L’éducation aux droits de l’homme

Les grandes religions, longtemps dominantes, ont perdu une large part de leur influence, les idéologies libératrices ont sombré dans le totalitarisme, les syndicats ont beaucoup de mal à maintenir un taux de syndicalisation déjà très bas, la patrie ne fait plus guère recette, mis à part quelques relents les jours de coupe du monde… Que reste-t-il comme valeurs fédératrices face à la montée inexorable de l’individualisme ? Peut-être, justement, les droits humains qui revendiquent d’articuler harmonieusement individu et groupe. Quelle légitimité et quelles modalités de promotion pour ces droits ? C’est ce que va traiter le dossier de ce mois-ci.

Quand on évoque les droits de l’homme, on se réfère facilement  à la révolution de 1789. Même si ce concept a connu, à cette occasion, une extraordinaire promotion, son émergence historique est bien plus ancienne. On peut considérer qu’elle est présente depuis que l’être humain tend à sortir de sa condition animale, pour affirmer son degré de culture et de civilisation. A chaque étape de son histoire, on trouve la démonstration de sa capacité à la fois à commettre les pires actes barbares et à se comporter de manière admirable, de s’enfoncer dans l’ignominie la plus abjecte et de faire vivre une conception humaniste et pleinement respectueuse de la dignité d’autrui. Sans ignorer la première de ces attitudes qui semble consubstantielle à la seconde, nous nous attacherons dans un premier temps à mettre plus particulièrement en lumière ce qui a été mis en œuvre au cours des millénaires pour promouvoir les droits humains. Ce détour par l’histoire nous éclairera sur les fondements d’une éducation à ces mêmes droits. Deux sources vont être proposées. Il y a d’abord ce qui relève de la contrainte collective indispensable au vivre ensemble : très tôt, la loi a structuré un certain nombre d’obligations réciproques. Il y a ensuite la conscience individuelle que l’on peut désigner par cette éthique qui guide chacun d’entre nous dans ce qu’il a à faire. L’articulation entre la pression du groupe et ce qui vient du plus profond de soi est au cœur de la socialisation et singulièrement du combat pour les droits de l’homme.

 

De la loi antique…

Pour éviter l’arbitraire et la tyrannie des plus forts sur les plus faibles, les communautés humaines se sont toujours dotées de systèmes de règles et de justice permettant de gérer les inévitables conflits qu’implique toute vie en commun. Les textes juridiques qui décrivent cette volonté de vivre l’un à côté de l’autre, dans le respect réciproque, ne datent pas que de l’élaboration des différents codes (civil, pénal …) au tout début du XIXème siècle. La tradition orale qui domina longtemps ne fut pas exempte de ce type d’attention. Mais par définition, on n’en trouve guère de traces. Avec l’apparition de l’écriture, la mémoire des sociétés va s’inscrire pour l’éternité. Vers 1750 av. J.C., un ensemble de 282 articles est gravé sur des tablettes à partir des verdicts rendus par le roi de Mésopotamie. Le « code  d'Hammourabi » ne constitue pas un véritable modèle de lois ou de règles ayant une portée universelle, mais plutôt un groupement de "sentences équitables". On peut y lire par exemple «  Si un homme a loué sa barque à un batelier et qu'il l'a par négligence, coulée ou perdue, il la remplacera à son propriétaire. » Ce sont les plus anciennes traces écrites que l’on ait trouvées d’une codification des droits individuels. Faisons un bond de 1800 ans. Nous nous retrouvons en plein moyen âge, en 1215, exactement.

 

… à celles des temps modernes

Les barons anglais imposent au roi Jean sans terre la « Magna carta », une charte de 63 articles qui limite la toute-puissance du souverain et garantit les droits féodaux, les libertés des villes contre l’arbitraire royal, le contrôle de l’impôt par un Grand Conseil du Royaume. Mais, elle pose aussi les bases d’un droit individuel essentiel qui perdure encore aujourd’hui dans les pays de tradition anglo-saxonne. Son article 39 précise en effet : « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays. » C’est l’Habeus Corpus qui interdit toute incarcération qui ne serait pas validée par un magistrat. En 1689, toujours en Angleterre, le parlement réunira dans une chartre des droits (« bills of rights ») les garanties assurées aux individus, en ce qui concerne la liberté de conscience et d’opinion. L’histoire est donc traversée par une authentique volonté de promouvoir l’individu. Faible et hésitante pendant longtemps, cette tendance prendra une ampleur inégalée aux temps modernes, avec la déclaration d’indépendance des Etats Unis qui proclame les droits inaliénables de l’individu (1776) et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, votée par l’assemblée constituante française au nom des grands principes de liberté d’égalité et de fraternité (1789). Mais, on se retrouve plutôt dans une continuité historique que dans une innovation anachronique.

