Le temps

S’il y a bien une notion qui semble familière au citoyen moyen, c’est le temps. Qu’il le prenne ou qu’il en manque, il s’efforce de le contrôler et de le répartir au mieux. Et pourtant, quand on creuse un peu ce concept, on s’aperçoit qu’il n’est pas si simple que cela. Non seulement, nous allons comprendre pourquoi il va falloir commencer à renoncer à notre prétention à le dominer, mais nous allons aussi découvrir qu’il cache des enjeux essentiels pour l’équilibre tant individuel que collectif.

« Excuse-moi, j’arrive à la bourre » … «  Tu te rends pas compte, ça fait 107 ans que j’attends »  … Qui n’a pas vécu l’embarras d’empiéter ainsi sur le temps d’autrui ? « L'exactitude est la politesse des rois », a-t-on coutume d’affirmer. Le temps serait-il devenu l’un des biens les plus précieux de notre époque ? Après tout, ne dit-on pas de lui que « c’est de l’argent ». C’est sans doute d’autant plus vrai, que l’un et l’autre semblent être ce qui manque le plus à beaucoup de gens. Et pourtant, le lecteur pressé devra attendre, s’il veut comprendre le sens de notre démonstration : il lui faudra accepter quelques détours, s’il veut connaître les raisons pour lesquelles nous affirmons que notre conception traditionnelle doit être relativisée et qu’il faut sortir de notre toute-puissance. C’est ce que nous allons expliquer dans le dossier de ce mois-ci, en prenant pour y arriver, le temps qui sera nécessaire !

 

Du temps cyclique…(1)

La perception que l’on a du temps n’a rien d’universel et d’a-historique. Elle dépend tout au contraire de la société dans laquelle on vit. Ainsi, dans l’antiquité, pensait-on que le temps était circulaire. Cette vision s’appuyait alors sur des observations naturelles confirmées encore aujourd’hui par la science. La nature fonctionne à partir de cycles : cycle de la journée et de la nuit, cycle des saisons, cycle de la vie et de la mort, cycle de la reproduction etc … L’Homme d’alors qui voyait revenir le printemps, naître ses enfants et petits-enfants, tomber la nuit et réapparaître le jour … était convaincu d’un éternel recommencement. La société traditionnelle fonctionnait à partir de rituels qui marquaient le retour régulier du même, qu’elle célébrait par la répétition d’actes identiques, comme autant de célébrations renvoyant à des forces récurrentes. Platon affirmait que le Temps se meut en cercle. Marc-Aurèle écrivait dans le même sens : « toutes les choses sont éternellement semblables et recommençantes ». Certes, des philosophes de l’antiquité avaient contribué à affirmer la continuité d’un temps se déployant d’une manière irréversible : Héraclite, que l’on présente couramment comme le père de la dialectique affirmait dès le VIème siècle avant JC : « rien n’est immobile ; tout coule ; on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, car il n’est jamais en deux instants successifs le même : d’un instant à l’autre, il a changé ; il est devenu autre ».

 

… au temps linéaire

Mais, c’est l’Eglise qui va imposer une toute autre perception du temps. Elle considérait que la crucifixion de Jésus constituait un acte unique et fondateur qui ne pouvait se renouveler. En opposition à la représentation cyclique, le credo chrétien introduisit la représentation linéaire comportant une succession d’événements : la genèse, la chute, la révélation faite à Moïse, la naissance du Christ, la montée au Calvaire, la Résurrection et dans les temps à venir, l’avènement de la Cité de Dieu. Cette vision a survécu au déclin de la religion chrétienne. Elle a été reprise au travers d’un nouveau mythe : celui du progrès. La représentation de la ligne du temps a été préservée. Seules ont changées les abscisses se référant à des évènements religieux qui ont été remplacées par des notions laïques : pour Condorcet, l’humanité avance d’un seul pas vers l’avènement de la raison, grâce à l’instruction et aux sciences. Pour Auguste Comte, on va de « l’état théologique » de la société, vers « l’état métaphysique », puis enfin on parvient à « l’état positif ». Pour Marx, le terme de l’Histoire sera la société sans classe et le mouvement du progrès s’accomplit dans la lutte des classes. La droite du temps est donc tracée : la "science", la "technique", la "civilisation" (bien entendu conjuguées à l’occidentale) sont des forces qui seraient sensées nous ouvrir à un avenir radieux, le passé étant réduit à une masse de superstitions grotesques, une barbarie heureusement révolue. C’est ainsi que la conception linéaire du temps s’est progressivement imposée à tous.

