haüy (inventeur en 1780 d’un système de lecture proche du Braille pour les non-voyants), l’Abbé de l’Epée (inventeur en 1784 de la langue des signes pour les sourds muets), Jean-Marc Itard (inventeur de l’éducation des inéducables avec l’action qu’il mène auprès de l’enfant sauvage qu’il recueille : Victor de l’Aveyron) donnent les pistes fécondes qui seront vraiment exploitées 150 ans après leurs géniales intuitions. Les sanglantes révoltes des bagnes d’enfants d’avant guerre ainsi que les campagnes de presse d’Alexis Danan appelant à leur fermeture auront raison de l’approche purement répressive de l’enfance en difficulté. La prise en charge de l’enfance handicapée et inadaptée (puis des adultes) par des éducateurs connaîtra un accroissement fantastique dans les années 1950/1970. Le diplôme qui relevait jusqu’alors de chaque école devient Diplôme d’Etat en 1967.
Fiche n°4 : Une technique professionnelle basée sur le savoir et l’approximation
L’éducateur spécialisé est le plus souvent perçu comme ce doux rêveur, vaguement écologiste dont l’activité se définit d’autant plus mal que tout un chacun, en devenant parent, pourrait développer les compétences qu’on lui demande de posséder. C’est vrai, qu’au départ, la vocation, l’esprit missionnaire et le don de soi constituaient l’essentiel des bagages demandés pour exercer le métier. Puis, a surgi l'idéal technicien qui fit illusion un temps, jusqu’au moment où on se rendit compte que la science n’était pas en mesure d’expliquer les pratiques éducatives avec autant de succès que les phénomènes naturels. La dernière étape dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est ce modèle réflexif qu’on peut relier au concept d’ « accoucheur » de Socrate ou d’ « enseignant centré sur l’élève » de Carl Rogers : l’action de l’éducateur ne pourra tirer tous ses effets que si elle trouve un écho et une collaboration chez l’usager. De consommateur d’un produit proposé par un spécialiste, celui-ci devient expert de sa propre situation, l’éducateur étant dans l’accompagnement plus que dans la surveillance. On est loin ici de la logique du donneur de leçons imbu de son savoir : la relation est empreinte d’humilité. Elle se fonde aussi dans le postulat d’éducabilité, dans cette croyance qu’il est concevable d’apporter à chacun quel que soit le déficit dont il souffre, ce supplément d’humanité qui le fera grandir. L’éducateur se sent comptable de l’émergence d’autrui mais a conscience de sa condition humaine et donc de sa finitude. Il peut ainsi échapper à toute tentation de se sentir responsable ni de l’échec ni de la réussite de ceux qu’il aide. L’éducateur spécialisé est un travailleur de l’immatériel et du symbolique : il n’a rien de tangible à montrer comme fruit de son labeur. Les situations auxquelles il est confronté sont marquées par l’unicité (ce qui a marché une fois n’est pas reproductible), le multidimensionnel (il doit tenir compte d’une multiplicité de dimensions : sociales, psychologiques, pédagogique, philosophiques, institutionnelles...), la simultanéité (il faut gérer les besoins de chacun sans négliger pour autant le contexte dans lequel il évolue), l’urgence (le plus souvent il y a une haute contrainte temporelle), l’incertitude (l’anticipation de ce qui va se passer est toujours aléatoire). En un mot comme en cent, il est impossible de modéliser le comportement à adopter en partant de la seule rationalité, d’une logique qui s’appuierait sur les seules hypothèses pour en déduire des solutions ou encore d’une approche disjonctive (c’est ceci ou cela). Les mots, les symboles et même les métaphores ne parviennent que très exceptionnellement à traduire toute la richesse de ce que la personne a vécu, ressenti ou réalisé. L’éducateur doit faire appel à de nombreuses ressources incertaines. Il doit par exemple se centrer sur la vraisemblance et procéder à des déductions, mais sur une base relativement souple puisque ses conclusions plausibles sont susceptibles d’être remises en cause ultérieurement. Il doit s’appuyer largement sur son intuition, cette inspiration issue de son expérience qui l’amène à savoir sans savoir qu’il sait. Mais il a aussi recours à ce bricolage qui favorise l’inventivité face à une réalité où la contingence domine : sa sagacité et son sens de l’opportunité voisinent avec son flair et sa débrouillardise. Sans oublier l’improvisation qui sans épuiser le quotidien, constitue néanmoins la voie royale de la créativité. Le métier d’éducateur connaît une complexité au moins égale à celle des situations rencontrées. Seule la combinaison de l’expérience et de l’information, la complémentarité des deux instances psychiques que sont la raison et l’intuition s’avèrent efficaces. On mesure la difficulté de la construction d’un tel savoir s’y prendre ». Il ne s’acquière qu’en partant du terrain pour y revenir après un détour réflexif alimenté par les apports théoriques des sciences humaines, mais aussi en partant de la théorie pour y revenir après un détour par la médiation pratique.