 

Le poids de la morale religieuse

Les Hommes ont eu recours, au cours des millénaires, à un certain nombre de croyances qui leur permettaient de répondre à leurs questions existentielles. Les religions qui ont ainsi émergé ont construit des codes de vie qui ont alimenté, eux aussi, les notions de droits individuels. Ainsi, 1200 ans avant notre ère, Moïse, selon la tradition de l’ancien testament, reçoit de Dieu dix commandements. Y sont précisés des interdictions destinées à structurer la vie des communautés juives, qui peuvent être lues comme autant de garanties de respect de la personne : droit au repos, à la vie, à ne pas être volé, diffamé, à bénéficier de biens individuels… Au sixième siècle avant Jésus Christ, en Inde, Bouddha prêche l’amour et le respect des autres. Il édicte un certain nombre de recommandations pour permettre la réalisation de cet objectif, préconisant non la coercition mais le chemin le plus exigeant, à savoir le perfectionnement de soi-même. A la même époque, en Chine, Confucius considère que l’homme « réalisé » est celui qui pratique le « Jen » (vertu d’humanité parfaite : ne pas faire à autrui ce qu’on ne désire pas pour soi) et le « jo » (devoir de justice dans les relations interhumaines). La parole du Christ n’est guère différente. Il revendique le primat de la personne sur toutes les institutions. Saint Paul affirmera qu’aucune  différence ne saurait être le fondement d’une inégalité (homme/femme, grecs/barbares, esclave/homme libre, juifs/autres nations). Dernière étape dans notre description des religions, le Coran qui attribue une importance capitale à la dignité de l’homme et à l’égalité entre eux : « tous les hommes sont égaux entre eux comme les dents du peigne du tisserand ».

 

Ce n’est qu’un début…

Bien sûr, il y a loin de la coupe aux lèvres. S’il suffisait de proclamer un certain nombre de principes, pour qu’ils soient respectés, cela se saurait... et nous vivrions depuis longtemps dans un monde fait de justice et de bonheur pour toutes et pour tous ! Les déclarations dont nous venons de faire un exposé non exhaustif ont été énoncées par des institutions et autorités qui n’ont pas toujours fait preuve d’une attitude exemplaire, en matière de respect des droits humains. Elles se sont plutôt fait remarquer par les massacres, les tortures, les discriminations graves et persistantes qu’elles ont perpétrés. Quant aux auteurs des différentes déclarations, ils sont loin d’échapper à toutes ambiguïtés. Le 4 juillet 1776, la déclaration d’indépendance américaine proclame « Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie la liberté et la recherche du bonheur. » Pourtant, il faudra attendre près d’un siècle pour que l’esclavage soit aboli et près de deux siècles pour que le régime de ségrégation raciale dans les Etats du sud soit contesté. Le 26 août 1789, l’assemblée nationale proclame la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont l’article 1 stipule : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Pourtant, il faudra attendre un siècle et demi pour que le droit de vote soit reconnu aux femmes et quasiment deux siècles pour que l’égalité entre les sexes soit (au moins théoriquement) établi (mais loin d’être réalisé).

 

