Le fondamentalisme

Fondamentalisme religieux et éducation populaire

Il est difficile de parler du fondamentalisme religieux sans aborder la croyance dans le divin. Le premier et le second sont à la fois profondément liés et  totalement différents. L’ambition de ce dossier est de comprendre ce paradoxe et de donner quelques éléments susceptibles d’identifier cette filiation, tout en évitant la confusion, de combattre l’intolérance, tout en reconnaissant la pleine légitimité de la foi. Sujet délicat à traiter, mais néanmoins essentiel dans une période troublée et embrouillée.

 

La tolérance est-elle soluble dans la foi ?

On ne connaît pas l’origine des religions primitives. Ce que l’on sait, c’est que toutes les sociétés se sont construites à partir de mythes fondateurs qui ont donné du sens à leur existence. Ce sont des récits qui répondent à un certain nombre d’interrogations : d’où venons-nous ? Comment s’est constitué l’univers ? Comment est apparu le premier homme ? Quel rôle joue-t-il dans l’ordonnancement général ? De tels questionnements ont largement contribué à l’élaboration de croyances en des forces supérieures censées être à l’origine de la création. Mais, il faut sans doute aussi évoquer des préoccupations liées aux efforts de survie auxquels notre espèce a toujours été contrainte. La quête de nourriture, qu’elle résulte d’une chasse opulente ou d’une moisson généreuse, dépendait en grande partie de facteurs qui échappaient à la volonté humaine. La présence de gibier ou la croissance des récoltes devaient pouvoir être sollicitées ou stimulées par les instances qui les commandaient. Il fallait donc trouver le moyen de les inciter à être bienveillantes et magnanimes. Le culte de la nature, qui constitue la première forme de religiosité, répondit à cette interpellation.

 

Au-delà du simple utilitaire

Mais, il serait bien réducteur de se contenter d’évoquer les seules raisons utilitaristes. Si l’invocation de divinités de la pluie ou de la chasse peut avoir pour but d’accroître le stock de vivres, il y a certains spectacles qu’offre notre planète qui confine au prodige inouï. Qui n’a jamais été ému jusqu’aux larmes en découvrant un paysage sauvage à la beauté grandiose, qui ne s’est jamais senti un jour écrasé et insignifiant face au gigantisme et à l’harmonie d’un monde qui dépasse parfois l’entendement, ne peut comprendre le doute quant à une origine qui serait le seul produit du hasard. Et puis, il y a l’angoisse existentielle fondamentale face à la mort qui a porté la quasi-totalité des civilisations à la conviction que la fin de vie ne pouvait être l’anéantissement de tout, les incitant à trouver un lieu de repos pour les âmes survivantes. La spiritualité répondrait donc à la quête de réponses tant face au sublime indéfinissable qu’aux terreurs d’un monde redoutable, à la recherche de sécurité et de plénitude tant face aux mystères insondables de notre univers qu’aux dangers d’une planète hostile. Mais, elle serait aussi une tentative de s’évader d’un quotidien morne et routinier, une recherche d’élévation vers un imaginaire fabuleux et une dimension magique propres à renouveler un ordinaire bien peu gratifiant. En elle-même, cette spiritualité ne constitue pas, à proprement parler, ni un danger, ni une menace.

 

Le pire comme le meilleur

Et pourtant, l’aspiration à la transcendance a aussi poussé à imaginer, pour plaire aux Dieux, des rites incroyablement cruels. Ce sont les mêmes Aztèques, à l’origine d’une brillante civilisation, incroyablement avancée en astronomie et en mathématique, qui pratiquaient le culte du soleil : convaincus que pour continuer à briller l’astre solaire devait être abreuvé de sang, ils immolaient des êtres humains, dans d’épouvantables cérémonies sanguinaires. Ils leur ouvraient la poitrine et s’emparaient du cœur encore palpitant comme offrande, le sang dégoulinant sur les degrés des pyramides. C’est la même religion juive qui fut à l’origine du premier code moral basé sur le respect de l’être humain, mais dont le Livre Saint fourmille de guerres de conquête ordonnées par un Dieu cruel et vengeur qui exige l’extermination des peuples vaincus, vieillards, nourrissons y compris, seules les jeunes filles vierges étant préservées pour servir au lit des vainqueurs. C’est la même religion chrétienne inspirée de principes de fraternité et de charité qui sema la mort et la torture dans les caves et les bûchers de l’inquisition, dans les massacres fomentés contre les hérétiques ou les juifs et dans les croisades fomentés contre les Sarrazins. C’est la même religion musulmane, à l’origine d’une culture parmi les plus raffinée qui aie jamais existé et qui longtemps resta ouverte et tolérante aux autres cultes, qui pourtant coupaient la main des voleurs, lapidait les femmes adultères et incitait au meurtre des infidèles. Qu’est-ce qui a poussé ces religions à produire le pire comme le meilleur ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre.