D’après « L’éducateur spécialisé en question(s). La professionnalisation de l’activité socio-éducative » Jean Brichaux , érès, 2001
Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°52 ■ oct 2004
Bibliographie
► « Guide de l’assistante sociale » Chantal Le Bouffant, Faïza Guélamine, Dunod, 2002
► « Guide de l’éducation spécialisée » Guy Dréano, Dunod, 2000
Tout ce que vous avez voulu savoir sur les métiers d’assistante sociale et d’éducateur spécialisé, sans n’avoir jamais osé le demander, vous allez enfin le connaître. Les auteurs sont prestigieux : assistantes sociales, titulaires d’un doctorat et formatrices de l’Institut du travail social de Montrouge pour le premier ouvrage, éducateur spécialisé et Directeur du Centre de formation aux professions de l’éducation et de l’accompagnement spécialisé à BUC dans les Yvelines, pour le second. Des personnalités qui savent de quoi elles parlent et qui en parlent fort bien, proposant dans la série des guides des éditions Dunod (il existe aussi dans la même collection un « guide de l’animateur socioculturel »), des ouvrages très didactiques divisés en chapitres clairs et méthodiques. C’est le type de livre que l’on peut bien sûr lire en commençant par la première page. Mais on peut aussi les consulter, en fonction des besoins, grâce à une table des matières très précise et à un index de mots clés très détaillé. Historique des professions, cadre réglementaire et institutionnel de leur exercice, pratiques, statuts, formation sont largement présentés, faisant ainsi bénéficier au lecteur d’un large tour d’horizon.
► « De l’éducation spécialisée » Maurice Capul, Michel Lemay, érès, 1996
Voilà un monumental travail de synthèse des connaissances accumulées sur l’éducation spécialisée depuis des dizaines d’années. Le recensement proposé ici s’ouvre largement aux différentes sources d’inspiration, écoles et théories qui font la richesse du secteur socio-éducatif. Cadre, technique éducative, travail d’équipe, partenariat, formation, évaluation et recherche font l’objet d’une argumentation riche et passionnante qui n’est jamais réductrice ni reliée à une idéologie particulière. D’où une lecture déroutante parfois, car ne donnant jamais ni dans le mode d’emploi, ni dans la meilleure façon de penser. Au lecteur de faire ses propres choix.
► « Le travail social au cœur des paradoxes » Marie-Line Vergne, 2002, L’Harmattan
Pour qui veut savoir en quoi consiste le métier d’assistante sociale, la lecture de ce livre est tout indiquée. L’auteur qui travaille en polyvalence de secteur nous fait un récit à la fois passionnant et passionné de ce à quoi elle est confrontée. Elle explique fort bien son refus d’apporter des réponses uniformisées conformes à un moule et sa volonté de permettre à des individus de vivre le mieux possible avec leurs points communs et leurs différences. Pour des comportements à éviter : se fondre dans les normes de l’usager ou étalonner l’idéal à partir de ses propres valeurs, et d’autres à adopter : cheminer avec l’autre, à son rythme et non à parti de son désir à soi, être inventive, aller de l’avant et bousculer les habitudes, savoir établir un silence sur soi-même, savoir se dégager de soi pour entrer dans celui de l’autre, sans pour autant l’adopter.
► « Mourir, vivre ... ou survivre » Frédéric Spira, L’Harmattan, 2004
Ce récit, particulièrement bien écrit mène le lecteur des premières actions bénévoles d’un jeune étudiant jusqu’à son travail comme éducateur spécialisé, en passant par sa formation en école professionnelle. Pour qui veut connaître un itinéraire singulier qui mène à cette fonction si particulière, cet ouvrage comblera l’attente. L’auteur nous propose un regard plein d’humour et de tendresse, mais sans concession sur son métier. A ne pas rater !