… le combat continue

Ces propos ont simplement été rappelés pour démontrer deux hypothèses. Tout d’abord le souci de respecter l’individu a toujours été présent, même si cette voix aura longtemps été inaudible. On se réfère là à une éthique, une philosophie de vie, une conception de l’être humain qui traverse les siècles. Celle des sophistes qui il y a 25 siècles dénonçaient l’esclavage, en s’appuyant sur la notion de droit naturel. Celle de Bartholomé de Las Casas, qui au XVIème  siècle prit la défense des indiens d’Amérique  persécutés et exterminés par les Conquistadores espagnols. Celle de Cesare Beccaria, philosophe et économiste italien qui lança en 1764 le premier mouvement abolitionniste en faveur de la suppression de la peine de mort. Seconde thèse défendue ici : la promotion des droits de l’homme est un combat permanent, sans fin, ni perspective de victoire définitive. En permanence, chacun d’entre nous doit se battre contre les dérives qui peuvent naître tant chez lui-même qu’autour de lui. Car, nul n’est à l’abri d’une atteinte portée à ces droits, sur le coup de la colère ou de l’envie, par intérêt ou par dépit. Cette ligne de conduite doit faire l’objet d’une attention soutenue, d’une vigilance constante et d’un entraînement continu. Mais, avant de définir comment l’on peut cheminer dans l’éducation à ces droits, il est temps à présent de tenter de mieux les cerner. Pendant des siècles, l’individu a été intégré à une communauté de vie qui décidait de tout, à sa place. Ses choix de vie, son métier, le conjoint avec qui il allait se marier … étaient prédéterminés en fonction de son milieu d’origine, de la famille à laquelle il appartenait, du groupe religieux auquel il se référait (qui elle-même souvent dépendait du choix du souverain dont il était le sujet).

 

Qu’entend-on par droits de l’homme ?

 La révolution qu’induisit l’émergence des droits individuels impliquait de lui garantir un espace minimum de liberté susceptible de lui permette de s’épanouir, selon ses propres goûts et désirs. Cet espace comporte autant de droits (la collectivité ne peut tout se permettre contre les individus) que d’obligations (on ne peut pas tout se permettre contre les autres individus, qui disposent du même espace de liberté, car tous les hommes sont égaux). Les droits et les obligations sont intrinsèquement liés par un lien de réciprocité. On ne fait pas aux autres ce qu’on n’aimerait pas soi-même subir. Le droit à être respecté dans sa dignité implique l’obligation de respecter celle des autres. La reconnaissance des droits humains a émergé en trois vagues successives. Il y a d’abord eu les droits civils et politiques (droits de pensée, d’expression de circulation, de grève, d’association, de réunion…) arrachés dans la lutte contre les régimes de monarchie absolue. La seconde génération de droits a été le fruit des luttes syndicales et associatives : ce sont les droits économiques, sociaux et culturels (droit au travail, au logement, à l’éducation, à la santé, à un revenu minimum, aux loisirs, à parler sa langue…) Il y a enfin les droits à la solidarité (droits au développement, à la paix, à un environnement sain, à l’accès à l’eau …) mis en exergue par le combat des organisations humanitaires.

 

Quelle éducation aux droits de l’homme ?

Quelle forme peut prendre une éducation aux droits de l’homme ? On ne peut transformer chaque enfant ou adolescent en un militant qui se serait familiarisé tant avec la législation y afférant, qu’avec les mécanismes de protection qui permettent de réagir. D’abord, parce qu’un tel engagement relève du choix de chacun et qu’en aucun cas, un animateur ne doit utiliser l’influence qu’il peut avoir pour tenter d’instrumentaliser ainsi le public qui lui fait face. On peut néanmoins développer des compétences qui peuvent à juste droit être considérées comme faisant partie intégrante de l’éducation de base de tout citoyen. Dans un premier temps, on ne peut faire l’économie de toute la dimension de transmission des connaissances fondamentales sur ce que sont les valeurs et pratiques démocratiques fondamentales et leur violation : histoire des droits de l'homme, informations sur les principaux instruments et mécanismes de protection dans ce domaine, problèmes internationaux s’y rapportant (par exemple le travail des enfants, les enfants soldats, la prostitution infantile, le trafic des êtres humains, les génocides).  Mais, cette démarche informative, pour intéressante et incontournable qu’elle soit ne saurait suffire en elle-même. L’ambition doit pouvoir aller bien au-delà et transformer chacun en ambassadeur des droits de l’homme. Il s’agit d’amener à s’impliquer directement dans son entourage quotidien, en apprenant à déceler les abus sous quelque forme qu’ils se manifestent et de promouvoir le respect de la dignité humaine. Cela implique de ne pas rester indifférent à ce dont on est témoin (paroles, actes, comportements), mais de les reprendre, de les corriger et de tenter de modifier les logiques de leurs auteurs. Cela passe peut-être par une attitude exemplaire des éducateurs (qu’ils soient parents, enseignants, animateurs …) qui sachent mettre leur propre quotidien en cohérence avec leurs convictions. L'objectif est de frayer la voie à un monde qui fonctionne effectivement et non pas seulement en principe sur la base des droits de l'homme. Une utopie ? Certainement. Mais il nous appartient de la rendre réaliste.