 

D’un temps maîtrisé…

Il est vrai que face à l’échelle des temps historiques, voire cosmiques, on ne peut qu’être pris d’un certain vertige. Imaginez : l’univers existe depuis 10 à 15 milliards d’années, le système solaire depuis 5 milliards d’année, l’être humain depuis 5 millions d’années … et on vous réclame le bilan comptable pour la fin de la semaine !  Bien des civilisations, notamment asiatiques ont su intégrer cette dimension incommensurable dans leur philosophie de vie. La modernité occidentale a fait un autre choix, lié à aux nouveaux besoins de l’essor économique. Nous avons réussi à maîtriser le temps, en l’enfermant dans un horizon limité. Cela nous est nécessaire pour planifier une action, pour fonctionner à partir d’objectifs que nous nous fixons, pour agencer les moyens en vue d’une fin. Le monde de l’animation connaît bien cette démarche, lui qui base son action sur la méthodologie de projet. Mais cette approche correspond très précisément aux nécessités de son époque : "De nos jours, dans ce siècle de technique, le problème du temps acquiert une acuité particulière. La caractéristique d’une époque de technique est la vitesse. Le temps subit une accélération effrénée. Et la vie de l’homme obéit à ce temps accéléré. Nul instant n’a de prix ni de plénitude en soi-même, on ne saurait s’y tenir, il faut qu’il cède la place le plus vite possible à l’instant qui le suit. Chaque instant n’est qu’un moyen pour l’instant qui suit »(2). L’Homme semble donc enfin avoir réussi à contrôler le temps, en le mettant au service de son destin.

 

Quand le portable abolit le temps

La révolution de la communication que nous connaissons depuis une quinzaine d’années n’a fait qu’accroître encore l’illusion de cette maîtrise. La meilleure métaphore que l’on puisse en trouver est peut-être le téléphone portable (3). En quelques années, cet instrument est quasiment devenu un nouvel appendice du corps humain. A cela, de nombreuses raisons. Qu’il est utile de rester en lien permanent avec le reste du monde. Qu’il est pratique de se dédire d’un engagement ou d’un rendez-vous au dernier moment ou encore de prévenir d’un retard. Qu’il est jubilatoire, en somme, d’avoir la sensation de pouvoir abolir le temps et l’espace. Et pourtant, le fait de ne pouvoir être que dans un endroit à la fois est loin de relever d’une défaillance. En ayant le sentiment que tout est urgent et qu’il faut s’occuper en permanence de quelque chose d’autre, de peur de manquer ce qu’il y a à saisir, on manque en réalité ce qui se passe là, maintenant, ce qu’on est en train de vivre. La meilleure façon de vider sa vie de toute substance est bien de courir dans tous les sens ou de vouloir être partout à la fois. Cette fusion communicationnelle qui nous donne l’illusion de ne plus jamais être seul, nous coupe en réalité de notre intériorité. Le portable écrase et formate la multiplicité des dimensions du temps, en ne retenant que celle qui est linéaire, comptable et dirigée vers une finalité quelconque.

 

La résistance du temps cyclique

Pour autant, si notre quotidien semble s’ingénier à ne retenir que le temps linéaire, le temps cyclique n’a pas disparu, loin de là. Quelques exemples, pour nous le prouver. Notre société a multiplié les rendez-vous réguliers qui marquent le retour du même : l’attente de chaque fin de semaine ou des vacances d’été, pour un repos bien mérité, le versement mensuel des salaires, le paiement du tiers provisionnel des impôts devenu une échéance autant surveillée que redoutée … La nature continue à imposer ses contraintes : le rythme des marées, quatre fois par jour, l’alternance quotidienne de la veille et du sommeil, les menstrues féminines tous les 28 jours… Sans oublier les commémorations dont nous sommes obnubilés : aux dates de fin des deux guerres mondiales se sont rajoutées : la journée des droits de l’enfant, celle du refus de la misère, celle de la femme, celle du Sida, celle sans tabac, etc… On en compte plus de 110 chaque année , dont 62 officialisées par l’ONU ! Sans oublier celles ajoutées par chaque nation. Ainsi la France, friande de ces moments, célèbre en plus des autres, la journée de la courtoisie au volant, celle du fromage ou encore celle instaurée récemment par notre Président pour rappeler l’abolition de l’esclavage... Nous ne manquons jamais de fêter ni le solstice d’hiver (noël), ni le solstice d’été (fête de la musique). Nous célébrons les anniversaires de chaque membre de la famille… Il n’y a donc rien d’étonnant que, face aux contempteurs de la montre et du chronomètre, la science soit venue réhabiliter le temps cyclique.