 

Le Livre des livres

Le plus gros succès de librairie de tous les temps aura été sans conteste la Bible. Traduite en 2093 langues, diffusée chaque année dans le monde à 20 millions d’exemplaires (200.000, rien qu’en France), cette somme littéraire et spirituelle unique a eu dans l’histoire de l’humanité une influence considérable. Considéré pendant longtemps comme d’inspiration divine, ce texte a néanmoins fait l’objet d’une critique historique, archéologique et d’une analyse de langage et de style littéraire qui ont permis d’en identifier les sources, la genèse et la fonction. La Bible se présente comme une fabuleuse collection de récits historiques, de souvenirs, de légendes, de contes populaires, d’anecdotes, de propagande royale, de prédictions et de poèmes antiques (1). Certains épisodes relatés correspondent à des faits dont on a pu vérifier l’historicité. D’autres sont bien plus aléatoires. Ainsi, les techniques modernes de l’archéologie permettant de repérer les plus infimes vestiges laissés derrière eux par des cueilleurs chasseurs ou des bergers nomades, on n’a retrouvé aucune trace des cités fabuleuses ou des civilisations avancées décrites dans cet ouvrage. Les premières manifestations des peuples Israëlites apparaissent vers 1.200 avant JC. Ce sont des nomades qui se convertissent progressivement à l’agriculture et à l’élevage. Ils sont surtout préoccupés par la survie dans une nature hostile, à une époque où la Bible leur prête déjà des intentions bien belliqueuses. Pendant longtemps, les royaumes prestigieux d’un mythique âge d’or dirigés par des monarques légendaires (David, Salomon etc ...), là aussi décrits avec moult détails par la Bible, se résumeront à une vingtaine de villages éparpillés et isolés regroupant quelques milliers d’habitants le plus souvent transhumants.

 

De la fiction à la réalité

Pourquoi un tel décalage entre la réalité et la fiction rapportée par l’ancien Testament ? Des premières tribus archaïques, sont sortis, au cours des siècles, deux royaumes. Le premier, celui d’Israël, installé dans les vallées fertiles du Nord devint riche et prospère. Proie tentante, il  est conquis et démantelé par l’empire assyrien en 727 av JC. Le second royaume, celui de Juda, installé dans les collines rocheuses du Sud sera longtemps ignoré en raison de sa pauvreté et de son inhospitalité. Il connaît son heure de gloire au VIIème siècle avant JC. Profitant de la disparition, quelques décennies auparavant, d’Israël son éternel concurrent, le royaume de Judas va tenter de réaliser l’unité territoriale, politique et religieuse du peuple juif. Le roi Josias, artisan de cette entreprise, met fin aux cultes polythéistes, combat l’idolâtrie et fait du temple, qui surplombait Jérusalem, l’unique lieu de culte légitime. L’ambition fatidique de défier l’empire assyrien se terminera par la disparition à son tour du royaume de Juda. Mais avant ce funeste destin, l’alphabétisation croissante au sein de la population, la constitution d’un clergé professionnel et la multiplication du nombre de scribes instruits avaient permis la production d’une littérature sacrée destinée à souder la communauté et à lui fixer ses propres limites, en opposition à celle des populations voisines. Le cœur de la Bible décrit cette émergence d’un peuple et de ses relations chaotiques avec son Dieu, toute déviation à l’égard du culte unique à son égard se traduisant par le malheur, le massacre et la déchéance.