 

Lire interview : Hénouille Nicole - Droits de l'homme

 

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°72 ■ oct 2006

 

 
La première déclaration des droits de l’homme
C’est Georges Mason qui rédigea le premier texte à l’origine de la toute première « déclaration des droits » proclamée le 12 juin 1776, par l’Etat de Virginie, juste après le début de la guerre d'indépendance américaine : il y est dit « que tous les hommes sont nés également libres et indépendants et qu'ils ont certains droits inhérents dont ils ne peuvent, lorsqu'ils entrent dans l'état de société, priver ni dépouiller par aucun contrat leur postérité : à savoir le droit de jouir de la vie et de la liberté, avec les moyens d'acquérir et de posséder des biens et de chercher à obtenir le bonheur et la sûreté ». La déclaration d’indépendance américaine reprendra ce manifeste à son compte. Les constituants français s’inspireront à leur tour de ce document pour rédiger leur propre « déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
 
 
Droits de l’homme… et ceux de la femme ?
En septembre 1791, Olympe de Gouges publie sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Article 4 : « La liberté et la Justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui, ainsi l'exercice des droits naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui oppose, ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison ». Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la loi ». Article 13 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, les contributions des femmes et des hommes sont égales; elle à part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles, elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, dès charges, des dignités et de l'industrie ».
 
 
La déclaration universelle des droits de l’homme
Le monde vient de sortir de l’une des pires guerres qu’il a connue. En réaction aux horreurs du nazisme, une commission de la toute jeune Organisation des nations unies est chargée en 1945, de rédiger un texte proclamant les droits humains. Celui-ci sera adopté en assemblée générale le 10 décembre 1948 sous le nom de « Déclaration universelle des droits de l’homme ». Il reprend l’esprit de la Déclaration française datant de 1789, quant aux droits et libertés individuels, mais inclut aussi dans ses articles 22 à 27 les droits économiques, sociaux et culturels (droits à la sécurité sociale, au travail, à l’instruction, au repos et aux loisirs). Se trouvent ainsi consacrés aux côtés des « droits liberté » (droit de …), les droits créances dont l’Etat et la société doivent s’acquitter (droit à…). Ce texte n’a pas valeur de traité. Il n’entraîne aucune obligation autre que morale. Il constitue « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations »
 
 
« Les droits de l'homme se paient par des devoirs que fixe un contrat social immanent. Celui-ci impose à chaque individu d'acquitter le prix de sa survie aléatoire, en agréant un pouvoir supérieur auquel il est tenu d'obéir et dont il a pour mission d'accroître le profit. Les Droits de l'Homme consacrent sous une forme positive la négation de droits de l'être humain. L'homme abstrait n'est en effet que le producteur substitué à l'individu créant sa propre destinée en recréant le  monde. (…) Supposés nous prémunir contre tout ce qui entreprend de les violer, les droits de l'homme sanctionnent de facto le caractère oppressif d’une communauté dont les intérêts lèsent ou contrarient ceux de ses membres Il est temps de promouvoir une société qui se trouvera dispensée de garanties tutélaires, parce qu'elle aura anéanti les conditions qui précisément engendrent la violence, le viol, l'oppression et aliènent leur contestation. »
« Critique de la déclaration des Droits de l'Homme » Raoul Vaneigem

 


Fiche n°1 : Un long cheminement des droits

Quelques dates permettant de situer les acquis successifs mais aussi progressifs des différents droits en France :
Suffrage universel : 1848
Droit au travail : 1848
Droit de grève : 1869
Ecole obligatoire : 1882
Droit d’association : 1884
Egalité devant le service national (suppression du tirage au sort) : 1905
Impôt suivant le revenu : 1914
Congés payés : 1936
Semaine de 40 heures : 1936
Droits de vote pour les femmes : 1944
Sécurité sociale : 1948
Droit à l’objection de conscience : 1963
Autorité des deux parents remplaçant la puissance paternelle  : 1970
Droit de vote à 18 ans : 1974
Droit d’association pour les étrangers vivant en France : 1981
Egalité des salaires entre les hommes et les femmes : 1982
Droit à un revenu minimum d’insertion : 1989

 


