L’enfant face à la mort

Parler de la mort ne va pas de soi. On le fait traditionnellement seulement quand on y est confronté ou au moment de la Toussaint. Le reste du temps ce sujet a mauvaise presse : l’aborder signerait presque chez celle ou celui qui s’y risquerait soit une tournure d’esprit particulièrement morbide, soit une phase plus ou moins dépressive. Cela n’a pas toujours été ainsi. Mais, ce n’est pas parce que notre époque évite la question de la mort qu’il faut renoncer à la traiter dans nos colonnes. Tout au contraire. Quand et comment en parler ? Que faut-il dire et ne pas dire ? C’est le thème du dossier de ce mois-ci.

La confrontation à la disparition d’un proche est l’une des épreuves les plus terribles qui soit. Que cela advienne brutalement ou qu’on y ait été préparé, le cœur et l’esprit sont soumis à une incroyable pression physique et psychologique, à une terrible déchirure intérieure, à une effroyable souffrance que rien ne semble pouvoir atténuer. Pourtant, la forme que prend actuellement la mort mélange à la fois la banalisation et la maîtrise. Banalisation quand il s’agit de rendre cet évènement le plus discret et invisible possible. « Et quand la mort lui a fait signe/ De labourer son dernier champ/ Il creusa lui-même sa tombe/ En faisant vite, en se cachant/ Et s'y étendit sans rien dire/Pour ne pas déranger les gens » chantait Brassens (« Pauvre Martin »). Maîtrise, parce qu’il n’est pas de bon ton d’extérioriser son affliction qui n’a guère droit de cité : les émotions doivent rester intimes et privées. On ne doit pas les montrer, mais au contraire faire preuve de dignité. Le statut contemporain de la mort en arrive presque à considérer que ce qui est pathologique, ce serait la souffrance face à la perte, alors même que c’est bien son absence ou l’incapacité de bien gérer le deuil qui est problématique. Si l’adulte a déjà du mal à savoir comment réagir, ne parlons pas des enfants qui sont trop souvent mis à l’écart de l’évènement, au prétexte d’en être protégé. L’animateur, l’éducateur, le parent peuvent ainsi être amenés à  adopter des comportements qui pour être largement partagés n’en sont pas moins contre-productifs. Retour sur une réalité qui ne doit plus rester taboue.

 

Une mort intégrée au quotidien

Les archéologues font remonter à 100.000 ans, les premières sépultures d’êtres humains. Le souci d’enterrer ses morts et d’en garder le souvenir est très ancien et a toujours fait l’objet de rites les plus divers. De toute époque, cet évènement à la fois craint et attendu, a incité les communautés à des tentatives de prédiction et/ou de contrôle. Longtemps, on a eu le souci que la personne décédée ne vienne pas importuner les vivants (1). On veillait tout particulièrement à ce que l’âme, qu’on supposait quitter le corps, puisse trouver son chemin vers l’au-delà : on éteignait le feux dans la cheminée, on s’abstenait de balayer, on vidait les seaux et les récipients où elle pouvait se réfugier, on voilait les miroirs, on suivait toute une procédure d’ouverture  et de fermeture des portes … on allait jusqu’à enlever une tuile du toit ou brûler la literie du défunt, afin que ce dernier sorte de l’existence des survivants ! L’église mit bon ordre à ce qu’elle estimait être un fatras de superstitions. Elle débarrassa la culture populaire de tout ce qui ne rentrait pas dans l’orthodoxie d’une stricte croyance : du berceau au trépas, toute vie ne devait être qu’une préparation à rendre des comptes devant Dieu, le passage que constituait le trépas devant être à la fois exemplaire et édifiant. Aussi, dans le dernier quart du XVIIème siècle, ne compte-t-on pas moins de 70 manuels de préparation à la mort, destinés aux bons chrétiens. La veillée mortuaire était une tradition qui regroupait la famille élargie, les amis, le voisinage. Quels que soient les rites utilisés, la mort faisait partie intégrante de la vie.

