Testu François - Chronobiologie

François Testu est professeur de psychologie, à l'Université F. Rabelais de Tours et Président de la Jeunesse en Plein Air. Il est l’un des chercheurs en chrono biologie et chrono psychologie qui se bat depuis de nombreuses années pour que l'emploi du temps et le calendrier scolaire intègrent les rythmes propres à l'enfant. L’équilibre, l’épanouissement, mais aussi tout simplement les capacités d’apprentissage du petit d’Homme ne peuvent faire l’économie, explique-t-il, d’une prise en compte des rythmicités propres à l’être humain.

 

Vous préconisez depuis longtemps la nécessité de modifier les rythmes scolaires : quels seraient pour vous les principaux changements à apporter ?

François Testu: on ne peut pas changer les rythmes propres aux individus, car nous ne sommes pas des manipulateurs biologiques. Par contre, ce que l’on peut faire, c’est aménager l’emploi du temps, en favorisant une alternance qui réponde aux besoins de l’enfant entre les moments d’activité et les moments de repos. C’est, tout d’abord, respecter son sommeil du mieux que l’on peut : par exemple, pour les enfants scolarisés en maternelle, il faut aménager un endroit où ceux qui ont envie de dormir puissent le faire. Ce qui implique d’organiser l'espace, en fonction de l'aménagement du temps. C’est aussi essayer d’adapter les apprentissages à la rythmicité journalière : la reprise de l'après-midi doit être occupée par activités peu sollicitantes. C’est encore tenir compte des périodes de faibles résistance, tout au long de l’année scolaire : celle de la Toussaint est critique tout comme celle de fin février début mars, l'homme y présentant alors une certaine faiblesse psychologique et physique. C’est enfin favoriser la présence de pause dans la journée : la récréation, est un moment où les enfants sont libres de jouer ou de ne pas jouer. Mais aussi dans l’année : adopter une alternance de sept semaines de classe pour deux semaines de vacances, dix jours étant la durée minimale permettant un vrai repos. Toutes ces propositions s’appuient sur les travaux des chercheurs en chrono biologie et en chrono psychologie.

 

Vous êtes opposé à la semaine des quatre jours, pourtant plébiscitée par les familles ?

François Testu: la semaine des quatre jours est une semaine qui satisfait les adultes. Il ne faut pas ignorer les contraintes que vivent les parents et avoir conscience qu’il y a des décalages entre les plages horaires des adultes et celles des enfants. C’est pourquoi, il y a un juste compromis à trouver. Pour autant, je suis persuadé que la semaine de quatre jours  n’apporte rien de positif. Un week-end de deux jours prolonge ses effets chez certains enfants, non seulement le lundi mais également le mardi matin. Il leur faut, en effet, un ou deux jours pour récupérer la désynchronisation, la déstabilisation que cette coupure a provoquée dans leur rythmicité journalière habituelle. En outre, nos travaux ont montré qu’ils sont moins performants et moins attentifs. Il y a toujours des témoignages individuels pour affirmer le contraire. Il y en aura toujours. Interrogez les enseignants. Ils sont nombreux à ne pas être convaincus de ce système qui, par ailleurs, amène la plupart du temps à faire en quatre jours ce que l’on faisait, auparavant, en quatre jours et demi. Comme parallèlement, on ne raccourcit pas le nombre de journées de classe dans l’année, il n’y a que deux solutions pour rattraper le retard. Soit on réduit la durée des petites vacances -ce qui va à l’encontre de ce que je préconise- soit on rallonge le premier trimestre, en rentrant fin août. Cette période de l’année qui est déjà affreusement longue, puisqu’à elle toute seule, elle représente 40% du temps scolaire, se verrait encore alourdir, sans que la pause de la Toussaint ne soit suffisante pour pouvoir bien récupérer. Résultat : certains enfants peinent énormément, surtout ceux qui sont les plus fragiles. Enfin, dernier argument, cette semaine des quatre jours creuse les inégalités. Ce ne serait pas le cas, s’il y avait systématiquement des activités périscolaires ou un réel accompagnement des parents. Mais ce n’est malheureusement pas ce que l’on constate pour tous les enfants :  selon que vous habitez dans une commune qui se donne les moyens d’une politique complémentaire de l’école, selon le milieu socioculturel de l’enfant, vous allez avoir des différences tout à fait considérables. Si vous libérez du temps, ce n’est donc pas forcément épanouissant pour tout le monde.

 

Que pensez-vous du système allemand où la journée de travail en primaire se termine à midi ou à 13h00 ?