 

La chronobiologie

Le spéléologue Michel Siffre se lance en 1962 dans une expérimentation qui veut démontrer les capacités de l’être humain à survivre en milieu hostile. Du 18 juillet au 14 septembre, il va vivre à 130 m de profondeur, au fond du gouffre de Scarasson, à 2000 m d'altitude dans les Alpes du sud. Il décide de compléter son projet par l'étude de la perte de la notion de temps : il renonce à emporter une montre, cherchant à retrouver le rythme originel de l'homme. Cette expérience se révèle très utile pour la connaissance des rythmes biologiques : pendant deux mois, l'organisme de Michel Siffre a conservé une période stable de 24 heures 30. L’existence des rythmes circadiens venait d’être démontrée. Une horloge interne coordonne les rythmes biologiques, synchronisant les paramètres physiologiques, comme la fréquence cardiaque ou la température corporelle. Au cours de l’évolution, le cerveau humain s’est adapté à son environnement cyclique : révolution annuelle de la terre autour de soleil ou mensuelle de la lune autour de la terre, rotation de la terre sur elle-même en 24 heures. Dès lors, il apparaissait que l’être humain ne pouvait faire tout, n’importe quand, n’importe comment. Ses compétences, ses comportements, ses réactions ne pouvaient qu’être largement influencés par les cycles temporels auxquels il était soumis. Leur non respect ne pouvait dès lors impliquer que déséquilibre et dysfonctionnement physiologique et psychologique.

 

L’aménagement des temps scolaires

Ces découvertes permirent de réfléchir différemment à l’éducation des enfants. En 1976, le pédiatre Guy Vermeil, publie un ouvrage(4) qui décrit la nécessité de chercher quotidiennement l’équilibre nécessaire entre les divers types d’activité auxquels l’élève est confronté. Le respect de l’hygiène de vie commande à ce que la charge de travail scolaire laisse la place autant au sommeil, qu’au jeu et à toutes les activités nécessaires au développement équilibré d'un enfant. Et de revendiquer l’allongement de l’année scolaire à 200 jours au moins (contre les 175 jours qui n’ont guère changé depuis), répartis sur un minimum de 5 jours de travail par semaine, 4 à 6 heures par jour, en fonction de l’âge. Mais, en la matière, l’égoïsme des adultes a toujours dominé. Les professionnels du tourisme et des transports tout d’abord, opposés à la remise en cause de la multiplication des zones de vacances qui entraîne un déséquilibre dans l'alternance préconisée des périodes de travail (7 semaines) et de repos (2 semaines) … mais qui garantit leurs intérêts économiques. Les enseignants, ensuite, peu enclins à voir modifier leur rythme de travail et de vacances. Les parents enfin, voulant privilégier le week-end, comme moment privilégié des retrouvailles en famille. Paradoxalement, le débat sur l’aménagement des temps scolaires a surtout abouti à la semaine des quatre jours tant décriée par les spécialistes (24% des élèves du primaire sont concernés), les expérimentations prévoyant la fin des cours à 15h30, suivis d’activités sportives et culturelles, restant l’exception.

 

Au-delà du cercle et de la ligne : la spirale

Depuis quarante ans, les débats qui ont lieu autour des rythmes scolaires ne semblent pas prêts de se terminer. Tout le monde est à peu près d’accord pour intégrer les conséquences du temps cyclique, du moment que cela ne vient pas gêner le temps linéaire. On ne les oppose plus, c’est déjà un progrès. On semble avoir pris conscience que l’un et l’autre s’interpénètrent en permanence. Ainsi, ne faudrait-il plus se représenter le temps, à partir de la ligne droite ou du cercle, mais plutôt choisir le symbole de la spirale comme métaphore de leur combinaison.  Cette ligne qui s'enroule autour d'elle même marque à la fois un mouvement cyclique et à la fois une prolongation à partir d’un point originel jusqu'à l'infini. Reste à trouver le juste équilibre, l’articulation pertinente, le compromis acceptable qui nous fassent à la fois respecter les rythmes que nous imposent tant la nature que notre physiologie et à la fois agir sur notre existence comme sujet et acteur. Nous qui avons tellement l’habitude de concevoir le temps dans son expression quantitative, il nous faut mieux prendre en compte sa dimension qualitative. Nous qui ne cherchons qu’à l’organiser à notre convenance, il va falloir intégrer à cette gestion des facteurs qui nous échappent. Nous qui ne pensons qu’à tourner le dos au passé pour ne regarder que l’avenir, il nous faut réfléchir aux effets de ce que nous avons finalement toujours su au fond de nous même sans jamais vouloir le reconnaître : hier peut revenir demain. Comme le lecteur en a pris l’habitude dans ces dossiers, il lui reste à présent la lourde tâche d’en tirer (ou pas) les conséquences. Je n’ai finalement ni l’envie, ni le temps de penser à sa place.