 

La mort contrainte à l’exil…

Cette perception traditionnelle de la mort peut facilement se comprendre si l’on se rappelle que l’espérance de vie plafonnait encore à moins de 28 ans en 1789, plaçant les risques de décès au cœur du quotidien. Un certain nombre de circonstances sont venues modifier notablement ces coutumes. Et pour commencer, l’amélioration continuelle des conditions de vie, au moins dans les pays développés. En 2004, dans notre pays, l’espérance de vie a dépassé le seuil des 80 ans. On peut évoquer aussi la médicalisation massive de la maladie qui a privé les familles de leurs morts : 70% des décès ont lieu en institution, éloignant les cadavres de nos regards et les renvoyant vers les espaces aseptisés et lointains des hôpitaux et/ou maisons de retraite. Citons encore la désertification des campagnes et la part grandissante de la population habitant les villes, avec ce que cela implique en terme d’anonymat et de relégation des sépultures en des lieux isolés. Cet éloignement débuta avec le décret royal de 1776 portant interdiction des enterrements dans les églises. Aujourd’hui encore, l'inhumation en terrain privé est extrêmement rare. Seule est passée dans les mœurs, la possession à domicile de l’urne funéraire en cas d’incinération. Autre facteur responsable de l’ostracisme dans lequel est tombée la mort, confiée dorénavant aux soins de professionnels : l’émancipation des femmes, pendant longtemps grandes prêtresses dévouées aux soins portés aux cadavres.

 

… et à la clandestinité

Jusqu’à la Communauté européenne qui a, elle aussi, contribué à encore plus à marginaliser cette mort, quand elle a remis récemment en cause la veillée funèbre irlandaise. Cette cérémonie traditionnelle mélangeait le chagrin et les réjouissances autour de la dépouille exposée dans un cercueil ouvert pendant que l’on mangeait, chantait et dansait autour, au son de la flûte.  Stavros Dimas, commissaire européen à l’Environnement, « dans le cadre d’une nouvelle directive sur les biocides » a réclamé récemment « le retrait des produits chimiques utilisés par les embaumeurs. » (2) ce qui compromet l’exposition des corps. Et puis, il y a une société qui, dans sa quête de jeunesse et de beauté, de réussite et de bonheur, a voulu évacuer la mort qui constitue l’antithèse de l’idéal qu’elle se fixe. Mais, en agissant ainsi, elle a aussi réduit au silence le deuil qui en est le corollaire immédiat. (3) Comme pour une blessure physique, la blessure que constitue la disparition d’un proche provoque un choc contre lequel l’organisme réagit, en créant un processus de réparation qui va tenter de cicatriser la lésion. Trop souvent, on se contente d’ignorer, de négliger cet état ou de tout faire pour l’oublier. Cela revient à laisser une plaie s’infecter en plein air. Tout au contraire, il faut permettre au travail de deuil de se déployer, car il est seul à même de favoriser la guérison en rendant capable de vivre sans la présence de l’autre. Certes, cette épreuve laissera des zones de fragilité et de vulnérabilité que rien ne pourra jamais faire disparaître. Mais, c’est en la prenant en compte qu’on arrivera le mieux à la dépasser. Si cela est vrai pour les adultes, ça l’est encore plus pour les enfants.

 

Quand trop protéger revient à mettre en danger

Notre société a élevé l’enfance au rang d’une période de la vie devant avant tout être protégée. Comme l’explique  Patrick Ben Soussan, nous voulons proposer à nos bambins un monde sans frustration, sans solitude, sans absence, sans malheur et sans mort (5). Et nous pensons réussir ainsi à les mettre à l’abri de la souffrance. Quelle erreur ! Tout d’abord, parce que l’absence est fondatrice de la vie psychique. Lorsque sa mère disparaît régulièrement de son champ de vision, le nourrisson est contraint de créer des représentations en mobilisant le souvenir de sa présence et de la satisfaction qu’il pouvait en tirer. C’est cet éloignement qui permet l’élaboration des symboles. Ainsi, le bébé va-t-il investir un objet doux et agréable qui va lui rappeler l’existence de sa mère et l’aider dans l’attente de sa réapparition : c’est le doudou, le ninnin, la tutune… qui a d’autant plus de chance d’agir qu’il sera imprégné de l’odeur de la mère. Le psychanalyste Donald Winnicott donna à ce support destiné à rassurer et à réconforter l’enfant, le nom d’objet transitionnel. Ce n’est pas tant de la mort dont les enfants ont fondamentalement peur, mais de l’abandon. Mais c’est aussi cette disparition qui conduit à penser. Autre conséquence de la tentative pour éduquer un enfant dans un monde aseptisé et sans risque : lorsque le danger survient, n’y ayant jamais été préparé, celui-ci ne saura comment y faire face. Il ne faut donc pas hésiter à confronter l’enfant aux différentes épreuves de l’existence et en premier lieu à la mort.