Fiche n°2 : le témoignage de Thomas Janus

Cela se passe dans un séjour d’adolescent. En fin d’après-midi, une jeune, accompagnée d’une animatrice demande à me rencontrer. Elle est en pleurs. Je la reçois. Elle me décrit une scène de violence qu’elle a subie. Ce que je comprends de ce qui s’est passé me fait craindre que cette scène ait été filmée pat un adolescent sur son portable. Le téléphone confisqué, nous y trouvons cinq films intitulés « victime 1 » à « victime 5 » présentant des situations d’humiliation et de violence. Je réunis les cinq adolescents identifiés sur les films, comme faisant partie des agresseurs. Ils banalisent leurs actes en parlant de chahut et d’amusement. Je leur signifie qu’il s’agit pour moi d’une atteinte insupportable à la dignité humaine. Les victimes entendues à leur tour sont dans la même banalisation : « ils me tapaient, mais c’était pour rire. Vous avez vos façons de vous amuser, nous avons les nôtres » affirme l’une. « C’était juste un coup de pression. Ils ne m’ont jamais touché. C’était pour rigoler. Je n’ai jamais eu de problème avec eux » renchérit l’autre. Trois hypothèses permettent d’expliquer ce refus de se plaindre. 1) Les victimes n’osent pas témoigner de leur souffrance, car elle craignent de devoir continuer à vivre avec leurs agresseurs et ce n’est guère accepté d’être une balance. 2) On est dans un chahut qui ne dépasse effectivement pas les limites du supportable pour eux. 3) On est dans un rite de type bizutage considéré comme étape pour être intégré au groupe. Les jeunes victimes ont continué leurs vacances en apparence normalement. Rien dans leur comportement ultérieur ne nous aura laissé apparaître un traumatisme particulier. Sans présager des suites pénales éventuelles, il me fallait réagir en tant que Directeur. J’envisageais la possibilité de les exclure du séjour. Mais, de retour chez eux, qu’auraient-ils compris de leurs actes ? Je préférai alors concevoir pour eux un autre projet. Je chargeais un animateur volontaire de monter avec eux un camp itinérant en VTT qui les éloignerait du camp, tout en leur permettant de réfléchir sur ce qu’ils avaient fait. Des échanges purent avoir lieu pendant cette période sur ce que sont l’atteinte à la dignité, le respect de l’image, l’usage de la violence dans les chahuts : si c’était simplement un jeu, lequel d’entre eux accepterait de recommencer, mais cette fois-ci en prenant la place de la  victime ? Pendant ce camp itinérant, le groupe a été confronté à des situations de violence potentielle avec des personnes extérieures (remarques racistes, accueil particulièrement hostile dans au moins deux campings), mais aussi en son sein, sans pour autant utiliser la violence. Il a démontré à cette occasion qu’il était possible d’agir autrement que par l’insulte et les coups. Le groupe s’est pris en charge d’une façon totalement autonome, faisant les courses, la cuisine, montant les tentes, les portant, négociant entre eux pour se répartir les tâches. A l’issue de cette expérience, qu’en ont dit les jeunes ? Ils ont évoqué les moments durs qu’ils ont traversé, auxquels il a su faire face en ayant appris à gérer les problèmes et surtout à trouver des solutions ensemble. Face à ce tableau en apparence idyllique, nous ne serons pas naïf. Il s’agit d’un instantané dans la vie de cinq jeunes et d’un animateur. Nous n’avons pas la prétention de les avoir transformés, ni d’avoir changé le cours de leur vie. A une atteinte aux droits humains dont ils se sont rendus coupables, leur a été opposé un vécu qui leur a fait expérimenter la solidarité, la gestion des conflits autrement que par la violence ainsi que la coopération. Il leur revient à présent d’avoir à s’emparer ou non de ce qui leur a été proposé, soit pour ne rien en faire, soit pour s’en servir dans leur vie future.

 

 


Fiche n°3 : Jeux favorisant la promotion des droits humains

Sauvetage en mer

Consignes :
Version 1 : distribuer ce texte et demander à chaque enfant de souligner les personnages qui iront dans le canot de sauvetage et de barrer celles qui resteront dans le bateau. Demander à chacun de justifier son choix.
Version 2 : répartir les rôles entre chaque enfant qui devra convaincre l’un d’entre eux (le capitaine) de le choisir lui (elle) plutôt que son voisin (sa voisine). Le capitaine écoute sans parler et choisit les six qui embarqueront les premiers, en expliquant son choix.