 

(1)      http://sergecar.club.fr « Temps cyclique et temps linéaire » (leçon 88)
(2)    « Le temps et l'éternité » Nicolas Berdiaef
(3)    « Plus jamais seul- Le phénomène du portable » Miguel Benasayag et Angélique Del Rey, Bayard, 2006
(4)    «  La fatigue à l’école » Guy Vermeil, ESF, 1976

 

Jacques Trémintin -  Journal de L’Animation  ■ n°77 ■ mars 2007

 

Lire interview : Testu François - Chronobiologie

 

 

Le vertige de la seconde
Si l’on compare le temps qui nous sépare du début de l’univers à une année, le Big Bang se situant au premier janvier, 00h00 : le système solaire (donc la terre) se forme le 31 août, les plus vieilles traces de vie trouvées remontent au 16 septembre, l’apparition des mammifères et des dinosaures à la nuit du 25 au 26 décembre, Toumaï le premier hominidé, au 31 décembre à 21h00, Lascaux à 23 h 59 mn et 26 s,  les Pyramides de Chéops au 6ème coup de minuit et nous aujourd’hui … au douzième coup de minuit. La vaporisation de la Terre  (le soleil devenant une géante rouge)  est programmé pour le début du mois de mai de l’année suivante et la mort du soleil pour … le 10 mai !
http://www.ens-lyon.fr/Planet-Terre/Infosciences/Histo 
 
Quel temps pour l’univers ?
Les astrophysiciens proposent deux hypothèses pour le devenir de l’univers. La première évoque une expansion infinie, des réactions chimiques finissant par transformer toute la matière en fer. La quasi-totalité de ce qui existe aujourd’hui aurait alors disparu. La seconde hypothèse explique que la dilatation que l’on connaît depuis le Big Bang finirait par s’essouffler sous l’effet du poids de l’univers, laissant la place à une contraction. Vers la fin de cette période, l'univers atteindrait une densité et une température gigantesques et se retrouverait confiné dans un espace minuscule : c’est ce qu’on a appelé le « Big Crunch ». Il n'est pas exclu qu'expansions et contractions de l'univers se poursuivent infiniment. Il s’agirait d’une sorte de pulsation, chaque mouvement prenant une période de 60 milliards d’années. On ne peut qu’être frappé par l’assimilation du premier modèle au temps linéaire et du second au temps cyclique.
 
 
Du bon usage de la lenteur
« À une époque, certains rêvaient de ne pas perdre leur vie à la gagner. Beaucoup d’entre nous, aujourd’hui, passent leur temps... à tout faire pour ne pas le perdre. La course à la productivité, l’explosion des nouvelles technologies et la société de consommation ont balayé le droit à la paresse et relégué une certaine philosophie de la lenteur à une posture d’arrière-garde. Les expériences intérieures, les sensations ont perdu leur valeur : un simple regard sur un paysage ne vaut rien s’il n’est numérisé, imprimé, « webcamisé ». Une après-midi passée à rêvasser est une après-midi perdue. Dans une société tournée vers les biens matériels, il faut toujours des traces, du concret, du faire. Qu’un certain esprit de résistance nous anime donc pour enfin réussir à changer notre rapport au temps. Prenons le maquis de l’oisiveté, les sentiers des rêveries inutiles, des pensées qui ne mènent à rien. »
Dante Sanjurjo (Politis n° 845)
 