 

La perception de la mort chez l’enfant (4)

Pour savoir comment s’y prendre, il faut d’abord identifier ce que l’enfant peut en comprendre. Il est illusoire d’imaginer qu’en lui cachant ce qui se passe, l’enfant pourrait être maintenu dans l’ignorance. Car il possède ses propres antennes et sait très bien quand quelque chose ne va pas. Face à une situation qu’il n’arrive pas à interpréter, il va bâtir ses propres hypothèses, échafauder ses propres explications qui peuvent être parfois bien pires que la vérité. Une chose est donc sûre, s’il ne décode pas de la même façon que l’adulte, l’enfant ne réagit pas moins, même si c’est à sa façon. Avant 5 ans, il a pris l’habitude de voir disparaître et réapparaître les personnes qui lui sont proches. Il les a toujours vu revenir. La mort comme une séparation définitive est donc difficilement concevable pour lui. Il est en outre encore largement imprégné de pensée magique. Il pense être à l’origine de tout et peut imaginer être responsable de ce qui vient d’arriver. A 6 ans, la distinction de la mort et du sommeil paraît acquise, la notion d’insensibilité après la mort, en voie de l’être, celles de l’irréversibilité et de l’universalité du trépas, pas du tout. A 7 ans, la notion d’insensibilité après la mort est acquise, celle d’irréversibilité est en voie de l’être, mais pas son universalité. A 8 ans, l’irréversibilité de la mort est acquise, son devenir bien perçu. La notion d’universalité en voie d’acquisition. Il faut attendre l’âge de 9 ans pour que la distinction entre la vie et la mort soit totalement intégrée. L’enfant a enfin assimilé les notions d’irréversibilité de la mort ( = plus jamais), d’universalité ( = pour tout le monde) et d’auto implication ( = pour moi, aussi, un jour).

 

Une mort vécue d’une manière chaque fois singulière

L’impact qu’aura cette mort va dépendre du morceau de vie parcouru par l’enfant avec son proche décédé. Si une relation très forte et fusionnelle avait été tissée, la réaction face à la mort risque d’être très difficile et douloureuse. Si davantage d’espace avait déjà pu être aménagé et que l’enfant avait eu la possibilité d’apprendre à détendre les liens de dépendance qui le reliaient à ses parents, alors les conséquences seront différentes. Non que ce début d’autonomisation permettrait de diminuer sa souffrance, mais cela la rendra plus facilement supportable, pensable et surtout susceptible d’être travaillée, explique Patrick Ben Soussan (4). La particularité du deuil chez l’enfant, c’est qu’à la tristesse et au chagrin s’ajoutent l’instabilité de l’humeur et du caractère, le fléchissement scolaire, le repli sur soi, les difficultés à s’endormir et parfois à manger. Le dérèglement induit par le deuil prend une énergie fort importante qui peut venir perturber la croissance et l’épanouissement d’un être en plein développement. La mort d’un proche est un évènement trop violent à assimiler pour qu’on n’y rajoute encore la fragilisation et l’isolement de l’enfant, effet pervers d’une attitude adoptée pour le protéger. Si difficile qu’elle soit à dire, il faut dire la vérité. A chacun ensuite, de moduler ses propos, de trouver ses mots. Entre le silence et la parole un peu trop crue, trop brutale, à la précision trop anatomique qui pourrait heurter l’enfant, continue Patrick Ben Soussan, il y a la démarche qui consiste choisir la simplicité, à se mettre à sa portée et à s’assurer qu’il a bien saisi le message qu’on voulait lui transmettre. S’adresser à l’enfant comme un protagoniste de la mort, et ce à tout âge, c’est faire preuve à son égard de respect. Toute autre attitude est problématique : au prétexte d’éviter un présumé traumatisme, on crée un profond malaise qui lui est bien réel.

 

(1) « L’heure du grand passage. Chronique de la mort » Michel Vovelle, Découvertes Gallimard
(2) Courrier international n°806, 13 avril 2006
(3) « Vivre le deuil au jour le jour. La perte d’une personne proche » Christophe Fauré, Albin Michel, 2004
(4) « Le deuil » Marie-Frédérique Bacqué & Michel Hanus, Que sais-je ? puf, 2004
(5) « L’enfant face à la mort d’un proche. En parler, l’écouter, le soutenir » Patrick Ben Soussan, Isabelle Gravillon

 

 

 Les funérailles d’antan 
« Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain
De bonne grâce ils en faisaient profiter les copains
" Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez le pleurer avec nous sur le coup de midi... "
Mais les vivants aujourd'hui ne sont plus si généreux
Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux
C'est la raison pour laquelle, depuis quelques années
Des tas d'enterrements vous passent sous le nez    ( …) »                                                   
Georges Brassens (1958)
 