 

Une avancée considérable

D’anciennes légendes traditionnelles, issues de sources très variées ont donc été rassemblées dans une chanson de geste unique et cohérente porteuse d’un message théologique (imposer un culte monothéiste), et d’une ambition politique (créer un royaume indépendant). Mais ce que conte la Bible ne se résume pas à une fantastique saga produite par l’imagination humaine, c’est aussi l’instauration d’un code moral strict qui va bientôt compter 248 commandements et 365 interdictions. Pour la première fois sans doute,  des règles de vie s’écartent de la traditionnelle loi du clan destinée avant tout à préserver les intérêts de la seule communauté. Apparaissent des prescriptions qui vont dans le sens de la compensation des injustices et des inégalités. Le bien être social, la dignité humaine et  les droits individuels sont au centre des premières législations sociales à avoir jamais existé. Ainsi, l’orphelin, la veuve, l’étranger, le démuni sont identifiés comme devant bénéficier de protection particulière. Mais, ces avancées eurent leur revers. Avec l’élaboration d’un ouvrage qui a constitué pendant deux millénaires un réservoir de principes de solidarité et d’identité pour une communauté pourchassée, allait naître la conviction du peuple élu et du seul vrai Dieu. Vouloir unifier religieusement et politiquement une nation avait impliqué l’instauration d’une orthodoxie et la chasse aux croyances divergentes. Mais ce qui aurait pu rester la particularité originale d’une communauté éparpillée à travers le monde en quête de ciment identitaire, a constitué le socle des deux autres grandes religions monothéistes.

 

Un révolutionnaire nommé Jésus

Rien ne vouait Jésus à être connu après sa mort. Cet homme n’a laissé aucune trace de son existence. Il est ce que les autres ont dit et surtout ont fait de lui. On a pu douter de son existence. Finalement, la meilleure preuve de sa réalité historique est sans doute l’aberration de son mythe fondateur : faire subir à un Dieu la pire avanie  de cette époque (en l’occurrence, la crucifixion) est difficilement imaginable en tant que scénario fictif. Autre « preuve », l’incohérence des textes écrits, à son propos, deux ou trois générations après sa disparition. Les évangiles ne s’accordent, en effet, ni sur la date et le lieu de sa naissance, ni sur la durée de son activité, ni sur l’identité de ses disciples, ni sur les miracles qui lui sont prêtés, ni sur le déroulement de son procès, ni sur la date de sa mort, ni sur ses apparitions post mortem. Convenons que si le christianisme était basé  sur une pure invention, il aurait été sans doute plus homogène et plus harmonieux. Jésus apparaît comme un prédicateur tout à fait révolutionnaire pour son temps. Il s’oppose aux coutumes barbares et archaïques : il n’est pas rien de vouloir remplacer la traditionnelle loi du Talion ( qui prétend que la sentence doit être équivalente à l’offense : « œil pour œil, dent pour dent ») ou la non moins coutumière lapidation des femmes adultères par la mansuétude (« que celui parmi vous qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre ») et la non violence (« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent »). Il prône des principes moraux qui n’ont perdu ni de leur actualité, ni de leur pertinence : ne pas juger son prochain, ne mépriser personne, pardonner soixante dix sept fois et finalement toujours pardonner, nourrir les affamés sans se croire meilleur pour cela, reconnaître en toute occasion que tout homme, même le pire, est un autre soi-même. Il faut imaginer ce que de tels préceptes représentent dans un monde dominé par la violence et la guerre.

 

L’église s’organise

Les sympathisants de Jésus vont survivre à sa disparition. Différentes communautés se créent qui intègrent chacune à sa façon le message christique. En attendent la fin des temps annoncée comme proche, elles fonctionnent sur un mode fraternel et égalitaire. Lorsqu’il s’avère que le délai d’attente avant le jugement dernier sera plus long que prévu, elles tentent de s’organiser pour durer. Une centaine d’évangiles circulent alors, relatant chacun à sa façon la vie du Christ. Un effort d’unification est entrepris qui aboutira à la canonisation des quatre textes fondateurs de toute la doctrine ultérieure. « Tour à tour récits biographiques, fables pieuses,  légendes historiées, scène dialoguées, sentences morales, conseils pratiques, traités philosophiques, les textes évangéliques sont d’abord des textes de propagande dont l’objectifs est de propager la foi, d’attirer, de convaincre de convertir » (2). Le projet des rédacteurs n’est pas de dire l’histoire mais de lui donner un sens. Ils n’hésiteront jamais au cours des  décennies qui marquent la mise au point final, à modifier ce qu'ils savent de Jésus pour  plier sa biographie à leur dessein du moment. Lorsque l’empire Romain fait du christianisme sa religion d’Etat, l’utilisant comme ciment pour renforcer son unité administrative et politique qui commence à se fissurer, l’Eglise devient une institution fortement hiérarchisée, fondamentalement conservatrice et coercitive qui tient le discours de l’ordre dominant. « Celui qui se rebelle contre l’autorité, se rebelle contre Dieu » « Chacun doit demeurer dans la condition où l’a trouvé l’appel de Dieu » affirme ainsi Saint Paul. Cette réalité va s’abreuver à certains passages du Nouveau Testament (voir encadré) qui cohabitent avec les messages d’espoir, de tolérance et de non-violence.