 
« La PEEP (Parents d'élèves de l'enseignement public) défend l'idée que les parents sont des acteurs de l'éducation des enfants et donc pour cela doivent passer du temps avec leurs enfants. Les familles monoparentales qui se multiplient gagneraient à ce que les enfants puissent rejoindre l'autre parent dès le vendredi soir... Aucune étude ne montre un déficit d'apprentissage des enfants vivant la semaine de 4 jours, bien au contraire et les villes qui y sont ne souhaitent pas revenir en arrière... Et c'est l'inspection de l'Education Nationale qui écrit : "D’une façon générale, enseignants et parents expriment leur préférence pour l’organisation de la semaine de 4 jours. Ce choix est particulièrement net lorsque cette organisation est déjà en place : dans ce cas, 77% des parents et 72% des enseignants indiquent leur satisfaction globale." pas la PEEP, ni moi... »
JF Le Helloco, Président de la PEEP Saint Maur
http://www.saintmaurblog.com

 

 


Fiche n°1 : Temps des adultes et temps de l’enfance

Notre société moderne apparaît de plus en plus prise dans un tourbillon perpétuel où le temps semble manquer à chacun. La vie est devenue une course contre la montre : lever les enfants, les préparer, les accompagner à l’école, foncer au travail, prendre une pause la plus courte possible le midi, sortir du travail pour aller chercher les enfants à l’accueil post scolaire, rentrer à la maison, leur faire faire leurs devoirs, leur faire prendre leur bain, les faire manger, les coucher, s’effondrer enfin dans la canapé et n’avoir d’autres forces que d’allumer son téléviseur et aller se coucher pas trop tard pour recommencer le lendemain. Tel est l’emploi du temps du parent moyen. Mais du côté de l’enfant, cela ne vaut guère mieux. Un documentaire (1) présenté en 2003 sur France 2, « Le temps de l’enfance » décrit le quotidien de quatre enfants scolarisé en classe de CE2, dans une école primaire du XIIIème arrondissement de Paris, dite "sans problème". Dans le reportage, les enseignants expriment leur préoccupation quant au manque de discipline des élèves. Rien d’étonnant à cela, quand on suit parallèlement les journées harassantes vécues tout au long de l’année par ces enfants de 8 ans. Les familles préoccupées par le souci de doter leur descendance du meilleur capital culturel susceptible de leur permettre de réussir dans la vie, surchargent les horaires de cours supplémentaires, d’activités sportives et culturelles. Pas une minute de perdue, pas d’oisiveté, ni d’ennui dans cette existence bien réglée qui a juste l’inconvénient de priver du vrai temps de l’enfance. Car s’il est bien une vertu propre à cet âge, c’est ce sentiment d’insouciance qui conduit à se laisser vivre sans s’appesantir sur les conséquences des actes posés. L’enfance, c’est ce plaisir de sauter à pieds joints dans les flaques d’eau, le sourire jusqu’aux oreilles, la boue jusqu’aux sourcils. Ce sont ces comptines pleines de fantaisie et d’optimisme, ces contes qui font parfois peur, mais qui ne sont pas « pour de vrai ». Ce sont ces jeux au parc : ses rondes, ses balançoires, ses courses éperdues… C’est la rêverie du petit élève de « Page d’écriture » de Prévert : face au maître qui cherche à faire rentrer des tables de multiplication, l’enfant appelle à sa rescousse un oiseau qui passe dans le ciel : « Sauve-moi /joue avec moi / oiseau ! / Alors l'oiseau descend / et joue avec l'enfant » Et par la magie de l’imaginaire : « les vitres redeviennent sable / l'encre redevient eau / les pupitres redeviennent arbres / la craie redevient falaise /le porte-plume redevient oiseau. » Même si l’univers de l’enfance n’est pas dépourvu de gravité, d’angoisses et de drames, il se caractérise, malgré tout, par l’omniprésence du jeu, de l’inutilité, de l’absence de sens autre que le plaisir de l’instant et par cette légèreté que les adultes ont perdue au fil des ans, sous le poids des expériences, des épreuves et des responsabilités. Bien sûr, l’éducation consiste aussi à apprendre, à se projeter dans le temps et à mesurer les actes que l’on pose. Mais cette prise de conscience viendra progressivement. Il n’est pas nécessaire de précipiter les choses.