 
Témoignage de Nicolas
« En apprenant le décès accidentel de la mère d’un enfant du centre aéré, je n’ai pu m’empêcher d’éclater en sanglot. Cette maman était très présente, toujours prête à nous donner un coup de main quand nous avions besoin d’accompagnateur ou que nous sollicitions les familles pour un transport. Je ne sais ce qui m’a le plus bouleversé, si c’est la disparition de cette femme encore jeune ou si c’est d’imaginer le désarroi et le chagrin de son fils. Mais, j’étais très mal. Cela n’a pas plu à mon directeur. Il m’a conseillé d’aller voir un psychologue. Sur le coup, je n’ai pas compris son conseil. Avoir de la peine face à la mort n’était donc pas naturel, mais nécessitait donc d’être pris en charge psychologiquement ? C’est peut-être parce que je suis un homme que cela a choqué. Pourtant, d’avoir pleuré ainsi m’a soulagé. J’ai pu ensuite me trouver face à l’enfant et être attentif à lui. »
 

Comment annoncer la mort d’un proche à une enfant ?
Sylvia Hamel, fondatrice au Québec de Parent Étoile fut sollicitée un jour pour annoncer à un petit garçon de quatre ans la mort de sa mère, enceinte de quatre mois et décédée dans son sommeil à l'âge de 26 ans. «Le papa ne se sentait pas capable de le faire. Et c'est souvent mieux si la mauvaise nouvelle arrive d'un étranger. L'enfant peut nous en vouloir à nous, ce n'est pas grave. Lorsque je suis repartie, il m'a dit de ne plus lui adresser la parole (...) Il le savait déjà. J'ai seulement mis des mots sur ce qu'il percevait dans son entourage depuis quelques jours. J'avais apporté un petit ourson en peluche en lui disant que l'ourson était orphelin et qu'il n'avait personne pour s'occuper de lui. Il me l'a pris des mains. Mais une fois que je suis partie, il lui a arraché la tête. Voyez-vous la douleur qu'il avait dans la sienne? La grand-maman a recousu l'ourson et depuis, il s'en occupe bien... »
 

« Chaque fois que monsieur B l'élance vers le ciel dans une balançoire, il fait des coucous à papy Gilles, le grand-papa qu'il n'aura jamais connu. «Maman? Pourquoi il est mort, papy Zilles? Pourquoi les médecins ils ne l'ont pas guéri? Est-ce que ze peux lui parler? Est-ce qu'il peut nous voir? Comment il a fait pour monter dans le ciel?» Ça fait un moment que je suis dépassée par les réponses à servir à un enfant de trois ans concernant notre finalité. Satisfaire sa curiosité, protéger son innocence, ne pas trop brusquer mes propres limites, le menu est varié. Je tergiverse sur le choix des mots, m'embrouille dans les explications et la procédure, bafouille quelques évidences auxquelles je ne suis pas certaine de croire. Bref, je mesure l'immensité de mon analphabétisme devant le mystère de la mort. »
Josée Blanchette www.ledevoir.com

 

 

Lire Interview : Bacqué Marie-Frédérique - Enfant et la mort

 

 


Comment la mort pouvait être vécue autrefois dans les caraïbes

Au temps d'avant, la mort d'une personne était considérée comme une grande perte pour les parents mais aussi pour tous les habitants du quartier, voire même de la commune. Chacun se sentait concerné par cette disparition, même les enfants à qui on ne préservait pas la vue d'un défunt : ils vivaient et partageaient la douleur des adultes. Pour faire disparaître la peur qu’ils pouvaient avoir par rapport au mort, on leur faisait enjamber le corps.  La nouvelle d'un décès circulait rapidement et aussitôt les parents, amis, voisins et voisines se regroupaient autour de la maison du mort, apportant café, sucre, bougies, pétrole, tissus, draps... Tout le monde prêtait main forte et aidait le parent du défunt, le maître du mort, à nettoyer sa maison dans les moindres recoins, à faire à manger pour toutes les personnes qui viendraient pour la longue veillée mortuaire. Les hommes construisaient rapidement des bancs à l'aide de planches. On construisait des galeries autour de la maison avec des feuillages tressés pour accueillir (et abriter en cas de pluie) les nombreuses personnes. Pour l'éclairage, on préparait des lampes, des flambeaux à mèches de pétrole. Le mort était soigneusement préparé pour sa dernière demeure. Etendu sur des draps propres, il était entièrement déshabillé (en préservant toutefois son intimité) et lavé respectueusement avec eau et feuillage. Pour sa dernière demeure, le mort était habillé avec de beaux vêtements, souvent neufs. Certaines personnes prévoyantes avaient déjà leurs vêtements pour leur enterrement. S'il n'avait rien prévu pour le jour de ses obsèques, la couturière du quartier confectionnait, en toute hâte, un habit pour le défunt.