 

Monothéisme, le retour : III

Au sein de l’Eglise primitive, deux tendances s’opposent : celle qui préfère rester liée à la religion juive (judéos-chrétiens regroupés autour de Jacques, le frère de Jésus, lapidé en 62) et celle qui se tourne plutôt vers la conversion des autres peuples (paganos-chrétiens que fédère Saint Paul) (3). Quand la population juive est condamnée à l’exil, la fraction judéo-chrétienne émigre dans la péninsule arabique. Elle jouera un rôle non négligeable dans l’émergence de la troisième des religions monothéiste : l’Islam. Conçu comme un retour à la religion première, pervertie par les juifs et les chrétiens, le message de Mahomet conquière les âmes et les cœurs qui se convertissent en masse. Les armées musulmanes se taillent un empire qui va bientôt s’étendre de l’Espagne aux confins de l’Asie. Le nouveau culte constitue une « subtile synthèse entre le rationalisme biblique et la pensée magique animiste, entre l’histoire universelle et l’attachement aux ancêtres tribaux, entre l’affirmation de la liberté de l’individu et le respect du patriarcat clanique » (4). Il apporte de nombreuses améliorations aux peuples qui l’adoptent : l’identité n’est plus sociale mais culturelle (universalité de l’appartenance quelle que soit la région où l’on vit), le code d’honneur (impliquant une vendetta meurtrière) est remplacé par la piété, la souillure collective du fait de l’acte d’un seul membre de la communauté fait place à la responsabilité individuelle, le monothéisme désacralise les forces de la nature et incite à l’esprit scientifique.

 

Chassez la tradition, elle revient au galop

Mais les valeurs préislamiques vont perdurer au travers de tendances conservatrices : préservation de l’ordre patriarcal et phallocratique, réflexe endogame (mariage des femmes à l’intérieur de la communauté), dominance de la culture orale (le Coran reste surtout un texte à mémoriser et à réciter et non à consulter). A cela se rajoute la recherche de l’unité de la foi qui favorise l’uniformité et le conformisme et qui condamne tout ce qui vient troubler l’ordre de la famille (adultère, relations hors mariage, homosexualité, non-obéissance au père puis au mari, avortement...). L’Islam a toujours été tiraillé entre la tradition et la modernité de son époque. En période de crise il se replie sur les valeurs les plus conservatrices. Plusieurs de ses convictions renforcent d’autant plus la tendance. Il en va ainsi de la notion de temps. Alors que l’occident voue un véritable culte au progrès, l’Islam considère que toute innovation ou évolution tend à éloigner de la pureté, de l’authenticité et de la vérité des origines (que seule une révolution messianique peut retrouver). Mais, c’est aussi le cas de la distinction entre le pur et l’impur qui ne se réfèrent ni à l’hygiène (le propre et le sale), ni à la morale (le bien et le mal), mais respectivement à l’ordre des choses imposé par les forces divines qui s’oppose au chaos et au désordonné identifiés au démoniaque et au dangereux. Quant à l’éducation, elle mène l’enfant de la pleine innocence sans aucune contrainte à la soumission à l’autorité, quand l’occident favorise au contraire le cheminement qui va des contraintes à l’exercice de la liberté.

 

Une tare propre au monothéisme ?

Pour tout monothéisme, le problème majeur est de maintenir l’unité du vrai dans le temps et l’espace. C’est là une démarche logique. On ne peut à la fois affirmer l’existence d’un seul Dieu et tolérer très longtemps les cultes concurrents qui viennent remettre en cause la vérité révélée. Ainsi, le monde romain qui acceptait parfaitement les croyances des peuples conquis, se mit à persécuter les chrétiens, en autre raison, à cause de leur intransigeance à se considérer comme détenteur du seul Dieu vraiment authentique. Mais l’Eglise suscita moins de martyrs que de bourreaux. Devenue religion d’Etat de l’empire romain en 391, puis progressivement de l’ensemble de l’Occident, elle aura déployé contre toute dissidence, considérée comme une hérésie, une cruauté dont la barbarie n’aura eu d’égal que l’inhumanité. En même temps, c’est cette même religion qui déploie depuis quelques décennies d’authentiques efforts pour favoriser l’œcuménisme et le rapprochement avec les autres cultes. Faut-il donc se tourner vers l’orient, et notamment la pensée indienne qui théorisa dès le 6ème siècle avant JC, la notion de non-nuisance comme premier devoir de l’être humain ? Reprenant l’enseignement bouddhique, le Maître Dharmapala affirmait dans une démonstration admirable qui devrait figurer au fronton de toutes les écoles quelles qu’elles soient : « il est recommandé par le Bouddha de ne rien croire ou accepter pour vrai sur la foi de la tradition, de l’autorité, de la révélation ou d’un miracle. Si les résultats d’un acte doivent être destructeurs, causer de la souffrance, ne contribuer au bien d’autrui ou au notre propre, cet acte ne doit pas être accompli » (5). Cette spiritualité que l’on compte parmi les plus pacifistes n’en a pas moins inspiré, dans sa version zen, le militarisme japonais dans son ambition d’édifier dans le sang et l’extermination, dans les années 1930, un royaume du Bouddha rayonnant depuis le Japon sur le reste du monde.