François Testu: Ce système qui réservait les après-midi aux activités sportives et culturelles a fonctionné, mais cela ne fonctionne plus. Et ce, pour des raisons purement économiques : cela revient trop cher. De ce fait, l’Allemagne se retrouve confrontée à un problème similaire à celui de la semaine de quatre jours chez nous : il y a des enfants qui se voient proposer des activités et d’autres qui n’ont d’autres choix que de se retrouver devant la télé. C’est là l’effet pervers de la libération du temps l’après-midi : vous risquez d’augmenter la consommation de télévision. Il n'y a rien de scandaleux à le faire à dose modérée, mais des limites ne doivent pas être franchies. Et, le plus souvent, elles le sont allègrement. C’est donc bien d’affirmer qu’il faut que l’enfant aie de la liberté, qu’il s’exprime, qu’il s’épanouisse avec les autres. Encore faut-il lui proposer quelque chose. Le système allemand a fait ses preuves, tant qu’il a eu les moyens. Aujourd’hui, il ne les a plus. Ce qui est source d’inquiétude chez eux. Ils s’interrogent sur l’avenir de leur école et de leur emploi du temps. A tel point, qu’ils regardent vers nous ! Quant à la question des aptitudes d’apprentissage l’après-midi, au moins pour ce qui concerne les plus âgés, les 7-8 ans, il n’y a pas de perte de temps à l’école. A condition de savoir placer les activités au bon moment et de ne pas trop les surcharger, on peut faire en sorte que l’après-midi les élèves restent performants.

 

L’enfant ne vit pas au même rythme tout au long de ses vacances : quelles précautions doit-on prendre dans les centres de vacances au cours des activités qu’on leur propose ?

François Testu: je pense que lorsqu’on est en vacances, on est vraiment en vacances. Il faut un peu oublier l’école ! Le temps des vacances comme celui de l’école, comme celui passé dans la famille contribuent, chacun à leur manière, à l’éducation de l’enfant. Il ne faut pas confondre éducation et apprentissage cognitif. On n’est pas toujours en situation d’apprentissage. Il faut éviter de transformer les vacances en école bis. Il est important que l’enfant se sente vraiment dans ses pantoufles de vacanciers. Pour cela, on doit lui proposer des activités innovantes. Quand je dis innovantes, je ne parle pas de modalités révolutionnaires, mais de différence de nature avec ce qui se passe en classe. Et l’outil principal de cette innovation est bien le jeu qui est une autre façon d’appréhender la socialisation, l’échange, la découverte d’autres milieux … Ce sont là d’autres manières de s’enrichir. Concernant les emplois du temps, les vacances sont l’occasion de plus de liberté, de marge de manœuvre et de souplesse. Mais, on doit néanmoins rester vigilant à la régularité des activités, afin que l’enfant puisse récupérer librement de toute la fatigue accumulée tout au long de l’année.

 

Que doit-on respecter dans le rythme de la journée ?

François Testu: La rythmicité de l’individu ne varie guère, que l’on se trouve à l’école ou en vacances. Il est essentiel de s’y adapter. Pour y arriver, il faut d’abord que le jeune aie son temps de sommeil personnel. Je sais bien qu’en centre de vacances, ce n’est pas toujours facile à respecter. Encore que ces centres ont été pionniers en matière d’adaptation au rythme de vie de l’enfant. J’ai longtemps encadré des colonies. Nous pratiquions à l’époque, et je pense que c’est toujours le cas aujourd’hui, ce que nous appelions le lever échelonné. Ce n’était pas facile à appliquer. D’abord parce que les enfants n’étaient pas habitués à cette liberté dans une collectivité. Il fallait apprendre à ceux qui se levaient de bonne heure, à ne pas réveiller leurs copains. Mais, l’essentiel était bien de respecter le sommeil du matin tant nécessaire à l’équilibre du reste de la journée, ce qui n’est jamais fait, en période d’école.

 

Toutes vos propositions (notamment celles sur les temps scolaires) ne sont pas sans heurter les intérêts des adultes : pensez-vous qu’elles finiront malgré tout par s’imposer ?

François Testu: une partie réussira à s’imposer, mais pas tout. On est en train de progresser sur la nécessité de respecter le sommeil et sur les journées qui sont trop longues. On a sans doute réussi à bloquer la généralisation de la semaine de quatre jours ou du moins à faire prendre conscience qu’un tel choix doit s’accompagner d’une véritable politique d’accompagnement. Mais là, on arrive sur une question politique et économique : cela nécessite de mettre en place des Contrats éducatifs locaux,  des Projets éducatifs de ville … Tout le monde n’a pas envie de faire cela… Je suis persuadé qu’on pourrait rééquilibrer l’année, en modifiant l’organisation des grandes vacances. Mais, dans tous les cas, la clé du succès, c’est que chacun mette du sien et ne se limite pas à la solution de facilité, comme cette semaine de quatre jours.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin
Journal de L’Animation  ■ n°77 ■ mars 2007