A la nuit tombée, la veillée commençait : parents, amis et voisins se retrouvaient pour une grande fête dans la maison du mort. Celle-ci était facile à reconnaître grâce aux nombreuses bougies allumées tout le long du chemin et autour de la maison. Les femmes et les enfants restaient autour du mort exposé avec la famille pour prier. Dehors, c'était la fête. Une fête particulière, animée par des conteurs qui parlaient du défunt. Ils racontaient sa vie, par anecdotes plus ou moins rigolotes, évoquaient ses qualités et ses défauts. Ils le faisaient revivre en la mémoire de ceux qui l'avaient connu. Les veillées funèbres se poursuivaient tard dans la nuit avec des pleurs et des rires, le son des tambours, bon boire et bon manger. Le lendemain avait lieu l'enterrement. Ceux qui possédaient un petit parterre de fleurs devant leur maison apportaient un petit bouquet afin de composer deux ou trois gerbes.

Après l'enterrement, on raccompagnait les parents du mort. Et, durant les jours suivants, ils recevaient la visite de proches, d'amis qui proposaient leurs services en ce moment de douleur. Il se formait une véritable chaîne de solidarité autour de la famille endeuillée.

(http://antanlontan.chez-alice.fr)

 


Les grandes étapes du deuil

Chaque deuil est à la fois unique (le lien qui unissait à l’objet d’amour disparu n’est identique à aucun autre) et comparable (l’expérience vécue est souvent similaire). Entre l’annonce de la terrible nouvelle et le retour au goût de vivre, s’étend une période plus ou moins longue selon les cas, qui respecte un certain nombre de grandes étapes. Les phases qui ont pu être identifiées sont, comme la plupart des constructions théoriques, des découpages artificiels.  Ils arrivent parfois qu’elles se chevauchent. La connaissance de cette progression permet de mieux comprendre les différentes manifestations du travail de deuil, et d’éviter d’y voir des comportements pathologiques (qui existent mais qu’il ne faut pas confondre avec les attitudes incontournables de cette épreuve). La première étape intervient au moment du décès. La première réaction, c’est le choc, la sidération et le déni. La conscience reste incrédule quand bien même la réalité nue et sans concessions s’impose avec violence. Assommé, anéanti, le sujet voit ses affects anesthésiés, sa perception émoussée, son organisme paralysé. Peuvent intervenir soit un effondrement (ralentissement tant physique qu’intellectuel), soit une hyperactivité autant débordante qu’inefficace. Puis intervient l’étape de la recherche de l’autre. Plus on a le sentiment de le perdre, plus on va tenter de préserver les liens qui nous reliaient. Le débordement des capacités cognitives rend incapable l’intégration de ce qui arrive. Tout au contraire, la volonté d’annuler cet évènement terrifiant amène à percevoir encore la présence du défunt. Troisième étape, celle de la déstructuration : tous les repères qui structuraient la relation à l’autre ont disparu, provoquant la colère (contre Dieu, contre les soignants, contre le mort lui-même) et la culpabilité (sentiment de n’avoir pas fait tout ce qu’il fallait). On est là dans les manifestations d’une dépression qu’on ne peut ni diminuer, ni éviter. L’étape de la restructuration intervient lorsque la tempête émotionnelle du décès semble calmée. Elle se reconnaît quand s’impose l’incontournable nécessité de jouir à nouveau de la vie et que l’évocation du disparu ne provoque plus l’effondrement.

D’après « Vivre le deuil au jour le jour. La perte d’une personne proche » Christophe Fauré & « Le deuil » Marie-Frédérique Bacqué & Michel Hanus.

 


10 affirmations fausses

« Les enfants ne comprennent rien à la mort »

Les enfants et les jeunes ont une structure psychique qui leur est propre et qui se distingue de celles des adultes. Il arrive qu'un enfant saute sur les tombes au cimetière ou pique un fou rire pendant une messe d’enterrement. Ou qu’un adolescent ne réagisse pas à l'annonce de la mort d’un parent proche et retourne jouer dans sa chambre comme si de rien n'était. Pour choquantes que de telles attitudes puissent apparaître, ce n’est qu’une façade qui cache leur désarroi et leur souffrance. C’est leur façon à eux de faire face au drame. Gardons-nous de juger leurs réactions qui peuvent certes surprendre. Il faut essayer de comprendre plutôt que de condamner ou stigmatiser.