(1) « Le Temps de l’enfance » Documentaire. Réalisé par Stephan Moszkowicz. Produit par France 2, Europimages et Forum des Images

 


Fiche n°2 : Ce que la chronobiologie nous enseigne sur les adultes

Nous avons pris l’habitude de concevoir l’organisation du travail, en fonction des seuls impératifs économiques. Le temps étant considéré comme linéaire, il apparaît malléable  et extensible à volonté. La chronobiologie nous invite à une autre perception. Il en va ainsi pour le travail de nuit ou les horaires variables (et notamment ce travail posté en 3X8 qui fait alterner l’activité salariée successivement le matin, l’après-midi et la nuit). Il est difficile d’y renoncer totalement, sous peine de supprimer la circulation nocturne des trains, d’arrêter la production d’électricité dès la tombée du jour ou la surveillance liée à la sécurité 24 heure sur 24. Au-delà, on peut s’interroger sur son extension inconsidérée. Des expérimentations sur l’animal ont permis de tester les effets des inversions du rythme de 24 heures par le changement des conditions d'éclairage, de bruit, d'alimentation ou encore de la création de rythme artificiel de 12 heures. "Tous les singes souffraient de névroses qui persistèrent plusieurs mois après s'être réadaptés à une vie normale. L'un des singes était très excité, un autre se tenait prostré dans un coin de sa cage, ne réagissant plus aux signaux et ne venait pas chercher sa récompense. Quand au troisième, il répondait de façon absolument discordante aux sonneries... Un singe, normal au départ, devint apathique, languissant et fut atteint de tremblements. 64 jours après la fin des expériences, il mourut d'une coronarite aiguë suivie à l'électrocardiogramme." (Siffre - Expériences hors du temps - 1972 ). Des recherches ont permis d’établir les effets du travail de nuit sur l’organisme humain et ses rythmes biologiques. On a pu mesurer les nuisances sur la santé des salariés : surexposition aux accidents professionnels graves, aux insomnies irréversibles avec surconsommation de somnifères, aux maladies et aux accidents. Des statistiques réalisées au Canada et aux USA font apparaître une multiplication par deux des problèmes cardiovasculaires, de quatre à cinq des troubles gastriques de cinq à quinze des troubles de l’humeur… Ce qui représente un coût économique de 206 milliards de dollars, par année aux USA, lié à l’absentéisme, au grand roulement dans le personnel, à l’accroissement des frais de recrutement, aux dépenses de santé dues à l’augmentation des accidents du travail.

 


Fiche n°3 : Ce que la chronobiologie nous enseigne sur les enfants

Il arrive que des enfants soient entraînés dans le rythme accéléré des adultes, avec comme risque un mode de vie qui abrège ou fragmente leur temps de sommeil. Or, le temps de récupération constitue un facteur essentiel à la croissance somatique, à l'apprentissage et à la mémorisation. Toute négligence à son égard peut perturber notablement les activités physiologiques et désorganiser les rythmes biologiques spontanés. Si une veille prolongée peut intervenir à titre exceptionnel, la rigueur autour de l’endormissement (temps minimum selon l’âge, protection contre le bruit ou la lumière etc…) permet de garantir les conditions d’un développement bien plus épanoui et équilibré. On considère qu’en moyenne, à 4 ans on doit dormir 11h30, à 5 ans, 11h00, à 7 ans, 10h00, à 10-12 ans 09h00 et à 14-16 ans, 08h30. Mais, en réalité, chaque individu présente un besoin en sommeil qui lui est propre. Deux enfants du même âge peuvent avoir des besoins de sommeil différents de plus de deux heures. En outre les uns vont très tôt se spécialiser en "lève-tard", ou "lève-tôt", en "couche-tard" ou "couche-tôt". Il faut donc éviter d’imposer à tous les mêmes règles, certains enfants n'ayant plus besoin de sieste dès l'âge de 3 ans, d'autres, par contre, en ayant besoin jusqu'à 8 ans... Il n'existe en réalité qu'une seule définition du sommeil normal : c'est quand, le matin, on se réveille non seulement avec l'impression d'avoir bien dormi, mais aussi avec celle d'être reposé et en pleine forme. A l’âge adulte, nous sommes tout autant inégaux devant le sommeil. La moyenne de la population tourne autour 7 h 30 à 8 heures de repos, par nuit. Avec là aussi  des exceptions : les petits dormeurs (5% de la population) qui n’ont besoin que de 6 heures par nuit, voire dans des cas plus rares de 4 heures et les gros dormeurs (10 à 15 % de la population) qui ont besoin de 9 heures de sommeil par jour. Ces besoins de sommeil sont probablement innés, en grande partie déterminés héréditairement. Ils évoluent pendant l'enfance, puis ils restent en général remarquablement constants après la fin de l'adolescence.