 

Au terme de notre cheminement qui a soumis le lecteur à la douche écossaise, en évoquant ce que les spiritualités ont à la fois de pire et de meilleur, la question reste entière : la religion entraîne-t-elle inexorablement le fondamentalisme ? Oui, ricaneront les partisans de l’athéisme. Non, s’horrifieront celles et ceux qui pratiquent leur foi avec tolérance et ouverture d’esprit. Ce qu’il faut stigmatiser, c’est bien plutôt la rage d’avoir raison, la haine de la différence, la volonté de briser l’autre, celui qui ne veut pas se rallier. Et, convenons-en, de tels comportements sont loin d’être le monopole des intégrismes religieux !

 

(1) « La bible dévoilée » Israël Finkelstein, Neil Asher Silbarman, Bayard, 2002
(2) « Jésus contre Jésus » Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Seuil, 1999, (p.12)
(3) « Jésus après Jésus » Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Seuil, 2004
(4) « Comprendre la culture musulmane » Xavière Remacle, Chronique Sociale, 2002 (p.21)
(5) « Initiation à l’histoire des religions » Jeannine Orgogozo-Facq, Dervy, 1991, (p.66)

 

Lire interview Demiati Nasser - Fondamentalisme religieux

 

 Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°53 ■ nov 2004

 

 

 

Qu’est-ce qu’une religion ?

Un ensemble de croyances, de sentiments, de dogmes et de pratiques qui relient l'être humain au divin ? « La conviction de pouvoir entrer en relation avec un monde de volontés invisibles et de puissances, dans un rapport d’adoration et de dépendance » (1) ? « La reconnaissance par l’homme d’un pouvoir ou d’un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus »(2) ? Trois dimensions donc : l’existence du divin, le rôle que celui-ci joue dans la destinée humaine et la nécessité pour  de s’y subordonner pour en obtenir protection.
(1)     Jeannine Orgogozo-Facq
(2)     Petit Robert

 

Qui dit vrai ?

Une croyance ne se démontre jamais, elle se vit ou elle ne se vit pas. Car, toute foi est avant une expérience singulière, imprégnée de l’intimité de chaque croyant. Aussi, ne peut-on la réduire à un seul dénominateur commun, ni la résumer à une expression unique. Ce qui se passe dans le cœur et dans l’âme appartient à l’individu et possède une authenticité indicible et ineffable, même s’il y a référence à la même croyance. Il y aurait donc une impossibilité intrinsèque et immanente à établir une vérité et une objectivité sur ce qui constitue l’une des constructions les plus étonnantes et les plus controversées de l’histoire humaine.

 

Jésus le pacifiste ?

Une lecture attentive du Nouveau Testament peut parfois surprendre, si l’on s’en tient à la figure traditionnelle d’un Jésus plein de compassion et de tolérance : « Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais la division. » (Luc 10, 32-34) « Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez- les en ma présence » (Luc 19,27), « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc 14,26).