« Les enfants son insouciants et inconscients face à la mort. La preuve, il leur arrive de jouer à la mort alors même que l’un de leur parent vient d’être enterré. »

Le sociologue Ludovic Gaussot explique que le jeu est l'une des modalités d'expérimentation du monde social. A travers cette activité la structure et les échanges qu'il implique, les enfants construisent leur identité et s'approprieraient les règles de la vie en société. La plupart des enfants jouent à la mort, mais les enfants en deuil, bien davantage. Ces jeux leur permettent une certaine maîtrise de la situation, la possibilité de créer des images, des représentations pour mieux mettre à distance cette réalité insupportable.

« Il est néfaste et morbide de parler de la mort aux enfants »

Nos enfants ne devraient pas être dans l’incompréhension totale face à la mort. A ne pas vouloir leur en parler, on ne les prépare pas à faire face à une réalité aussi traumatisante. On aboutit au contraire de ce que tout adulte souhaite : les voir s’effondrer encore plus ! On doit aborder ce sujet d’une manière suffisamment adaptée et sereine, afin qu’il devienne familier à l’enfant, l’objectif étant qu’il ne soit pas totalement désarmé quand il y sera confronté. Cela fait partie d’un apprentissage consistant à apprendre à surmonter les épreuves normales de la vie.

« Il est traumatisant pour un enfant de voir un mort et d’assister à un enterrement »

Un enfant endeuillé a un besoin vital de dire son deuil, de le vivre en famille et avec d’autres et d’être accompagné et soutenu. Le lui refuser, c’est le laisser enfermé dans son malheur et son chagrin, c’est le laisser seul face au traumatisme psychique qui s’opère en lui, c’est lui supprimer toute possibilité de partage. Si les adultes ressentent le besoin de passer ce moment en s’appuyant les uns les autres pour mieux y faire face ensemble, au nom des quelle logique, priverait-on l’enfant du même réconfort ?

 « Il ne faut pas pleurer »

Si les filles sont encouragées à exprimer leurs émotions, cela est plutôt mal perçu chez les garçons de qui on attend une maîtrise de leurs sentiments. Pleurer serait une faiblesse très féminine. C’est là un préjugé de genre. Empêcher un enfant de pleurer, c’est lui interdire d’évacuer son stress et sa peine. Toute au contraire, l’apparition des larmes est un bon indicateur du laisser-aller des émotions et du lâcher prise du comportement moteur, décompression indispensable au cheminement du deuil.

« Ton chien est mort, ce n’est pas grave »

Ne jamais sous-estimer l’importance de la perte d’un animal familier. L’attachement à ce petit être peut provoquer un authentique déchirement, si celui-ci vient à mourir. Mieux vaut accompagnez l’enfant dans son deuil en précisant que l’on comprend son chagrin. De nombreux enfants peuvent rester traumatisés ou inconsolables, en cas de non-respect de leur tristesse. On peut alors lui expliquer que son chien restera toujours dans ses souvenirs et qu’il pourra bientôt en avoir un autre.

« Il est parti en voyage. »

Une telle affirmation risque de plonger l’enfant dans une grande perplexité. Quand la personne aimée reviendra-t-elle ? Pourquoi ne me donne-t-elle pas de nouvelles ? M’a-t-elle oublié ? Peut-être ne m’aime-t-elle plus ? Ce voyage qui s’éternise pourrait faire vivre un grand sentiment d’abandon. Dès lors, l’enfant peut avoir peur dès qu’un proche doit s’absenter, voire même quand il doit partir pour le travail.

« Ta grand-mère était vieille et malade. »

Un enfant fera tôt ou tard un lien entre la maladie et la mort. Mais, jusque là, une telle affirmation peut l’amener à des extrapolations. Affirmer que la maladie ou la vieillesse sont les seules causes de la mort, c’est prendre le risque de l’inquiéter quand lui-même sera souffrant  (« vais-je mourir moi aussi comme mamie ? ») ou qu’il verra ses grands-parents vieillir (« papi, tu as des rides, vas-tu mourir bientôt ? »). Ce n’est guère facile de trouver les bonnes explications. Mais, il faut éviter de trop utiliser d’euphémisation.

« Ton papa s’est endormi pour toujours. »

Identifier la mort à un long sommeil peut amener trop d’enfants à être ensuite paniqués rien qu’à l’idée d’aller se coucher et de s’endormir, au risque de ne jamais se réveiller comme la personne décédée… Ou, au contraire, ils peuvent aussi attendre que le défunt ne réussisse un jour par se réveiller, comme lui-même finit toujours par le faire. L’un des meilleurs moyens d’aider l’enfant est de lui parler sincèrement.