Cf. fiche très bien faite « les rythmes de vie » http://www.animnet.com

 


Fiche n°4 : Le témoignage de Thomas Janus

L’un des résultats permettant de mesurer la réussite d’un CVL serait le nombre d’animations proposé, le taux d’occupation des enfants ou encore le faible degré de leur ennui. Je conteste cette idée. On peut faire passer d’excellentes vacances à des enfants, sans  s’inscrire forcément pour y arriver dans une logique d’activisme débridé. On peut tout autant favoriser la qualité d’un séjour, sans qu’il soit marqué par une multiplicité d’animations. L’une de mes premières expériences de Directeur fut marquée par une bévue. Je pensais que l’association se chargeait de retenir une prestation, cette dernière ayant compris que c’était moi qui m’en occupais. Finalement, le jour où j’accompagnais un groupe d’une quinzaine de 10-12 ans sur un mini camping d’une semaine où étaient sensé être programmées cinq séances de canoë et 5 séances d’escalade, rien, en fait, n’avait été retenu. Tout était complet. Le directeur du centre aéré de la commune voisine qui avait prévu un mini camping la même semaine me proposa très gentiment de me dépanner en me cédant quelques séances. Pour autant, on était loin du compte. J’étais vraiment très ennuyé. Quand je fis une visite le mardi soir, je m’attendais à me faire écharper par des enfants et des animateurs me reprochant l’ennui et l’absence des activités promises. Quelle ne fut pas ma surprise de constater la qualité de l’ambiance et la bonne humeur générale ! Si l’animation-consommation n’avait pu avoir lieu, elle avait été remplacée par un vivre en commun qui avait comblé tout le monde. Les animateurs, de simples « accompagnateurs de prestations extérieures » avaient repris toute leur place et avaient joué leur rôle pour animer ce moment passé ensemble. Cette expérience m’a beaucoup marqué. J’ai toujours insisté par la suite, pour que des moments de temps libre soient aménagés où rien ne devit être programmé, ni organisé. Il n’est pas dans mon intention ici de prôner un quelconque désinvestissement chez les animateurs qui se traduirait par l’oisiveté ou le désoeuvrement. Ils doivent, durant ces périodes, être à disposition des enfants qui peuvent ou non les solliciter. L’ennui n’est pas toujours un moment perdu chez les enfants. Il est le plus souvent source de créativité. Hors de toute présence des adultes, il peut être l’objet (mais pas toujours) de bêtises. Si l’adulte est là pour être garant du cadre, mais laisse l’enfant aussi vivre sa vie, ce dernier peut inventer ses propres jeux, ses propres activités qui parfois n’ont pas à pâlir face à certaines des nôtres. C’est aussi là, l’une des façons pour permettre aux enfants de réinvestir leur temps de vacances.  

 

 

Bibliographie    

« Briser la dictature du temps - Comprendre ce qu'est le temps pour mieux le vivre » Bruno Jarrosson, éditions Maxima, 2004
Le temps figure comme une dimension majeure de la vie dans une société moderne. La conception dominante du temps est incontestablement celle d'un temps quantitatif, que l'on mesure en secondes, minutes, heures, le temps de la montre et de l'horloge, qui se trouve référé à un mouvement mécanique, strictement reproductible. Un temps vide et sans surprises, un temps dénué de sens. Ce temps est formidablement utile pour organiser la vie sociale et a donné lieu à une considérable autodiscipline du temps. Mais c'est ce même temps qui sert à définir des horaires, mesurer la productivité du travail, comptabiliser le temps qui reste à vivre, promouvoir un débat singulièrement pauvre sur les 35 heures, un temps qui impose sa dictature, bien davantage qu'il ne promeut la liberté. A ce temps spatialisé, le présent ouvrage oppose le temps-devenir. Ce dernier se trouve situé en tension entre le passé qui pousse dans la mémoire et l'expérience des sujets, et un futur incertain, mais ouvert aux virtualités, aux choix, à la prise d'initiative. Entre les deux, le sens des événements, qui nous interpelle, en nous offrant la possibilité de le faire surgir et de le développer. Ce livre explore le conflit entre ces deux approches du temps, depuis la définition de la vie quotidienne de l'individu, jusqu'aux enjeux liés au devenir de l'humanité, en passant par les alternatives possibles en matière de définition de la productivité du travail. Le temps comme enjeu et les enjeux du temps.
 