Jeu : Un bateau s’approchant de la côte a heurté un rocher. L’eau commence à entrer dans la cale. Une tempête s’annonce. A bord, il y a dix passagers. Le capitaine a appelé un canot de sauvetage qui va bientôt arriver. Seules six personnes peuvent embarquer dans ce canot. Les autres devront attendre. Le capitaine doit donc choisir six personnes dans la liste suivante : un fermier, un policier, une vieille dame, une mère de famille, un football, une infirmière, un aveugle, un prêtre, une institutrice, une petite fille.

Commentaire : ce jeu permet de faire émerger les préjugés de chacun(e) et de faire prendre conscience du choix invraisemblable que l’on peut être amené à faire, sous prétexte de jeu.

Moi, Je trouve que…

Consignes : Proposer à chaque enfant (ou groupe d’enfants) d’associer chacun des personnages du paragraphe 1 avec un qualificatif du paragraphe 2 qui semble le mieux lui convenir.

Jeu :
1   Les femmes / Les routiers / Les africains / Les asiatiques / Les loups / Les blondes / Les hommes / Les arabes / Les japonais / Les fonctionnaires / Les hommes politiques / Les juifs
2   …sont fourbes /…sont méchants /…travaillent mal /…sont travailleurs /…sont avares /…sont paresseux /…sont tous pourris /…ne savent pas cuisiner /…ont le rythme dans la peau /…sont sympas / …son idiotes /…conduisent mal au volant /

 Commentaire : Nous nous sommes toutes et tous constitué une réserve de stéréotypes auxquels nous croyons dur comme fer en pensant que c’est la réalité. Ce jeu permet de les mettre en évidence. Il ne s’agit pas de croire que nous pouvons nous en débarrasser, mais de savoir les identifier.

Les cinq continents

Consignes : répartir le groupe d’enfants en cinq groupes. Le jeu consiste à ce que chaque groupe désigne des ambassadeurs qui vont être chargés de rencontrer les représentants des autres continents pour essayer d’obtenir ce qui leur manque.

Jeu : Sur une planète lointaine, il y a cinq continents qui bénéficient chacun d’un seul atout.
Le premier a été richement doté par la nature en ressources dans son sous-sol : pétrole, gaz, charbon, fer, or …).
Le second est fertile et verdoyant car très souvent arrosé par une pluie abondante. Il possède d’ailleurs de nombreux lacs et rivières.
Le troisième est entouré d’une mer extrêmement poissonneuse.
Le quatrième, possédant une main d’œuvre très qualifiée, a su développer une technologie des plus moderne, réussissant à obtenir le premier les innovations les plus sophistiquées.
Le cinquième continent ne possède rien : ni ressources minières, ni terre fertile, ni mer poissonneuse, ni main d’œuvre qualifiée. Rien qu’une nombreuse population pauvre.

Commentaires : on reproduit en miniature la problématique des relations internationales entre nations plus ou moins bien dotées en ressources naturelles ou humaines.


Mon orange

Jeu : Distribuer une orange (ou une pomme) à chaque enfant. On lui donne pour consigne de l’observer attentivement pendant deux minutes, en faisant attention à tous ses détails. Puis, on mélange tous les fruits. Chacun doit retrouver la sienne (il est interdit de faire une marque).

Commentaire : à partir d’objets qui, en apparence, sont tous semblables, l’enfant est amené à découvrir les particularités de ce qui nous entourent.

 

 

Bibliographie
« Les Droits de l'homme » Jacques Mourgeon. - P.U.F., 1998
 Tout réflexion relative aux droits de l'homme est-elle promise à l'échec, demande Jacques Mourgeon ? « Elle est indispensable, pourtant, et d'une urgence à la mesure de l'ampleur de la servitude contemporaine. Elle doit être entreprise pour ajouter à l'effort d'espérance et de lucidité que l'homme n'a cessé de fournir dans le combat pour ses droits, qui n'est en définitive que le plus âpre des combats livrés à lui-même. »
     
« Les droits de l’homme racontés aux enfants » Jean-Louis Ducamp, l’Atelier, 1999
« Tu peux vivre, tu peux manger à ta faim, tu peux penser et parler à ta guise, tu peux aller et venir sans que tu sois menacé, tu peux fréquenter l'école, tu peux apprendre, tu peux jouer, t'amuser, te distraire, te cultiver... Tu en sais assez pour lire ce livre et pour réfléchir. Tu peux bénéficier de tout cela. Tu en as le droit. Ce droit a été conquis pour toi au cours de siècles et de siècles de luttes difficiles. Si j'écris ce livre aujourd'hui, c'est parce que je sais qu'il existe encore des esclaves, c'est parce que je sais que les droits de l'homme dans le monde sont encore bafoués, c'est parce que tous les êtres humains n'ont pas droit à ton bonheur, c'est pour que tu le saches, pour que tu le comprennes. Et pour que tu fasses tout ce que tu peux pour que cela change.».
  