« Il vaut mieux que l’enfant garde le souvenir de son parent en bonne santé »

On n’a pas à craindre de montrer un parent décédé à un enfant, d’autant plus si le corps a été préparé. Cette vision n’occultera pas complètement, comme ou pourrait le craindre, l’image du parent en pleine santé. L’épisode terrible du décès intervient malgré tout après des années d’un vécu commun plein de bonheur et de joie pour l’enfant. Tous ces souvenirs emmagasinés en mémoire serviront d’un puissant antidote à l’image de la mort. L’enfant a surtout besoin de faire la synthèse entre ces deux images, ce à quoi les adultes qui l’entourent peuvent aider.

 

 


10 conseils pour savoir que dire et que faire 

1.Abordez ouvertement la question de la mort avec votre enfant. Il ne faut surtout pas attendre qu'un drame survienne pour amorcer une discussion sur ce thème. Si vous n'êtes pas à l'aise ou pensez ne pas pouvoir arriver à en parler convenablement, procurez-vous un livre sur le sujet. Il en existe beaucoup.

2.Soyez simple. Utilisez des réponses courtes et faciles à comprendre, autant que faire se peut. « La mort, c’est ne plus parler, ne plus rire, ne plus respirer, ne plus bouger... ».

3.Soyez honnête à propos de la mort. Si vous ne connaissez pas la réponse à une question, admettez-le. La mort est un sujet complexe et il n'y a aucune gêne à avouer votre ignorance.

4.Utilisez toutes les occasions pour parler du cycle de la vie. Une plante qui fane, un arbre arraché par la tempête, un oiseau trouvé mort dans la rue sont l’occasion d’aborder ce sujet d’une manière dédramatisée. Lorsque l’animal favori disparaît, on peut organiser un enterrement en y faisant participer l’enfant. Porter le deuil de son canari, son hamster, son lapin, son poisson rouge, son chien ou son chat, loin d’être anodin permet d’aborder concrètement la question de la mort. 

5.Soyez attentif à l’enfant. Il est important de l’écouter et de lui demander ce qu’il éprouve. Ne vous attendez pas à ce qu'il puisse tout  comprendre d'un seul coup. Vous pourrez y revenir plus tard.

6.Rassurez l’enfant. Expliquez-lui que même si certaines personnes tombent malades et meurent, en général, les gens vivent très vieux. Dites-lui que vous vous attendez à vivre très longtemps.

7.Permettez-lui d'assister aux funérailles d'un être cher, s'il le désire. Les rituels sont essentiels car ils nous aident à accepter la mort. Il peut y participer, en faisant par exemple un dessin, une lettre, un objet... qu’il déposera auprès du cercueil. Expliquez-lui au préalable ce qui va se passer et rassurez-le en lui disant qu'il est normal que certaines personnes soient très émotives dans de telles circonstances.

8.Ne lui refusez pas de garder un objet lié au disparu. Contrairement à ce qu’on pense fréquemment, la possession d’un tel souvenir ne prolonge pas la période de deuil inutilement . C’est une façon de rester proche de la personne aimée : en garder le souvenir permet de mieux accepter la réalité.

9.Dites-lui également qu'il n'y a aucune honte à montrer sa peine. Cela peut l'aider à composer avec ses propres sentiments de perte.

10.  N’hésitez pas à répondre à  votre enfant, s’il vous pose des questions sur ce qui se passe après la mort. C'est l'occasion idéale de lui parler de vos croyances. Expliquez-lui également que certaines personnes peuvent avoir d'autres convictions et que c'est très bien ainsi. En montrant votre ouverture d'esprit, vous lui permettez de développer ses propres opinions.

D’après http://www.canadian-health-network.ca

 


Bibliographie

« Apprivoiser la mort » Marie-Frederique Bacqué, Odile Jacob

La mort fait peur. Elle suscite l'incompréhension, provoque des réactions de fuite, des attitudes de rejet. Marie-Frédérique Bacqué montre en quoi l'apprivoisement de la mort passe, pour chacun d'entre nous, par le rétablissement de la dimension symbolique et sociale de la perte et du deuil. L’auteur explique comment rendre à la mort sa juste place, en réfléchissant à la façon dont une société ayant atteint un certain niveau de développement peut, à l'aube du XXIe siècle, se la représenter et la rendre tolérable. Cela passe par l’invention de nouveaux rites, de nouveaux gestes, de nouveaux symboles.