« Temps et modernité – Le temps comme enjeu du monde moderne » Philippe Zarifian, L’Harmattan, 2001
Ce livre est une réflexion sur la nature du temps : à la fois temps mesuré (par les horloges, les montres) et temps "ressenti" (la conception que chaque individu a du temps). A travers une histoire de la perception du temps et de nombreuses références à la littérature, l'auteur montre la nécessité d'une compréhension profonde de ces deux dimensions contradictoires du temps, seule capable de donner à chacun les moyens de mieux "utiliser son temps". Le livre est un plaidoyer pour retrouver un équilibre entre le temps que nous passons à faire mal trop de choses et celui que nous pourrions "perdre" à faire mieux un moins grand nombre de choses.
   
« L'enfant et ses rythmes : pourquoi il faut changer l'école » Roger Fontaine, François Testud, Calmann Levy, 2001
Des journées scolaires de dix heures, des vacances trop courtes ou trop longues, une semaine de quatre jours déstabilisante, un premier trimestre qui n'en finit pas, les devoirs après la classe, la télévision pour seul loisir...
Telles sont les cadences que subit une majorité d'enfants, telle est la vie que leur a imposée une société plus souvent soucieuse de la satisfaction des intérêts des adultes que du respect du développement de l'enfant. Mais comment les parents, les enseignants peuvent-ils respecter les rythmes de vie de leurs enfants, de leurs élèves, s'ils ne les connaissent pas ? Dans cet ouvrage, les professeurs François Testu et Roger Fontaine veulent mettre à la disposition des adultes des connaissances scientifiques sur les rythmes biologiques et psychologiques. Ils espèrent ainsi les sensibiliser à l'importance du sommeil, à la rythmicité journalière, à l'hygiène de vie familiale, aux conséquences positives ou négatives - notamment la violence - des différents types d'emploi du temps.
    
« Plus jamais seul - Le phénomène du portable » Miguel Benasayag et Angélique Del Rey, Bayard, 2006
Nous sommes à ce point habitués au spectacle mi-affligeant, mi-amusant de ces personnes croisées dans une salle d’attente, un ascenseur, se précipitant d’une manière compulsive sur leur portable pour consulter leur écran, qu’on ne réfléchit plus aux conséquences anthropologiques de l’utilisation de cet appareil. C’est justement ce que nous proposent ici les auteurs qui l’affirment haut et fort : « le portable nous introduit dans une civilisation où les liens dominants deviennent des liens de surface » (p.45) Eliminer les distances, c’est favoriser la promiscuité. Tout au contraire, c’est grâce à l’isolement communicationnel que l’on peut paradoxalement développer et approfondir les liens qui nous unissent. La sociabilité est ritualisée par une circulation des gestes et des regards, ainsi que par le respect d’une relation entre les individus faite à la fois de distance et de proximité. Toutes choses qu’abolit le portable qui induit d’avoir à se parler tout de suite et à répondre à un appel immédiatement, où que l’on soit, exposant aux oreilles de tous l’intimité de ses échanges. Faut-il pour autant que nous jetions tous nos portables ? Ce n’est pas ce que préconisent les auteurs qui préfèrent appeler à un forme de résistance qui privilégierait  la création et le développement de lieux de non communication, l’expérimentation de l’épaisseur de la vie, l’approfondissement de la capacité aussi d’être seul ainsi que le recours à des pratiques non utilitaires. 
  
«  Le temps qui passe... » Etienne Klein et Sophie Jansem, édition Le Pommier, 2006
Quel âge le temps a-t-il ? Qu'est-ce qui fait passer le temps ? Que montrent donc nos montres ? Comment dire le temps ? Et si le temps était une prison à roulettes ? Est-il vrai que le temps est une sorte de fleuve ? Revoici Jules, Paul et Etienne, leur physicien de père, qui partent cette fois-ci à la découverte de cette notion si quotidienne et pourtant si impalpable qu'est le temps. Des réponses sérieuses et drôles aux questions que les enfants se posent sur le monde. Chaque livre est le fruit d'un échange nourri entre une classe et l'auteur.
 
« Temps subi ou vaincu ? » PEMF Ados, 1999
Qu'est-ce qui nous harcèle et nous échappe ? Qu'est-ce qui intervient à chaque instant de notre vie, mais que nous ne pouvons ni voir, ni toucher, ni sentir ? Le temps bien sûr. Le temps de nos montres et de nos horloges, qui est une réalité "universelle" que l'on mesure de plus en plus finement, mais aussi une perception discutable, contradictoire, construction de l'esprit variable selon les cultures... Qu'est-ce que le temps ? Il n'est pas certain que physiciens, mathématiciens, philosophes, sociologues, historiens, romanciers renvoient aux mêmes domaines.