« La dignité humaine » Jean-François Poisson, éditions études hospitalières, 2004
L’auteur définit la dignité humaine comme « la capacité d’être la cause responsable de ses actes, fondant immédiatement et de manière inconditionné l’obligation de respecter en soi comme en autrui la même qualité » (p.83).  Si Saint Paule de Tarse a été le premier il y a deux mille ans à avoir clairement et définitivement proclamé que tous les hommes sont égaux (devant Dieu), cette affirmation est loin d’avoir été partagée par les générations qui lui ont succédé. Les comportements ont été nombreux dans l’histoire qui ont contesté non la dignité humaine, mais sa présence chez tous les êtres humains. Les partisans de l’esclavage ou des génocides considèrent que l’existence humaine est d’une valeur inégalée, qu’elle crée des droits et des obligations mais que cela ne concerne pas certaines catégories d’individus. C’est considérer que l’Homme n’aurait pas de valeur en lui-même, mais seulement en fonction de ce qu’il peut faire ou ne pas faire ou en fonction du regard d’autrui. L’auteur affirme avec force que la dignité humaine se réfère au simple fait d’être Homme, la nature biologique étant la seule source de sa légitimité. La dignité d’autrui s’impose  à moi, quelque valeur que je lui confère, tout simplement parce qu’il est Homme. Cette qualité est liée à la valeur particulière partagée de façon universelle par toute notre espèce. Et rien ne peut garantir la réalité du respect de l’autre, si ce n’est le fait de se reconnaître obligé envers lui.
  
« La Conquête mondiale des droits de l'homme : présentation des textes fondamentaux »  Cherche-Midi, 1998
Ce livre reproduit les textes fondamentaux (déclarations, extraits de constitutions et de conventions internationales) qui constituent les jalons des progrès de la liberté dans le monde, depuis la Grande Charte anglaise de 1215 jusqu'à la déclaration mondiale sur le génome humain de 1997. Présentés dans leur genèse et leur contexte, ils éclairent, étape par étape, le concept de droits de l'homme depuis son apparition dans l'Europe du Moyen Age jusqu'à ses extensions les plus récentes concernant la protection des minorités ou la bioéthique. L'ouvrage s'achève par une réflexion sur leur garantie effective et l'idée, en cours de réalisation, d'une justice pénale internationale.
 
« Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme » le Conseil de l’Europe,2005
Ce guide pédagogique propose un large éventail d'approches thématiques et méthodologiques qui devraient inspirer toute personne intéressée par les droits de l'homme, la démocratie et la citoyenneté. En outre, il inclut une série de 49 fiches pratiques complètes, présentant le cadre détaillé pour des ateliers ou activités en classe ainsi qu'un grand nombre de textes et documents complémentaires (fiches thématiques, textes internationaux, sites web, etc).
Repères est un manuel consacré à l'éducation aux droits de l'homme unique où les animateurs de jeunesse, les enseignants, les éducateurs, les professionnels et les volontaires y trouveront des idées concrètes et des activités pratiques, afin d'engager les jeunes dans la cause des droits de l'homme et de les inciter à prendre des mesures pour sa défense, à leur niveau et au sein de leur communauté respective.

«  Lire les droits de l’homme à l’école- éducation civique »   Jacques Crinon, éditions Magnard
La compréhension et l'expérience vécue des droits de l'homme sont, pour les jeunes, un élément important de préparation à la vie dans une société démocratique et pluraliste" (Conseil de l'Europe). Aborder les droits de l'homme à partir de la littérature de jeunesse : voilà ce que propose cet ouvrage pratique, destiné aux enseignants de l'école et du collège. Onze romans et albums y sont analysés, des démarches de lecture et des activités interdisciplinaires sont proposées. Le but : rendre concrètes les notions clés formalisées par les Déclarations des droits de l'homme : amener les enfants à les repérer dans les textes et dans la vie ; pratiquer une pédagogie de projet.