« Vivre le deuil au jour le jour » Christophe Fauré

Aujourd'hui que la mort est devenue taboue, on ne porte plus le deuil après la perte d'un proche. On le vit, en silence. Or c'est un traumatisme, une blessure dont les répercussions se font sentir tout au long de la vie. A l'aide de nombreux exemples, Christophe Fauré explique, au jour le jour, le cheminement du deuil, différent selon l'identité du défunt et l'histoire de chacun. Il répond aux nombreuses questions des endeuillés : Combien de temps faut-il avant de reprendre goût à la vie ? Pourra-t-on jamais vivre comme avant ? Pourquoi la douleur revient-elle sans cesse ? Faut-il masquer sa douleur ou la laisser s'exprimer ? Les autres peuvent-ils comprendre et partager ?.... Ce guide psychologique dit et analyse la déchirure. Il permet de savoir à quel point ce que l'on traverse est normal et comment s'en sortir. Il constitue un accompagnement, apporte un éclaircissement et un réconfort inestimables à celles et ceux qui, confrontés à une terrible douleur, ne savent plus comment avancer.

« Le deuil » Michel Hanus, Marie-Frédérique Bacqué, Puf, Que sais-je ?

Le deuil est l'une des expériences les plus douloureuses que chacun peut affronter au cours de son existence. C'est également l'un des thèmes les plus tabous de nos sociétés occidentales, malgré l'engouement actuel que l'on observe, notamment aux Etats-Unis, pour tout ce qui a trait à la mort. Pour l'individu, la perte introduit un facteur de déséquilibre qui peut donner lieu à des souffrances physiques. C'est pourquoi la prévention de ces complications chez les personnes à risque ou les sujets fragiles (comme les enfants) relève d'un devoir de solidarité sociale.

« Dis, maîtresse, c’est quoi la mort ? »  Sous la direction de Jeanine Deunff, L’Harmattan

Ce livre est issu de l'observation des enfants dans les classes. Coordonné par Jeannine Deunff, Inspectrice Générale honoraire de l'Education nationale, il est le fruit du travail d'une équipe d'enseignants-formateurs, professeurs d'université, professeurs et directeurs d'Ecoles Normales, inspecteurs départementaux, instituteurs maîtres formateurs. Devant ce difficile problème de parler de la mort à des enfants, cette équipe a choisi non d'accompagner des enfants malades ou souffrants confrontés à la perspective de leur propre mort, mais de faire des propositions pour des enfants en bonne santé, suivant leur scolarité dans des conditions habituelles.  Les questions essentielles sont posées : Faut-il parler de la mort aux enfants ? Les enseignants peuvent-ils l'aborder ? Dans quel but "scolariser" la mort et pour quel projet pédagogique ?

« L'enfant face à la mort d’un proche– En parler, l'écouter, le soutenir » Patrick Ben Soussan, Isabelle Gravillon, Albin Michel.

Notre époque refuse de vivre avec l'idée de la mort et admet de moins en moins la notion de perte et de séparation. En cela, elle ne prépare pas l'enfant à faire face à ce séisme que représente la disparition d'un proche. À force de vouloir le protéger de tout, on rend son deuil très difficile. Comment accompagner l'enfant dans cette épreuve ? Tel est le propos de cet ouvrage, en répondant aux questions qui se posent à son entourage : Faut-il lui dire la vérité quand on sait la personne condamnée ? Et s'il refuse d'aller à l'hôpital ou même d'en parler ? Comment organiser la vie durant cette période troublée ? Comment l'aider à dire adieu ? Comment lui annoncer la mort ? Doit-il aller à l'enterrement ?  Le psy est-il un passage obligé

Ressources

http://perso.orange.fr/orme.asso

L’Organisme de Recherche sur la Mort et l'Enfant est une association qui se fixe pour objectif de faire avancer les mentalités et les comportements sur la notion et la perception de la mort chez l'enfant. Elle cherche à dédramatiser les concepts de la mort et du deuil, à modifier le comportement de la société à leur propos et à produire des connaissances sur ces modifications. Elle propose son intervention au sein des établissements scolaires, en direction des  enfants de 5 à 12 ans. Elle peut aussi assurer des formations pour les personnels de l’enseignement et de la santé.

O.R.M.E. : 90, rue de la Jonquière 75017 Paris

 

http://www.petitmonde.com

Site québécois dédié à l'enfance et à la famille PetitMonde cherche à favoriser une meilleure circulation de l'information et à devenir la croisée d’un réseau de partenaires s’intéressant aux mêmes questions en proposant des outils, des applications, des contenus simples et pratiques. Il propose notamment une bibliographie sur une multitude de thème dont la mort d’un parent, d’un frère, d’un grand-parent, d’un ami, d’un animal …

 

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°76 ■ fév 2007