 

« L’obstacle au développement des droits de l’homme dans l’Islam, c’est la vénération du Coran (...) Les auteurs de la Déclaration Islamique Universelle excluent tout défi à la loi coranique en qui ils voient « la quintessence des directives divines dans leur forme ultime et parfaite »(...) Le progrès vers une démocratie libérale dépendra, dans le monde musulman, d’une remise en cause critique et radicale des fondements dogmatiques de l’Islam, (de la fin des références) à un âge d’or de victoires totales de l’Islam dans tous les domaines, la séparation de l’Etat et de la religion et l’adoption de la laïcité » Ibn Warraq (« Pourquoi je ne suis pas musulman » l’Age de l’Homme, 1999, p 241-242)

 

 

 

Fiche n°1 : Croyances et athéisme

 L’étude de l’incroyance pose un problème de fond : « sans cultes, sans rites, sans temples, sans textes liturgiques ou dogmatiques, quelles traces l’athée ordinaire laisserait-il de son absence de foi religieuse ? Bien souvent, son existence n’est attestée que par ses adversaires, les croyants, qui le maudissent » (1) Quelle que soit la croyance en vigueur, il y a toujours eu place pour le scepticisme ou le doute spéculatif. De tous temps, un courant de pensée sceptique a existé, que seule la répression implacable a dissuadé de toute expression publique. Héraclite, Leucippe et Démocrite ont été parmi les premiers, au 6ème et 5ème siècle avant J.C, à prôner une vision matérialiste et déclencher les foudres des autorités (en 432 avant J.C., le décret de Diopeithès définit l’impiété comme un crime contre l’Etat). L’ordonnance royale du 22 février 1347, quant à elle, prévoit des peines de carcan, de pilori, l'incision des lèvres et l’ablation de la langue pour les blasphémateurs. La détérioration de la croyance va s’amorcer au XVI ème siècle avec les guerres de religion qui ruinent la foi et provoquent la montée de la sorcellerie et de l’astrologie. Les traités de réfutation de l’incroyance se multiplient. Les condamnations au bûcher aussi. Les philosophes des lumières apportent leurs contributions à l’édification d’un athéisme théorique. L’athéisme a atteint son stade adulte : il possède une philosophie (le matérialisme), une science (le mécanisme), et une morale (la loi de la nature). Les incrédules passent à l’offensive : la libre-pensée se fédère en 1890 avec pour objectif, une déclaration de guerre à la religion. Nietzsche proclame la mort de Dieu, ce à quoi les plus acharnés rétorquent que Dieu n’a pas pu mourir, du fait même qu’il n’a jamais existé. La progression de l’incroyance sous toutes ses formes est régulière : à la fin, du second millénaire, le groupe des sceptiques (1.333 millions) devance celui des musulmans (1200 millions) et celui des chrétiens (1.132 millions). Quant aux jeunes, interrogés sur leur scepticisme à l’égard de l’existence de Dieu : 17% affirmaient ne pas y croire en 1967, 30% en 1977 et 51% en 1997. Certains pays comme l’URSS et la Chine ont retourné les persécutions dont s’étaient jusqu’alors rendu coupables les religions contre ces dernières, prouvant que l’intolérance n’est pas leur monopole exclusif. Mais, l’athéisme militant a fini par subir la même érosion que les cultes traditionnels. Il est vrai que n’ayant rien à revendiquer d’autre que l’éthique basée sur l’homme, les millions d’athées ne voient pas l’intérêt de se regrouper autour de leur seule non-croyance. En réalité, la question de l’existence de Dieu, sans être résolue, est devenue secondaire. L’opposition entre croyants et incroyants semble en voie de dépassement. Le millénaire se termine sur un vide de la pensée comme si tous les systèmes possibles avaient été expérimentés et s’étaient usés. Il ne reste plus qu’un sacré irréductible : l’individu. L’épanouissement de la personne et la recherche du bonheur ici et maintenant priment toutes les recherches de paradis illusoires (qu’ils soient dans un autre monde ou dans une société idéale).

(1) Georges Minois dans son « Histoire de l’athéisme » (Fayard, 1998)

 

 

Fiche n°2 : Intégrisme et port du voile

Le débat sur le voile islamique traverse toutes les sensibilités. Chaque argument contradictoire ayant sa propre cohérence. Certains se sont élevés contre une limitation de la liberté de croyance et d’expression de ses opinions. Il leur fut répondu que l’école, dont on souhaitait préserver la neutralité, n’était pas le lieu où devaient s’afficher les convictions de chacun(e). D’autres ont déploré que les jeunes filles exclues de l’école, pour avoir refusé de retirer ce voile n’aient pour seule alternative pour étudier, que de se retourner vers des écoles coraniques pas vraiment connues pour leur ouverture d’esprit. Mais, pour quelques dizaines d’adolescentes menacées, combien de centaines et peut-être de milliers d’autres, soulagées qu’une loi vienne éloigner l’obligation qui risquait de leur être faite, à elles aussi, si le port de ce voile venait à se banaliser ? Certains s’inquiètent : après le voile à quand le renoncement aux cours sur l’histoire des religions, sur la sexualité ou à la mixité des piscines ? Reste que des jeunes filles mineures se trouvent, entre le marteau et l’enclume, obligées d’avoir à choisir entre la loyauté à leur famille et le respect de la loi. D’autres encore, regrettent que cette question vienne relancer la stigmatisation d’une population victime depuis des décennies du racisme et de la xénophobie. Mais, le combat contre l’intolérance face à une religion différente doit-elle servir de prétexte à accepter les expressions d’intolérance de cette même religion (l’obligation faite aux femmes de se couvrir pouvant fort bien être interprété comme tel) ? Il y a enfin ceux qui ont vu là, une habile manière de déplacer le centre de gravité du débat public vers un sujet futile qui avait l’immense avantage de détourner l’intérêt de l’opinion vers des thèmes bien moins vitaux. Mais, c’est faire bien peu de cas d’un signe religieux qui n’a rien d’anodin, car symbole de la soumission d’un sexe à un autre. Serions-nous, finalement, pris en le Charybde de la stigmatisation de la différence et le Scylla de l’oppression des femmes ? Faut-il choisir entre d’un côté la dignité de l’individu au détriment de la libre expression des croyances et de l’autre, la possibilité d’afficher ce que l’on pense en laissant se développer le symbole de la plus vieille oppression à avoir jamais existé ? Sujet bien complexe qui semble avoir trouvé une réponse lors de la rentrée scolaire 2004, puisque sur les 270 jeunes filles s’étant présentées voilées, 170 ont accepté de le retirer, un dialogue s’étant établi avec les 70 adolescents qui ont persisté. Reste la question de l’attitude du secteur du temps libre face à cette même question : les centres de vacances et de loisirs et les clubs de jeunes doivent-ils accepter le voile ou poser son retrait en préalable à l’admission des mineures ?

 

 

Fiche n°3 : Jusqu’où aller ?

J’ai été confronté lors d’une colonie à la neige que j’ai dirigée à une situation d’un enfant souhaitant pratiquer son culte pendant le séjour. J’ai été informé qu’il cherchait la direction de La Mecque pour faire sa prière. Il l’a situait au Nord-Est. Nous étions dans les Alpes. A l’évidence il devait s’orienter vers le Sud-Est. Nous avons cherché une boussole pour lui confirmer la bonne orientation. Je l’ai reçu pour lui expliquer qu’il me semblait important de lui permettre d’accomplir ses prières dans des conditions dignes et respectueuses de sa croyance. Mais je lui ai précisé aussi que cette pratique ne pourrait avoir lieu, ni pendant les activités, ni pendant les repas. Le temps libre qui était accordé à chaque enfant pouvant alors fort bien convenir. J’ai rajouté que je croyais son Dieu suffisamment compréhensif pour accepter ces petites adaptations. Un premier incident a eu lieu quand l’enfant a voulu accomplir sa dernière prière après l’heure officielle du coucher. Trois autres enfants ont manifesté le désir de l’imiter. La perspective de se coucher plus tard que les petits copains avaient fait naître des vocations ! Quand j’ai rappelé qu’il n’était pas question que cette prière dépasses les horaires, l’enfant s’est retrouvé à nouveau tout seul à vouloir la faire. C’est vrai que du coup, c’était moins intéressant. Lors de la réunion du soir, un animateur m’a informé s’être engagé à réveiller l’enfant à 6h00, le lendemain matin pour la première prière. Je l’ai désavoué, en lui demandant de respecter l’engagement qu’il venait de prendre mais de ne plus accepter une telle demande. De fait, l’animateur a bien fait sonner son portable le lendemain matin et est allé réveiller l’enfant. Celui-ci lui a alors expliqué qu’il pensait qu’Allah voulait bien qu’il reste faire sa prière, dans son lit... et il s’est rendormi ! Je ne pense pas qu’il faille traiter cette question d’une façon particulière. Bien d’autres coutumes ou habitudes peuvent être respectées dans la mesure du possible et à condition que cela ne vienne pas perturber notablement la vie du centre.

 

 

Fiche n°4 : A propos du principe de laïcité

La laïcité, pierre angulaire du pacte républicain et base du régime politique français, repose sur trois valeurs indissociables. Il y a d’abord la liberté de conscience qui permet à chaque citoyen de choisir sa (non) vie spirituelle ou religieuse. Dans notre pays, il y a « ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas » (Aragon). Cette orientation relève du  choix de chacun. Second principe : l’égalité en droit des options spirituelles et religieuses qui interdit toute discrimination ou contrainte. Personne ne peut être ni favorisé, ni désavantagé du fait  de sa (non) croyance. Troisième principe enfin, la neutralité de l’Etat qui ne privilégie aucune option particulière. Pour que chaque citoyen puisse se reconnaître dans la République, elle soustrait le pouvoir politique à l’influence dominante de toute option spirituelle ou religieuse. C’est le pacte proposé à chacun, afin de pouvoir vivre ensemble. Cela signifie que si la laïcité n’implique pas une préférence pour une croyance, elle n’en rejette a priori aucune, sauf à ce que celle-ci aille à la rencontre des lois. Cette conception a une double conséquence : celle d’abord de permettre librement les pratiques spirituelles les plus diverses et celle ensuite de s’opposer à tout démarche fondamentaliste (puisqu’aucun choix n’est a priori considéré comme meilleur qu’un autre). Il s’agit là d’un bien des plus précieux. Car si nombre de pays acceptent cette logique, la France est, avec la Turquie et l’Inde, l’une des rares nations démocratiques à l’avoir inscrit dans sa constitution.

 

 

Bibliographie

►     « Initiation à l’histoire des religions. Les trois états de la religion. » Jeannine Orgogozo-Facq, Dervy, 1991

Dans une brillante tentative de synthèse de ce que l’humanité a pu produire comme spiritualités, l’auteur décrit les mythologies propres à chacun des principaux cultes existants, mais elle s’attache aussi à identifier le tronc commun de philosophie éternelle qui les traverse tous. Elle détermine trois états religieux qui loin d’être distincts s’entremêlent le plus souvent : les croyances archaïques, expériences mystiques et dogmatisme autoritaire. Elle dénonce la fantastique dérive ethnocentrique qui s’est emparé de civilisations

qui ont longtemps considéré que leur religion était la seule valable et l’anachronisme de telles positions à une époque où les cultures s’ouvrent les unes aux autres.

►     « La bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie » Israël Finkelstein, Neil Asher Silbarman, Bayard, 2002

Voilà un ouvrage passionnant qui reprend les principaux chapitres de la Bible, en les confrontant aux dernières connaissances linguistiques, archéologiques, historiques et scientifiques. Les auteurs reconstituent le contexte de l’élaboration d’un texte qui constitue, aux côtés d’autres épopées tels l’Iliade et l’Odyssée (6ème siècle avant JC) ou la Mahabharata indien (composée sans  doute à compter de 330 av JC) l’un des chefs d’œuvre de l’humanité. Ils expliquent comment la Bible, en tant que brillant produit de l’imagination humaine, est née au cœur d’un minuscule royaume très prosaïque dont la population contre les peurs et les calamités engendrés par la guerre, la misère, l’injustice, la maladie, la disette et la sécheresse.

►     « Jésus contre Jésus » Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Seuil, 1999

Que penser des évangiles dont les seules versions disponibles le sont en grec et jamais en hébreu, ni en araméen, les langues de Jésus et des apôtres ? Les auteurs nous proposent ici un voyage à travers l’écart entre le Jésus né d’une femme et le Jésus né d’un texte. Les incohérences, anachronismes, contradictions qui y fourmillent sont la mémoire d’une élaboration successive et d’une rédaction progressive, ainsi que des additions, rectifications et majorations dont le texte s’est nourri. Mais, moins les évangiles se rapprochent d’une chronique exacte, plus elle devient le symbole de valeurs éternelles. Deux états émergent du nouveau testament : un prophète nationaliste et judaïsant, plutôt violent et colérique et un visionnaire universaliste et hellénisant, préconisant le pardon et la tolérance, sans qu’on ne puisse identifier la figure la plus authentique.

►     « Petit lexique des guerres de religion d’hier et d’aujourd’hui » Odon Vallet, Albin Michel, 2004

Des persécutions dont furent victimes les chrétiens à celles dont il se rendirent coupables, du mythe de religions orientales exclusivement non-violentes aux premiers terroristes musulmans appartenant à la secte des haschischiens, de la guerre de Macchabées qui renforça la religion juive aux échecs des tentatives de syncrétismes, Odon Vallet nous propose un itinéraire à travers la géographie et l’histoire des religions. Si la spiritualité possède sa part de lumière, son ombre se nomme excommunication, guerre de la vérité contre l’erreur, de la « vraie foi » contre la « prétendue religion réformée », des disciples du prophète contre les infidèles, du peuple d’Israël contre les idôlatres.